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5 janvier 2021
Par Zohra Bouguern
Un jumelage est un partenariat entre deux villes qui prend un sens particulièrement révélateur dans un contexte d’oppression systématique et ségrégationniste, comme ce fut le cas avec le jumelage entre Nice et Le Cap sous le règne de l’apartheid en Afrique du Sud. A l’échelle de la ville, c’est l’acte politique par excellence. L’objet de ce texte est de rappeler l’enjeu du jumelage de Saint-Étienne avec Nazareth Illit (Israël) à partir de décisions prises par le conseil municipal.
La colonie sioniste Nazareth Illit, rebaptisée Nof HaGalil en 2019
L’ancien maire Michel Thiollière aura marqué son dernier mandat pour la ville de Saint-Étienne par un soutien politique sans équivoque au régime d’apartheid israélien.
Si la ville est jumelée à Nazareth Illit (1) depuis 1974 sur l’initiative de Michel Durafour (maire de 1964 à 1977), les années 2006 et 2007 ont été résolument tournées vers celle-ci et Israël au nom des Stéphanois.
Une série d’actions à hautes valeurs symboliques, matérielles et politiques a marqué ce mandat :
- dénomination de l’ « Allée de Nazareth Illit », parc de l’Europe (2)
- financement à hauteur de 20.000 euros d’une association étroitement liée à l’armée israélienne dans le contexte de la guerre au Liban en 2006
- commande d’une statue offerte et inaugurée le jour anniversaire de Nazareth Illit et visite d’Israël par la délégation stéphanoise en septembre 2007.
A la lecture du dossier de délibération du conseil municipal du 6 novembre 2006 (3), on apprend que :
« Les événements récents qui ont embrasé le Proche-Orient ont mobilisé de nombreuses associations caritatives afin d’aider dans l’urgence les populations civiles directement touchées par les conséquences des combats.
Elles font appel à la générosité individuelle et collective de la population et des Pouvoirs Publics (…) la Ville de Saint-Étienne souhaite apporter sa contribution (…) en attribuant une aide financière d’un montant total de 100.000 euros » répartis de façon égales entre : Croix Rouge Française, Secours Populaire, Secours Catholique, Unicef et Maguen David Adom.
Les trois premières associations ont été soumises, par la voie de leur représentant local, à conclure une convention avec la mairie parce que le don exceptionnel de 20.000 euros s’additionnait à une somme supplémentaire dépassant alors le seuil annuel fixé à 23.000 euros par le décret n°2001-495 du 6 juin 2001.
En revanche, aucune convention n’a été signée avec l’Unicef et le MDA.
« Magen David Adom » ou « Maguen David Adom » est né en Palestine mandataire en 1930 du ventre de la Haganah (4). A ce moment-là, sous l’impulsion de David Ben Gourion, la Haganah connaît un renouveau stratégique dans l’édification d’un pouvoir militaire en accompagnant et en renforçant l’expansion territoriale des nouvelles vagues de colonisation massive.
La Haganah est reconnue comme étant l’un des ancêtres de l’armée de Tsahal.
En 1949, le parlement israélien vote une loi octroyant un statut national à Maguen David Adom.
L’organisation à caractère médicale et d’assistance aux premiers secours reste officiellement et activement chargée d’accompagner les forces armées d’occupation, « le MDA sera toujours aux côtés de l’armée d’Israël afin de préserver les vies de ses jeunes soldats ». (5).
S’engager dans le MDA, c’est participer concrètement à l’idéologie sioniste et à « l’effort de guerre » à travers l’imagerie mystifiée du don de soi et du soin en promouvant officiellement l’armée de Tsahal contre le « terrorisme ».
Les campagnes de communication nationales et internationales de ces organes sont étroitement liées. Il suffit de se rendre sur les sites officiels pour le constater. Et sentiment de malaise profond quand on lit Gilbert Argoud (rapporteur officiel) dans la séance du 6 novembre 2006 (6) :
« Une observation a été faite, Monsieur le Maire. Il était fait allusion au Proche-Orient et non pas précisément au Liban. Or il est évident que quand on fait allusion aux événements récents qui ont embrasé le Proche-Orient, on parle du Liban. Ce sont des versements à des associations qui œuvrent auprès des populations du Liban. Il s’agit de cela, même si le mot Liban ne figure pas expressément ».
Il y a une contradiction totale. Alors qu’on prétend officiellement apporter une aide aux populations libanaises, on alloue 20.000 euros à Maguen David Adom, qui accompagne les incursions militaires israéliennes au Sud Liban.
Par ailleurs, la mairie stéphanoise a participé activement à la célébration du cinquantenaire (7) de la création du comptoir colonial Nazareth Illit (dite Kyriat Nazareth à l’époque).
La ville est officiellement née en 1974 mais l’implantation de colons remonte à 1957. La mairie a sans complexe célébré l’arrivée des premiers colons dans cet espace.
Donc, la mairie de Saint-Étienne célèbre ce cinquantenaire ambigu, en commandant pour 2007 une statue (4,5 tonnes, 6 mètres de hauteur) avec passation de marché à procédure allégée (art, 30 du Code des Marchés Publics).
Le projet s’intitulera modestement « Offrande de lumière ».
Les pièces annexées au procès verbal donnent accès au montant versé pour cette commande. La somme totale s’élève à 18.500 euros.
Le dossier devrait contenir l’ensemble de la prestation avec : cuisson dans le four des établissements Bony, transport de l’œuvre par voie maritime, installation de la statue sur le parvis du centre administratif de la ville.
Aussi, devrait figurer l’ensemble des frais engagés par la délégation stéphanoise présente en Israël du 5 au 9 septembre 2007.
Sachant que le seuil de la procédure allégée est fixé au plafond de 80.000 euros H.T, on est en droit de connaître le montant total des dépenses, avec factures à l’appui.
Si la célébration du cinquantenaire de la naissance de cette ville semble avoir été peu discutée au conseil municipal (8), on notera tout de même l’intervention de Roger Dubien, et grâce auquel on apprend qu’il a découvert l’existence d’une délégation seulement par voie de presse.
Après la lecture de plusieurs articles parus dans Le Progrès (9), on apprend que le maire et la délégation se sont rendus à Jérusalem et à Ashdod, en plus des festivités à Nazareth Illit. D’ailleurs, on a pu lire plusieurs témoignages.
Le sénateur-maire, Michel Thiollière parle de « superbe projet qui est un jet de lumière sur le monde ».
Or, Nazareth Illit reste une colonie fondée en 1957 (10).
Célébrer sa naissance, c’est prendre toute sa part dans l’entreprise sioniste.
Célébrer sa naissance, c’est manifester son adhésion pleine et entière à la dépossession et au pillage organisé.
Célébrer sa naissance, c’est joindre sa main à celles qui déshumanisent ces « autres » et qui les tuent.
Célébrer sa naissance, c’est légitimer politiquement l’expulsion des populations palestiniennes avec toutes les violences et toutes les exactions consubstantielles à l’appareil colonial.
Célébrer sa naissance, c’est s’associer à la création artificielle et stratégique d’une ville en Galilée au service de l’empire d’Israël.
Célébrer sa naissance, c’est s’opposer au droit inaliénable du peuple Palestinien.
Oui. Nazareth Illit n’est qu’une colonie.
Le maintien d’un tel jumelage interroge profondément le concept de démocratie locale participative. Les rapports qu’entretiennent les représentants successifs de Saint-Étienne avec les politiques officiels de Nazareth Illit sont difficiles d’accès et parfois communiqués après coup.
Le jumelage, dans le cadre de la campagne d’envergure du cinquantenaire, aurait dû être l’occasion de le faire connaître massivement aux habitants.
Alors éclairés, libres à eux d’en débattre dans leurs intérêts, libres à eux de s’y associer ou de s’y opposer.
Notes de lecture :
(1) Rebaptisée Nof HaGalil en 2019.
(2) Séance du 1 octobre 2007. Délibérations. p.149. FRAC42218_04_9C_2_168_0001_C.pdf
(3) Séance du 6 Novembre 2006. Délibérations. p.198. FRAC42218_04_9C_2_165_0002_C.pdf
(4) La Haganah est une organisation paramilitaire né en 1920 en Palestine, alors sous mandat Britannique.
(5) http://mail.mda-france.org/relations_avec_tsahal,333.html
(6) Séance du 6 Novembre 2006. Délibérations. p.199. FRAC42218_04_9C_2_165_0002_C.pdf
(7) La mairie célèbre l’implantation des premiers colons dans cet espace géographique. David Ben Gourion en est à l’origine en 1957, tandis que la ville naît officiellement en 1974 avec son administration officielle par Israël. Nazareth Illit est spatialement collée à la Nazareth historique.
Il faut comprendre que la Nazareth historique est la plus grande ville arabe d’Israël dans laquelle vivent palestiniens chrétiens et musulmans.
L’implantation d’un comptoir colonial israélien sur ses hauteurs géographiques a permis de créer une présence stratégique à Nazareth même et, plus largement, dans la région de la Galilée.
(8) Voir l’intervention de Roger Dubien en date de la Séance du 1er octobre 2007. Délibérations. p. 152-154. FRAC42218_04_9C_2_168_0001_C.pdf
(9) « Un cinquantième anniversaire fêté en musique », 12 septembre 2007, Le Progrès.
« Une délégation stéphanoise part demain en Israël », 4 septembre 2007, Le Progrès.
« Le jumelage est une chance pour la Paix », 12 septembre 2007, Le Progrès.
« 'L’Offrande de lumière'' rayonne sur Nazareth Illit », 12 septembre 2007, Le Progrès.
(10)Pour avoir un aperçu synthétique et complet sur cet espace géographique précis et ses enjeux : http://www.ism-france.org/temoignages/Nazareth-Haut-va-construire-un-quartier-ultra-orthodoxe-sur-une-terre-arabe-pour-contrer-le-nombre-de-Palestiniens-article-12241
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