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Palestine - 8 mars 2014
Par Abdel Sattar Kassem
L'auteur est professeur de sciences politiques à l'Université An-Najah à Naplouse, en Cisjordanie occupée. Cet article en anglais est une traduction du texte arabe qui est paru sur Al Jazeera le 28 Février 2014.
Depuis 1967, les Américains se sont lancés dans des milliers de rounds de négociations dans le monde arabe et islamique, dans l'espoir de trouver une solution au dossier palestinien, et ils ont échoué. Récemment, le secrétaire d'Etat US John Kerry a repris les négociations avec enthousiasme, s'acharnant à trouver un nouveau cadre qui serait accepté à la fois par les Israéliens et par l'Autorité palestinienne.
Selon Kerry, ce nouveau cadre sera le nouvel horizon nécessaire pour parvenir à un règlement final. Bien que Kerry n'ait pas réussi jusqu'à maintenant, il semble qu'il ait surmonté plusieurs obstacles, ouvrant la voie à un nouvel accord qui rassemble beaucoup des éléments d'Oslo.
L'histoire de l'Amérique au Moyen Orient
L'intervention américaine dans la question palestinienne a commencé à la fin du 19ème siècle, lorsque l'ambassadeur américain à Constantinople a fait pression sur des responsables de haut rang pour allouer des terres agricoles aux juifs. L'arrogance américaine a continué avec le président Harry Truman, qui a soutenu les Britanniques dans leur judaïsation de la Palestine et encouragé des centaines de milliers de juifs du monde entier à émigrer en Palestine.
Dans un premier temps, la France a soutenu Israël après son établissement ; cependant, les Américains ont endossé ce rôle après la guerre en fournissant à Israël toute une série de soutiens économique, militaire et diplomatique, aux dépens des Palestiniens et des Arabes, bien entendu.
L'Amérique a favorisé l'Etat d'Israël en le sauvant des mains arabes et en l'empêchant d'être confronté à une défaite militaire sur le champ de bataille. Les Palestiniens n'ont tiré aucun bénéfice de l'Amérique et la situation palestinienne a continué de se détériorer avec chacune des interventions US.
Le temps passant, il est devenu évident que les Américains n'avaient pas l'intention de porter un jugement correct sur la situation, ni de jouer le rôle de médiateurs.
Les Américains sont les ennemis des Palestiniens, des Arabes et des musulmans, et ils ont un parti-pris radical en faveur d'Israël et de ses intérêts. En conséquence, la Palestine n'a cessé de rétrécir au fil du temps et, avec la diminution des terres, la possibilité de trouver une solution qui conviendrait à tous les Palestiniens n'a cessé de faiblir.
L'administration américaine a bien fourni quelque aide financière à l'Autorité palestinienne. Ces fonds ont été toutefois assortis d'un certain nombre de conditions préalables et n'ont été donnés qu'après que les Palestiniens aient fait encore plus de concessions. Jamais cette aide n'a été donnée aux Palestiniens dans l'intention de leur permettre de relever des défis.
La Palestine selon Kerry
La Palestine a été détachée du Levant suite à l'accord Sykes-Picot de 1916. Elle a été plus tard reconnue en tant que mandat par la ligue des Nations en 1922. Le Levant (la Grande Syrie) et ses peuples ont été réduits à plusieurs mandats, laissant le peuple palestinien seul face à son sort, loin des autres populations levantines de Jordanie, du Liban et de Syrie moderne. C'est ainsi qu'on a donné aux Palestiniens 44% du Mandat de Palestine (selon la démarcation coloniale britannique), laissant aux juifs environ 53% de la terre d'origine, bien qu'ils représentaient moins de 25% de la population en 1947.
La Palestine fut ensuite réduite à moins de 23% de la superficie d'origine après la guerre de 1948, qui a vu la défaite des armées arabes. Les Nations Unies n'ont ni sourcillé ni levé le petit doigt en défense de la Palestine, qui a perdu 1,5% de son territoire après que le monarque jordanien a abandonné une partie du Triangle israélien dans le cadre de l'accord d'armistice. Le territoire palestinien a été encore réduit après qu'Israël a pris le contrôle d'une zone neutre entre la Palestine et la péninsule du Sinaï, expulsant sa population bédouine.
Les Palestiniens ont de leur plein gré fait le plus grand compromis de tous pendant les Accords d'Oslo de 1993. Ils ont non seulement activement réduit la superficie des terres de Palestine, mais ils les ont aussi complètement confinées dans les territoires occupées en 1967. Ils ont commencé à utiliser des termes tels que Territoires palestiniens, ou Cisjordanie et Gaza pour se référer à la Palestine des frontières de 1967 et ce faisant, ils ont de plein gré reconnu que les Palestiniens n'occupaient plus certaines parties de leur pays.
Ce que Kerry demande maintenant aux Palestiniens est bien pire que l'oppression. Il demande aux Palestiniens et aux Arabes de reconnaître le caractère juif de l'Etat, c'est-à-dire de reconnaître que la Palestine est juive, ou du moins les parties qu'on appelle aujourd'hui Israël. En acceptant les exigences de Kerry, les Palestiniens et les arabes reconnaîtraient qu'il n'y a aucun monument islamique ou chrétien ni de lieux saints en Israël, ce qui donnerait à Israël l'occasion rêvée de démolir, sous couverture juridique internationale, la mosquée Al-Aqsa, le Dôme du Rocher et l'Eglise de la Résurrection. En outre, avec cette reconnaissance, Israël aurait les coudées franches pour expulser les Palestiniens qui sont restés inébranlables sur leur terre, dans les territoires occupés depuis 1948 et le droit au retour des réfugiés serait supprimé.
Kerry cherche à annexer la Vallée du Jourdain, qui, avec 2000 km², représente presque un tiers de la Cisjordanie . Il travaille également à l'annexion d'environ 80% des terres sur lesquelles sont implantés les blocs de colonies israéliennes, et il cherche à le faire sous une couverture légale.
Avec ce nouveau cadre, Kerry usurpe non seulement les terres, mais il viole également le droit du peuple palestinien à exister. Il ne lui suffit pas de modifier l'identité politique de la terre en le considérant comme juive, il cherche aussi à effacer l'identité palestinienne en permettant que d'autres identités éliminent les droits, l'authenticité, l'histoire et le nationalisme palestiniens.
L'objectif de Kerry est de faire ce que Israël, les pays occidentaux et les régimes arabes n'ont pas réussi à faire après l'établissement d'Israël.
Sécurité israélienne et palestinienne
Dans toutes ses interventions, l'Amérique a toujours donné la priorité à la sécurité d'Israël sur toutes les autres questions, et elle a insisté pour que les pays arabes adhèrent aux exigences sécuritaires d'Israël, s'ils ne voulaient pas perdre l'aide américaine et provoquer la colère des Etats-Unis. Nous avons donc vu des armées arabes défendre la sécurité d'Israël au lieu de garder les frontières de leurs propres pays. Par exemple, l'armée jordanienne patrouille activement la frontière orientale d'Israël, en dépit du fait qu'ils ont été battus dans la guerre de 1967, ce qui les a obligés à abandonner la Cisjordanie au contrôle israélien. Quant à l'armée égyptienne, elle a accepté que le Sinaï reste en dehors de la souveraineté égyptienne en se soumettant aux exigences israéliennes, à savoir que l'Egypte n'ait aucune implication militaire dans la péninsule. C'est ainsi que l'armée égyptienne continue aujourd'hui de demander la permission à Israël quand elle veut entrer dans le Sinaï à des fins militaires.
Dans toutes leurs discussions avec les Palestiniens, les Etats-Unis ont cherché à les impliquer dans leurs menées de protection et de défense de la sécurité israélienne, et les Palestiniens n'ont pas manqué de le faire. Comme le président actuel de l'Autorité palestinienne l'a déclaré récemment, les services de la sécurité palestinienne travaillent actuellement à garantir la sécurité israélienne.
Qui est l'agresseur ? C'est Israël. Les Etats-Unis sont constamment restés à ses côtés, en lui offrant toutes sortes de soutien. C'est le peuple palestinien qui a besoin d'être protégé contre l'agression israélienne, et non l'inverse.
Malgré cela, personne ne parle au nom de la sécurité palestinienne, les leaders palestiniens et arabes non plus. Il est aujourd'hui communément accepté que la sécurité des Palestiniens n'existe pas, que seule la défense de la sécurité israélienne peut la leur garantir, c'est-à-dire après qu'ils aient abandonné tous leurs droits à Israël, ce qui prouve que la sécurité n'est un privilège que pour ceux qui ont des droits.
En outre, le plan Kerry vise non seulement à assurer que l'Autorité palestinienne poursuive ses fonctions de garant de la sécurité d'Israël, mais il vise aussi à contrôler la liberté d'expression, de mouvement et de droit de réunion. Ce sera donc de la responsabilité de l'Autorité palestinienne de poser des limites à la liberté d'expression et de considérer ceux qui dénoncent Israël comme des insurgés qui doivent être poursuivis. Ces restrictions interdiront les sit-ins et manifestations du vendredi contre le mur et les colonies, ainsi que ceux organisés pour la libération des prisonniers palestiniens, ce qui va de pair avec ce qui a été évoqué précédemment en termes d'élimination des droits palestiniens et de poursuite de judaïsation de la terre.
Le droit au retour
Bien que les pays occidentaux parlent constamment de l'importance du respect des droits fondamentaux de l'homme sous des régimes autoritaires, aucun de ces pays ne reconnait le droit au retour des Palestiniens. Ces pays défendent toujours le droit des réfugiés à retourner dans leurs foyers, mais ils défendent rarement les droits des réfugiés palestiniens. Peut-être pensent-ils que les Palestiniens ne sont ni des réfugiés ni des humains.
Le droit au retour est avalisé par la Résolution 242 des Nations-Unies, une résolution adoptée par le Conseil de Sécurité, sans faire référence à qui sont les réfugiés. A l'époque, Israël a interprété cette résolution comme applicable aux juifs arabes qui ont choisi d'émigrer en Israël depuis leurs foyers dans des pays arabes. Cette interprétation est une nouvelle fois ressortie pendant les négociations de Kerry et Israël a exigé que les juifs arabes qui ont émigré en Israël soient indemnisés pour avoir quitté leurs domiciles, ou que les Palestiniens soient transférés pour occuper les zones que les juifs ont quitté comme une juste forme de réparation.
Kerry ne demande pas un droit mutuel au retour en suggérant que les juifs arabes repartent dans leurs pays d'origine et cèdent leurs biens aux rapatriés palestiniens. Pourquoi ne propose-t-il pas une solution dans laquelle un droit au retour est échangé contre un droit au retour, au lieu d'une compensation en échange d'une compensation ?
Il semble que Kerry ne veuille pas seulement filtrer la cause palestinienne, mais qu'il veuille aussi effacer complètement le peuple palestinien. Il est possible que les Américains soient familiers avec la célèbre citation arabe, "Celui qui perd son droit le cherche." (1)
La stabilité israélienne n'existera pas en ignorant totalement les Palestiniens et en les éparpilllant aux quatre coins du globe, confirmant ainsi qu'Israël est un Etat juif.
Où sont les Palestiniens et les Arabes ?
Les Américains ne cherchent pas une solution au problème israélo-palestinien ; ils cherchent à résoudre une question de terre et à effacer un peuple. Le plus gros problème est qu'il ne semble pas exister un seul Arabe ou un seul Palestinien qui soit prêt à dire non à Kerry et à remettre les choses dans une perspective juste. Personne n'a pris la responsabilité d'informer la population de ce que sont réellement les idées de Kerry. Ainsi, les Palestiniens et les Arabes laissent les gens dans l'ignorance, ce qui ouvre la voie à un contrôle des médias par Israël et l'Amérique, et à une diffusion des informations qu'ils veulent.
Nous n'avons toujours pas vu ou entendu un seul négociateur palestinien exiger le droit au retour ou défendre la sécurité des Palestiniens. Tout ce que nous avons entendu ou vu jusqu'à présent, ce sont des déclarations obscures, qui manquent d'informations valables, faites aux médias. Il est tout-à-fait évident que les dirigeants palestiniens et les régimes arabes sont complices des exigences américaines et que le comportement politique ne changera pas. Les parties arabes continueront de faire davantage de concessions et le peuple palestinien continuera de payer le prix.
La seule solution, c'est que le peuple palestinien commence à se défendre. La direction palestinienne a franchi de nombreuses lignes rouges et tabous. Malheureusement, il ne suffit plus pour les Palestiniens de rester patients après avoir subi tant d'épreuves. La seule solution pour eux est maintenant de fourbir leurs armes s'ils veulent que leurs droits soient respectés.
(1)
ما ضاع حق وراءه مطالب
Citation imputée soit au Prophète, soit à Ali Ibn Abi Taleb, son neveu (personnage à l'origine du chiisme) (NA)
Source : Middle East Monitor
Traduction : MR pour ISM
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