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Monde - 28 février 2010
Par Badia Benjelloun
Ce 24 février 2010, Robert Gates, Secrétaire d’État à la Défense états-unien a pris la parole devant un parterre d’officiers et d’experts militaires à l’Université de la Défense de Washington. Il a dressé le bilan de la faillite de l’Otan, victime du profond sentiment pacifiste (1) et de son aversion pour la chose militaire d’une bonne partie de la population européenne, conduisant à un sous investissement des États européens pour leur défense (moins de 2% de leur PIB versus les 5% que consacrent les US(a)). Cette démilitarisation et leur faiblesse réelle ou supposée les exposeraient à des risques réels d’agression. Mais surtout elle les rend non opérants au sein de l’OTAN.
"Soyez gentils avec l'Amérique où nous emmenerons la démocratie dans votre pays." (vu sur la plaque d'immatriculation d'une voiture, aux USA)
Gates déplore le déficit en hélicoptères, en avions cargo, en tanker de ravitaillement pendant le vol, en matériel d’espionnage en Afghanistan, plainte centrée donc sur la quincaillerie que les alliés ne fournissent pas en quantité suffisante. Cet aveu public de défaillance de l’occupation de l’Afghanistan survient au lendemain de la crise politique néerlandaise. Le gouvernement des Pays-Bas est tombé après la non adoption du budget de leur participation pour l’après août 2010. Donc 2000 soldats de moins dès cette année en Afghanistan, les 2800 canadiens ont toutes chances d’être de retour à la fin de l’année prochaine.
Gates a annoncé la nécessité d’une révision drastique de la stratégie de ces dix dernières de l’OTAN. Comment ? Obliger ses partenaires déjà réfractaires à s’engager davantage en organisant des petites opérations convaincantes comme savent le faire les bureaux d’affaires très spéciales ? Démultiplier un budget militaire avec une économie exsangue, un déficit et une dette colossaux ?
Ainsi toute la stratégie de déploiement étasunien vers les Marches asiatiques et caucasiennes se voit dénoncée par ses servants comme étant d’une inanité dérisoire. L’extension sans fin de l’Union Européenne vers l’Est et les essais d’intégration des ex-républiques soviétiques au sein de l’Alliance Atlantique Nord se trouve être sans efficacité réelle puisque 28 États contribuent à l’invasion et au maintien de l’occupation d’un des pays les moins dotés de technologie avancée en armements et échouent à le pacifier face à une résistance populaire légitime.
Les Pays-Bas, ce petit pays (2) à l’origine du premier noyau européen, ont déclaré ne plus vouloir faire ‘la guerre pour la Prusse’. Ce sont des formations de droite et d’extrême droite, la formation de Geert Wilders (PVV) qui veut expulser tous les musulmans d'Europe et faire interdire le Coran, qui paradoxalement en refusant de se battre contre les ‘Talibans’ vont bénéficier de ce changement. La contradiction n’est qu’apparente bien sûr car la politique néo-libérale appliquée avec un zèle de nouveau converti aux lois exclusives de la liberté du marché avec le moins d’État possible a ravagé la cohésion sociale, précipitant y compris une bonne partie des cadres au chômage. L’appauvrissement et le manque de services publics alimentent la haine de l’immigré et du musulman au point que le PVV de façon encore plus caricaturale que le Front National en France fait de l’islamophobie son unique programme électoral.
En plus de ces guerres manifestes en Irak, au Pakistan, en Somalie, au Yémen, en Afghanistan et en Palestine, d’autres se jouent, pas moins importantes et décisives dans un futur proche sur l’issue des précédentes.
Leurs foyers ne prennent plus leur épicentre dans le monde arabe et musulman.
D’ampleur mondiale, elles vont ‘vitrifier’ des pays entiers avec les effets et la puissance de bombes à neutrons.
Il s’agit des guerres monétaires rendues inéluctables par la déconstruction méthodique ces vingt dernières années des sphères de souveraineté nationale financière, déconstruction mise en place par les institutions financières états-uniennes avides d’espaces à investir. Elles ont rendu obligatoires la privatisation et la marchandisation de tous les services.
Au dernier trimestre 2009, la Chine a acheté moins de bons de Trésor états-uniens, laissant passer devant elle le Japon comme premier créancier de l’État fédéral nord-américain. En décembre, la Chine détenait 755,4 milliards de dollars de la dette publique états-unienne, soit 4,3% de moins que le mois précédent, la plus forte baisse en dix ans.
Depuis le début officiel de la crise financière qu’il est convenu de situer en septembre 2008 avec la chute de Lehman Brothers, les autorités financières chinoises ont à plusieurs reprises annoncé publiquement que le dollar devrait cesser d’être la devise de réserve internationale et que ce rôle devrait être attribué aux DTS, Droits de Tirage Spéciaux, émis par le FMI sur la base d’un panier de monnaies nationales.
La Chine tributaire de sa dépendance du marché occidental semble avoir compris que la fin de la récession dans cette partie du monde est lointaine, aussi a-t-elle misé sur le développement de son marché intérieur et favorisé l’élévation des salaires. Elle a dû resserrer très vigoureusement en début d’année la vanne du crédit jusque-là glissant vers la formation d’une bulle, démontrant ici que les manettes de l’économie sont aux mains du politique au service du politique.
La première réaction vigoureuse et spectaculaire fut que Washington a donné son accord pour une vente d’équipements militaires d’un montant de 6,4 milliards de dollars et que le Président Barak Houssein Obama a reçu le Dalaï Lama à la Maison Blanche.
Le privilège exorbitant du dollar comme monnaie de réserve mondiale (dixit Charles De Gaulle) est devenu au cours de ces dernières années de plus en plus injustifié, dette états-unienne de 126% de son PIB, déficit de près de 15% de son PIB, avec un chômage croissant réel à près de 20%, une désindustrialisation qu’aucune production nationale ne vient compenser. Mais ce privilège a permis la croissance démesurée d’une « industrie » financière, le contrôle de la majorité des flux financiers dans le monde et les US(a) ne sont pas près d’y renoncer.
C’est alors que s’est mise en branle la machinerie des agences de notations qui ont dégradé la dette de la Grèce, 123% de son PIB. Pourquoi la Grèce ? Comparée à la dette britannique, 99% de son PIB, ou italienne, 132% de son PIB, elle se trouve plutôt dans les normes européennes. Il s’agit d’un petit pays, 20 millions d’habitants, avec un PIB de 200 milliards $ soit 15 fois moins que celui de l’Allemagne, récemment intégré à l’Europe et qui se trouve aux confins, là-bas vers l’Est, tout près de la Turquie et pas vraiment catholique ni protestant mais orthodoxe.
La technique est très simple d’application, la rumeur (mauvaise) gonfle, les parieurs sur la baisse des CDS (credit default swap pour assurance sur défaillance de crédit) se portent en put (3) et des fortunes colossales s’amassent, laissant sur le pavé un pays qui ne peut plus avoir de crédit à moins de 6 à 7 %.
Que Goldman Sachs ait aidé l’État grec à maquiller sa comptabilité est chose connue et courante dans les milieux des grands holdings : Enron au moment même où elle se trouvait en chute libre juste avant sa faillite continuait à assurer du conseil financier et comptable pour qui souhaitait présenter sous un jour favorable ses comptes.
Le résultat de cette déstabilisation de la Grèce du point de vue des gains pour Goldman Sachs, à la fois conseilleur pour grimer les comptes, instigateur et profiteur de la spéculation négative contre la Grèce, est meilleur que celui escompté. Mais l’opération « rumeur » n’a pas été initiée uniquement pour ramasser cette mise.
À ce jour, les dirigeants européens, Merkel en tête, se montrent réticents à déclarer prêts à un sauvetage de la Grèce. (4) Leur inertie initiale contribue à la dépréciation de l’Euro. En réalité, ils finiront par financer cette dette car les principales banques européennes y sont largement exposées.
La chute de la cotation de l’Euro qui s’en est suivie rend beaucoup plus malaisée l’option de diversifier ses réserves de devises en l’adoptant préférentiellement au dollar états-unien.
Le Wall Street Journal a publié le 26 février qu’au cours d’u petit dîner entre dirigeants de hedge funds majeurs en début de mois à Manhattan aurait été décidé la mise à parité entre l’euro et le dollar. Le public, même celui le plus faiblement éduqué, sait depuis l’histoire de « Gorge Profonde » -le chef du FBI informateur des deux journalistes du Washington Post à l’origine du Watergate qui a conduit à la démission punitive de Nixon- que toute fuite en direction des journaux est rarement fortuite. Elle se trouve toujours dirigée vers un but politique précis par ses auteurs. Le nombre impressionnant des identités d’intervenants du Mossad dans l’assassinat du dirigeant du HAMAS Mabhouh à Dubaï, qui a été livré à la presse, en est un autre exemple. L’annonce du feu vert accordé par Netanyahou jeté en pâture aux journaux, comme si le Mossad était un organisme distinct du gouvernement sioniste et non son âme même, ressemble à une opération de déstabilisation d’un Premier qui n’a plus l’air de bien convenir.
L’Empire dispose toujours de ses guerres traditionnelles contre de petits États incapables de se défendre militairement comme champ d’enrichissement du CMI (5) qui gouverne à Washington. Depuis qu’il est hégémonique, il s’y révèle impuissant à gagner, seul ou aidé de ses vassaux.
Menacé dans son essence même, sa monnaie, il projette ce nouvel arsenal mis en scène par les maîtres de Wall Street : défaire les États et détruire les Unions d’États, et peu lui chaut qu’elles lui soient asservies.
Toutes ces dernières années, et singulièrement depuis l’invasion de l’Irak, la fédération d’États d’Amérique du Nord, collections de colonies créées au dépens des indigènes du continent et édifiées grâce à la sueur d’une population immigrée malgré elle dans des soutes, montre les signes de son agonie.
Il est peu probable que l’ensemble des nations de la planète accepte sans y redire l’exportation chez elles de son désastre financier, construction faussement savante d’un brigandage éhonté.
Les Mouvements de Résistance à son ingérence et agression observent avec attention les spasmes de cette grosse monstruosité aveuglée par sa prétention et encore capable des pires crimes. Sa nature prédatrice déstabilise toutes les sociétés, met en péril la survie d’une part croissante de l’humanité. Les fronts de lutte se multiplient et ne sont plus exclusivement incarnés par quelques peuples martyrs exotiques et se trouve abolie la distinction entre centre et périphérie.
Notes de lecture :
(1) "L'Europe est trop pacifiste, accuse Robert Gates" (The Guardian).
(2) 15 millions d’habitants et entre 300 et 400 milliards de PIB annuel, (à comparer avec les 35 millions de Californiens et leur 1800 milliards de PIB)
(3) Put : position de vendeur quand le parieur sur le marché à terme a emprunté une action qu’il restitue alors que la réalisation de la vente se fait à une valeur moindre, empochant alors la coquette différence.
(4) Pourtant, ces mêmes dirigeants se gargarisaient des racines grecques de l’Europe, quand il fallait affirmer l’originalité culturelle et ethnique européenne, ignorant que l’empire grec s’était d’abord projeté vers l’Asie Mineure, et que le grec fut une langue administrative et a été parlé jusqu’à la chute de Constantinople en 1453 dans ce qui allait devenir la Turquie.
(5) Complexe Militaro-Industriel.
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Badia Benjelloun
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