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USA - 7 octobre 2009
Par Robert Fisk
Donnant une illustration saisissante du nouvel ordre mondial, les pays arabes ont lancé des initiatives secrètes conjointement à la Chine, à la Russie et à la France, qui visent à cesser d’utiliser la monnaie américaine pour le commerce du pétrole. En septembre, l’Iran a annoncé que ses réserves de devises étrangères seraient, dorénavant, libellées en euros, et non pas en dollars.
Dans ce qui est le plus profond changement financier de l’histoire contemporaine du Moyen-Orient, les pays arabes du Golfe sont en train de préparer – avec la Chine, la Russie, le Japon et la France – la cessation du recours au dollar pour les transactions pétrolières, au profit d’un panier de devises comportant le yen japonais, le yuan chinois, l’euro, l’or et une nouvelle devise unifiée préparée par les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe, qui regroupe notamment l’Arabie saoudite, Abu Dhabi, le Koweït et le Qatar.
Des réunions secrètes ont d’ores et déjà été tenues entre ministres des finances et gouverneurs des banques centrales, en Russie, en Chine, au Japon et au Brésil, afin de travailler à ce projet, qui aura pour effet que le pétrole ne sera désormais plus échangé contre des dollars.
Ces projets, que des sources des milieux bancaires tant du Golfe arabe que chinois de Hong Kong nous ont confirmés, peuvent expliquer pour partie une hausse soudaine des prix de l’or. Mais ils augurent aussi d’une extraordinaire transformation des marchés libellés en dollars, qui sont appelés à disparaître peu à peu au cours des neuf années à venir.
Les Américains, au courant de ces réunions – bien qu’ils n’en aient pas mis au jour les détails – vont certainement lutter contre cette cabale internationale qui inclura dorénavant y compris certains de leurs fidèles alliés, comme le Japon et les pays arabes du Golfe.
Dans le contexte de ces négociations monétaires, Sun Bigan, ex-envoyé spécial chinois au Moyen-Orient, a mis en garde contre le risque qu’elles n’approfondissent les divisions entre la Chine et les Etats-Unis, qui sont en concurrence pour l’influence et le pétrole, au Moyen-Orient. « Des querelles et des clashes bilatéraux sont inévitables », a-t-il dit à notre confrère Asia and Africa Review. « Nous ne pouvons en aucun cas baisser la garde à l’encontre de l’hostilité, au Moyen-Orient, autour des enjeux de l’énergie et de la sécurité ».
Cela sonne comme une inquiétante prédiction d’une future guerre économique entre les Etats-Unis et la Chine, pour la conquête du pétrole moyen-oriental – transformant, de surcroît, les conflits endémiques de cette région en une bataille pour la suprématie de la première puissance mondiale. La Chine consomme plus de pétrole que les Etats-Unis, et elle en consomme de plus en plus, sa croissance économique étant moins efficace énergétiquement. La monnaie de transition, dans le mouvement prévu d’abandon du dollar, pourrait fort bien être l’or, laissent entendre certaines sources des milieux bancaires chinois. La richesse d’Abu Dhabi, de l’Arabie saoudite, du Koweït et du Qatar, qui, ensemble, détiennent des réserves estimées à 2,1 milliers de milliards de dollars, donne une idée des sommes gigantesques en cause.
Le déclin de la puissance économique américaine, liée à la récession économique mondiale actuelle, a été implicitement reconnu par le président de la Banque Mondiale, Robert Zoellick : « Un des legs de cette crise sera sans doute la prise de conscience d’un bouleversement total dans les relations entre puissances économiques », a-t-il déclaré, à Istanbul, en prélude à la réunion du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale qui doit s’y tenir, cette semaine. Mais c’est l’extraordinaire puissance financière, totalement inédite, de la Chine – conjointement à l’irritation des pays producteurs et consommateurs de pétrole contre la capacité américaine d’interférer dans le système financier international – qui a motivé les négociations récentes impliquant les pays du Golfe.
Le Brésil a manifesté son intérêt pour une collaboration à des paiements pétroliers en non-dollars, ainsi que l’Inde.
De fait, la Chine apparaît comme la plus enthousiaste de toutes les puissances économiques concernées, et ses énormes échanges commerciaux avec le Moyen-Orient n’y sont pas pour rien… En effet, elle importe 60 % de son pétrole, essentiellement du Moyen-Orient et de Russie. Les Chinois détiennent des concessions pétrolières en Irak – qui étaient restées bloquées par les Etats-Unis jusqu’à cette année – et, depuis 2008, ils mettent en œuvre un accord signé avec l’Iran, pour un montant de 8 milliards de dollars, visant à développer les capacités de raffinage et les ressources gazières de ce pays. Elle a des accords pétroliers avec le Soudan (où elle s’est substituée aux intérêts américains [jolly good ! ndt]) et elle continue à négocier des concessions pétrolières avec la Libye, un pays dans lequel tous les contrats de cette nature ne peuvent qu’être des joint ventures.
De plus, les exportations chinoise vers le Moyen-Orient représentent désormais non moins de 10 % des importations de chacun des pays de cette région, y compris un large éventail de produits allant des automobiles aux systèmes d’armement, en, passant par les produits alimentaires, l’habillement, et même… les poupées ! En une claire indication de la musculature croissante de la Chine, le président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, a plaidé, hier, auprès de Pékin, afin de lui demander de laisser s’apprécier le yuan par rapport à un dollar en dégringolade et, par extension, de relâcher la dépendance de la Chine par rapport à la politique monétaire américaine, afin de contribuer à rééquilibrer l’économie mondiale et d’atténuer les pressions à la hausse sur l’euro.
Depuis les accords de Bretton Woods – ces accords, conclus juste après la fin de la Seconde guerre mondiale, qui définirent l’architecture du système financier international actuel – les partenaires commerciaux de l’Amérique ont eu affaire à l’impact du contrôle de Washington, ainsi, ces dernières années, qu’à l’hégémonie du dollar, en tant que réserve de devises mondiales dominante.
Ainsi, les Chinois sont, par exemple, persuadés que si les Américains ont persuadé la Grande-Bretagne de rester à l’extérieur de l’euro, c’est uniquement afin d’empêcher un mouvement d’abandon du dollar, qui se serait déjà produit, sans cela. Mais nos sources dans les milieux bancaires chinois disent que leurs pourparlers sont d’ores et déjà allés trop loin pour pouvoir être bloqués, désormais. « Les Russes vont finalement mettre le rouble dans la cagnotte des devises (non-dollar) », nous a ainsi déclaré un éminent courtier de Hong Kong. « Les Brits sont coincés au beau milieu du gué, et ils vont devoir adopter l’euro : ils n’ont pas le choix, dès lors qu’ils ne pourront plus utiliser le dollar américain… »
Nos sources des milieux financiers chinois pensent que le Président Barack Obama est trop occupé à soigner l’économie américaine pour se concentrer sur les implications extraordinaires de la transition conduisant à l’abandon total du dollar d’ici neuf ans. La deadline actuelle, pour le parachèvement de la transition monétaire est, en effet, l’année 2018.
Les Etats-Unis ont brièvement évoqué cette tendance lors du sommet du G20 à Pittsburgh ; le gouverneur de la Banque centrale chinoise et d’autres responsables se plaignaient de manière audible du dollar, depuis des années. Leur problème, c’est qu’une part considérable de leur richesse nationale est constituée d’avoirs en dollars…
« Ces projets changeront le visage des transactions financières internationales », a indiqué un banquier chinois. « L’Amérique et la Grande-Bretagne peuvent se faire du mouron : vous saurez à quel point elles sont emmerdées au tonnerre de démentis que cette information ne manquera pas de susciter… »
En septembre, l’Iran avait annoncé que ses réserves de devises étrangères seraient dorénavant en euros, et non plus en dollars. Les banquiers se souviennent, bien évidemment, de ce qui est arrivé au dernier producteur de pétrole du Moyen-Orient à avoir vendu son pétrole en euros, et non en dollars : quelques mois seulement après qu’un certain Saddam Hussein eut annoncé cette décision avec tambour et trompette, les Américains et les British envahissaient l’Irak…
Source : The Independant
Traduction : Marcel Charbonnier
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