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Palestine -

L'arme de l'histoire palestinienne

Par

Article original publié sur Al-Akhbar le 5 août 2012.

"La guerre se mène sur plusieurs fronts, pas seulement militaire, mais c'est aussi une bataille sur les esprits des gens... Nous ne cherchons à effacer aucune autre histoire - nous voulons dire que nous ne vous autoriserons pas [Israël] à effacer la nôtre," explique Salman Abu Sitta d'une voix douce et confiante.
La résistance, en particulier la résistance non violente, a toujours fait partie de la lutte palestinienne contre la colonisation sioniste. Au cœur de cette lutte, Abu Sitta a passé la majeure partie de sa vie à façonner un arsenal d'armes non conventionnelles pour garantir que la terre de Palestine et son peuple ne soient jamais oubliés.

L'arme de l'histoire palestinienne

Au cours d'un demi-siècle, Abu Sitta a collecté des cartes, des documents, des témoignages, des données précises historiques, et bien plus encore, pour réfuter catégoriquement la plupart des revendications d'Israël sur la Palestine. Puisant dans ses connaissances en ingénierie, Abu Sitta a également exposé les grandes lignes d'un plan de retour - légal et physique - de la population palestinienne dans les maisons d'où elle est expulsée depuis 1948.

Abu Sitta est né dans une famille de notables de Beersheba en 1938. Alors qu'il avait dix ans, sa famille a fait partie de la première vague de réfugiés qui a fui à Gaza, pendant que les forces sionistes lançaient leur campagne de nettoyage ethnique de la Palestine. Il a été alors envoyé au prestigieux lycée Al-Saidiya, au Caire, où il a obtenu le premier rang de toute l’Égypte. Il a poursuivi ses études à la Faculté d'Ingénierie de l'Université du Caire, suivies d'un doctorat de génie civil à l'Université de Londres. C'est à Londres qu'il a commencé à amasser des cartes et des documents relatifs à chaque pouce de terrain de Palestine, s'embarquant dans un voyage qui a duré toute sa vie.

Dans les décennies qui ont suivi, il a été membre du Conseil national palestinien, a travaillé comme chercheur sur les questions des réfugiés, et a écrit des centaines d'articles sur les droits des réfugiés palestiniens, ainsi que cinq livres, dont L'Atlas de Palestine 1917-1966, une œuvre majeure de 700 pages. Récemment, il a créé la Palestine Land Society (PLS), à laquelle il consacre l'essentiel de son énergie. En raison de son travail de toute une vie, et en particulier son engagement indéfectible au Droit au Retour, Abu Sitta est considéré comme une icône et une mine d'or d'informations sur la Palestine. C'est dans son bureau qu'a eu lieu son entretien avec Yazan al-Saadi, pour Al-Akhbar.

Yazan al-Saadi : Qu'est-ce que la PLS et que fait-elle ?

Salman Abu Sitta : PLS, comme le montre clairement notre site web, se consacre à la documentation de la Palestine, sa terre comme son peuple, [qui] inclut la transformation de la Palestine d'avant la première Guerre mondiale jusqu'à aujourd'hui, ce qui signifie le début, la croissance et l'expansion du projet colonial sioniste en Palestine et ce qu'il a fait à la terre et à la population, et des archives sur la terre et la population.

YS : Pourquoi la PLS est-elle nécessaire ? En quoi est-elle unique, comparée à d'autres groupes pour la Palestine ?

SAS : Si j'avais vécu en Palestine avant la Première Guerre mondiale, je n'aurais pas éprouver le besoin [d'une organisation] parce que les gens savaient que la Palestine était leur patrie et ils y vivaient. Ils n'avaient donc aucun besoin d'une confirmation de leur identité, c'était un acquis. Cependant, il y a le projet sioniste et il est évident - maintenant plus que jamais auparavant - qu'il a trois objectifs qui forment une entreprise coloniale tout à fait unique.

Premièrement, s'emparer de la terre de Palestine et également - comme nous le savons grâce à la littérature et aux évènements ultérieurs - de parties de la Syrie, du Liban, de la Jordanie et de l’Égypte.

Deuxièmement, se débarrasser de la population. D'abord en 1948 par une série de massacres - près de 77 massacres et atrocités - puis par l'expulsion de la population restante.

Le troisième objectif, qui est connu mais rarement combattu, est d'effacer la mémoire et l'histoire des Palestiniens en Palestine. Du point de vue des sionistes, il y a de nombreuses justifications à cela. D'abord, faire la preuve du mythe que la Palestine est une "terre sans peuple". Ensuite, se persuader eux-mêmes, et l'Occident très crédule, qu'ils ont un droit légitime en Palestine, en faisant valoir qu'ils étaient les propriétaires du pays il y a quelques 2000 ans - ce qui est de toutes façons incorrect d'un point de vue historique - et qu'ils sont fondés à revenir sur une "terre vide".

David Ben Gourion a lancé une nouvelle guerre contre les Palestiniens immédiatement après la signature de l'Accord d'Armistice avec la Syrie le 20 juillet 1949. Il a réuni une vingtaine d'experts israéliens sur l'Ancien Testament et la Torah, de géographes, de topographes, etc., il leur a demandé d'effacer tous les noms palestiniens et de les remplacer par des noms en hébreu, avec de préférence quelques touches historiques. Ainsi fut fait, et cela leur a pris dix ans. Les cartes israéliennes des années 1950 n'étaient rien d'autres que les cartes topographiques britanniques de Palestine réécrites en hébreu. A partir de 1960, le service topographique d'Israël a commencé à éditer des cartes dépourvues de tous ces noms palestiniens d'origine remplacés par des noms en hébreu. Le but était d'implanter dans les esprits des Israéliens, en particulier la jeune génération, que c'est "Israël" et que ce sont les noms hébreux d'origine. Lorsque vous interrogez de jeunes Israéliens aujourd'hui sur ces noms, ils croient que ça a toujours été comme ça. Ils ne savent pas que dessous, il y a un village palestinien.

L'objectif principal de la création de PLS est de restaurer le patrimoine palestinien qui a été effacé par les Israéliens. C'est un petit secret, un défi indirect à Ben Gourion qui a dit jadis : "Les vieux mourront et les jeunes oublieront." Eh bien, les vieux mourront bien sûr, mais pas avant d'avoir parlé à leurs enfants de leur terre. Avant, quand le vieil homme parlait à son fils de la terre, c'était en la décrivant, c'était poétique. Maintenant, nous [au PLS] leur donnons une carte physique.

YS : Vous avez commencé à documenter l'histoire de la Palestine lorsque vous aviez 30 ans. Ce type de résistance est-il efficace ?

SAS : En fait, j'étais plus jeune, j'ai commencé lorsque je suis allé en Angleterre pour mon doctorat et qu'il y avait tant de références disponibles sur la Palestine. Après Oslo, j'y ai consacré plus de temps et moins de temps à mes affaires. A l'époque, j'avais déjà accumulé beaucoup de documents, de cartes, de photographies, de livres anciens, de nouveaux livres. Actuellement, nous avons probablement environ 10.000 articles.

D'une manière générale, la connaissance sur le Droit au Retour, ce qu'il signifie, si c'est une alternative à une indemnisation ou si une indemnisation est complémentaire au Droit au Retour, et la question du lieu de retour sont bien implantés, pour deux raisons :

D'abord, la jeune génération, dans son ensemble, est plus instruite que ses parents, alors ils cherchent et enquêtent. Ils ont cette curiosité pour leur patrie qui vient d'une bonne éducation.

Ensuite, cette curiosité et cette connaissance peuvent être largement transmises par le biais d'internet. Toutes ces pensées et ces idées s'accumulent. Quand quelque chose se produit, comme la guerre et la destruction de Gaza ou la destruction du camp de Jenin, maintenant les gens peuvent répondre et dire, "Ah ! Nous savons pourquoi c'est arrivé, au jour le jour." Ils peuvent creuser dans l'histoire.

Par exemple, il y a ce site appelé Palestine Remembered, que nous n'avons pas créé mais auquel nous avons collaboré très étroitement. Des centaines de milliers de jeunes gens cherchent leurs villages et trouvent même des proches venant de leurs villages.

De plus, j'ai fait une carte de Palestine, un poster montrant tous les villages dépeuplés, qui a été réimprimée - jusqu'à un million et demi de copies dans différents pays.

Photo
Rues de la vieille ville de Jérusalem (photo Plands.org)


Nous avons également édité le Daleel Haq al-Awda (Le Guide du Droit au Retour) ; le mois dernier, 5000 exemplaires ont été imprimées dans les camps de réfugiés de Jordanie. Avant cela, il a été imprimé et diffusé à Gaza, en Syrie et au Liban. Les jeunes sont avides de connaissances, et nous leur fournissons ces informations.

Ce qui m'a surpris, c'est que tant d'année après la réalisation de l'Atlas de Palestine, qui recense 50.000 noms de localités, nous n'avons plus vraiment besoin d'argumenter sur Balfour ni de montrer les titres de propriété de notre terre pour prouver que nous existons. Il suffit de montrer les cartes historiques de Palestine.

Les 50.000 noms sont l'alphabet de l'histoire sociale des Palestiniens. Chaque nom a été façonné par les gens eux-mêmes dans leurs vies quotidiennes, ce qui montre qu'il y a eu une société dynamique sur des milliers et des milliers d'années. Tous ces noms n'ont pas été créés de toutes pièces par un comité comme celui de Ben Gourion.

Nous travaillons maintenant sur une carte de Palestine qui remonte à 1596, à partir du registre des impôts créé pour la Palestine quelques années après le règne ottoman sur la région. Nous avons essayé de voir si ces noms du 16ème siècle avaient un lien avec les noms que nous avons aujourd'hui ou que nous avions jusqu'à la Nakba [l'expulsion des Palestiniens en 1948]. Jusqu'à présent, 90 pour cent des noms sont les mêmes. Ceux qui sont différents ont été modifiés de manière infime.

Même en remontant dans l'histoire, nous avons trouvé un livre de l'archevêque de Césarée, Eusèbe, qu'il a écrit, en 313 après JC, sur les localités de Palestine. Ce livre a été écrit en grec ancien et en latin, mais heureusement, il a été traduit en anglais il y a environ cinq ans. J'ai analysé ce livre et j'ai relevé les noms de ces localités tels qu'ils existaient en l'an 313 et je les ai comparés avec notre atlas. A nouveau, tous ces noms sont les mêmes, avec de légères variations d'orthographe. Il est remarquable que ces villages aient existé depuis au moins 2000 ans.

La partie tragique de l'histoire est que nous avons identifié 139 noms de ces vieux villages qui ont été détruits par Israël en 1948. Personne n'a levé le petit doigt quand 139 villages, qui existaient déjà à l'époque de Jésus-Christ, ont été systématiquement détruits.

Dans les années 1950 et au début des années 1960, les Israéliens ont réalisé que détruire aveuglément les villages palestiniens n'était pas une bonne chose. Ils ont donc créé la Société archéologique d'Israël dans le but précis d'aller dans ces villages avant leur destruction pour récupérer tout élément utilisable pour bâtir et créer une histoire juive en Palestine et pour détruire tout le reste. Non seulement les vestiges ottomans et arabes, mais aussi byzantins et romains.

Cette destruction était délibérée et planifiée pour éliminer toute autre histoire qu'une histoire juive et pour créer une fausse histoire. Nous n'avons entendu aucune protestation sur cette perte d'un patrimoine humain de la part de l'UNESCO ou des Occidentaux, qui agitent régulièrement l'étendard de la civilisation.

La guerre s'étend sur plusieurs fronts, pas seulement militaire, mais c'est aussi une bataille sur les esprits des gens. Les Israéliens veulent implanter dans les esprits des Juifs d'abord, et des autres ensuite, qu'ils ont une histoire et une géographie légitimes en Palestine. Nous essayons de dire que ce n'est pas le cas. Nous sommes sur la défensive. Nous n'essayons d'effacer aucune autre histoire - nous essayons de dire que nous ne vous laisserons pas [Israël] effacer la nôtre.

YS : Tout votre travail à temps plein sur ce sujet depuis les années 1990 a-t-il été couronné de succès et quels changements avez-vous vus ?

SAS : Dire que nous avons complètement réussi serait une exagération parce que nous ne luttons pas seulement contre l'influence israélienne en Occident, mais aussi contre les revendications des Croisades sur la Palestine. En Occident, la vision de la Palestine est figée au temps des Croisades : "Ce sont des Sarrasins, ils ont pris notre Jérusalem. Ce sont des sauvages et nous sommes civilisés."

Les Israéliens ont construit leur stratégie sur l'image des Croisés vis-à-vis de la Palestine. De là ils ont élaboré l'idée oxymorique d'un patrimoine judéo-chrétien. C'est drôle ; c'est comme une alliance capitalo-communiste.

Je pense vraiment qu'il y a eu des progrès et j'ai pu le constater à diverses occasions. Par exemple, notre atlas est disponible dans les universités d'Europe occidentale et aux États-Unis. Presque chaque semaine, je reçois des questions d'un doctorant ou d'un organisme de recherche. Nous avons également une accréditation des Nations Unies et ils diffusent nos cartes comme documents fiables.

Nous avons fait quelques percées auprès de cercles d'élites intellectuelles. Bien sûr il y a parmi eux des groupes comme des universités ou des centres de recherche qui sont anti-palestiniens, et eux aussi désirent se procurer nos publications. Jusqu'à présent, aucun d'entre eux, dont Benny Moris, n'a contesté les faits que nous avons publiés. Ils interrogent seulement nos motivations, et ça me va.

Ce qui m'inquiète maintenant, c'est qu'après Oslo, la jeune génération, les enfants qui ont jeté des pierres pendant la Première Intifada, sont privés de la connaissance directe de la Palestine. Pourquoi ? Leurs parents ne sont plus des fedayeen, l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP) est en déroute, et les pressions américaines et israéliennes sur les programmes scolaires rendent ardu l'apprentissage sur la Palestine à l'école - ceci est plus marquant en Jordanie et en Cisjordanie sous Mahmoud Abbas.

Je pense qu'à la "Palestine Land Society", nous devons maintenant diriger nos efforts vers l'enseignement. A cet égard, je suis très heureux d'une avancée importante. Après plusieurs discussions, l'UNRWA a accepté de recevoir un don de 700 exemplaires de notre atlas pour chacune des 700 écoles qu'ils administrent. J'espère seulement que les enseignants des écoles de l'UNRWA feront grand usage de l'atlas.

YS : Comment est née l'idée de l'Atlas de Palestine ?

SAS : Elle est le point culminant du travail qui visait à mettre en échec le plan de Ben Gourion et nous avons regroupé la somme des informations en un seul livre. Je pense que l'atlas est probablement une des quelques références qui regroupent toutes ces informations en un seul volume. Nous n'avons rien inventé ; nous avons compilé les informations venant de tant de pays, de tant de sources, de tant de périodes et nous les avons réunies.

Dans la première partie de l'atlas, nous avons analysé les informations et ce qu'elles signifiaient. A cet égard, le recueil de Mustapha Dabbagh, Biladuna Filisteen (Palestine, notre pays) fut une référence extrêmement précieuse. Walid Khalidi, l'historien palestinien bien connu, a produit un volume appelé All That Remains (Tout ce qui reste), qui fut une autre bonne source.

YS : D'autres groupes palestiniens ou organisations politiques comme le Hamas, le Fatah ou l'OLP se sont-ils impliqués ?

SAS : J'aurais aimé que la réponse soit oui. Je regrette de dire que la réponse est non.

YS : Même actuellement ?

SAS : Le Hamas est intéressé par le produit, mais personne n'a joué un rôle dans sa création. Le Fatah a été peu intéressé. Je regrette que personne ne nous ait aidés - pas d'un point de vue politique, ce que nous ne voulions pas, mais d'un point de vue financier. Nous n'avons reçu aucune aide financière, à part des petites sommes de quelques individus intéressées. Mais beaucoup de jeunes ont proposé de travailler bénévolement.

Le plus triste, c'est que des gens qui revendiquent des sièges à l'OLP aujourd'hui n'aient même pas chercher à acheter des exemplaires de l'atlas une fois qu'il a été terminé. Ils l'ont regardé, certains le connaissaient, et d'autres ont demandé à le recevoir en cadeau, mais personne n'a fait d'efforts pour l'acheter et le distribuer dans les écoles.

YS : Quelles sont les implications juridiques de cet atlas ?

SAS : Elles sont, et pourraient être, encore plus grandes. J'ai quelques exemples.

D'abord, un jeune homme de l'équipe de négociation de l'OLP s'est vu confier la tâche de trouver où était la Ligne d'Armistice, le long de la Cisjordanie , dans la région de Latrun. Il m'a écrit, disant qu'il n'avait pas trouvé de meilleure source que l'atlas et nous lui avons donné toutes les informations que nous avions. Il ne l'a pas fait en tant que représentant d'un organisme officiel, mais en tant que personne privée qui fait une recherche, alors nous l'avons aidé.

L'autre exemple implique l'ALECSO (l'Organisation arabe pour l'Education, la Culture et les Sciences), qui avait un problème avec Israël au sujet de Tel al-Qadi, qui voulait le faire inscrire comme patrimoine israélien à l'UNESCO. Nous avons produit un rapport sur la géographie du lieu et son histoire. Je ne sais pas si ce rapport fut la seule source, mais apparemment il a provoqué l'hésitation de l'UNESCO qui a refusé la requête d'Israël. Ce fut une victoire - peut-être une victoire indirecte.

Un autre exemple : les Nations Unies voulaient évaluer les pertes et les dommages provoqués par le mur d'apartheid sur les villages de Palestine. J'ai pris contact avec une petite unité à Ramallah, au sein de l'AP, et j'ai découvert qu'elle n'avait aucune information sur ce thème. Je lui ai donc procuré les détails sur ces villages, la superficie des terres, et comment ils étaient affectés par le mur. Ils ont été très satisfaits. Ils n'avaient pu trouver aucun autre moyen pour avoir les informations, pas plus qu'ils n'ont voulu se rapprocher de nous officiellement au plus haut niveau pour signer une convention.

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Portes d'entrée dans la vieille ville de Jérusalem (photo Plands.org)


YS : Pourquoi ?

SAS : Je vous laisse être témoin d'un cas qui vient juste de se produire hier [23 juillet]. J'ai découvert que les Nations Unies ont un organisme appelé United Nations Group of Experts on Geographical Names (UNGEGN), [en français Groupe d'experts des Nations Unies sur les noms géographiques",GENUNG, ndt]. C'est un consortium mondial d'experts sur les noms des localités dans le monde entier. Ils tiendront une conférence à New-York du 31 juillet au 11 août sur la normalisation toponymique et les États membres y sont représentés.

J'ai écrit au vice-président de ce groupe au sujet de la Palestine, lui disant que nous avions recensé 50.000 noms. Il a été stupéfait, m'a dit que le délégué palestinien aurait dû présenter ce dossier, et nous a demandé pourquoi nous ne nous étions pas mis en contact avec le représentant responsable. Nous avons contacté le ministère du Plan, qui a répondu que travailler avec nous les intéressait, et nous lui avons demandé que le ministre nous contacte pour établir une convention officielle avec la PLS pour savoir qui ferait quoi.

La personne que j'ai contactée semblait sympathique, mais elle essaie de faire de son mieux dans un désert et personne ne l'aide. Je lui ai dit que j'avais besoin d'un accord officiel avec le ministère pour définir notre rôle. Mais parce qu'ils sont sous la botte de l'occupation israélienne, seule la Cisjordanie les intéresse et l'ensemble de notre travail traite des parties perdues de Palestine. Alors ils n'ont pas donné suite.

Je voulais qu'elle prenne deux exemplaires de l'Atlas, un en arabe et un en anglais, pour les exposer à New-York et que les experts les voient.

On va voir maintenant où nous en sommes.

Abu Sitta décroche son téléphone et appelle le ministère.

Nos problèmes viennent principalement de nous-mêmes. Même la victime a une responsabilité si elle se laisse faire. Je n'accuse pas les voleurs. J'accuse le propriétaire de la maison de ne pas avoir fermer la porte.

Une secrétaire répond, dit que la représentante est chez elle et donne à Abu Sitta son numéro de téléphone portable. Il le compose, la fonctionnaire répond et dit qu'elle a besoin de consulter ses supérieurs.

J'ai ce problème tout le temps. J'ai besoin d'avoir accès aux forums internationaux, officiellement. Je ne peux pas. Je crois que nous représenterions la Palestine d'une manière adéquate dans ces forums internationaux. Tant que nous n'aurons pas élu un nouveau Conseil national palestinien (CNP), avec de nouveaux dirigeants, cela n'arrivera pas.

YS : Pensez-vous qu'il devrait y avoir une réforme ou une rénovation du CNP ?

SAS : Absolument. Notre travail a conduit à deux conclusions. D'abord, il faut éduquer et informer notre peuple sur ses droits, ce qui a été fait dans certains domaines mais n'est pas achevé. Ensuite, nous devons donner du pouvoir au peuple pour qu'il défende ses droits. Ce qui manque en ce moment, c'est un renforcement du pouvoir de la population.

Le mouvement pour le Droit au Retour, à la création duquel nous avons travaillé très dur, avec d'autres, est maintenant généralement bien compris et vivace dans l'esprit des gens, mais il lui faut une représentation légale. Cela ne peut se produire que si un nouveau CNP est démocratiquement élu et représente onze millions de personnes, du sein duquel émergera une nouvelle direction, et cette direction devra participer à tous les forums internationaux.

A l'heure actuelle, la situation de l'OLP est lamentable parce que, après Oslo, on l'a diluée pour la remplacer par l'Autorité Palestinienne. Grâce à l'occupation israélienne, l'AP est devenue un sous-traitant. Le monde palestinien tout entier est agité parce que ces gens, à Ramallah, ne nous représentent pas et ils ne représentent même pas les Cisjordanie ns parce que leur mandat a expiré.

La population de la Cisjordanie ne représente que 18 pour cent des Palestiniens. Qu'en est-il des 82 autres pour cent qui ne sont pas représentés ? Sept millions de réfugiés, ils sont plus importants en nombre que la population de la Jordanie, ou que celle du Liban, et ils n'ont aucune représentation officielle. Il est donc impératif que le CNP soit élu même s'il a des problèmes de représentation adéquate dans certains secteurs. Mais ce sera quand même mieux que ce que nous avons aujourd'hui.

YS : Travaillez-vous dans ce but ?

SAS : Oui, beaucoup. Avec un autre organisme appelé le Right of Return Congress, nous avons organisé une conférence à Londres en 2003 et à Beyrouth en 2007. Nous avons maintenant des piles et des piles de correspondances et de communications avec tous ceux qui sont concernés. Mais en ce moment, nous sommes pris en otage par la réconciliation nationale entre le Hamas et le Fatah.

Premièrement, je pense que la réconciliation nationale est une farce, parce que le Hamas et le Fatah ne représentent pas plus de deux ou trois pour cent des Palestiniens. Deuxièmement, une réconciliation nationale entre eux ne fera que diviser le gâteau entre eux et non avec les autres. Troisièmement, si nous avons un CLP, la réconciliation nationale sera hors de propos parce qu'elle deviendra une question à résoudre dans une des commissions locales au sein du CNP et non aux portes des services secrets arabes.

Nous [PLS] tentons de combler les vides. Il y a une absence totale de représentation palestinienne officielle pour défendre nos affaires dans tous les domaines, même géographiques et autres. Pourquoi l'ALESCO s'est-elle tournée vers nous pour l'aider au sujet de Tel al-Qadi ? Parce qu'il n'y a personne d'autre.

YS : A l'heure actuelle, vous avez une expansion du projet colonial israélien, une accélération de la répression, l'OLP est en ruines, le Hamas et le Fatah s'écharpent, les pays arabes voisins sont secoués par des soulèvements et des changements majeurs de dynamique du pouvoir. Compte tenu de tous ces facteurs, le Droit au Retour est-il viable et quel est son avenir ?

SAS : Tous les éléments que vous mentionnez sont des préparatifs de ce qui est à venir. Tous indiquent que le Droit au Retour est très loin d'être mis en œuvre. Paradoxalement, cette situation, que vous décrivez très clairement, rapproche le Droit au Retour.

Avec la faiblesse des gouvernements arabes et en l'absence d'une véritable représentation des Palestiniens à l'OLP, le régime israélien est déchaîné. Tous ses masques sont tombés. Il est maintenant ouvertement raciste, ses rabbins décrètent qu'il faut tuer les enfants palestiniens, il expulse les gens de Jérusalem.

Tout ceci veut dire que la vraie nature d'Israël, ce que nous, Palestiniens, disons au monde depuis 1948, est maintenant plus manifeste grâce aux actions et aux déclarations du gouvernement israélien - au point que même des Juifs américains disent maintenant que c'est trop.

De plus, Israël est en train d'avaler la Cisjordanie . Il en fait une multitude de Gazas ou de camps de concentration. Le nombre de Palestiniens aujourd'hui en Palestine, de toutes les zones de 1948 à la Cisjordanie , est égal au nombre de Juifs, si vous excluez 400.000 non-Juifs vivant en Israël. Je ne veux pas jouer au jeu des chiffres parce que même si les Palestiniens étaient 10 pour cent, il n'y aurait aucune raison de les éradiquer. Mais l'importance du nombre rend l'affaire plus claire.

J'ai le sentiment que pour nous, c'est beaucoup plus facile de présenter Israël pour ce qu'il est, parce que ceux qui en font la preuve sont les Israéliens eux-mêmes. Du coup, lorsque vous dites que vous voulez la liberté, les gens écoutent. La plus grande partie du monde connaît notre situation. L’Occident, où le lobby israélien tire sa force, changera avec le temps.

Déplacer le sens de l'injustice du retrait du mur d'apartheid ou du retrait de l'occupation à une situation nouvelle de "Je veux vivre dans ma maison" devient possible et compréhensible.

La plupart des gens dans le monde sont contre l'occupation de la Cisjordanie , mais il y en a très peu qui peuvent relier cette position au même principe de justice qui consiste à vouloir revenir chez soi.

Cela m'est plutôt égal que ce soit un ou cent États, mais ce qui m'importe vraiment, c'est le droit humain fondamental selon lequel chacun devrait être à même de vivre dans sa maison. Je ne veux pas tomber dans le piège d'un État ou rien. J'ai l'habitude de demander aux gens qui veulent un État : voulez-vous que chacun vive dans sa maison librement ou non ? C'est pour cela que nous devons lutter. Nous sommes plus proches de l'application du Droit au Retour par des chemins auxquels les Israéliens n'avaient pas pensé.



La première partie de l'Atlas de Palestine 1917-1966 (172 pages) - Edition 2010 - en anglais, est disponible en ligne ici


Photo
Le professeur Salman Abu Sitta


Source : Al Akhbar

Traduction : MR pour ISM

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