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Palestine occupée -

Jusqu'où Israël peut-il aller pour tenter d'effacer les Palestiniens ?

Par

Mariam Barghouti est une écrivaine palestinienne américaine basée à Ramallah.

Malgré la pandémie qui fait rage et les restrictions de plus en plus sévères imposées par Israël sur les déplacements des Palestiniens, quelques amis et moi parvenons encore à nous rencontrer de temps en temps pour discuter et se donner des nouvelles. Alors que nous sommes assis, en buvant du thé et du café, mon téléphone vibre avec les mises à jour constantes envoyées par des journalistes, des militants ou des amis sur le nombre croissant d'infections et les développements entourant les plans d'annexion d'Israël.

Jusqu'où Israël peut-il aller pour tenter d'effacer les Palestiniens ?

Au fur et à mesure que je lisais, l’un après l’autre, les messages déprimants, les visages autour de moi devenaient blêmes. Ces rassemblements occasionnels - destinés à nous distraire de l'étouffement de la vie dans une pandémie et sous occupation - s'enfoncent souvent dans l'ambiance généralement sombre qui domine l’expérience palestinienne.

Bien que nous ne sachions pas ce qui va se passer ensuite, nous avons terriblement peur que cela soit périlleux. De temps à autre, nous nous demandons : « Pensez-vous que nous allons survivre à ce qui va arriver ? »

Nous savons que cela ne sera pas le cas pour certains d'entre nous. Cela nous est constamment rappelé. Le 23 juin, Ahmed Erakat, 27 ans, a été exécuté à un poste de contrôle israélien près de Bethléem. Deux semaines plus tard, Ibrahim Abu Yacoub, 29 ans, a également été abattu par les forces israéliennes au nord de Salfit, en Cisjordanie . Sous une occupation à la gâchette facile, aucun d'entre nous n'est en sécurité.

Alors que les médias internationaux bruissent de spéculations sur l'intention d'Israël d'annexer officiellement des parties de la Cisjordanie , et que les gouvernements du monde entier se préparent à publier leur énième déclaration creuse contre Israël, nous, en Palestine, nous nous demandons à quel point nous pouvons survivre à une nouvelle annexion.

Des décennies d'annexion

Pendant des décennies, avant que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ne lance son appel officiel à l'annexion des terres palestiniennes, nous avons expérimenté une annexion persistante. Les colonies israéliennes illégales apparaissent si rapidement qu'on pourrait croire qu'elles sont construites du jour au lendemain. Et tout aussi rapidement, elles continuent de s'étendre, se rapprochant de plus en plus de nos villages et de nos villes.

« Quand cette colonie s‘est-elle autant rapprochée ? Je peux voir l'intérieur des maisons » est devenu une rengaine dans toute la Cisjordanie occupée et colonisée.

« Ils n'ont jamais construit les colonies de façon temporaire », m'a dit un jour un ami de Jérusalem.

Parallèlement, les postes de contrôle israéliens ont également proliféré dans toute la Cisjordanie pour assurer la sécurité des activités coloniales. Des "points de contrôle volants" tenus par des soldats israéliens dans des véhicules blindés apparaissent et disparaissent sporadiquement, entravant à chaque étape les mouvements des Palestiniens, causant des millions de dollars de dommages à l'économie palestinienne. Le trajet de 25 km entre Ramallah et Bethléem, par exemple, peut prendre des heures à un Palestinien.

Il y a aussi des checkpoints plus permanents, comme le tristement célèbre Qalandia, qui sépare Jérusalem de la Cisjordanie et par laquelle les Palestiniens peuvent entrer dans le reste de la Palestine historique (l'actuel Israël), s'ils ont des permis. En 2019, les Israéliens ont ajouté une structure massive au poste de contrôle. Peu après, je suis passée pour la première fois par le checkpoint de Qalandia. Les bras m’en sont tombés quand je l'ai vu. Cela ressemblait à un terminal d'aéroport plus qu'à un poste de contrôle.

Photo
Le panneau "Bienvenue à Qalandiya" est un récent ajout israélien au terminal de contrôle de Qalandia, à l'extérieur de Jérusalem-Est occupée [Jaclynn Ashly/Al Jazeera].


Je me suis souvenu qu'il n'y a pas si longtemps, nous protestions devant ses structures en béton et ses barrières métalliques, et que nous nous faisions tirer dessus à balles réelles.

Ce que j'ai vu en 2019, c'était un bâtiment massif avec des portes électroniques, des caméras de surveillance et des soldats israéliens assis derrière de grandes fenêtres vitrées, aboyant des ordres : « Avancez, approchez, vous pouvez entrer, vous ne pouvez pas, vous devez être contrôlé ! »

Au-delà de notre liberté de circuler en Cisjordanie , Israël a également annexé notre liberté de partir. Le pont Allenby, qui relie la Cisjordanie à la Jordanie, devait autrefois être un point de passage humanitaire provisoire. Aujourd'hui, c'est le seul point d'entrée/sortie pour les Palestiniens de Cisjordanie et il est géré par l'autorité aéroportuaire israélienne, qui peut refuser aux voyageurs palestiniens le droit de partir.

Un peuple palestinien divisé

La population palestinienne fait face à l'annexion imminente divisée, non seulement politiquement et géographiquement, mais aussi dans son expérience de l'occupation. Les Palestiniens de la zone C - de facto sous le contrôle d'Israël - ou de Gaza ont une réalité différente de celle de ceux d'entre nous résidant dans les zones A et B.

Vivant à Ramallah, je reconnais que la menace imminente d'expulsion est moins aigue que pour les Palestiniens vivant dans la zone C ou à Jérusalem-Est, qui sont régulièrement expulsés et dont les terres et les biens sont confisqués pour faire place aux colons israéliens. Je sais également que, contrairement aux Palestiniens de Gaza, je suis à l'abri des bombardements israéliens, car la Cisjordanie est entourée de colons et de colonies israéliennes. Les bombardements ne sont pas une option.

Préserver mon identité et le caractère palestinien de mon environnement immédiat est relativement plus facile que pour les Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne. L'effacement systématique auquel ils sont confrontés au sein de l'État israélien est associé à un large éventail de lois, qui les maintient dans un statut de citoyens de seconde zone.

Vivre à Ramallah signifie également que je ne suis pas confrontée à l'hostilité d'un pays d'accueil, privé du droit de travailler ou de recevoir des soins de santé, comme des millions de réfugiés palestiniens dans les pays arabes. Vivre à Ramallah signifie également que je ne subis pas la discrimination à laquelle sont confrontés les Palestiniens vivant en Occident.

Pourtant, je suis moi aussi confrontée à la violence de l'occupation et à la précarité d'être palestinienne dans ce monde. Si je ne me fais pas tirer dessus de façon aléatoire à un poste de contrôle, ma maison peut toujours être pillée au gré de n'importe quel fonctionnaire israélien, ou attaquée par les colons qui encerclent nos villages. Et si ce n'est pas le cas, l'Autorité palestinienne (AP) peut décider que je suis une menace politique et m'arrêter.

En ce sens, l'annexion sera ressentie différemment par les différentes communautés palestiniennes. Et c'est probablement ce sur quoi l'occupant compte - que divisés par nos expériences, nous ne pourrons pas nous unir dans notre réponse.

Dénuement économique

De nombreux Palestiniens vivent dans un tel dénuement à cause de l'occupation et de l’expulsion de leurs terres que leur principale préoccupation est la survie physique. Cela érode d’autant leur capacité de mobilisation politique.

Le protocole de Paris de 1994, conçu comme une mesure provisoire, a effectivement assuré l'insécurité économique des Palestiniens grâce à son modèle d'"union douanière" rendant l'économie palestinienne dépendante d'Israël. Cela a permis à Israël de freiner la résistance palestinienne.

En Cisjordanie et à Gaza, les salaires de centaines de milliers de familles dépendent de l'Autorité palestinienne (AP), qui elle-même dépend d'Israël qui autorise le transfert de son budget et les fonds des bailleurs occidentaux. Le secteur privé est complètement dominé par l'économie et la pitié d’Israël, dont il dépend. Le discours de l'AP sur le "désengagement économique" d'Israël est tout simplement risible.

Les Palestiniens qui ne peuvent pas gagner leur vie en Cisjordanie et à Gaza économiquement sous-développées sont contraints de chercher un emploi en Israël, où ils sont exploités à fond et laissés à la merci de leurs employeurs israéliens. Ils courent le risque de se voir retirer leur permis de travail si eux-mêmes ou leurs proches montrent le moindre signe de résistance politique.

Après 13 ans d'un siège militaire imposé avec la collaboration de l'Egypte et de l'AP et plusieurs attaques israéliennes meurtrières, Gaza est une catastrophe humaine vivante. La bande de Gaza est invivable et son économie est en ruine. La population palestinienne y est plongée dans une crise permanente sur le plan économique, sanitaire, nutritionnel et sanitaire et dans leurs camps, les réfugiés palestiniens gagnent à peine leur vie.

L'occupant espère nous affamer et nous plonger dans l'apathie. Mais juste au cas où, il déploie également la force militaire, l'oppression et le contrôle.

Résister à l'occupation et à ses partisans

La résistance palestinienne a plus de 100 ans. Nous avons combattu l'empire britannique, le colonialisme israélien et la complicité internationale avec les crimes israéliens.

En tant que Palestiniens, nous avons essayé d'arrêter la colonisation israélienne de nos terres par tous les moyens à notre disposition.

Nous avons essayé la résistance armée, et avons été confrontés à la réponse brutale d'une armée nucléaire ; nous avons tenté de protester pacifiquement, mais nous avons été abattus, arrêtés et torturés ; nous avons fait appel aux institutions et au droit internationaux et les intimidations diplomatiques israéliennes et américaines ont contrecarré nos initiatives, et nous avons également essayé de promouvoir le mouvement non-violent de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui a été attaqué de façon vicieuse avec diverses lois visant à le criminaliser comme "antisémite".

Rien n'a fonctionné sur le terrain pour les Palestiniens. Rien n'a mis fin à l’invasion israélienne de nos droits et au vol de nos terres. Nous avons été abandonnés par des gouvernements amis et des alliés arabes, tandis que la communauté internationale a continué à se rendre complice des crimes israéliens.

Outre le colonialisme israélien, nous avons également dû faire face à l'autoritarisme de nos propres dirigeants palestiniens. L'Autorité palestinienne en Cisjordanie et le Hamas à Gaza ont délibérément étouffé notre capacité de mobilisation en emprisonnant des militants politiques, en réprimant violemment les protestations et en injectant davantage de ressources dans leurs forces de sécurité plutôt que dans le développement et l'autonomisation des communautés.

Dans ces conditions, un soulèvement de masse de type 1987 ou 2000 semble peu probable. Israël a appris les leçons et a travaillé dur pour saper notre capacité à mobiliser les masses.

Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous ne résisterons pas. La Grande Marche du Retour de 2018 a montré aux Israéliens et au monde entier que nous pouvons et que nous marcherons pour nos droits, même si des balles réelles pleuvent sur nous. Les manifestations d'Al-Aqsa de 2017 ont prouvé que nous pouvons nous mobiliser momentanément sans ou même malgré les factions politiques palestiniennes. Les Bédouins d'Araqib qui reconstruisent leurs maisons après qu’elles aient été rasées 173 fois par les Israéliens montrent que nous pouvons persévérer. La résistance se fera très probablement au niveau communautaire. Les habitants de la vallée du Jourdain ont déjà juré de rester sur leurs terres, quoi qu'il arrive.

Je reconnais qu'avec tout ce qui se passe en Palestine, la liberté semble de plus en plus lointaine. C'est une expérience déchirante que de circuler entre les villes et les villages palestiniens de Cisjordanie et d'observer à quel point la violence de l'occupation est devenue flagrante pour s'emparer du peu qui reste de la Palestine.

Cela me fait penser à des villes comme Yaffa, Safad et Haïfa. Elles aussi étaient autrefois des villes palestiniennes, mais aujourd'hui, presque personne ne s'en souvient. Elles ont été annexées, israélisées, leur population palestinienne a subi un nettoyage ethnique, leur caractère et leur saveur palestiniens ont été complètement effacés.

Je peux voir la ligne d'horizon de Tel-Aviv depuis mon balcon et je me demande si Ramallah se réveillera un jour avec les nouveaux bâtiments étincelants d'une ville coloniale européenne, complètement aseptisée et libérée de son caractère palestinien. Et vais-je survivre à la violence que ce processus entraînera ?



Source : Quds News Network

Traduction : MR pour ISM

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