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France -

De Tariq Ramadan à Michel Tubiana, d'une « présence problématique » à l'autre

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Entre les deux tours des élections régionales, s’est tenu ce vendredi 11 décembre 2015 à la Bourse du Travail de Saint-Denis (93) un meeting « pour une politique de paix, de justice et de dignité » organisé par le collectif Contre-attaque(s) Islamophobie dans le cadre des Journées Internationales contre l’Islamophobie en Europe. Une dizaine d’intervenant-e-s se sont succédé-e-s à la tribune (Alain Gresh, Marwan Muhammad, Sihame Assbague…), mais c’est bien la présence de Tariq Ramadan qui a comme à la parade fait couler l’encre islamophobe des adversaires du « sulfureux » et « controversé » adepte du « double discours ».

De Tariq Ramadan à Michel Tubiana, d'une « présence problématique » à l'autre

Les critiques se sont dirigées vers les forces de gauche, dont le mouvement « Ensemble » (un courant du Front de Gauche), coupable selon certain-e-s d’avoir relayé l’événement sur son site internet, et plus grave encore, d’avoir fait perdre Claude Bartolone au second tour du scrutin régional en Ile-de-France (pour rappel, les listes socialiste, écologiste et du Front de Gauche avaient fusionné avant le second tour).

Si la polémique n’a pas grand intérêt sur le fond, elle est une énième manifestation de la distance qui existe entre les communautés musulmanes installées en France et les partis de gauche. Une distance matérialisée non seulement par les critiques dirigées contre Tariq Ramadan, mais également par les réponses des acteurs et actrices de gauche accusé-e-s de s’allier à l’islamologue genevois.

Personnellement mise en cause, la porte-parole d’ « Ensemble », Clémentine Autain, a dénoncé dans un communiqué le procès d’intention qui lui a été fait. Rappelant à juste titre que le « meeting aurait dû être apprécié ou critiqué pour ce qu’il est, et non caricaturé et déformé par la simple présence de Tariq Ramadan », elle ajoute :

« Je suis une militante de l’égalité entre les hommes et les femmes. Les Églises, de toute obédience, ont dans l’histoire rarement été des facteurs de progrès, des moteurs de droits et libertés. S’il est besoin de le rappeler, je confirme que je suis opposée à Tariq Ramadan sur cette question majeure de l’égalité entre les sexes et les sexualités. Je ne tergiverse pas, je m’oppose. Et, en cohérence, je combats la Manif pour Tous. »

L’intéressé, les croyants en général et les musulmans en particulier, apprécieront ces amalgames (quel lien entre T. Ramadan et la Manif pour Tous ?) et cette condamnation en bloc et définitive des religions. De même qu’ils apprécieront le soutien qu’apporte Jean-Luc Mélenchon à la même C. Autain dans un communiqué où il fustige la participation au meeting de l’ « inacceptable Tariq Ramadan » (ce sont ses termes). Une sortie guère surprenante de la part de celui qui continue, par exemple, à nier l’existence même de l’islamophobie.

De la perspective politique qui est la nôtre, ces polémiques autour de la présence de T. Ramadan n’ont pas grand intérêt. Elles masquent en revanche une présence qui nous parait pour le coup réellement problématique à un meeting dont l’un des thèmes majeurs est l’islamophobie : celle du président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), Michel Tubiana.

En cause, la cabale en cours initiée par la LDH contre Saadia et Husein, deux militant-e-s du comité BDS 34 de Montpellier, poursuivi-e-s pour – excusez du peu – « contestation de crimes contre l’humanité, provocation publique à la commission de crimes ou délits, à la discrimination ou à la haine raciale – apologie du crime sur Facebook ».

Depuis plus d’un an maintenant, le bureau exécutif de la LDH (qui a seule compétence pour ester en justice) mène ce combat d’arrière-garde avec le soutien de l’antenne locale de l’AFPS, mais aussi et de manière plus problématique, le MRAP, la LICRA, le BNCVA et l’avocat Gilles William Goldnadel, qui se sont portés partie civile.

Sous couvert de ne viser que deux individus, la LDH s’attaque en réalité à l’ensemble du comité BDS 34 et même à toute une campagne BDS qu’elle fait mine de soutenir depuis des années tout en refusant obstinément d’en être signataire.

« La plainte de la LDH a permis à la LICRA de s’emparer de cette accusation pour déclencher une offensive contre le comité BDSFrance34 demandant l’interdiction de toutes ses manifestations publiques portant ainsi entrave à sa liberté d’expression. » (Communiqué du BDS 34 du 13 sept. 2015)

Dans un contexte général de criminalisation du mouvement de soutien à la Palestine, une violente répression policière s’est abattue contre les militants du BDS 34 à qui on interdit dorénavant d’installer leur chapiteau Place de la Comédie à Montpellier, comme ils avaient l’habitude de le faire – sans heurt aucun – depuis 10 ans.

Non contente de favoriser cette répression, La LDH apporte un soin particulier à salir les noms et réputations de Saadia et Husein, sans égard pour les retombées que de telles attaques peuvent avoir sur leurs vies privées, professionnelles et militantes. Dans toutes ses communications sur cette affaire, la LDH utilise systématiquement les noms et prénoms des deux intéressé-e-s, dont toutes les publications personnelles sur les réseaux sociaux sont passées au crible. La LDH va jusqu’à rendre publiques des photos des intéressé-e-s prises lors de séjours en Palestine… en 2012. Des méthodes que l’on peut aisément qualifier de policières.

Michel Tubiana joue un rôle actif dans cette affaire et a fait lui-même le déplacement de Paris à Montpellier pour y rencontrer les deux militant-e-s poursuivi-e-s, ainsi que d’autres membres du BDS34, sans qu’un retrait de la plainte de la LDH n’ait été envisagé. « Vous devez assumer vos responsabilités politiques » leur a-t-il même lancé.

De même qu’une organisation qui se veut antiraciste devrait assumer ses responsabilités et s’abstenir de livrer en pâture deux Arabes, musulman-e-s, qui plus est militant-e-s pro-palestiniens, à une justice que l’on sait traversée comme l’ensemble des institutions de ce pays par le racisme systémique et dans un contexte judiciaire hostile au BDS.

Au-delà de des persécutions contre ces militant-e-s, la présence de Michel Tubiana au meeting du 11 décembre est selon nous problématique car elle offre une tribune à des acteurs qui n’ont de cesse de fustiger l’ « antiracisme communautaire » (comprenez l’antiracisme politisé porté par des racisé-e-s) au nom de la défense d’un « antiracisme universel » (comprenez l’antiracisme moral porté par des Blanc-he-s).

C’est dans ce contexte que Michel Tubiana avait dans une tribune parue en décembre 2014 sévèrement critiqué les protestations contre ExhibitB à Saint-Denis, sous prétexte qu’elles constitueraient une « assignation à résidence communautaire où chacun serait sommé de définir son appartenance ».

Et c’est aussi dans ce contexte que la LDH participe aux côtés du MRAP, de SOS Racisme, et de la LICRA à la campagne #DeboutContreLeRacisme, promue « Grande cause nationale » par le gouvernement, et dans laquelle – sans surprise – il n’est jamais question du racisme structurel.

A l’instar de certaines organisations syndicales qui se limitent à une fonction d’accompagnement du capitalisme, les tenants d’un « antiracisme universel » – dont certains sont de véritables appareils idéologiques d’Etat – servent en réalité de simples régulateurs du racisme. Une fonction régulatrice qui devient franchement répressive et réactionnaire à mesure que les racisé-e-s manifestent trop ostensiblement leurs velléités d’autonomie.

Car les intérêts des racisé-e-s ne sont pas nécessairement ceux des progressistes blancs, puisque ces derniers « acceptent la légitimité des valeurs et des institutions fondamentales de la société, et leur intérêt premier n’est pas de faire subir des transformations radicales à cette société. »

Voilà ce que nous rappellent Stokely Carmichael et Charles V. Hamilton dans le chapitre III consacré aux « mythes de la coalition » de leur célèbre manifeste Black Power, que l’on pourrait tou-te-s (re)lire avec profit, en tenant compte évidemment du contexte, différent du nôtre, dans lequel il a été écrit (les Etats-Unis des années 1960).

« Que les Noirs s’organisent d’abord, ajoutent Carmichael et Hamilton ; qu’ils définissent leurs intérêts et leurs objectifs et ils verront alors avec qui s’allier. Que chacun des ghettos en quête d’alliés s’organise, s’unisse, s’affermisse, de façon à former, selon l’expression de Saul Alinsky, un « corps indigeste » impossible à absorber ou à avaler. »

Que la présence de la LDH auprès d’acteurs de la lutte contre l’islamophobie puisse servir de manière pragmatique à « faire bouger leurs lignes » en interne et à porter la question de la lutte contre l’islamophobie au sein même de la gauche (rappelons que de nombreux membres ou sympathisants de la LDH sont affilié-e-s ou proches du PS), c’est un argument que l’on peut entendre, même si nous doutons de l’efficacité du procédé.

Mais si nous avons cité le Black Power, ce n’est pas pour nous draper dans une posture militante radicale, mais bien pour montrer que la priorité doit être la construction d’une force politique autonome des racisé-e-s. Une force qui permettra d’éviter que des acteurs de la lutte contre le sionisme – lutte éminemment antiraciste – soient publiquement trainés dans la boue.

Il est anormal que la LDH puisse se permettre de ruiner des réputations, de salir des noms, sans rendre de comptes ni en payer le prix. De même qu’il est anormal que cette organisation, qui a redouble de férocité à mesure que les critiques contre sa cabale se multipliaient au sein notamment du mouvement de solidarité avec la Palestine, ait eu l’occasion de redorer un blason bien terni par cette plainte.

En matière de lutte contre l’islamophobie, nous sommes tou-te-s concerné-e-s et qu’on le veuille ou non, interdépendant-e-s. Les actions des un-e-s ont nécessairement des conséquences sur celles des autres. Nous avons donc tou-te-s une responsabilité les un-e-s envers les autres, et il ne suffit pas de dire « que chacun s’organise comme il veut et s’occupe de ses affaires » pour faire disparaitre cette responsabilité collective, qui consiste en premier lieu à ne pas se nuire mutuellement.

Or la présence au meeting du 11 décembre 2015 d’une personne qui participe avec son organisation à nous affaiblir collectivement et à nous retirer des droits, est un coup dur asséné non seulement aux militant-e-s du BDS mais aussi à nous tou-te-s qui sommes engagé-e-s dans la lutte contre le racisme et le sionisme.

Les polémiques autour de la présence de T. Ramadan et le silence complice sur celle de M. Tubiana, nous indiquent pour l’heure où se situe le curseur et nous informent sur l’état du rapport de forces au sein du mouvement antiraciste.

Nous pouvons modifier cette tendance.

Reste à savoir si nous le voulons.

Source : Etat d'Exception

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