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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Elevée dans le mensonge : un dur voyage vers la vérité

Par

> yael_oren_kahn@yahoo.co.uk

De fait, il ne s’agit là que d’une infime minorité, et étant donné que cette minorité est d’une ampleur négligeable, Israël ne va vraisemblablement pas exiger qu’ils risquent leur vie, comme le firent des Allemands courageux. Le gouvernement israélien peut continuer à compter sur les sentiments anti-palestiniens que partagent la plupart des Israéliens, dont un nombre croissant est favorable au transfert des Palestiniens, et à tous les moyens, quels qu’ils soient, permettant d’en faire une réalité.

Introduction

Je suis née en 1953 à Naharia et, à l’âge de deux ans, mes parents m’ont amenée à Kfar Mordekhai, un village au sud de Tel Aviv, où ils sont allés s’installer. Le génocide des juifs par les nazis (que l’on nomme généralement l’Holocauste ; la Shoah, en France, ndt) et les invisibles Palestiniens furent à la fois des éléments faisant partie intégrante de mon enfance, et la source du plus grand des mystères, pour moi. C’était des nuages de secrets et de mensonges, qui étaient suspendus au-dessus de ma tête et qui me hantèrent jusqu’à que j’aie pu accéder à des sources historiques alternatives, en 1972, année où j’entrepris mon voyage vers la vérité.

L’Holocauste est à la source de ma conviction

En tant qu’enfant né en Israël, j’ai été formée à considérer que l’Holocauste appartenait à une autre ère, différente, sans aucun rapport avec la vie nouvelle créée par les juifs en Israël. Et pourtant, il fit, ô combien, partie de mon enfance. Il y avait le silence de mes parents, qui parlaient très peu de leur enfance en Allemagne nazie, et pourtant, elle était toujours là, en arrière-fond. Il en allait de même de l’irritation que leur langue maternelle, l’allemand, causait à mes parents. Ils refusaient d’acheter des produits allemands. Bien qu’aimant beaucoup voyager en Europe, ils n’ont jamais voulu se rendre dans leurs lieux de naissance en Allemagne. Ils parlaient beaucoup de l’Angleterre, où ils avaient trouvé refuge en 1937, et ils nous y emmenèrent passer des vacances en famille.

D’un autre côté, l’Holocauste était mentionné sans cesse en-dehors de la maison, en particulier à l’école. Il y avait du mépris vis-à-vis des victimes, parce qu’à la différence des « courageux » Israéliens, les juifs européens seraient, soi disant, « allés à l’abattoir comme un troupeau de moutons. » J’étais désolée pour eux. Désolée, je l’étais aussi pour une femme qui avait survécu à l’Holocauste, dans notre village, et encore plus pour ses deux enfants, qui étaient harcelés au motif qu’ils auraient représenté le symbole de la « faiblesse des juifs de la diaspora ».

Mon imagination d’enfant a été frappée par les cérémonies en hommage à ces non-juifs qui ont sauvé la vie à des juifs (en hébreu, ils sont qualifiés de Justes parmi les Nations (ang. righteous gentiles). J’admirais ces personnes courageuses, qui n’avaient pas abdiqué et qui avaient exposé leur vie. Je m’imaginais que j’aurais fait comme eux, si j’avais été une Allemande, à l’époque du nazisme. Cela m’aidait à mettre ensemble les messages contradictoires que je percevais, à propos de l’Holocauste. Cela ne faisait que m’inciter à m’élever avec passion contre la cruauté et la violence. Je méprisais ceux qui étaient restés silencieux et qui n’avaient pas protégé les juifs européens. Je ne savais presque rien au sujet des millions de Roms (faussement appelés les Tziganes), de communistes, d’homosexuels et d’autres, qui furent aussi les victimes des campagnes génocidaires des nazis. Je n’imaginais pas que le terme d’Holocauste lui-même (« Shoah », en hébreu) avait pour fonction de faire de ce génocide horrifiant un mythe.


J’ai grandi dans les ruines d’un village palestinien

Toute petite, je me souviens que, souvent, j’étais assise sur les épaules de mon père, et que nous nous promenions dans des jardins et des vergers magiques. Je courais entre des rangées de figuiers de Barbarie tout hérissés d’aiguillons. J’imaginais que le paradis devait ressembler à ça. Et pourtant, des ruines disloquées me dérangeaient ; je ne comprenais pas pour quelle raison ces maisons avaient été ainsi désertées, et qui avait pu avoir le cœur de quitter un tel paradis, que nous appelions Bashit. Nulle réponse ne m’était proposée, et quand ce paradis fut détruit et remplacé par des maisons neuves et un nouveau nom, Aseret, mes questions s’évanouirent avec lui. Je devins amie avec les Israéliens qui y aménagèrent, tout en oubliant les fantômes du passé… jusqu’à ce jour où, bien des années plus tard, je rencontrai des réfugiés de Bashit, dans leurs gourbis du camp de réfugiés de Rafah, dans la bande de Gaza

Notre paradis ayant disparu, nous avons commencé à aller dans des bois voisins ; j’aimais les pique-niques en famille dans les bois de Hulda, et j’aimais, en particulier, escalader les maisons en ruines parmi les arbres, ne réalisant pas qu’il s’agissait des ruines d’un village palestinien. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance de l’histoire d’Israël que j’ai pris conscience qu’il s’agissait là des lieux de vie de Palestiniens, qui avaient été chassés de chez eux et étaient devenus des réfugiés, en 1948. Des années après, j’ai rencontré quelques-uns de ces réfugiés totalement déshérités dans le camp de réfugiés de Deheïshéh, près de Bethléem.

Bien que révulsée par la perspective de devoir faire mon service militaire, ma réflexion n’incluait pas les Palestiniens. J’avais dix-huit ans, j’étais passionnée de romance, de mathématiques, de science et de philosophie. L’armée n’était à mes yeux qu’une corvée inévitable. Tout en faisant mon service, j’ai pris conscience du racisme institutionnalisé en Israël à l’encontre des juifs originaires des pays arabes (que l’on appelle, aujourd’hui, les Mizrahim). Dans toutes les bases aériennes où j’ai été affectée, les Mizrahim faisaient l’objet de discriminations, mais c’était sans doute, dans bien des cas, parce qu’ils appartenaient aux classes dites inférieures de la société ?

Comment cette discrimination se manifestait-elle ? Ils étaient choisis pour les corvées les plus déplaisantes, ou bien, en tant que réservistes, on leur refusait des permissions pour convenance personnelle. Cela m’a entraînée dans divers conflits. Ainsi, en 1972, l’armée m’a proposé une démobilisation anticipée. Sur le moment, cela m’a étonné, mais après quelques secondes, j’ai compris la raison de cette offre de liberté inattendue. Je n’ai jamais su très précisément pourquoi cette offre me fut faite, mais, entre autres choses, l’on m’a dit que j’avais démobilisé des réservistes de manière illégale. Si j’en avais eu la possibilité, je l’aurais probablement fait ! J’avais tellement mal, pour chacun des réservistes qui venaient me supplier d’être dispensés. C’était la première fois que je touchais du doigt la pauvreté israélienne, et j’étais sous le choc. Je leur donnais mon soutien moral et je les conseillais du mieux que je pouvais. Ce faisant, sans le vouloir, je défiais une des priorités nationales, à savoir celle de placer les nécessités de l’armée au-dessus de toutes les autres, et notamment des impératifs d’ordre personnel. Bien entendu, cela était autorisé, dès lors que les individus concernés étaient des gens jouissant de privilèges dus à leur profession, ou de chefs d’entreprises, que mes officiers se chargeaient de dispenser, en personne. Une fois constituée mon unité d’anciens réservistes exemptés (principalement pour des motifs médicaux) je cherchais à soulager leurs souffrances, en particulier pour ceux qui avaient fini en incarcération militaire, pour des contraventions telles que le fait de s’être endormis en mission…

Néanmoins, après la « quille », je fus libre de rechercher la vérité, quelle qu’elle pût bien être. Je n’avais aucune idée de ce que je recherchais ; tout ce que je savais, c’est que je vivais au-dessous d’un épais nuage de tromperie. Il ne me fallut pas bien longtemps pour découvrir le pot-aux-roses. Je n’eus pas à chercher très loin. C’était l’histoire occultée de ces hommes invisibles : les Palestiniens…

Manquant d’indices, et déterminée à progresser dans ma quête de la vérité, je suis allée à une conférence de la Première ministre de l’époque, Golda Meir. Je n’ai pas pu entrer, m’ai j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de militants du parti Matzpen. Depuis mes années de lycée, j’espérais rencontrer des membres du Matzpen, bien que je n’eusse aucune idée quant à la question de savoir qui ils étaient, mis à part le fait qu’il était interdit de les inviter à faire une conférence dans nos bahuts. C’est ce Matzpen, une organisation socialiste antisioniste, qui m’a servi de guide dans l’exploration des sombres secrets d’Israël.

J’ai suivi leurs conférences, dont chacune dézinguait des mythes et des mensonges. Je fus enchantée, quand, à la fin de l’année 1972, ils me proposèrent de faire connaissance de Palestiniens citoyens d’Israël. Pour la première fois de ma vie, j’enfreignis l’apartheid israélien, qui avait fait jusqu’alors que ma vie avait été ségréguée de celle des Palestiniens. Des membres du Matzpen me prêtèrent gentiment un ouvrage de Sabri Jiryis, Les Arabes d’Israël. J’établissais un inventaire des occurrences de confiscation et des méthodes déployées par Israël pour confisquer leurs terres aux Arabes. Cet ouvrage traitait des centaines de villages palestiniens qu’Israël avait détruits et il abordait d’autres questions, dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Soudain, je compris non seulement la vérité au sujet des ruines, mais aussi pour quelle raison l’armée avait durement dispersé une poignée de Palestiniens de la bande de Gaza, qui, à la suite de l’occupation de ce territoire par l’armée israélienne, en juin 1967, étaient venus visiter les ruines de la mosquée de Bashit…

L’histoire de l’expulsion de dizaines de milliers d’habitants palestiniens de Ramleh étant inexistante, dans les livres d’histoire israéliens, c’était ainsi que j’appris pour quelle raison il y a(vait) autant de vieilles maisons arabes dans cette ville (que j’ai visitée très souvent, dans mon enfance), mais pratiquement pas de résidents arabes. Après avoir lu ce livre, il devint évident pour moi que bien des « infiltrés » que l’on nous avait appris à redouter, dans les années 1950, étaient des Palestiniens qui traversaient la frontière pour pénétrer en territoire israélien avec la simple intention de retourner chez eux. Certains d’entre eux, que l’on traitait de voleurs, étaient en réalité de pauvres paysans palestiniens qui tentaient de venir glaner quelques épis dans leurs propres champs, dont ils avaient été brutalement chassés en 1948.

Désormais, je savais aussi pour quelle raison mes cousins d’Allemagne s’étaient retrouvés les occupants d’un vieil immeuble arabe, à Jérusalem Ouest. Muni de cette compréhension toute nouvelle des choses, j’avais enfin la réponse à une question à laquelle ma prof refusait de me répondre quand, durant la guerre de 1967, elle fichait des petits drapeaux sur une carte du Moyen-Orient, qui entraient en contradiction avec la perception que j’avais, à l’époque, de cette guerre, à savoir une guerre défensive. Tant qu’elle persista à piquer ses petits drapeaux, moi, en tant que chef du conseil des élèves, je prêtais main-forte, assumant tous les rôles qui m’étaient imposés, et je collectais, fièrement, des livres et des moyens de distraction, pour les soldats. Je n’avais que treize ans, et je ne savais pas comment formuler ma question. Je ne savais que lui demander : pourquoi ? Et il n’y avait pas de réponse. Je n’avais pas l’habitude que ma prof me rembarre ainsi – j’étais sa chouchoute –, aussi en conclus-je qu’elle était sûrement en train d’essayer par tous les moyens de me cacher un mensonge extrêmement grave.

Mes accusations – que quatre cents villages palestiniens avaient été détruits – rendaient mes parents fous furieux. Il fallut à ma mère des années pour qu’elle finisse par se rappeler de quelle manière elle avait elle-même participé à cette destruction, démolissant des maisons afin d’utiliser les pierres d’un de ces villages pour construire sa colonie, le Kibutz Lavee, en Galilée. Ce réveil ne se produisit, chez elle, qu’au moment où Israël envahit le Liban, en 1982, confirmant mes affirmations selon lesquelles Israël avait des visées sur ce pays, qu’il avait sans doute planifié d’occuper, lui aussi. La prise de conscience de cette réalité par mon père avait débuté bien plus tôt. Depuis la fin de 1973, il avait entrepris un douloureux et lent processus de prise de conscience des horreurs infligées aux Palestiniens par Israël. Il lui était très difficile de réaliser que des juifs pussent perpétrer de telles atrocités. Lors de veillées et de manifestations de protestation, il disait, souvent, aux badauds : « Je représente les juifs d’Allemagne qui ne veulent pas faire aux Palestiniens ce que les nazis nous ont fait ! » Ses rêves sionistes étaient définitivement pulvérisés, quelques années après l’invasion du Liban de 1982.

Pour moi, la lecture du livre Les Arabes en Israël, au mois de décembre 1972, fut l’événement le plus important de ma vie. Enfin, je trouvai la vérité. C’était une vérité horrible, mais, finalement, les nuages, au-dessus de ma tête, s’étaient dissipés. Désormais, je connaissais l’horrible vérité de la naissance d’Israël. J’avais découvert comment ce pays avait été créé au moyen d’une succession ininterrompue d’exécutions et de massacres, et de quelle manière, dans d’innombrables villages, des groupes de personnes avaient été sélectionnées au petit bonheur la chance, puis exécutées sous les yeux des autres, qui ne purent faire autre chose que s’enfuir de chez eux, en proie à une horreur panique. Sachant cela, je n’ai jamais plus été capable de célébrer le Jour de l’Indépendance d’Israël.

Plus tard, j’eu une autre révélation dévastatrice, relative à une autre ombre qui hantait mon enfance, lorsque j’appris de quelle manière les sionistes avaient sapé les efforts pour venir au secours des rescapés juifs de l’Holocauste, parce qu’ils craignaient que cela n’entravât la création d’Israël. Je découvris que les dirigeants sionistes avaient sapé absolument toutes les tentatives de venir au secours des réfugiés juifs, insistant sur le fait que, seule, la Palestine devait être leur unique destination, parce que toute autre destination aurait fait obstacle aux objectifs du sionisme. Dans L’Autre Israël [The Other Israël], un ouvrage colligé par Ari Bober, je découvris une citation d’un des dirigeants sionistes les plus éminents, David Ben Gourion, qui disait, dans une allocution prononcée devant l’Exécutif sioniste, le 17 décembre 1938 :

« Dans le cas où des juifs seront confrontés à la nécessité de choisir entre réfugiés, entre sauver des juifs des camps de concentration et aider à la création d’un musée national en Palestine, la pitié aura le dessus, et toute l’énergie du peuple sera canalisée vers le sauvetage de juifs de différents pays. Le sionisme sera éliminé de l’ordre du jour, non seulement dans l’opinion publique mondiale, non seulement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, mais aussi partout, dans l’opinion publique juive. Si nous permettons qu’on établisse une séparation entre le problème des réfugiés et le problème de la Palestine, nous mettons en péril l’existence même du sionisme » (ibid. p. 171). Je ne pouvais que me perdre en conjectures quant au nombre de réfugiés et de survivants fragilisés à l’extrême qui auraient pu être sauvés, si on leur avait proposé des destinations plus proche et moins incertaines que la Palestine.


Les Palestiniens invisibles font leur apparition

Après une enfance durant laquelle l’apartheid israélien avait veillé à ce que je ne me mélangeasse point avec des Palestiniens, ceux-ci avaient fini par devenir visibles. Je déménageai pour Haïfa, la ville la plus pluricommunautaire d’Israël, et très rapidement, je fis la connaissance de beaucoup de Palestiniens. Je m’engageai dans des débats et des campagnes militantes en Galilée et en Cisjordanie . Même chose, avec les Druzes syriens des hauteurs du Golan.

Beaucoup de ces relations dépassèrent de beaucoup les simples alliances politiques. De nombreuses amitiés se renforcèrent, et j’étais émerveillée par la chaleur de l’hospitalité des familles tant palestiniennes que syriennes.

Etant devenue féministe, j’eus des liens étroits avec des féministes palestiniennes, mais je discutais fréquemment de la question des droits des femmes avec toutes mes connaissances. Presque toutes les femmes que j’ai rencontrées avaient un grand désir d’émancipation. Les ouvrages de l’écrivain féministe égyptienne Nawal El-Saadawi contre l’oppression des femmes étaient si populaires qu’ils étaient devenus une sorte de manuel obligatoire, pour beaucoup d’entre elles, jusqu’à ce que la censure israélienne n’en fît un ouvrage quasi introuvable. Dans les années 1970, il était tout-à-fait inhabituel, pour les hommes que je rencontrais, d’exiger ouvertement que les femmes se soumissent à la domination masculine ; la plupart d’entre eux mentionnaient – fusse en paroles purement verbales – les droits des femmes. Toutefois, avec la montée du fondamentalisme religieux, dans les années 1980, certains juifs et certains musulmans que je connaissais se mirent à prôner l’imposition de restrictions aux femmes et la mise en exergue de privilèges traditionnels, pour les mecs. Inutile de dire que cela généra des conflits entre eux et les membres féminins de leurs familles, dont moi-même et d’autres femmes.


La découverte d’une fosse commune

Début 1982, je quittai Israël pour les Etats-Unis. C’était une tentative de m’éloigner d’Israël et de la politique moyen-orientale. Je ne voulais pas rester à l’écart des causes politiques, toutefois, et je fus très vite impliquée dans les problématiques de l’Amérique centrale, en particulier au Nicaragua. Pour gagner ma vie, je travaillais chez un installateur électricien.

Je vivais à New York au moment où Israël envahit le Liban (en juin 1982). Tout d’abord, je tentai de l’ignorer. Je m’étais fait une nouvelle vie, déconnectée d’Israël, et je voulais avant tout que cela continue ainsi. Mais, au bout d’une semaine, mes défenses immunitaires s’effondrèrent, et j’étais de retour dans le feu de l’action. Après quelques mois de campagnes politiques aux Etats-Unis et au Canada, je décidai que je devais retourner en Israël, et y mener campagne de l’intérieur. En dépit de la couverture totalement partiale des événements faite par la CNN et de l’information extrêmement limitée qui filtrait à travers d’autres canaux d’information, j’eus l’intuition que les pires crimes de guerre étaient en train d’être perpétrés.


Sachant ce que je savais sur l’histoire d’Israël et sur les comportements des Israéliens, je conclus que beaucoup des Libanais et des Palestiniens capturés au Liban allaient être amenés en Israël. Je pensais que beaucoup d’entre eux seraient soit exécutés, soit torturés jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mon analyse m’amenait à une conclusion effroyable : il devait y avoir une fosse commune, en Israël, où ces corps avaient dû être mis. Je pensais que maintenir secret un site de cette nature au Liban aurait été extrêmement difficile. D’un autre côté, étant donné la complaisance de l’opinion publique israélienne pour de précédentes atrocités (comme les nombreux massacres de Palestiniens durant et après la guerre de 1948), on pouvait faire entièrement confiance aux Israéliens pour apporter leur contribution à un maquillage des faits. Bien entendu, ces conclusions étaient basées sur une extrapolation d’atrocités israéliennes passées, sur le fait qu’il avait capturé un très grand nombre de personnes au Liban, et sur mon constat que l’opinion publique israélienne était profondément raciste, y compris à l’intérieur du camp dit « de la paix ».

Retournant en Israël, je fis halte à Londres. J’y arrivai juste au moment où des informations sur le massacre de Sabra et Chatila commençaient à filtrer. J’ai contacté des personnes que je connaissais à Londres, et en fin de compte, nos pires craintes furent confirmées. Nous organisâmes une veillée impromptue, au centre de Londres. Ce fut la veillée la plus triste à laquelle il m’ait jamais été donné de participer.

Peu après, je m’envolai pour Israël. Je racontai à tous ceux qui voulaient l’entendre ma théorie à propos de la fosse commune. Toutefois, je n’avais aucune idée quand à son emplacement. C’est sans doute pas très étonnant, mais je n’étais pas la seule à avoir de tels soupçons : une femme américaine arriva en Israël, dans la ferme intention d’enquêter sur la même théorie. Je n’ai jamais entièrement compris ce qui l’avait amenée à entreprendre cette recherche, mais apparemment, ses sources étaient tout aussi spéculatives que les miennes. Elle me contacta, pensant que j’aurais la preuve matérielle qui lui manquait. Je dus lui expliquer que ma théorie n’était qu’une simple intuition, sans le moindre commencement de pièce à conviction.

Néanmoins, elle me demanda de rejoindre son équipe, et de chercher ensemble. Nous avons passé plusieurs mois à poser des questions et à suivre la moindre piste. Equipées d’outils de jardinage, nous avons creusé à plusieurs endroits, mais nous n’avons découvert nulle tombe secrète. Nous restions convaincues qu’une fosse commune existait bel et bien, mais quant à son emplacement et quant à la manière de la trouver, nous étions dans le coaltar le plus total.

Finalement, une fosse commune fut trouvée. Il s’agissait d’un site considérable, au nord de la Mer de Galilée [le Lac de Tibériade, ndt], près du pont Bnot Yakov. On suspecta que des centaines de corps avaient été enfouis là. Nous avons pu voir des ossements humains, dans des vêtements en lambeaux, dépassant d’épais sacs en plastique. Après plusieurs visites, nous avons conclu qu’il y avait des groupes de cadavres dans certains endroits, qu’il y en avait moins dans d’autres endroits, et aucun, ailleurs. Rien, strictement rien n’indiquait qu’il s’agît d’un cimetière. Inutile de préciser que rien n’indiquait, sur place, à quel endroit des corps avaient été enterrés individuellement.

Des procureurs israéliens furent contactés, mais les choses n’avancèrent guère. Un projet consistait à entamer des procédures légales à l’encontre d’Israël au nom de familles libanaises recherchant des personnes disparues. L’armée nia qu’il s’agît d’un cimetière où auraient été enterrés des non-Israéliens, en territoire israélien. Puis la décision fut prise de convoquer une conférence de presse, à Jérusalem.

L’armée décida alors de confirmer, pour la première fois, qu’il y avait bien un cimetière, mais seulement en réponse aux accusations formulées lors de la conférence de presse. Elle allégua, contre toute évidence, que ce site contenait les corps de soldats syriens tués durant la guerre de 1973. Cette nouvelle opération de désinformation nous prit, tous, par surprise. Quand des journalistes allèrent visiter le site, le lendemain matin, de nouveaux panneaux avaient été plantés, et certains repères en pierre avaient disparu. Des marques, à la peinture blanche encore toute fraîche, indiquaient le contour de moins d’une demi-douzaine de tombes bidon. A partir de mes visites précédentes, je savais que la plupart de ces zones ainsi délimitées se trouvaient dans des sections du cimetière qui ne renfermaient aucun corps…

Cette horrible scène de crime fut finalement mentionnée dans la presse israélienne, mais ce ne furent que quelques entrefilets, au sujet d’un ancien cimetière abandonné… Les mass médias internationaux refusaient de couvrir cette histoire. Ma croyance, naïve, que la découverte de la preuve concrète d’un massacre enverrait des ondes de choc dans le monde entier, vola en éclats. Des mois de recherches, culminant dans la découverte d’une fosse commune, n’avaient produit rien d’autre que quelques références pathétiques, qui ne firent que banaliser ce crime de guerre. Une fois de plus, Israël avait réussi à camoufler ses atrocités. Je ne pouvais m’empêcher de penser que si un tel crime de guerre avait été perpétré par n’importe quel autre pays, il ne serait pas passé inaperçu, et il aurait été condamné. J’avais le sentiment que nous avions trahi les victimes et que, comme nombre d’Allemands, nous avions laissé se perpétrer des atrocités, en feignant de ne nous rendre compte de rien…

Nos espoirs furent ranimés quand un journal israélien en arabe, dans sa couverture de la conférence de presse, révéla qu’il avait reçu une lettre, plusieurs mois auparavant, au sujet de cette fosse commune. Dans cette lettre, un témoin oculaire palestinien relatait avoir vu des camions déverser des corps dans une fosse commune, précisément à cet endroit-là. Notre frustration fut d’autant plus grande que ce journal avait trouvé le moyen de ne pas publier cette info avant ! Nous orientâmes dès lors nos efforts vers le recueil de preuves auprès des témoins oculaires, mais en vain. Ils avaient bien trop peur ; ils craignaient pour leur vie.

Ayant échoué à obtenir que cette histoire fût publiée, ou fît l’objet d’une enquête approfondie de la part d’agences de presse, notre mission prit fin. Je restais seule, chargée de l’entière responsabilité qu’elle fût poursuivie. C’était une tâche écrasante, mais j’étais sûre que je finirais par réussir à la mener à bien.

Ma première tentative « en solo » consista de servir de guide à un journaliste américain, qui travaillait pour le Washington Post. Après avoir vu le site, il me dit qu’il ne pouvait rien publier à ce sujet. Pendant ce temps, j’avais trouvé un Israélien, qui vivait dans un kibboutz situé près de cette fosse commune, qui connaissait bien la région, et qui avait parcouru à pied les environs du site, pendant des années. Il était prêt à risquer sa vie et à attester que ces tombes n’étaient apparues que postérieurement à l’invasion du Liban, en 1982. Rien n’y fit : le journaliste américain connu refusa à couvrir ce sujet. Son excuse, c’est qu’il avait déjà fait l’objet d’une couverture ; il faisait allusion à la couverture pathétique, au lendemain de la conférence de presse !... J’eus le soupçon qu’il redoutait de se faire virer de son boulot…

Après, j’ai conduit une journaliste israélienne, de l’hebdomadaire (aujourd’hui disparu, ndt) Haolam Haze (un hebdo contestataire, propriété d’Uri Avnery), autour du site. Cette journaliste, Anat Saragosa, a pris des photos d’ossements humains qui dépassaient de sacs plastiques, en-dehors de la zone des soi-disant « tombes » tracées à la peinture blanche. Elle prit aussi des photos d’un cimetière non répertorié sur les cartes routières, en Galilée. Elle interviewa le membre du kibboutz, et elle semblait très déterminée à publier l’article. Durant des mois, elle me jura que la publication en était imminente. Finalement, elle m’informa qu’Uri Avnery avait décidé de ne pas le publier. Je pris conscience du fait que des mois, précieux, venaient d’être perdu, à attendre. Je tentai de contacter Avnery, à son bureau du siège d’Haolam Haze, mais en vain. J’étais en colère, et j’étais crevée…

Je suis retournée régulièrement sur le site, certaines fois en compagnie de mon père. Une unité de l’armée rappliquait, à chaque fois, quelques minutes après notre arrivée sur les lieux. Je ne pouvais jamais rester très longtemps, et souvent, je devais cacher ce que j’étais en train de faire (comme, par exemple, creuser le sol), en faisant comme si j’étais en train de me soulager… Je tentai d’impliquer d’autres Israéliens dans mes activités, mais ces cadavres n’intéressaient pas grand-monde…

En désespoir de cause, j’ai amené chez moi des os tarsiens et des échantillons de vêtements, dans l’espoir que quelqu’un finirait par accepter de les emmener à l’étranger et de les faire analyser. Mais ce plan a échoué, comme tous les précédents…

J’ai vécu ainsi avec les morts jusqu’en 1986. C’est alors que le kibbutznik me téléphona pour me dire que l’armée venait d’interdire la zone de la fosse commune, y compris le pont et la route, à proximité. Personne ne pouvait voir ce qu’on était en train de fabriquer. Trois jours après, il m’a téléphoné pour me dire que l’accès était à nouveau possible. Je me rendis immédiatement sur le site ; il était totalement méconnaissable. D’énormes quantités de terre avaient été enlevées, avec leur contenu accablant – le niveau du terrain, par places, avait descendu de trois mètres. Israël annonça avoir rendu des corps à la Syrie. J’étais décontenancée par la facilité avec laquelle Israël avait réussi à détruire les preuves d’une de ses atrocités, sous le faux-nez d’un geste humanitaire… Il était trop tard pour amener des journalistes, qui auraient pu réussir à révéler le pot-aux-roses. Encore une fois, je pensai à l’Holocauste, et à ceux qui avaient péri sans laisser de trace…

Le cynisme israélien vis-à-vis des vies des Arabes venait de faire son énième coup pendable. A ma grande surprise, et à ma grande horreur, un joli parc national fut construit à côté du site de la fosse commune. Personne n’allait plus jamais deviner son secret de mort.

Le sentiment d’avoir échoué, en fin de compte, à donner une voix à la souffrance de ces victimes n’a jamais cessé de me hanter. Je continue à penser à elles, à la manière dont ces gens ont été tués ; et je pense à ces parents et à ces amis à qui ils manquent tellement, et qui ne connaissent pas dans quelles conditions ils sont morts.


Des prisonnières politiques

Je préparais à nouveau mon départ d’Israël quand la première Intifada éclata, en décembre 1987. J’étais ravie : enfin, les Palestiniens se révoltaient ! Je pense que la société israélienne a été choquée par l’opposition palestinienne à l’occupation. Ce choc avait pour origine leur conviction que les Palestiniens étaient tout-à-fait satisfaits de vivre sous la loi israélienne. Par conséquent, beaucoup d’Israéliens s’étaient mis à douter de leur droit moral à rester dans les territoires occupés. Tels étaient également les sentiments de certains soldats israéliens, durant les premiers mois de l’Intifada. J’étais convaincu que, dans une telle ambiance, les soldats israéliens n’oseraient pas tirer sur des Israéliens, même si ceux-ci violaient des couvre-feux (ce n’est plus le cas, depuis l’élection de Sharon). Par ailleurs, je pensais que s’opposer à la politique des couvre-feux, avant que les soldats et l’opinion publique ne s’y soient habitués, contribuerait à saper l’ensemble de cette politique. Mes tentatives de motiver des militants israéliens pour des marches vers les camps de réfugiés après l’heure du couvre-feu n’ont pas abouti à attirer beaucoup de soutiens. Ils n’étaient pas partants. De fait, pas une seule fois un couvre-feu n’a été défié par un groupe de militants israéliens manifestant ouvertement dans un camp de réfugiés palestiniens.

Durant les premiers mois de l’Intifada, je militais dans le mouvement « A bas l’occupation » [Down with the Occupation !], à Tel Aviv. J’organisais la collecte et la distribution de nourriture et de vêtements dans des camps de réfugiés soumis au couvre-feu, dans la bande de Gaza. Nous organisions aussi des veilles de protestation, à Tel Aviv. Mon père devint un de ces veilleurs. Un groupe de personnes arborant le tee-shirt du mouvement d’extrême droite du rabbin Meir Kahana, qui nous harassaient régulièrement, lui dirent : « Quel dommage que les nazis t’aient oublié ! ». Mon père, qui a perdu la plupart des membres de sa famille dans les camps de concentration, ne fut pas particulièrement amusé. Ce n’est qu’après avoir vu son visage traumatisé que je pris vraiment conscience qu’il était désormais habitué à leurs attaques insupportables. Dans un autre contexte, ou n’importe où ailleurs dans le monde, des insultes verbales de cet acabit auraient été qualifiées d’antisémites, et elles auraient suscité des hauts cris et des plaintes au pénal auraient sans doute suivi. A Tel Aviv, dès lors que cela était adressé à un homme s’opposant à la répression contre les Palestiniens, c’était un comportement autorisé.

Au bout d’un certain temps, j’ai compris que ma voix, en tant que femme, était ignorée, dans l’association « Down with the Occupation ! », aussi, j’eus tendance à ne plus travailler qu’avec des femmes. En mai 1988, des femmes palestiniennes de Cisjordanie m’ont présentée à un meeting féministe. Cela fut l’étincelle qui m’amena à cofonder l’Organisation des femmes pour le soutien aux prisonnières politiques [Women’s Organisation For Women Political Prisoners – WOFPP].

Nombreux étaient les obstacles qui se dressaient devant nous. Le premier était d’ordre politique, nous y étions confrontées tandis que nous voulions établir les principes adéquats régissant l’association. Il nous fallu déployer des efforts énormes pour persuader toutes les femmes du groupe de la position consistant à défendre les droits humains de toutes les prisonnières qui avaient été arrêtées en raison de leur opposition à l’occupation israélienne. Certaines femmes voulaient réserver notre soutien aux seules prisonnières qui n’étaient pas accusées d’avoir porté atteinte à des juifs israéliens. D’autres voulaient inclure une déclaration politique en faveur d’une solution à deux Etats, qui était un facteur de divisions. C’était en l’occurrence ce fameux mantra qui, depuis vingt ans, avait réussi à saper de nombreuses initiatives visant à créer de larges coalitions, car cela excluait les antisionistes, telles que moi-même. J’étais déterminé à ce que cela ne se reproduisît pas cette fois-là, et j’ai veillé à ce que le groupe ne soit pas distrait par des discussions interminables et futiles qui n’auraient pu que le détourner de son engagement en faveur des droits humains.

Ensuite vint le tour de la tache critique que constituait la création d’un réseau de contacts à travers lesquels nous puissions obtenir l’information dont nous avons besoin, sur les prisonnières et sur les conditions de vie auxquelles elles étaient confrontées, et imaginer des manières d’alléger les souffrances de ces femmes. Ayant retenu de dures leçons de mon échec à dénoncer la fosse commune du Pont de Bnot Yakov [Les Filles de Jacob, en hébreu, ndt], j’étais mieux équipée pour organiser une campagne efficace. Je savais quelles chausse-trappes éviter, en particulier avec les médias. J’étais aussi sensibilisée au danger du sabotage d’éventuels collaborateurs. J’étais déterminée : cette fois-ci, je ne laisserais pas le gouvernement israélien saper une énième de mes campagnes en faveur des droits de l’homme !

Notre première source d’information provenait des Etats-Unis. C’était une liste de prisonnières, établie depuis environ deux mois. Le document précisait que l’une d’entre elles, Aisha El-Kurd, était enceinte de sept mois. Un simple calcul nous fit comprendre que cette femme devait accoucher très rapidement. Immédiatement, nous avons lancé plusieurs enquêtes parallèles, afin de la localiser. Les responsables de la prison de femmes de Neve Tirza ont nié sa présence dans leur geôle. Son avocat n’avait aucune idée de l’endroit où elle était enfermée, mais il ne comprenait pas pourquoi nous nous agitions autant sur ce cas ! Beaucoup d’avocats perdaient toute trace de leurs clients, tandis que des milliers de prisonniers continuaient à être arrêtés par les Israéliens. Beaucoup d’entre eux avaient été torturés, tandis que les autorités refusaient de communiquer toute information à leur sujet, rendant impossible leur entrée en contact avec d’éventuels avocats.

Nous finîmes par obtenir confirmation de la détention d’Aisha, effectivement, à Neve Tirza, et nous envoyâmes un avocat la voir. Elle l’informa qu’au moment de son arrestation, des tentatives de la faire avorter furent opérées, si bien qu’elle dut être hospitalisée. L’avocat nous informa qu’aucune accusation n’avait été formulée à l’encontre d’Aisha, aussi avons-nous immédiatement lancé une campagne exigeant sa libération. Peu après, Aisha accoucha, attachée sur son lit, mais nous avons pu obtenir qu’elle soit libérée, de l’hôpital où elle était encore prisonnière, et renvoyée chez elle, dans le camp de réfugiés de Rafah. Toutefois, elle n’avait plus de maison où renter : celle-ci avait été démolie tandis qu’elle était en prison.

En tant que présidente du WOFPP, je continuais à aller la voir, régulièrement. Une fois, je découvris que l’armée israélienne l’avait chassée, ainsi que ses cinq enfants, de la tente où ils habitaient. La campagne internationale que nous lançâmes pour lui venir en aide attira beaucoup de soutiens ; deux ans plus tard, une association de femmes italiennes, Naila, put leur acheter une maison.

Lorsque j’étais présidente de la WOFPP, j’habitais à Tel Aviv, et je me rendais régulièrement en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ces voyages quotidiens étaient de véritables chocs émotionnels, comme des montagnes russes émotionnelles. Après toutes les horreurs que je venais de découvrir dans les camps de réfugiés, après toute la vérité que je venais de découvrir, retourner à Tel Aviv, c’était presque surréaliste. Tel Aviv, c’est une sorte d’univers artificiel et totalement coupé de son contexte. Les camps de réfugiés que j’allais visiter étaient terrorisés quotidiennement par des soldats israéliens. Je trouvais la disparité entre Tel Aviv et les camps de réfugiés intolérable. Quittant Tel Aviv le matin, avec sa richesse d’options de distractions, et ses existences occasionnellement interrompue par des attentats, pour me retrouver dans les camps terrorisés et démunis de tout, c’était difficile à supporter. Les Palestiniens n’étaient même pas en sécurité chez eux, dans leurs maisons, car des balles et des gaz lacrymogènes pénétraient souvent dans leurs masures surpeuplées et construites de bric et de broc. J’étais incapable de faire comprendre les horreurs dont j’étais témoin aux résidents insouciants de Tel Aviv que je connaissais, et même pas à des Israéliens relativement conscients, du point de vue politique.

Nous prîmes conscience du fait que des femmes palestiniennes organisatrices de projets tels que des actions de médecine infantile se retrouvaient en détention administrative, autrement dit, qu’elles étaient détenues sans charges pesant contre elles ; quant à un procès, n’en parlons même pas… Le WOFPP lança une campagne afin d’exiger la libération immédiate de toutes les prisonnières en détention administrative. Peu après, toutes furent libérées, avant l’expiration de leur peine, et un terme fut mis à cette pratique (bien qu’elle n’ait jamais cessé, en ce qui concerne les hommes). Après leur libération, j’ai rencontré chacune de ces femmes étonnantes, qui allaient s’avérer une source d’inspiration pour les luttes des années à venir.

Nous découvrîmes aussi les tortures et les mauvais traitements. Le WOFPP lança une campagne pour exiger la cessation de telles pratiques, en particulier dans le tristement célèbre Complexe Russe, à Jérusalem Ouest. La presse israélienne était intéressée, et elle publiait des articles sur les incidents que nous portions à sa connaissance. Nous étions considérées une source fiable, mais nous avions conscience du fait qu’un seul article de presse inexact aurait suffi à détruire notre crédibilité. Durant quelques mois, les tortures et les mauvais traitements contre les prisonnières cessèrent. L’expérience nous ayant montré qu’une campagne militante était la seule protection dont les prisonnières pourraient bénéficier contre les mauvais traitements et la torture, nous dénoncions absolument tous les cas, persuadées que nous étions que, sans cela, les prisonnières auraient souffert encore davantage.

Nous eûmes la preuve que nous avions raison, et que des campagnes adéquates étaient efficaces, dans bien des cas. Nous avons soulevé la question de la libération de femmes libanaises retenues en Israël en tant qu’otages. Prendre des femmes en otages, c’était quelque chose d’inhabituel. Israël les avait arrêtées, et prises en otages, afin de forcer leurs parents mâles à passer à table, ou à se rendre, dans les cas où ils se cachaient. Ce fut toutefois la première fois qu’on nous informa de tortures par chocs électriques sur des femmes. Khadija (70 ans) a fait état des électrochocs qu’elle avait subis après son arrestation à la prison de Khiyam, avant son transfert à celle de Jalameh. Ma joie, lorsque j’obtenais la libération de ces otages, était mêlée d’inquiétude, car je ne savais pas si elles pourraient rentrer chez eux, ou bien si elles seraient simplement ramenées au Liban, mais à la prison de Khiyam.

Après avoir travaillé étroitement, durant des mois, avec des prisonnières politiques, nous commençâmes à exhumer des histoires de harassement sexuel, dont les victimes pouvaient n’avoir que treize ans. Nous avons entrepris une campagne contre les sévices sexuels en détention. Les prisonnières devaient surmonter leur très force réticence à parler de ce problème. Une femme, du camp de réfugiés de Khan Younis, avait été harcelée durant son interrogatoire, quelques années avant la fondation de l’association, mais elle n’en parla qu’après que le WOFPP se soit intéressé à ce problème et lui ait apporté son soutien.

Notre campagne requerrait que nous préservions notre crédibilité, ce qui n’était pas chose aisée. Nous n’avions que rarement un accès direct aux prisonnières, et néanmoins, nous devions soumettre les détails peu après les incidents aux médias, afin de les satisfaire. En particulier, j’avais peur d’être sabotée par des collabos (travaillant avec les services de sécurité israéliens). Et, de fait, cela s’est produit, plus d’une fois. Dans un des cas, une déposition d’abus sexuels avait été recueillie par notre avocat, de la part d’une prisonnière originaire de Gaza. J’ai écrit et diffusé le communiqué de presse avant d’avoir eu le temps d’y réfléchir. Mais il était déjà trop tard ; le bouclage des journaux concernés était très proche. J’ai fait part de mes réticences croissantes à d’autres membres du WOFPP.

Une des anomalies tenait au fait que, dans ce cas, nous avions envoyé un avocat (un homme) à la prison. Il était très inhabituel, pour une prisonnière, de se confier à un homme inconnu, en particulier en matière d’abus sexuel. Heureusement, un membre de l’association connaissait cette prisonnière, et il s’avéra qu’il s’agissait d’une collaboratrice notoire. Immédiatement, j’appelai la presse pour qu’elle ne publie rien sur cette histoire. Les journaux le firent, mais cela n’a pas manqué d’entamer notre crédibilité. Toutefois, je ne pouvais pas expliquer aux journalistes que cette prisonnières était une collabo, et qu’il s’agissait sans doute d’un piège, dans lequel nous avions failli tomber. Il était déjà suffisamment difficile d’obtenir la sympathie de ces journaux pour des prisonniers palestiniens : obtenir leur attention en matière du rôle complexe joué par les collaborateurs était, en revanche, tout-à-fait irréaliste.

Une autre collabo eut bien davantage de succès, causant l’annulation d’un cas majeur de harcèlement sexuel de prisonnières palestiniennes, nous faisant perdre des mois de travail. Elle fit des allégations d’avoir été harcelée à une autre association. Nous recevons le rapport, sans procéder à des vérifications supplémentaires. Juste avant la date de publication, elle nie ses allégations à l’encontre de policiers de Jérusalem. Cela discrédita toutes les plaintes authentiques et, craignant que d’autres témoignages fussent tout aussi peu sûrs, l’hebdomadaire de Tel Aviv mit le sujet à la poubelle.

Mon rôle, au WOFPP, comportait l’assistance aux femmes palestiniennes après leur libération. Régulièrement, je rendais visite à beaucoup d’anciennes prisonnières libérées, et je devins amie avec pas mal d’entre elles. Je me sentais très privilégiée de connaître ces femmes corroboratives qui, contre tous les coups du sort, créaient de nouvelles initiatives. Une de ces initiatives était la coopérative féminine d’Abasan, qui produisait des biscuits. L’armée israélienne ne partageait pas mon admiration ; systématiquement, elle harcelait ces femmes. Aucune de ses exactions n’étant venu à bout de la détermination de ces femmes courageuses, l’armée eut recours au harcèlement sexuel. Ayant su cela, j’appelai la chaîne télévisée américaine CNN, et je mis ses journalistes en contact avec les membres de la coopératives. Ces femmes impavides étaient prêtes à parler ouvertement du traitement qu’elles avaient subi, et elles eurent la satisfaction d’apprendre, de la part de parents vivant aux Etats-Unis, que leur témoignage avait effectivement été diffusé. Leur harcèlement sexuel prit fin.

Mais l’armée ne laissa pas tomber : elle arrêta le mari de la responsable de la coopérative, Tahani Abu Daka, et elle le soumit à du harcèlement verbal, avec de lourdes allusions à son épouse. Le principal thème de cet interrogatoire porta sur la question de savoir qui portait la culotte, dans leur couple. Tahani refusa de céder. Après tout, elle avait été elle-même en prison, à la suite d’un ordre d’incarcération administrative. Durant son emprisonnement, elle avait eu des complications d’une grossesse, les gardes lui refusaient des soins médicaux, et elle finit par faire une fausse couche. Elle fut relâchée avant le terme de sa condamnation, après que le WOFPP eut organisé une campagne pour la libération immédiate de toutes les prisonnières palestiniennes en détention administrative.


J’assiste à l’érosion de la force des femmes

Fin 1990, l’Intifada s’affaiblissait. A mon avis, c’était là le résultat des menées d’Israël visant à faire éclater la résistance palestinienne, en encourageant subtilement le Hamas, tout en dirigeant sa répression essentiellement vers les factions laïques de l’OLP. Graduellement, les femmes se faisaient exclure de la lutte ; elles étaient chassées des positions dirigeantes et renvoyées à leurs fourneaux. Durant les premiers mois de l’Intifada, en 1988, il y avait peu de femmes palestiniennes qui se couvraient la tête. J’ai été décontenancée par la rapidité avec laquelle des femmes qui ne l’avaient jamais fait étaient désormais contraintes de se couvrir les cheveux et de porter des vêtements amples. Cela illustrait, à mes yeux, la fragilité du moindre succès, et aussi le fait qu’aucune avancée ne doit être considérée définitive.

Sur mes centaines de visites en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, la seule fois où j’ai été harcelée fut dans la bande de Gaza et cela, au motif que je n’avais pas la tête couverte. Je ressentis du mépris pour mon harceleur, un garçon qui avait dû apprendre que j’étais israélienne ; néanmoins, il se préoccupait bien plus de mes cheveux non couverts que de la question de savoir si je ne prêtais pas main-forte à l’oppression israélienne ? La femme palestinienne qui m’accompagnait lui dit d’aller se faire cuire un œuf, et il nous a fiché la paix.

D’un autre côté, je trouve particulièrement remarquable que bien que j’aie voyagé, de nuit, en compagnie de Palestiniens que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Eve, bien souvent en passant par des pistes de terre battue afin de contourner les barrages routiers israéliens, je ne me suis jamais sentie menacée, et je n’ai pas une seule fois été importunée. Certes, ils savaient que j’étais israélienne, mais ce qui est certainement l’explication, c’est qu’ils savaient que si j’avais choisi de voyager avec eux, cela ne pouvait être que pour leur manifester ma solidarité ; ce sentiment faisait disparaître toute arrière-pensée.


La vie en exil

Pour moi, vivre en Israël devenait de plus en plus un fardeau. A Tel Aviv, je n’avais plus aucun goût pour les sorties au cinéma ou au théâtre, et je ne cessais de m’interroger au sujet de chaque mec israélien : participait-il à torturer, à descendre ou à humilier des Palestiniens ? Mon aliénation de la société israélienne atteignit un tel degré qu’elle me devint difficile à supporter.

Et puis, aussi, je redoutais de connaître le sort d’une jeune fille que je connaissais, Ziva, qui avait été assassiné en Cisjordanie . Elle avait un petit ami palestinien, d’Hébron, qu’elle souhaitait épouser. Il fut accusé du crime, mais sachant à quel point le recours à la torture pour obtenir des « aveux » était fréquent, je doute qu’il eût été l’assassin. Plusieurs pièces à conviction, dans cette affaire, suggéraient que l’assassin était plus vraisemblablement un Israélien. De plus, Ziva m’avait dit que sa famille l’avait menacée de la tuer si elle ne mettait pas un terme immédiatement à la fréquentation de son petit ami palestinien. Je commençais alors à être inquiète : non seulement je risquais de me faire descendre, mais si cela devait advenir, n’importe lequel de mes amis risquerait de se faire accuser.

Aussi décidai-je d’émigrer. Comme je possédais un passeport britannique, et comme l’anglais était la seule langue que je connusse, la Grande-Bretagne fut tout naturellement ma destination. Lors de ma dernière visite dans la bande de Gaza avant mon départ d’Israël, je fus brutalement extraite d’un taxi, à un barrage routier. Des officiers israéliens me dirent, dans un premier temps, qu’il était illégal, pour les Israéliens, de prendre les taxis palestiniens. Ayant repoussé cette ineptie, ils me posèrent des tas de questions sur les personnes que j’avais rencontrées. Je ne pus dissimuler le mépris que je ressentais à leur endroit, et je refusai de leur dire quoi que ce fût (bien que je j’eusse été certaine qu’ils savaient tout, dans les moindre détails, au sujet de chacune de mes visites, par le passé). Ils m’emmenèrent au poste de Khan Younis, où l’on menaça de me torturer. Je savais, par les prisonnières, qu’il s’agissait là d’une pratique courante, dans la bande de Gaza, mais, étant donné la politique raciste israélienne, une Israélienne comme moi était relativement protégée. De fait, ils ne me mirent même pas en cellule. En revanche, ils m’ont expulsée de la bande de Gaza, si bien que je fus dans l’incapacité d’aller voir tous ceux qui m’y attendaient.

Des mois après mon immigration en Grande-Bretagne, éloignée de tout engagement politique, je reçus une lettre d’une députée à la Knesset, Tamar Gojanski. Elle avait été informée, par la police israélienne, du fait qu’une plainte avait été déposée à mon encontre, au motif que j’étais entrée clandestinement dans Khan Yunis. Personne, et moi encore moins, ne savait qu’il y avait de quelques restrictions à cela.

Je ne voulais qu’une seule chose : reconstruire ma vie ; aussi, je ne repris aucun engagement politique durant un certain temps. J’avais besoin d’une pause. J’étais une réfugiée privilégiée. J’avais dû quitter des gens qui m’étaient très chers, mais j’avais fui vers un confort relatif. A nouveau, j’appréciais le cinéma, le théâtre, la musique et les balades. En particulier, j’appréciais d’avoir des temps de loisir, la chance de faire la cuisine et de manger de manière correcte, et aussi de pouvoir danser. La vie était redevenue joyeuse.

Les Accords d’Oslo m’ont prise par surprise, et ils n’ont fait que me décourager encore un peu plus de reprendre le combat politique. Ma première déclaration publique sur ces accords, je la fis, en tant que conférencière, durant un séminaire d’une journée à l’Université St Andrew. Tout le monde jubilait ; sauf moi. Le fait d’être la seule à critiquer les accords d’Oslo m’a rendue très peu populaire, ce jour-là. J’avais l’impression de gâcher la fête. Néanmoins, je mis en garde sur le fait que les accords d’Oslo allaient paver la voie vers l’apartheid. J’avertis : le seul rôle qu’Israël allait autoriser les Palestiniens à jouer serait celui de flics chargés de faire taire les protestations des Palestiniens.

En privé, j’avertis alors le représentant palestinien officiel à ce séminaire qu’Israël allait forcer l’Autorité palestinienne à devenir un organe répressif qui pratiquerait la torture, exactement comme l’Armée du Liban Sud. Les organisateurs du séminaire promirent d’en publier les actes. Mais après des mois de tergiversations, ils reconnurent que tel ne serait pas le cas. Je compris que le représentant officiel israélien avait mis des bâtons dans les roues, mais je n’étais pas certaine que ce fût là l’unique raison. On me donna, par la suite, la possibilité de soumettre un résumé de mon intervention à la revue The Chartist, sous le titre « Paver la voie vers l’apartheid » [« Paving the way to apartheid »], qui fut publié dans le numéro 156 (septembre-octobre 1995).

Je renouai avec l’engagement politique, à feu doux. Cela, jusqu’au début de la nouvelle Intifada, en septembre 2000 ; dès le début, Asil Asleh, le fils d’une amie très proche, fut battu à coups de crosse de fusil d’assaut, puis abattu d’une balle dans le cou nuque, à bout portant. Cela s’est passé au cours d’une manifestation dans son village, en Galilée [et donc PAS dans les territoires occupés, ndt], Arrabéh, le 3 octobre 2000. Il se vida de son sang, bloqué à un barrage routier israélien, sur le chemin de l’hôpital, où il mourut peu après son arrivée. L’hôpital enregistra son admission sous la rubrique : « soins à un ennemi ». Je me rappellerai toute ma vie ce jour où Asil n’avait que quelques mois et où sa mère Jamilah, tandis qu’il était endormi, était allé à l’épicerie, juste en bas de chez elle, pour acheter quelque chose, et qu’elle se retrouva fermée dehors. Sans perdre une minute, elle monta à la terrasse de leur immeuble, qui avait quatre étages, puis elle sauta sur leur balcon, quelques mètres au-dessous. Et elle se cassa les deux jambes, prouvant qu’elle n’était pas une superwoman, en définitive… Et pourtant, elle s’était trainée sur le sol, les deux jambes brisées, pour vérifier que son cher petit ne courait aucun danger, avant d’appeler à l’aide. Nous étions émerveillés par son courage et son dévouement maternel, mais ces louanges la faisaient rire, comme si elles eussent été sans objet.

Jamilah me demanda de tout faire afin que le triste sort de son fils soit connu dans le monde entier. Elle me dit que la mort de son fils devait être montrée, afin de faire en sorte que la vie d’autres jeunes soit épargnée. Je contactai des journalistes et même des ministres britanniques, ainsi que tous les contacts que je pouvais bien avoir. Ma courte lettre fut publiée dans The Guardian le 13 octobre 2000. Le Foreign Office me demanda davantage de détails, mais, l’un dans l’autre, les horreurs qui ne cessaient de se multiplier et d’être connues, en Palestine, ne suscitèrent que peu de condamnations. Des centaines de Palestiniens furent tués, et des milliers d’autres blessés, durant les mois qui suivirent l’exécution d’Asil.

En dépit de ma rage et de ma frustration devant le deux poids – deux mesures qui est appliqué dès lors que c’est Israël qui viole les droits de l’homme, j’ai lancé un certain nombre de campagnes, et j’en ai assisté d’autres. Je me sentais dans l’obligation de la faire, en tant qu’Israélienne, exactement de la même manière dont j’aurais attendu de tout Allemand décent, sous le nazisme, de faire tout ce qui était en son pouvoir afin d’aider les victimes de ce régime. Je portais un fardeau supplémentaire : celui de savoir ce dont les Israéliens sont capables, en matière de répression. Beaucoup d’Israéliens, et pas seulement les colons, considèrent que les Palestiniens ne méritent pas de vivre ; ils ont l’arsenal qui leur permet de corriger la balance démographique, et ils ont un système juridique qui autorise la torture et les assassinats.

Depuis la seconde Intifada, je vis dans les rues des camps de réfugiés, de manière virtuelle : le cyberespace rend cela tout-à-fait réaliste. Le paysage paisible que découvre depuis ma maison réelle, avec sa pelouse verdoyante, ses chênes et un petit lac, me semblent bien moins réels que l’occupation israélienne. J’ai peur de reconnaître les noms de certaines des victimes. Mes pensées errent, d’une question à une autre. Comment survivent-ils aux bombardements israéliens incessants, avec leurs maisons très fragiles, bien incapables de leur assurer la moindre protection ? Ayant aucun abri où se réfugier, quelle n’est pas la terreur de leurs enfants ? Leur traumatisme pourra-t-il être surmonté ? Comment réussissent-ils à vivre dans leurs pièces surpeuplées, dont chacune abrite parfois plus de vingt personnes, avec les frêles vieillards, les bébés réclamant la tétée et les blessés ? Comment supportent-ils la faim ? Les enfants continuent-ils à aller à l’école, ou bien assiste-t-on à la fabrication d’une nouvelle génération d’illettrés ? Je sais que, pour la plupart d’entre eux, les simples sonorités de l’hébreu est aussi douloureux que l’a été l’allemand, pour mes parents. Les survivants de la brutalité israélienne auront-ils plus de facilité à pardonner aux Israéliens leur complicité avec ces atrocités que n’en ont eue mes parents à pardonner aux Allemands ?

L’impérieuse nécessité de partager la vérité que je ressens avec quiconque veut bien m’écouter est parfois un fardeau trop lourd à porter. Mais je continue, sachant que les témoignages et les appels d’une Israélienne ont davantage de chances d’être écoutés. Le fait qu’il y ait si peu de gens prêts à prendre la parole pour faire campagne contre les crimes de guerre israéliens ne font qu’augmenter ma responsabilité. Cernée par les mânes des victimes oubliées jetées dans la fosse commune du Pont de Bnot Yakov, qui ont disparu sans laisser de trace, je ne veux pas ajouter encore une source supplémentaire de culpabilité, aussi je continue, en dépit de la frustration et de l’épuisement. J’ai le sentiment que si j’agis maintenant, je serai peut-être en mesure de contribuer à dissuader Israël de procéder à sa solution finale, le transfert des Palestiniens de tous les territoires qu’il contrôle, combiné au génocide de ceux qui refuseraient de partir.


Le futur pourrait-il s’avérer meilleur ?

Il y a un rayon d’espoir : cette petite poignée d’Israéliens qui, au début de 2001, ont commencé à assumer un rôle plus direct dans leur soutien aux Palestiniens. Ils ont commencé à saboter activement la politique d’enfermement qui vise à affamer les Palestiniens dans les zones visées, et à faire obstacle à la destruction de maisons palestiniennes. Cela me donne l’espoir qu’au moins, il y a des Israéliens qui sont prêts à mettre en cause leur confort personnel pour sauver des vies palestiniennes. Enfin, voici que des Israéliens estiment que la vie d’un Palestinien est aussi précieuse que la leur. De fait, il ne s’agit là que d’une infime minorité, et étant donné que cette minorité est d’une ampleur négligeable, Israël ne va vraisemblablement pas exiger qu’ils risquent leur vie, comme le firent des Allemands courageux. Le gouvernement israélien peut continuer à compter sur les sentiments anti-palestiniens que partagent la plupart des Israéliens, dont un nombre croissant est favorable au transfert des Palestiniens, et à tous les moyens, quels qu’ils soient, permettant d’en faire une réalité.


Sources :

Jiryis, Sabri, (1969) The Arabs in Israël 1948-1966, Institute for Palestine Studies, Beirut.

Bober, Arie (ed.) (1972), The Other Israël: The Radical Case Against Zionism, Anchor Books, Doubleday & Co, Garden, NY.

Kahn, Yael (1995), "Paving the way to apartheid", Chartist, issue #156 September-October 1995, Chartist Publication, London. ISSN 0968-7866

Source : Friends of Al Aqsa

Traduction : Marcel Charbonnier

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