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Occident - 20 février 2011
Par Abdellah Haïfi
Abdellah Haïfi est enseignant en histoire
La mise en scène des idéaux démocratiques par l’occident dans le monde arabe se dévoile d’une manière limpide face au réveil des consciences collectives arabes agacées d’un concept démocratique instrumentalisé dans une hypocrisie nauséabonde. La politique du monde occidental vis-à-vis du principe démocratique se résume à l’indifférence face aux violations de ce principe si cher dès lors que ses intérêts économiques et stratégiques sont assurés. Les dictatures et les régimes tortionnaires du monde arabe ne sont dénoncés, et du bout des lèvres, par l’occident au nom des principes démocratiques que lorsque ces dits régimes sont acculés au pied du mur par leur peuple ou que ceux-ci n’assurent plus convenablement les intérêts des puissances occidentales. L’instrumentalisation des principes démocratiques est, dès lors, devenue une stratégie de la diplomatie occidentale.
La démocratie face aux intérêts occidentaux
S'il y a une question qui taraude les esprits, c’est celle qui consiste à se demander si l’occident a encore foi aux principes démocratiques qu’il dit défendre ? La grogne des rues arabes est en train de mettre à nu le paradoxe de la politique occidentale qui jure par une volonté unique, celle d’édifier et de répandre le modèle occidental de démocratie partout dans le monde. Une situation délicate et confuse car ce concept semble être pris au sérieux par les rues du monde arabe qui croulent depuis des décennies sous les tortures des dictateurs arabes protégés et accompagnés dans leur projet totalitaire.
L’expérience du processus démocratique algérien (1) des années quatre vingt dix, qui a porté des partis - fussent-ils islamistes (2) - révèle qu’il y a un décalage entre les régimes qu’on impose aux peuples arabes et la profonde aspiration de ces derniers. En 1988, François Mitterrand prévenait qu’il y avait une hypothèse à laquelle il était alors interdit de penser : l’établissement de la démocratie en Algérie. La France a soutenu durant toutes les années qui ont suivi le régime totalitaire algérien. Les intérêts politiques et par là économiques de la Françalgérie, l’une des priorités de la politique étrangère française et d’autres pays occidentaux, étaient alors en jeu (3). Cet exemple contemporain de l’Algérie, dans ses années de la « sale guerre », est représentatif, à bien des égards, de cette hypocrisie : intoxication des médias, censure, torture, opérations contre-insurrectionnelles, peur et mépris du peuple, soutien de certains intellectuels occidentaux aux criminels dans le seul but d’empêcher une réelle expression de la volonté populaire, volonté qui amènera des islamistes au pouvoir, a t-on dit.
Les intentions d’exporter cette démocratie dans les pays arabes ont toujours été doublées d’une méfiance, parfois d’une haine intrinsèque envers les peuples de ces pays. Ou bien faut-il voir, comme nous le rappelle Ibn Khaldoun, dans cette démocratie un principe, un système que l’ex-colonisé, l’arabe, l’africain ou l’asiatique adopte comme un des « usages du vainqueur et s’assimile à lui : c’est de l’assimilation pure et simple (…) au point qu’une nation, dominée par sa voisine, fera grand déploiement d’assimilation et d’imitation » (4). Cependant cette identité libérée du vainqueur doit s’inventer, une identité émancipée idéologiquement et culturellement. Inconditionnée, elle peut inventer et innover mais elle n’a pas sa place aujourd’hui dans les rapports de puissances où les démocraties libérales ne proposent qu’un seul choix : la démocratie fantoche au service de ses intérêts, autrement dit la dictature déguisée dans la gestion démocratique ravalée à une simple procédure.
Cela pose la question de la conviction de ces mêmes responsables occidentaux vis-à-vis du système démocratique qui les a hissés au pouvoir. Démocratie spectacle et flatteuse rythmée par les sondages, face à face télévisé et abstentions devenus banales. Nos démocraties où « les électeurs votent moins tandis que la plupart des hommes politiques perdent le respect de leurs concitoyens […] » (5). Ce renoncement des démocraties actuelles à la vérité de l’intérêt général semble symptomatique du scepticisme de nos concitoyens face à la chose politique.
La démocratie semble alors réduite dans son application à son aspect le plus stérile, et dirigée par les intérêts politiques et économiques de diverses nomenklaturas. On accueille, par exemple, outre-Atlantique avec enthousiaste la prise du pouvoir en Égypte par les militaires, évidemment pour espérer donner encore en façade celui qui assurera la sécurité d’Israël, « priorité de la politique étrangère américaine, priorité qui rentre en conflit, parfois, avec d’autres éléments de la politique américaine Moyen-orientale » (6). N’en déplaise donc au peuple égyptien et à ses volontés politiques. Des centaines de milliers de morts en Irak pour apporter la paix démocratique, des attentats encore qui entretiennent volontairement l’insécurité, et l'Égypte, aujourd’hui, qui appelle à sa démocratie.
L’instrumentalisation de la démocratie : une stratégie de la diplomatie occidentale
Cette démocratie qui, en réalité se travestit de cette vieille volonté civilisatrice, leitmotiv des colonisations européennes. Car certains avancent, encore, l’immaturité et le retard des civilisations des peuples arabes à qui la démocratie complète ne peut encore être octroyée. Explicitement, certains assument ces propos, d’autres plus nuancés, mais pas moins convaincus, souhaitent des années de transition afin de, peut-être, redéfinir une stratégie qui ne peut plus tenir. Pour les civiliser, il faut transformer leurs valeurs. Il semble bien que c’est de cela qu’il s’agit. Cela rappelle les prétendues motivations idéologiques de la colonisation, qui aujourd’hui l’on sait, drapait des intérêts économiques. L’exploitation économique des colonies était, on le sait aujourd’hui, exclusivement tournée vers les métropoles au travers d’entrepreneurs capitalistes. Les prétentions civilisatrices cachaient les intérêts bassement, économiques. Ce sont ces mêmes prétentions qui souhaitent démocratiser l’Afghanistan ou l’Irak, chacun avec ces ressources respectives. L'Irak qui peut devenir, selon certains spécialistes, le premier producteur de pétrole et dont les conglomérats pétroliers américains, aujourd’hui dans une confusion totale, emportent les principaux contrats.
Certainement, il y a donc une concomitance entre ce souhait civilisateur et ces intérêts économiques. Mais, puisque comme au temps de la colonisation l’indigène a été « incivilisable », la peur instrumentalisée, est dans cette impossibilité de cette mutation « positiviste » des peuples arabes vers le modèle de civilisation souhaitée. Impossibilité oblige, il faut préserver ces façades qui, en même temps, préservent ces intérêts, plutôt que de laisser la démocratie à ceux à qui elle ne peut-être destinée et qui, dans un même temps, ne préserveraient plus ces intérêts. Dès lors qu’est-ce que le corolaire de cette démocratie d’intérêts que l’on souhaite imposer ? Le renoncement à toutes vérités métaphysiques ? Qu’est ce que la maturité d’un peuple ? Un peuple assimilé, qui doit être rééduqué à quelle civilisation ?
Du « pouvoir du sabre » évoqué par O.Le Cour Grandmaison pour s’acquitter du devoir civilisateur, aux massacres perpétrés, aujourd’hui, au nom du devoir démocratique, les différences sont très minces et répondent à ces mêmes prétentions civilisatrices et ces mêmes intérêts économiques et politiques, tous intimement liés. On le voit donc très bien, ce sont les peuples qui sont montrés du doigt. Voilà, donc, que l’on apportera ce miracle par le canon et les morts ou on ne l’apportera pas, pourvu seulement que cette définition de la démocratie reste le paravent d’intérêts stratégiques. La démocratie a perpétré un million de morts en Irak, depuis le début de son intronisation jusqu'en 2007, selon l'institut de sondage britannique ORB et sept personnes meurent chaque jour en Afghanistan victime du « processus » démocratique. On voit, dès lors, ce qu'a apporté comme ressentiments, crimes et déshumanisation le processus civilisateur, on le voit aujourd'hui au travers de cette nouvelle stratégie, ce qu'apporte l'instrumentalisation du concept démocratique comme crimes, ressentiments et haines qu'il sera très complexe de rayer d’un seul coup de trait à l'avenir. Sauf à stopper ces fourberies qui entraîneront des conséquences catastrophiques à long terme quant à la reconstruction de la paix, la coexistence pacifique et la compréhension mutuelle des peuples dans leurs différences.
En tout cas, c’est l’avenir du monde qui est en jeu car les aspirations des peuples à choisir leur destin est profond. Ni certaines élites savantes qui assoient la légitimité de ces régimes illégitimes, ni les calculs machiavéliques qui se trament dans les tours d’ivoire ne sauront à moyen ou long terme résister à la loi de l’alternance historique qui concrétise, incessamment, ce qui paraît improbable ou impossible. Il faut simplement savoir, dès lors, si l’on s’inscrit dans ce mouvement, inéluctable, de l’Histoire qui s’écrit aujourd’hui dans le monde arabe ?
Notes de lecture
(1) Par exemple concernant les élections législatives de 1992, Saïd Sadi, chef du R.C.D algérien, n’ayant obtenu que 2,9% des suffrages (contre 47,3 % pour le parti « islamiste »), a demandé brusquement l’arrêt d’un processus démocratique « faussé à la base » selon lui par le peuple lui-même. Il fallait donc utiliser la violence pour arrêter un tel processus au goût amer car n’allant pas dans le sens des attentes totalitaires.
(2) Le terme islamiste n’a jamais été clairement défini. L’amalgame autour de ce concept relève de la dictature intellectuelle qui impose des concepts flous - non définis - dans le but de dominer les débats d’idées autour des valeurs universelles qui ne peuvent provenir aux « yeux de cette dictature d’idée » que du seul référent occidental.
(3) L. AGGOUN, J-P RIVOIRE, Francalgérie, crimes et mensonges d’Etat, La Découverte, 2004, p. 244.
(4) IBN KHALDOUN, Discours sur l’Histoire universelle, al-Muqadimma, Sinbad, 1997, pp. 227-228.
(5) J-M GUEHENNO, La fin de la démocratie, Flammarion, Paris, p.54.
(6) M.VAISSE et P.HASNER, Washington et le Monde, CERI, Sc Po, p.144
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Abdellah Haïfi
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