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Palestine occupée -

Comment les grévistes de la faim palestiniens contrent le monopole israélien de la violence

Par

Article en anglais paru sur al-Shabaka le 12 mai 2016.

Au moment de l'écriture de cet article, trois prisonniers palestiniens étaient en grève de la faim pour protester contre leur emprisonnement sans procès, une pratique masquée par le terme anodin de "détention administrative". Sami Janazra était à son 69ème jour et sa santé s'était fortement détériorée, Adeeb Mafarja au 38ème jour et Fuad Assi au 36ème. Ces prisonniers sont parmi les au moins 700 prisonniers palestiniens actuellement incarcérés dans les geôles israéliennes au titre de la détention administrative, procédé qu'Israël utilise régulièrement en violation des principes stricts fixés par le droit international.

Comment les grévistes de la faim palestiniens contrent le monopole israélien de la violence

19 mai 2016 - Le régime d'occupation libère Mohammad Al-Qeeq après un accord obtenu suite à ses 94 jours de grève de la faim (25.11.2015-15.02.2016).
Les prisonniers politiques palestiniens utilisent depuis longtemps les grèves de la faim comme forme de protestation en réponse aux violations de leurs droits par les autorités israéliennes. L'Association de défense des prisonniers et de soutien aux droits de l'homme Addameer retrouve dès 1968 la première utilisation des grèves de la faim par des prisonniers palestiniens. Depuis, il y a eu plus de 25 grèves de la faim de masse et de groupes avec des revendications allant de la fin de l'isolement et de la détention administrative à l'amélioration des conditions d'emprisonnement et l'autorisation de visites familiales.

Alors que de plus en plus de prisonniers palestiniens sont contraints de se lancer dans de longues grèves de la faim comme forme de protestation "de dernier recours" en infligeant une violence à leurs corps jusqu'à ce qu'ils obtiennent leurs droits, il est utile de revoir l'utilisation de cet outil politique à travers les pays et les siècles et de mettre en lumière la façon dont les prisonniers palestiniens l'utilisent pour contrer le monopole israélien de la violence à l'intérieur des murs des prisons.

L'utilisation passée et présente des grèves de la faim

Les origines exactes des grèves de la faim - le refus volontaire de nourriture et/ou de fluides - ne sont pas bien connues mais on trouve des exemples de leur utilisation dans différentes périodes historiques et lieux géographiques. Les premières grèves de la faim remontent à l'Irlande médiévale, où une personne jeûnait sur le seuil d'une autre responsable d'une injustice à son égard, pour lui faire honte. Parmi les utilisations plus récentes et plus connues de grèves de la faim, on note celles des suffragettes britanniques en 1909, du Mahatma Gandhi pendant la révolte contre la domination britannique en Inde, de Cesar Chavez pendant la lutte pour les droits des ouvriers agricoles aux Etats-Unis, et des prisonniers incarcérés à Guantanamo Bay par les Etats-Unis.

Les grévistes de la faim courent des risques importants de dommages corporels irréversibles, dont la perte d'audition, la cécité et des hémorragies graves (1). De nombreuses grèves de la faim se sont terminées par la mort, comme dans le cas de la grève des prisonniers républicains irlandais en 1981.

Les revendications des grévistes de la faim varient mais sont, dans tous les cas, le reflet de problèmes plus larges et d'injustices sociales, politiques et économiques. Par exemple, la revendication de la grève de la faim des prisonniers républicains irlandais en 1981, à savoir le rétablissement du Statut spécial [Special Category Status], reflétait un contexte plus large de "troubles" en Irlande du Nord (2).

L'une des premières grèves de la faim palestiniennes fut les 7 jours de grève à la prison d'Askalan (Ashkelon en hébreu, ndt) en 1970. Au cours de cette grève, les revendications des prisonniers furent écrites sur un paquet de cigarettes puisqu'ils n'étaient pas autorisés à avoir des ordinateurs portables, et elles inclurent le refus de s'adresser à leurs geôliers en leur disant "monsieur". Les exigences des prisonniers furent satisfaites et ils n'ont plus jamais eu à dire "monsieur" par la suite, mais seulement après que Abdul-Qader Abu Al-Fahem a succombé à l'alimentation forcée, devenant ainsi le premier martyr du mouvement des prisonniers palestiniens.

Des grèves de la faim ont continué à la prison d'Askalan tout au long des années 1970. Deux autres prisonniers, Rasim Halawe et Ali Al-Ja’fari, sont morts après avoir été nourris de force pendant une grève de la faim à la prison Nafha en 1980. A la suite de celles-ci et d'autres grèves de la faim, les prisonniers palestiniens ont obtenu certaines améliorations de leurs conditions carcérales (photos familiales, papeterie, livres et journaux).

Au cours des dernières années, la fin de la pratique de la détention administrative a été une revendication persistante des prisonniers palestiniens, compte tenu de l'usage massif qu'en a fait Israël depuis le déclenchement de la Deuxième Intifada en 2000. Par exemple, la grève de la faim de masse de 2012, qui a impliqué près de 2.000 prisonniers, exigeait la fin de l'utilisation de la détention administrative, de l'isolement et autres mesures punitives, dont le refus des visites familiales aux prisonniers de Gaza. La grève a pris fin après qu'Israël a accepté de limiter le recours à ce procédé.

Israël n'a cependant pas tardé à revenir sur l'accord, provoquant une nouvelle grève de la faim de masse en 2014 par plus de 100 détenus administratifs faisant pression pour la fin de cette pratique. La grève a fini 63 jours plus tard, sans avoir obtenu la fin de la détention administrative. La décision des prisonniers aurait été influencée par la disparition de trois colons israéliens en Cisjordanie et les opérations militaires israéliennes à grande échelle en Cisjordanie (qui furent suivies par une attaque massive contre Gaza).

Il y eut en outre plusieurs grèves de la faim individuelles coïncidant parfois ou conduisant à des décisions d'entamer des grèves de la faim plus larges. En effet, les deux grèves de la faim de 2012 et 2014 furent déclenchées par des grèves individuelles exigeant la fin de l'utilisation de la détention administrative. Les grévistes de la faim individuels furent Hana Shalabi, Khader Adnan, Thaer Halahleh et Bilal Diab, qui obtinrent tous la fin de leur détention administrative. Cependant, certains des grévistes de la faim individuels furent de nouveau arrêtés après leur libération, comme dans le cas de Samer Issawi, Thaer Halahleh, et Tareq Qa’adan, ainsi que Khader Adnan, qui obtint sa libération après une grève de la faim prolongée pour protester contre sa ré-arrestation en 2015.

La violence qu'Israël inflige aux prisonniers palestiniens

Israël continue de soumettre les prisonniers palestiniens à de nombreuses formes de violence, comme l'ont bien documenté les organisations pour les droits de l'homme et des prisonniers, ainsi que les écrits de prisonniers et plusieurs documentaires (3). En 2014, un rapport d'Addameer notait : "Chaque Palestinien qui a été arrêté a été soumis à une forme de torture physique ou psychologique, de traitement cruel comprenant des passages à tabac, l'isolement, des attaques verbales et des menaces de violence sexuelle."

En outre, et en violation de la Quatrième Convention de Genève et du Statut de Rome, Israël a expulsé des détenus palestiniens hors des territoires occupés et dans des prisons situées en Israël, ainsi qu'il a menacé des prisonniers de Cisjordanie de déportation vers la Bande de Gaza s'ils ne passaient pas aux aveux. Il interdit ou restreint également, de façon régulière et arbitraire, les visites familiales. Les prisonniers sont en butte à la négligence médicale délibérée et à des abus, ainsi qu'à la restriction d'appels téléphoniques et l'accès aux avocats, aux livres et à la télévision.

De plus, les autorités israéliennes classent les prisonniers politiques palestiniens comme "prisonniers de sécurité", une classification qui rend juridiquement possible l'imposition automatique de nombreuses restrictions. Cette caractérisation nie aux prisonniers palestiniens concernés certains des droits et privilèges dont jouissent les prisonniers juifs - même les quelques-uns qui ont l'étiquette de prisonniers de sécurité - dont des visites à domicile encadrées par des gardiens, la possibilité d'une libération anticipée et l'octroi de permissions.

Il faut voir la violence que subissent les prisonniers palestiniens dans le contexte du projet colonial d'Israël et de l'assujettissement de l'ensemble de la population à différentes formes de violence, y compris la perte de leur terre, la destruction de leurs maisons, l'expulsion et l'exil. Il convient de rappeler que depuis le début de l'occupation israélienne de 1967, Israël a arrêté plus de 800.000 Palestiniens, soit près de 20% de la population totale et 40% de la population masculine. Ces seuls chiffres montrent clairement jusqu'à quel point les arrestations et l'emprisonnement sont un mécanisme qu'Israël utilise pour contrôler la population tout en la dépossédant, pour installer des juifs israéliens à sa place.

C'est dans cette compréhension du contexte plus large de violence que les grèves de la faim émergent, comme moyen par lequel les prisonniers palestiniens arrivent à contrer les diverses formes de violence de l'Etat israélien.

Se servir du corps du prisonnier pour mettre à mal la puissance de l'Etat

Grâce aux grèves de la faim, les prisonniers ne sont plus les destinataires silencieux de la violence continue des autorités carcérales : au contraire, ils infligent une violence à leurs propres corps pour imposer leurs revendications. En d'autres termes, les grèves de la faim sont un espace hors d'atteinte de la puissance de l'Etat israélien. Le corps du prisonnier en grève déstabilise l'une des relations les plus fondamentales de la violence derrière les murs des prisons, celle dans laquelle l'Etat israélien et les autorités pénitentiaires contrôlent le moindre aspect de sa vie derrière les barreaux et sont les seuls auteurs de violence. En effet, les prisonniers inversent la relation de l'objet et du sujet à la violence en fusionnant les deux en un seul corps - le corps du prisonnier en grève - et ce faisant ils reprennent l'initiative. Ils affirment leur statut de prisonniers politiques, refusent d'être réduits au statut de "prisonnier de sécurité", et revendiquent leurs droits et leur existence.

Le fait que l'Etat israélien s'efforce d'interrompre les grèves de la faim et de ré-affirmer son pouvoir sur les prisonniers et sur l'utilisation de la violence montre le défi que les corps des grévistes de la faim lui posent. Entre autres mesures, les autorités pénitentiaires continuent de soumettre les prisonniers en grève à la violence et à la torture. En fait, la violence à laquelle ils sont soumis s'intensifie et change de forme. Par exemple, lors de la grève de la faim de 2014, les prisonniers en grève se sont vus refuser les traitements médicaux et les visites familiales et furent enchaînés par les mains et les pieds aux lits d'hôpitaux 24 heures par jour. Ils restaient attachés lorsqu'ils étaient autorisés à aller à la salle de bain, et les portes de celle-ci restaient ouvertes, leur niant tout droit à l'intimité. Les autorités israéliennes ont également volontairement laissé de la nourriture près des grévistes de la faim pour briser leur volonté. L'ex-gréviste de la faim Ayman Al-Sharawna a dit, "Ils apportaient une table avec la meilleure nourriture et la mettaient près de mon lit... Le Shin Bet savait que j'aimais les sucreries. Ils mettaient toutes sortes de dessert."

Par sa "Loi pour prévenir les dommages causés par les grévistes de la faim", Israël a récemment donné une couverture légale à l'alimentation forcée des prisonniers en grève de la faim, qui équivaut à un traitement cruel, inhumain et dégradant, selon le Rapporteur spécial de l'ONU sur la torture. La loi est également en contradiction avec la Déclaration de Malte de l'Association médicale mondiale sur les grèves de la faim.

Israël classe les prisonniers en grève comme "terroristes" et "criminels" pour remettre en cause leur argument d'activisme politique et leurs tentatives d'inverser l'objet et le sujet de la violence d'Etat. Pendant la grève de la faim de masse de 2014, les responsables israéliens ont décrété que les grévistes de la faim étaient des "terroristes". Le ministre israélien de la Culture et des Sports Miri Regev, un des partisans de la récente loi, a dit, "Les murs des prisons ne signifient pas qu'une action n'est pas du terrorisme […] Il y a du terrorisme dans les rues et il y a du terrorisme en prison." Gilad Erdan, ministre israélien de la Sécurité publique, a déclaré que les grèves de la faim étaient "un nouveau type d'attentats-suicides."

L'importance vitale du soutien national et international

La capacité des grévistes à mobiliser les communautés, les organisations et les instances politiques pour les soutenir et pour exercer des pressions sur les autorités afin qu'elles cèdent aux exigences des grévistes de la faim ou qu'elles négocient un accord est au cœur de la réussite de toute grève de la faim.

Grâce aux grèves de la faim, les prisonniers palestiniens ont été en mesure d'imposer continuellement leurs luttes sur la scène politique palestinienne et souvent internationale. Etant donné qu'il n'y a actuellement aucune solution alternative par laquelle les prisonniers peuvent obtenir leur liberté ou un changement de la politique israélienne, il ne faut pas sous-estimée l'importance de la mobilisation des communautés et des organes politiques autour des droits des prisonniers.

Des organisations populaires, de défense des droits de l'homme et des instances officielles tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Palestine se sont mobilisées pendant les grèves de la faim des prisonniers palestiniens. Le soutien a consisté en rassemblements quotidiens, manifestations devant les bureau d'organisations internationales, appels au gouvernement israélien pour qu'il prenne en compte les revendications des prisonniers et manifestations devant les prisons et les hôpitaux. Des organisations locales et internationales, dont Addameer, Jewish Voice for Peace, Amnesty International et Samidoun, entre autres, ont attiré l'attention sur les injustices que subissent les prisonniers palestiniens, ajoutant à la pression sur les autorités israéliennes pour céder aux revendications des prisonniers et négocier un accord avec eux.

En outre, à travers ces réseaux sociaux, la lutte des grévistes de la faim palestiniens, et plus largement des prisonniers, est internationalisée, et des parallèles sont établis avec des injustices passées et présentes que connaissent des gens dans le monde entier. Dans les rapports et les analyses sur les grévistes de la faim palestiniens, des références sont continuellement faites au sort des prisonniers irlandais pendant les "troubles", l'incarcération de masse aux Etats-Unis et les conditions à Guantanamo Bay, entre autres. De cette façon, la lutte des prisonniers palestiniens fait partie des mouvements et des campagne de solidarité croissants exigeant la justice pour le peuple palestinien. Cela contribue à riposter à l'étiquetage des prisonniers comme "criminels" et "terroristes" par Israël et son monopole sur le discours.

Comme d'autres formes de résistance à l'intérieur et à l'extérieur des murs des prisons, les grèves de la faim sont des actes de résistance à travers lesquels les Palestiniens affirment leur existence politique et revendiquent leurs droits. Il est vital de soutenir et d'alimenter cette résistance. En plus de donner de la force et de soutenir les prisonniers dans leur lutte pour leurs droits, cette forme de résistance est une source continue et puissante d'espérance pour les Palestiniens en général et pour le mouvement de solidarité. Il est de notre responsabilité de soutenir les prisonniers palestiniens - et de travailler pour un temps où les Palestiniens ne devront plus recourir à de tels actes de résistance, à travers lesquels leur seul recours est de mettre leurs vies en jeu.    


Notes :

1. Pour plus d'informations sur la physiologie des grèves de la faim, voir Hunger Strikes, Force-Feeding and Physicians’ Responsibility

2. Voir Beresford, David, Ten Men Dead, London: Harper Collins Publishers, 1994. 

3. Voir, par exemple, les rapports et les témoignages (en anglais) de :
- Centre pour les études des prisonniers / Prisoners’ Center for Studies
- Association de soutien aux prisonniers et aux droits de l'homme Addameer
- Adalah : Centre légal pour les droits des minorités arabes en Israël Adalah: the Legal Center for Arab Minority Rights in Israël
- Samidoun : Réseau de solidarité avec les prisonniers palestiniens / Samidoun: Palestinian Prisoner Solidarity Network
- Le documentaire d'Al-Jazeera sur les grèves de la faim
- Le film de Mai Masri, 3000 Nuits
- al-Nashif, Esmail. "Tentatives de libération : matérialisation du corps et construction communautaire parmi les prisonniers politiques palestiniens" / al-Nashif, Esmail. “Attempts at Liberation: Materializing the Body and Building Community Among Palestinian Political Captives”. The Arab Studies Journal 12/13 (2004): 46–79
- Abdo, Nahla. La lutte anti-coloniale des Palestiniennes à l'intérieur du système carcéral israélien. Pluto Press, 2014 / Abdo, Nahla. Palestinian Women’s Anti-Colonial Struggle Within the Israëli Prison System. Pluto Press, 2014. 



Source : Al Shabaka

Traduction : MR pour ISM

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Basil AbdulRazeq Farraj