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Moyen Orient - 23 octobre 2009
Par Muna Awwad
The Star (Jordan), Volume 20, Issue 43, 19 – 25 October 2009
Quinze ans après la signature du Traité de Paix Wadi Araba entre la Jordanie et Israël, ce traité n’a rien à nous montrer sinon l’erreur de penser que la paix avec un Etat comme Israël, qui s’arqueboute à sa mentalité de châtelain et à ses volontés expansionnistes, pourrait engranger des résultats positifs. Le 26 octobre 1994, la Jordanie fut le deuxième pays, après l’Egypte, à normaliser ses relations avec Israël avec la signature du traité de paix entre les deux pays, après un état de guerre qui existait entre eux depuis 1948.
La signature d’un accord avec Israël n’a pas beaucoup plu au peuple et à la société civile jordaniens, qui avaient tous une bonne expérience de ce qu’était Israël. Une série de revendications et d’activités d’opposition ont lieu en Jordanie depuis 1994 et aujourd’hui, 15 ans plus tard, alors que la date anniversaire de l’événement historique approche, la futilité de ce mirage de paix devient plus évidente pour tous les Jordaniens, et même pour ses supporters de la première heure.
Sa Majesté le Roi Abdullah II semblait très pessimiste lorsqu’il a été interviewé par le journal israélien Ha’aretz, le mardi 6 octobre ; répondant à une question sur la joie que serait la célébration du 15ème anniversaire du traité, Sa Majesté a répondu : « Pas aussi heureux que lorsque le traité de paix a été signé ; notre relation s’est refroidie… Aujourd’hui, pour un Jordanien, aller en Israël est pratiquement impossible, nous n’avons qu’environ 150.000 Israéliens qui viennent nous rendre visite chaque année et la plupart d’entre eux sont des Arabes israéliens (les Palestiniens vivant en Israël, ndt.), le commerce est presque inexistant ; le 15ème anniversaire nous rappelle que lorsqu’existe un engagement à respecter les droits de l’autre, lorsqu’une direction a le courage de prendre des décisions difficiles dans l’intérêt du peuple, on ne parvient pas à la paix. »
Bien que le Parlement ait ratifié, à l’époque, le traité, aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent pour demander son annulation.
Le Député Khalil Atiyeh a dit : « Seul Israël a bénéficié de ce traité, la Jordanie n’a été respectée à aucun moment ; et cela est dû au manque d’engagement d’Israël envers le traité de paix, pendant ces 15 dernières années. Israël a pollué nos eaux, incendié nos terres agricoles, évacué la notion d’une patrie de substitution et beaucoup d’autres violations qui font que l’image d’Israël en Jordanie est même pire qu’avant. Nous espérons que la déclaration du Roi encouragera le gouvernement à mettre fin à toutes formes de normalisation avec cet ennemi. »
Le militant et analyste islamique Ali Abul Sukkar pense lui aussi qu’il est logique que la direction jordanienne en arrive là. Il a déclaré : « La nature de l’attitude israélienne, toujours arrogante vis-à-vis des autres, doit avoir des conséquences sur la relation avec la Jordanie, en particulier le fait qu’Israël refuse de s’engager sur de nombreux articles mentionnés dans le traité. Il faut mettre fin à ce traité, comme le traité jordano-britannique, qui est mort avant d’avoir achevé sa 10ème année, pour libérer la décision officielle jordanienne de son engagement envers un tel traité. »
Cependant, beaucoup d’autres pensent que la position officielle est loin d’être la réponse adéquate aux violations continues d’Israël.
L’écrivain et militant Hisham Bustani pense que l’affaire est trop complexe pour être simplement exprimée dans des déclarations. Il a dit au Star : « Israël et la Jordanie sont organiquement liés par trois chaines incassables : le Traité, l’alliance stratégique au projet US dans la région arabe, et leurs natures en tant qu’Etats fonctionnels. Les relations jordano-israéliennes continueront comme avant, au niveau économique, et surtout au niveau sécuritaire. Nous savons qu’une ‘coopération’ sécuritaire haute existe entre la Jordanie et Israël, qui inclut également les USA. »
D’un autre côté, la déclaration officielle a donné de l’espoir à ceux, nombreux, qui attendent une telle démarche. Badi Rafay’a, militant anti-normalisation de pointe, a dit : « Si cette déclaration a pour but pratique d’évaluer la relation avec Israël, et si elle n’est pas une simple position provisoire, ce serait un succès historique qui mériterait notre plein appui. »
Abul Sakkar a expliqué au Star comment l’accord de paix jordano-israélien fut une malédiction pour l’Etat jordanien, son peuple et sa vie. « Ce traité fut une insulte à la Jordanie et à son peuple à différents niveaux, en particulier en terme d’isolement de la Jordanie dans ses dimensions arabes et islamiques, et a fait de la Jordanie, selon certains pays, un passage pour l’ennemi sioniste, sa politique et ses produits ; cela a eu un effet négatif sur l’économie jordanienne aussi, lorsque certains pays ont hésité à recevoir des produits jordaniens, craignant qu’ils comprennent des produits d’origine israélienne. »
De plus, Rafaya’a souligne que « le traité a contribué à aggraver les libertés publiques en Jordanie ; la population ne voulait pas de cette relation, et en conséquence, le gouvernement a restreint la liberté d’expression. »
Dans un autre ordre d’idée, la démarche de la Jordanie d’ouvrir des relations diplomatiques avec Israël a eu, pour elle, plus d’inconvénients que de bénéfices.
« En signant le traité, nous avons reconnu le droit illégitime d’Israël à occuper la terre arabe et la création illégitime de son Etat par la destruction, le meurtre et l’expulsion de la population arabe indigène, et nous avons reconnu toutes les mesures prises pour renforcer et enraciner cet Etat illégitime, » dit Bustani.
Selon les analystes, la poursuite des violations israéliennes à Jérusalem, qui ont atteint récemment un niveau encore plus haut, a exaspéré tous les Jordaniens. Abul Sakkar dit : « La Jordanie a l’autorité officielle sur Al-Haram Al-Sharif et sur les autres sites religieux de Jérusalem, selon ce traité ; comment décrire les fouilles et les attaques d’Israël sur le site, sinon comme un mépris total envers la Jordanie ? »
Le chercheur Abdullah Hammoudeh commente : « Le creusement de tunnels sous la Mosquée Al-Aqsa, la destruction des maisons et le vol des biens sont tous une insulte envers la souveraineté jordanienne. »
Au niveau économique, les bénéfices initiaux que le traité a apportés ont régressé et tout est redevenu comme il y a 15 ans.
« Selon le traité, la Jordanie doit jouer en faveur d’Israël : le traité de paix stipule non seulement la fin du boycott économique jordanien des produits israéliens, mais demande également que la Jordanie coopère à mettre fin aux boycotts économiques de tiers dirigés contre Israël (c’est-à-dire les pays arabes qui n’ont pas normalisé leurs relations avec Israël, et les pays et groupes non arabes qui boycottent Israël pour des questions éthiques), transformant la Jordanie en un ‘facilitateur’ et un ‘médiateur’ de l’économie israélienne. Le traité de ‘paix’ parle dans beaucoup de ces articles d’établir un ‘cadre régional de partenariat’ et un ‘cadre de coopération économique régionale plus large’, dans lequel Israël sera évidemment le ‘leader’, » explique Bustani au Star.
Dans un autre contexte, Abul Sukkar suggère que le traité n’a pas sauvegardé les droits territoriaux jordaniens. « Non seulement ce traité n’a pas garanti des frontières jordaniennes sûres, mais il l’a laissée sous la menace d’une patrie de substitution et il a aussi ignoré la terre jordanienne occupée par Israël ; Um al-Rishrash était une terre jordanienne officiellement occupée en 1949 ; elle n’a pas été ni restituée ni libérée, et le traité l’a complètement ignorée, » dit Abul Sakkar.
Dans ce contexte, Bustani dit que le traité de « paix » a également détruit la souveraineté jordanienne sur sa propre terre ; Al-Ghamr et Al-Baquoora, territoires jordaniens « libérés » de l’occupation israélienne par le traité, sont régis par les clauses suivantes : la terre est louée aux Israéliens pendant 25 ans renouvelables par accord des deux parties ; si l’une des parties n’agrée plus ces conditions, la terre n’est pas rendue à la Jordanie mais elle fait l’objet de nouvelles négociations ! Les Israéliens sont autorisés à y entrer et à en sortir sans passeport ni aucune sorte de papier d’identité, les Israéliens sont autorisés à aller sur ces terres en armes, le traité se réfère aux Israéliens comme aux « propriétaires de la terre », etc. En bref, Baquoora et Ghamr sont des zones sous souveraineté israélienne, et elles n’ont pas été restituées.
Abdullah Hammoudeh souligne l’erreur historique faite en signant ce traité, comme il le dit au Star : « Par cet accord, nous avons donné à Israël un droit légitime pour ses crimes et nous avons approuvé l’histoire juive de la Palestine, ce qui a servi le peuple juif, d’un point de vue historique. » Hammoudeh parle aussi des expressions et termes utilisés dans le traité et leur dangerosité.
Dans ce contexte, Bustani déclare : « Sur la question des réfugiés, le traité de paix définit le problème des réfugiés comme une question « humanitaire », lui retirant toute sa perspective politique. Il y fait également référence comme étant le résultat du « conflit » dans la région, oblitérant la responsabilité directe d’Israël. Le traité non seulement ne mentionne pas le droit au retour des Palestiniens dans leurs maisons et sur leurs terres, mais il mentionne « l’installation » des Palestiniens comme un but ! »
Au niveau populaire, de nombreuses tentatives ont été faites pour améliorer l’image d’Israël aux yeux du peuple jordanien ; mais Israël est toujours, pour la plupart des Jordaniens et des Arabes, la pire expérience historique et le premier Etat à être décrit comme l’ennemi ; l’ambassade israélienne à Amman est considérée comme tabou tandis que l’ambassadeur israélien est boycotté, ignoré et malvenu lorsqu’il séjourne à Amman.
« La population refuse la normalisation avec Israël. La paix n’est une valeur que si elle représente réellement la justice, et la justice requiert la décolonisation de la Palestine et la fin du projet colonial sioniste dans la région arabe, » dit Bustani.
Hattar a affirmé au Star que ces 15 années ont été un gâchis, et qu’elles n’étaient pas nécessaires pour découvrir toutes les réalités mentionnées. « Le traité n’avait pas besoin d’être expérimenté, les 15 années ont fait la preuve que l’idéologie de l’ennemi demeure inchangée, qu’on fasse la paix ou non ; ils veulent que la Jordanie soit un passage pour la normalisation avec la région, » dit-il.
Avec l’impasse actuelle dans laquelle est plongée la région après avoir réalisé qu’Israël n’est pas intéressé par la paix avec les Palestiniens, une paix basée sur la justice et sur les résolutions de l’ONU, la question est de savoir ce que la Jordanie peut faire pour se libérer de ce traité importun.
Bustani suggère que « la Jordanie doit redessiner ses relations stratégiques ; elle devrait explorer des alliances différentes, mondiales et régionales, avec des pays comme la Russie, la Chine, la Syrie et l’Iran ; elle devrait explorer les énormes possibilités qui existent avec les démocraties montantes d’Amérique Latine comme le Venezuela et le Brésil ; elle devrait se libérer de ses obligations sécuritaires envers Israël en annulant ce traité. » « Annuler un traité ne signifie pas la guerre, mais la préservation des intérêts du peuple et le maintien d’une position où les choses peuvent être modifiées pour un avenir meilleur, » conclut-il.
Source : The Star
Traduction : MR pour ISM
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