Envoyer cet article
Gaza - 8 juin 2007
Par Samah SABAWI
Samah Sabawi est directeur duConseil National des Relations Arabes au Canada - NIAGARA PALESTINIAN ASSOCIATION, qui représente les intérêts des Palestiniens et des amis des Palestiniens dans la région du Niagara.
"Ne nous oubliez pas !" est devenue la formule habituelle par laquelle mon oncle, à Gaza, termine nos conversations lorsque nous l'appelons, depuis notre confortable maison d'Ottawa. Cette semaine, alors que nous commémorons 40 années d'occupation israélienne de Gaza et de la Cisjordanie, son calvaire doit être entendu.
Quiconque a de la famille à Gaza comprend très bien ce qui se cache derrière les gros titres. Depuis au moins un an, ma belle-famille nous presse de leur rendre visite, espérant qu'une visite du monde extérieur brisera leur isolement, et que la vue de leurs petits-enfants amènera un peu de normalité dans leurs vies et allègera leur triste existence. Bien que nos chances d'être autorisés à passer les grilles étroitement contrôlées de Gaza soient maigres, nous envisageons d'essayer, cet été.
Vous pouvez imaginer le choc que ça a été, il y a deux mois, d'entendre ma belle-famille nous dire : "Ne venez pas ; c'est dangereux". Comme beaucoup à Gaza, ils n'ont pas été surpris de voir l'augmentation du niveau de violence entre les factions palestiniennes, dans ce qui est décrit ici comme "des affrontements internes".
Le conflit à Gaza n'est pas une lutte née de tensions confessionnelles, puisque la grande majorité de la population est musulmane sunnite. En fait, à Gaza, les familles sont liées par un réseau social complexe et j'ai grandi en entendant la plaisanterie que tous les Gazans étaient cousins.
La violence n'est pas non plus que purement politique – il n'est pas rare que dans la même famille, des membres soient affiliés au mouvement religieux Hamas et d'autres au mouvement laïque Fatah. Les gens à Gaza savent que c'est une guerre très particulière, une guerre créée par des éléments extérieurs et alimentée par la pauvreté et le désespoir.
Le conflit a commencé comme une lutte de pouvoir entre le Hamas et le Fatah – avec ce dernier sous haute pression de la part des Etats-Unis et d'Israël pour retirer au Hamas son pouvoir. Mais les Palestiniens savent aussi que maintenant, l'affrontement leur échappe. Ni le Hamas ni le Fatah n'ont réussi à maintenir un cessez-le-feu, parce que les jeunes frustrés, nés à Gaza dans une cocotte-minute, sans projets d'avenir ni d'espoir en vue, ont pris la rue. Mon cousin décrit parfaitement la situation : "Ce n'est pas une guerre civile. C'est une mutinerie de prisonniers."
La "mutinerie" était inévitable. Après la victoire du Hamas aux élections palestiniennes au début de l'année dernière, Israël et la communauté internationale ont affamé et emprisonné les 1,4 million de Palestiniens qui vivent à Gaza, dans l'espoir qu'ils renverseraient un gouvernement Hamas de plus en plus impuissant et assiégé. Ce fut un acte cruel de punition collective d'un peuple occupé, posant des conditions à l'octroi d'une aide dramatiquement nécessaire.
Dans les mois suivants, les Palestiniens se sont retrouvés dans une situation unique. Ils sont coupés du reste du monde, ils font face à la pénurie de nourriture, d'eau et de médicaments,ils subissent un taux de chômage très élevé et vivent dans des conditions qui ne conviendraient même pas à des animaux. La seule source de revenus pour beaucoup des jeunes de Gaza est de rejoindre une milice ou une autre. Plus le gouvernement a perdu de pouvoir et plus les milices en ont gagné. Ceux qui n'ont pas rejoint une milice doivent se mettre sous la protection de l'une d'entre elles. Beaucoup à Gaza commencent à se demander pourquoi, à un moment où les analgésiques de base n'arrivent pas à passer les frontières contrôlées par Israël, tant d'armes sont maintenant disponibles.
De plus en plus d'intellectuels palestiniens commencent à qualifier la situation de "expérimentation à Gaza". Comme des souris de laboratoire, les Gazans se querellent, à la recherche d'une issue. Chaque jour la pression augmente, le besoin de nourrir sa famille devient plus urgent et les malades meurent. Alors que ma belle-mère, atteinte d'arthrite, souffrait le martyr, sans traitement pendant des mois, elle estimait pourtant que son sort était meilleur que celui d'autres. Ma belle-sœur, médecin à l'Hôpital Shifa de Gaza-ville, m'a dit il y a plusieurs mois qu'un colis de médicaments absolument indispensables pour traiter des patients atteints de cancer avait été stoppé, pendant des semaines, aux portes de Gaza. Lorsqu'il a fini par arriver à l'hôpital, 35 malades étaient morts.
L'histoire des enfants de Gaza brise le coeur. Beaucoup d'entre eux ne trouvent plus aucune raison valable pour aller à l'école et sont dans les rues, à la recherche d'argent. Certains vendent des cigarettes ou du chewing-gum, d'autres volent pour acheter du pain. Le bruit des bombes israéliennes, dans le ciel de Gaza, les a toujours empli de crainte – un rappel de qui a le pouvoir, et qui ne l'a pas – et dernièrement, les bruits sont revenus, avec le retour des bombardements israéliens.
Mes jeunes cousins de Gaza ne savent peut-être pas lire, mais ils connaissent les différents avions de guerre et ce dont ils sont capables. Ils se vantent de pouvoir reconnaître une arme au bruit de son tir.
Alors, pendant que le monde s'indigne de la situation à Gaza, ne nous exonérons pas de notre responsabilité dans le déroulement des événements. Nous ne pouvons pas oublier que ce sont des êtres humains, vivant sur une bande de terre hautement politisée.
Nous avons détourné notre regard de leur misérable réalité. Boycotter un gouvernement à cause de ses positions politiques peut être légitime, mais il est immoral de poser des conditions à l'aide nécessaire pour sauver des vies. Tout comme il est immoral de semer délibérément les graines de la violence et d'interférer dans un processus démocratique authentique.
Et il est également immoral de nous détourner du fait que, 40 ans après, le peuple de Gaza et de Cisjordanie n'ont toujours pas été libérés de leur prison géante.
Source : Globeandmail.com
Traduction : MR pour ISM
Afin d'assurer sa mission d'information, ISM-France fait appel à votre soutien.
L'ISM a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient. Les auteurs du site travaillent à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui leur seraient signalées.
Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas l'ISM ne saurait être tenu responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.
D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont il n'a pas la gestion, l'ISM n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.
9 novembre 2021
Le fait d'être désigné comme "terroristes" par Israël illustre le bon travail des ONG en Palestine9 novembre 2021
L’Art de la guerre - Les nouvelles armes financières de l’Occident5 novembre 2021
Israa Jaabis : De victime à criminelle, du jour au lendemain3 novembre 2021
La normalisation est le dernier projet pour éradiquer la cause palestinienne1 novembre 2021
Kafr Qasem reste une plaie béante tandis que les Palestiniens continuent de résister à l'occupation30 octobre 2021
Voler et tuer en toute impunité ne suffit plus, il faut aussi le silence14 octobre 2021
Tsunami géopolitique à venir : fin de la colonie d’apartheid nommée ’’Israël’’12 octobre 2021
La présentation high-tech d'Israël à l'exposition de Dubaï cache la brutalité de l'occupation9 octobre 2021
Pourquoi le discours d'Abbas fait pâle figure en comparaison du fusil d'Arafat à l'ONU6 octobre 2021
Comment la propagande israélienne s'insinue dans votre divertissement quotidien sur Netflix : La déshumanisation et la désinformation de FaudaGaza
Nettoyage ethnique
Samah SABAWI
8 juin 2007