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Europe - 19 juin 2010
Par Marie-Ange Patrizio
Les journalistes de nos télévisions et radios (pourtant payés pour se renseigner) n'ont sans doute, eux, jamais du tomber sur ne serait-ce que quelques lignes de José Saramago, et n'ont sans doute pas trouvé la moindre image -de lui- présentant suffisamment de compromission pour être susceptible de passer facilement dans leurs médias dégoulinants de servilité, d'arrogance et d'indigence politique, morale.
Sinon, par gratitude au moins, ils n'auraient pas pu s'empêcher de faire un tout petit peu plus que lire la dépêche d'agence, en disant "José Saramago prix nobel de littérature est mort". De ce prix Saramago disait : "ce sera comme Miss Portugal : dans un an tout le monde l'aura oubliée". Le prix nobel étant (devenu ?) ce qu'il est (Obama, Peres, Kissinger etc.), c'est maintenant tout ce qu'on arrive à dire de Saramago.
"Nous verrons si est confirmé en l'occurence l'ancien dicton qui dit Celui qui a fabriqué la casserole a aussi fabriqué le couvercle, Il s'agit donc de casseroles, monsieur le commissaire, dit la femme du médecin d'un ton ironique, De couvercles, madame, de couvercles, répondit le commissaire en se retirant, soulagé que son adversaire lui ait fourni la possibilité de s'en tirer [...] " (La lucidité, p. 256. Paris, Seuil, 2006).
"Les réverbères des rues s'allument, le crépuscule commence à se laisser glisser le long de la rampe du ciel, la nuit ne tardera pas à tomber" (id.,p.272).
J. Saramago avait fait le voyage en Palestine avec le Parlement des écrivains, en 2002 (un DVD a été fait sur ce voyage) :
"En mars 2002 à Ramallah, en tant que membres de la délégation du Parlement des écrivains, José Saramago, a commenté la situation des territoires occupés en déclarant notamment : « Ce qu’il faut faire, c’est sonner le tocsin, partout dans le monde, pour dire que ce qui arrive en Palestine est un crime que nous pouvons stopper. Nous pouvons le comparer à ce qui est arrivé à Auschwitz. »"
Un peu plus tard, il précisait à l’agence portugaise Lusa : « La répression israélienne est la forme la plus perverse de l’apartheid », après une longue description de l’état de désolation des zones qu’il venait de visiter : « Personne n’a idée de ce qui se passe ici, aussi bien informé que l’on soit. Tout est rasé par les bulldozers. Les villages palestiniens ont été détruits et on n’y cultive plus rien. » (José Saramago : « Qui a déjà résisté 60 ans résistera 60 années de plus », Le Grand Soir, 7 octobre 2008)
"Le silence fut tel qu'il aurait émoussé le tranchant du couteau le mieux aiguisé" (La lucidité, p. 187)
"Vous ne me trahirez pas en disant la vérité mais refusez d'accepter des mensonges au nom d'une vérité qui ne serait pas votre vérité, Oui, monsieur le commissaire, promit l'inspecteur, Aidez-vous mutuellement, dit le commissaire, puis, C'est tout ce que je vous souhaite, c'est tout ce que je vous demande." (id., 307).
"Le philosophe du roi, quand il n'avait rien d'autre à faire, venait s'asseoir à côté de moi, et il me regardait raccomoder les chaussettes des pages et, quelquefois, il se mettait à philosopher, il disait que chaque homme est une île et moi, comme ça ne me concernait pas vu que je suis une femme, je ne lui prêtais pas attention, mais toi qu'en penses-tu, Je pense qu'il faut sortir de l'île pour voir l'île, que nous ne nous voyons pas si nous ne sortons pas de nous." (Le conte de l'île inconnue. p. 40)
"Aimer est sûrement la meilleure façon d'avoir, avoir est sûrement la pire façon d'aimer" (id. p. 31, Le conte de l'île inconnue)
"La mort retrourna dans le lit, enlaça l'homme et, sans comprendre ce qui lui arrivait, elle qui ne dormait jamais sentit que le sommeil abaissait doucement ses paupières." ( Les intermittences de la mort., p.236)
"Le matin conservait encore quelques bribes de la luminosité de l'aube, l'air était frais, un temps idéal pour une promenade à pied." (La lucidité., p.287).
Lucidité de José Saramago...
José Saramago, 1922- 18 juin 2010.
Adieu José, merci.
José Saramago
Publié le 18 juin sur le site de il manifesto,
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
L’écrivain portugais José Saramago est mort aujourd’hui (18 juin 2010, NdT) dans sa maison de Tias, à Lanzarote (Canaries), à l’âge de 87 ans.
Fils d’un paysan pauvre du Ribatejo, il était né dans un village à cent kilomètres de Lisbonne et la pauvreté fut sa principale formation ; prise entre la faim et les disettes, sa famille se transféra rapidement dans la capitale sans beaucoup améliorer ses conditions de vie ; obligé d’abandonner l’école pour travailler et aider sa famille, Saramago passa d’un travail à un autre pendant des années. En 1947, il publia son premier roman, suivi par de nombreux autres, sans toutefois interrompre sa recherche poétique ni son travail de journaliste et de critique littéraire, qui l’a passionné toute sa vie. En 1969, en plein régime salazariste, il s’inscrivit au Parti communiste, échappant aux mailles de la police politique. En 1998, lui fut attribué le prix nobel de littérature.
Il a écrit de très nombreux ouvrages qui ont eu un grand succès, dont « L’évangile selon Jésus-Christ », qui lui valut une forte hostilité dans le très catholique Portugal, le poussant à émigrer ; son rapport avec la religion (pas seulement catholique) a toujours été conflictuel et critique. Dans un de ses plus récents ouvrages, « Caïn », il définit le dieu de la Bible comme « vindicatif, rancunier, méchant, indigne de confiance ».
De même, Saramago n’a jamais épargné ses critiques contre la politique israélienne et contre l’attitude des juifs (sionistes, Saramago faisait la différence entre les sionistes et les juifs, NdT) d’aujourd’hui, an affirmant que « vivre à l’ombre de l’holocauste et s’attendre à être pardonnés de tout ce qu’ils font, au motif de leur souffrance passée, me semble un excès de prétentions. De toute évidence ils n’ont pas beaucoup appris de la souffrance de leurs parents et de leurs grands-parents » -d’où les accusations d’antisémitisme qui lui sont immédiatement tombées dessus.
Ces dernières années, le journaliste Saramago avait aussi lancé un blog* et un dialogue avec ses lecteurs –dans lequel il avait récemment adressé de sévères critiques à Berlusconi aussi.
Voir : http://caderno.josesaramago.org/
et le dernier message laissé par le webmaster, hier : Pensar, pensar (NdT)
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