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Israël - 14 août 2005
Par Avraham Burg
Avraham Burg, ancien Président de la Knesset.
Pendant de nombreuses années, trois histoires, mi-vérité, mi-fiction, ont nourri Israël.
Sous la rubrique générale de "Sionisme",on avait : le dieu de la sécurité, la sainteté des colonies et la supériorité de la religion juive.
Trois concepts extraordinairement puissants et pleins de ressources, et qui sont devenus des fins justifiant même ce qui jusqu’Ã récemment était considéré inacceptable et abominable.
Le terme de “plan de retrait” est devenu tellement routine qu’il brouille notre compréhension de ce que cela implique.
Il faut donc dire la vérité : le gouvernement israélien n’a pas de plan véritable ; et il y a encore pire, il n’a aucun moyen de combler l’énorme abîme qui se creuse actuellement dans le psychisme israélien.
Ce n’est pas un plan authentique, c’est le caprice momentané du Premier ministre.
Ce "non-plan" a fonctionné comme un aimant pour l’opportunisme politique israélien le plus exacerbé : pour les aînés du Parti Travailliste, que l’urgence de l’horloge biologique pousse à faire quelque chose et qui ne vivent pas suivant le temps politique, plus lent ; pour des individus qui aspirent au pouvoir ; et pour quelques innocents qui n’y comprennent rien.
Le processus d’approbation du plan a mis en miettes le peu qui restait de la culture politique israélienne et nous a condamnés à de nombreuses années encore de démocratie infirme, handicapée, poursuivie dans l’ombre de l’anarchie de notre période.
Le Premier ministre a mis à la porte toute discussion politique et a tout simplement emmené tout le monde en balade.
De même qu’il n’y a pas de marché de capitaux sans Bourse, et pas de famille sans partenaires, il n’y a pas de démocratie ou de politique sans partis.
L’irrespect montré par le Premier ministre et ses partenaires pour des résolutions prises par son propre parti—ils les ont méprisés et ignorés royalement—ont détruit l’idée même de vie politique.
Mais ce plan n’est pas seulement un mauvais plan parce que la façon dont il a été autorisé avait un défaut ; il est mauvais, avant tout, à cause de son contenu. Il n’a ni partenaire ni vision. Il ne voit pas à un millimètre au-delà de son nez. Et tout ce qu’on y voit est porteur de désastres.
C’est une vaste arnaque : le sacrifice de colonies sans importance à Gaza et en bordure du Sinaï en échange de la perpétuation des torts et des perversions de l’âme israélienne au cœur d’Hébron, à Yitzhar, à Beit El et aux tombeaux des patriarches, devenus des autels où l’on attache les fils vivants.
Néanmoins, c’est le meilleur pire retrait que nous ayons. Après tout, non seulement le visage de la démocratie politique aura un air ridé, abîmé et blessé ; et en même temps, l’entreprise nationale d’illusions connue sous le nom de colonies commence inévitablement. aussi à s’effondrer aussi. Ne serait-ce que pour cette unique raison, cela vaut peut-être la peine de payer un tel prix.
L’existence de l’état d’Israël n’est toujours pas assurée : personne ne sait si nous survivrons en tant qu’Etat, ou si serons de nouveau exilés aux quatre coins de la terre.
La seule chose que je tienne comme sûre est que la rédemption ne viendra pas du messianisme, la bonne vie ne sera pas amenée par l’expansionnisme, et le bon-sens national devient d’autant plus élusif que les colonies reculées font secrètement à d’autres—mais en notre nom— ce que ceux qui nous haïssaient nous ont fait au fil des siècles.
Tu n’es pas mon frère.
Pendant de nombreuses années, trois histoires, mi-vérité, mi-fiction, ont nourri Israël. Sous la rubrique générale de "Sionisme",on avait : le dieu de la sécurité, la sainteté des colonies et la supériorité de la religion juive.
Trois concepts extraordinairement puissants et pleins de ressources, et qui sont devenus des fins justifiant même ce qui jusqu’Ã récemment était considéré inacceptable et abominable.
Bien qu’il émerge de temps en temps que les seules périodes de sécurité dont nous ayons joui depuis quelques années soient les intervalles brefs et fragiles pendant lesquels nous avons momentanément déposé les armes et parlé—parler nous est encore difficile. Dans nos esprits, le dialogue n’est plus une alternative véritable.
Au nom de la sécurité, nous avons le droit de tirer et de tuer.
Au nom de la sécurité, nous avons le droit d’exproprier et de voler des maisons.
Au nom de la sécurité, nous avons le droit de harceler et d’insulter.
Au nom de la sécurité, nous avons le droit de nous défaire de l’image de Dieu avec laquelle nous sommes nés.
Prenez tous les hurlements des colons sur la discrimination et leurs lamentations sur la répression, multipliez les par cent, et vous aurez une idée de ce que les Palestiniens vivent depuis des années sans que nous soyons au courant.
Cette sécurité pervertie est intrinsèquement liée à l’entreprise de colonisation. On disait autrefois que la frontière de sécurité se situerait à l’extrémité extérieure de la colonie la plus éloignée.
Bien que cette illusion ait été mise en pièces à maintes reprises à chaque guerre israélienne—de Tel Hai en 1920 à Kfar Darom en 1948, aux colonies des hauteurs du Golan en 1973—la sécurité et les colonies ont cependant toujours été liées au point d’être inséparables.
Une barrière de sécurité le long de la frontière, une barrière autour de nos colonies pour leur sécurité, une barrière pour assiéger leurs villes et villages, une barrière le long du Jourdain.
Le pays tout entier n’est qu’une grande barrière, et, Ã l’intérieur, un peuple effrayé est emprisonné. C’est cela, la sécurité ?
Et la religion juive—elle est tellement maltraitée. Que de condescendance et de racisme sous les mots : "Un Juif ne chasse pas un autre Juif".
La croyance dans la supériorité des gènes, la seigneurie de la nation des seigneurs au nom de Dieu.
Mais un Juif qui assassine un Premier ministre juif—il l’est ?
Parce qu’un Juif n’est qu’un être humain, avec ses faiblesses comme ses forces.
Rien n’est inné, rien n’est automatique, et même le choix Divin du peuple juif n’est pas garanti sans un engagement moral, et sans un travail constant d’amélioration et tendant vers une conduite plus humaine.
Tout cela a été laissé de cêté au profit de la non-sainte trinité de ces dernières années : un racisme judaïque, reposant sur des colonies violentes et protégées par une conception pervertie de la sécurité.
Lorsqu’ils me menacent et parlent d’une "guerre fratricide", je m’arrête tout net. Ces gens-là sont-ils mes frères ? Non !
Pour moi, la fraternité et l’existence d’une famille nationale ne viennent pas automatiquement. Je n’ai d’autres frères et sœurs génétiques que mes deux sœurs, les filles de mes parents.
J’ai des frères et sœurs avec qui je partage des valeurs et un certain esprit.
Si vous êtes une personne mauvaise, un oppresseur pleurnichant ou un occupant en armes, vous n’êtes pas mon frère, même si vous respectez le Shabbat et soutenez les préceptes religieux.
Et si un foulard couvre chacun de vos cheveux, que vous faites la charité et de bonnes actions, mais si tout ce qui est en dessous de ce foulard est voué Ã sanctifier la terre juive, et vient avant la sainteté de la vie humaine en tant que telle—vous n’êtes pas ma sœur. Vous êtes mon ennemie.
Le judaïsme automatique, sans introspection et sans engagement moral implique une doctrine raciste inacceptable.
Faisons la distinction : ce ne sera pas "une guerre fratricide". ici ; si un jour, une lutte plus violente éclate un jour, on l’appellera "une guerre civile".
Parce que ce n’est pas une guerre entre les différents courants du peuple juif, mais une lutte sans merci entre le bien et le mal. Toutes les personnes qui sont bonnes, les leurs et les nêtres, alliées contre toutes les personnes mauvaises—et on n’en manque pas—des deux camps.
La terre d’Israël contre l’Etat d’Israël
Après que ces récits sionistes classiques aient vécu, la question logique qui se pose est : quels seront les récits nationaux israéliens, et si, en fait, il en aura.
En observant le présent, nous pourrions peut-être voir dans la direction de l’avenir. La visibilité des rubans oranges signalant l’opposition au retrait—est étroitement liée aux kippas, aux tsitsit flottant au vent (les franges rituelles), aux shavis bien serrés (foulards), aux livres de prières et au vocabulaire religieux.
Le noyau dur des opposants au retrait vient surtout des différents groupes religieux sionistes, des nationalistes Haredim (ultra-orthodoxes), et des hybrides spirituels de la juiverie New Age—des gens qui font ce qu’ils veulent sur les collines de Cisjordanie . Les autres secteurs de la vie israélienne ne semblent pas prendre une part active dans la lutte.
Les Arabes en sont totalement exclus, et une grande partie—peut-être la majorité—da la population laïque du pays est stupéfaite devant le retrait humain et psychologique des colons religieux, de ceux qui, il n’y a pas si longtemps, étaient les porte-drapeaux de l’identité sioniste moderne juive et israélienne
Quelque chose a mal tourné chez ces gens. La Terre d’Israël comme valeur suprême est cette fois-ci non pas axée sur d’autres valeurs—la vie humaine, les valeurs occidentales modernes et le désir de vivre en paix, de tranquillité, de calme et de sécurité—mais elle s’est engagée dans un conflit frontal avec l’Etat d’Israël.
La Terre d’Israël contre l’Etat d’Israël.
Il n’y est plus question d’une occupation qui se passe loin de nos yeux, ni de l’assassinat de Palestiniens innocents considéré comme un passe temps de "marginaux"; on parle ici d’une guerre ouverte contre tous les symboles du gouvernement d’Israël.
Les brandisseurs d’orange contre l’armée et ses soldats, les colons contre la police et les policiers, les croyants contre la démocratie, son autorité et ses représentants élus.
Précisément parce que l’instinct israélien fondamental est démocratique, et même s’il y a des choses que nous n’aimons pas ici, il est cependant clair pour nous que la démocratie, malgré tous ses défauts, est le seul système qui nous permette de continuer à vivre ensemble, de continuer à être d’accord sur la manière de ne pas être d’accord.
Le défi rebelle que lance la halaka (la loi judaïque) à la loi, la synagogue à la Knesset, les rabbins à la souveraineté de l’état—c’est cela le véritable retrait.
Jusqu’Ã l’initiative perverse de Sharon, les sphères et les valeurs étaient totalement brouillées. La droite, dans toutes ses variétés, était en faveur de la tentative désespérée d’intégrer le judaïsme, le nationalisme territorial et la démocratie dans un programme politique.
Et la gauche, dans toutes ses tendances, est restée là à regarder : Là n’était pas son judaïsme, ni son nationalisme, et elle a pleuré pour la démocratie, moribonde devant l’occupation et les mensonges illusoires.
C’était une gauche stérile, rabougrie, dont les bannières d’identité et de patriotisme ont été arrachées, Ã elle et aux mouvements qui ont créé l’état, et qui a été transférée, sans défilé ou cérémonie, sans respect ni honneur, aux nouveaux porteurs de drapeaux qui annonçaient une nouvelle identité, religieuse et nationale.
Quatre décennies d’avertissement. Puis soudain, abruptement, l’épée de Sharon a tranché le nœud insoluble. Et il se trouve que le nationalisme xénophobe, et la religion fondée sur la seule halakha et ses professeurs ne peuvent pas co-exister avec l’identité fondamentale réelle, moderne, démocratique, habituée aux compromis, de la majorité des Israéliens.
En réaction au plan de retrait, les porteurs d’identité extravertis déclarent qu’ils se retirent, renonçant à leur responsabilité monopolistique de l’identité israélienne et de ses composants.
C’est une chance unique, qui se présente rarement dans une société qui essaye de changer le flot de ses courants.
Au centre de notre existence ici, un vide tentateur est apparu, et il y a de la place pour de nouveaux vents et des opinions originales.
L’israélité peut reprendre son rêle dans la responsabilité juive. Un besoin vital, brûlant, se fait sentir, d’une nouvelle identité israélienne ne débutant par les mots : "un Juif ne fait pas", mais par "un Juif fait".
Oui, un Juif garde un lien étroit et naturel avec les sources spirituelles de la culture juive ; oui, un Juif n’adopte pas une interprétation neuve et moderne des préceptes et des normes dépassés ; oui, un Juif intègre la tradition et le progrès ; oui, un Juif forge une synthèse entre le judaïsme et l’universalité, entre l’israélité et le judaïsme.
Pour ce Juif positif, Israël est endroit ouvert et généreux pour l’Autre et pour ceux qui sont différents, pour l’étranger qui vit parmi nous. Son judaïsme dit oui à la paix et non à la xénophobie ; sa culture est nationale, basée sur la confiance en soi, et elle cherche la paix, et non la paranoïa fondée sur la sécurité militaire et sa violence.
Elle implique aussi un nouvel effort fait pour intégrer l’expérience israélienne au Moyen Orient ainsi qu’au sein de l’Occident démocratique, déterminee à enterrer les épées, pour faire place à la charrue et au sécateur.
Je ne crois pas en ce retrait, ni en ceux qui le mettent en œuvre.
Je ne vois que désolation politique, puis désolation tout court le lendemain : parce que je ne crois qu’en une seule chose : un dialogue à long terme, non-violent, un adieu total, coordonné et consenti à nos maux fatals, dans les deux camps.
Cependant, Ã l’intérieur même de cette mer orange-noir, c’est un rayon de lumière.
Nous sommes un peuple de survivants, pas des extrémistes, des gens qui s’adaptent, pas des suicidaires. Donc, quand le fanatisme religieux, allié au messianisme et au contentement de soi ont pris les reines du pouvoir, nous avons atteint une terrible impasse.
C’était la même chose à l’époque de la destruction du Second Temple, pour le holocauste de Bétar, et la révolte de Bar Kochba, à la période de Sabbatai Sevi, au temps de Gush Emunim, le Bloc des Fidèles.
Quatre décennies d’avertissement se font maintenant sentir. Pour beaucoup, ce mauvais retrait, bizarre, n’est pas un retrait de nos voisins palestiniens ou du terrorisme.
C’est un retrait, petit et minable, de la folie nationaliste qui a pris le contrêle de notre identité.
Source : Haaretz
Traduction : Jean-Luc Mercier
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Sionisme
Avraham Burg
14 août 2005