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Cisjordanie - 1 mai 2002
Par Eyal Weizman
Eyal Weizman est un architecte basé à Tel-Aviv et à Londres. Pour sa propre clientèle à Tel-Aviv, Eyal est actuellement en train de reconstruire le Ashdod musée de l’Art d’Ashdod (avec Rafi Segak et Manuel Herz) et une scène pour la compagnie de théatre Itim (avec Rafi Segal). Il mène également des recherches pour l’organisation des droits humains B'tselem sur les aspects de la planification de l’occupation israélienne en Cisjordanie. Eyal enseigne à l’Ecole d’Architecture Bartlett de Londres et au Technion à Haifa. Il collabore avec Zvi Hecker à Berlin sur un quartier général dans l'Aéroport Schipol à Amsterdam. Il développe la Politique de la Verticalité en une thèse, un livre et un film. Il a écrit deux livres et a exposé à Vienne, New York, Berlin, London et Jérusalem.
Un incroyable réseau de routes de contournement est tissé, les unes au dessus et en dessous des autres et tente de séparer les communautés Israéliennes et Palestiniennes. Et le futur pourrait se montrer encore plus fou – un viaduc de 48 kilomètres de long entre Gaza et la Cisjordanie.
Les colonies israéliennes en Cisjordanie sont des banlieues dortoirs, dépendant des routes les connectant aux centres urbains d’Israël. Les routes dites "de contournement" sont le résultat des accords d’Oslo.
Le gouvernement israélien a été autorisé (avec des fonds américains alloués spécifiquement pour celà) à construire un réseau de voies larges, rapides et sécurisées qui contournent les villes arabes et relient les colonies à Israël.
Les routes de contournement, certaines en voie d’être goudronnées, sont en passe de devenir un énorme système de 29 autoroutes totalisant 450 kilomètres.
Elles permettent à 400 000 Juifs vivant dans les Territoires Occupés en 1967, de bénéficier d’une complète liberté de mouvement. Environ 3 millions de Palestiniens sont eux enfermés dans des enclaves isolées.
Ces routes font que tout essai de séparation entre la Cisjordanie et Israël est pratiquement impossible. Elles démontrent la main mise des colons sur l'arrière-pays. Mais, si les colonies elles mêmes sont dures à attaquer, les militants palestiniens ont identifé les routes comme des points faibles où les colons peuvent être blessés. Attaquant des véhicules civils et des patrouilles militaires voyageant le long des routes, ils essaient de couper ces fines lignes de vie économique.
Les routes de contournement essaient de séparer les réseaux routiers israéliens de ceux des palestiniens, y compris en les empêchant de les traverser. Ils soulignent les strates de deux géographies séparées qui habillent le même paysage.
A certains endroits où les réseaux routiers se rencontrent, une séparation artificielle est créée. Le plus souvent, de petites routes de terre sont creusées pour permettre aux Palestiniens de passer sous les voies larges et rapides israéliennes, sur lesquelles les voitures israéliennes et les véhicules militaires passent à vive allure allant d'une colonie à l'autre.
D’autres projets israéliens grandioses ont proposé des autoroutes pour contourner les villes palestiniennes en trois dimensions. La route du tunnel, par exemple, relie Jérusalem et les colonies au Sud de Gush Etzion, et plus loin, les quartiers juifs d’Hébron.
Pour accomplir ceci, une double contorsion a été réalisée : étirée comme un pont au dessus d’une vallée agricole palestinienne, cette route plonge ensuite dans un tunnel sous la banlieue palestinienne de Bethlehem, Bet Jallah.
Meron Benvenisti écrit : “effectivement,la personne qui voyage le long du plus long pont du pays et qui pénètre sous terre dans le plus long tunnel, peut ignorer le fait qu’au-dessus de sa tête, se trouve toute une ville palestinienne et que sur cette route allant du lieu marqué pour des projets de construction de logements à Gilo (dans le voisinage de Jérusalem) à celui destiné aux projets de construction de logements de la ville d’Efrat et Etzion (colonies) il ne va pas rencontrer un seul Arabe, à part quelques chauffeurs osant s’aventurer sur une route juive.”
La vallée, qui est surplombée par la route, et la ville sous laquelle celle ci plonge, sont toutes les deux des zones qui ont été remises de façon limitée sous souveraineté palestinienne. La séparation physique est le miroir de celle politique.
Tout comme les propositions pour le Mont du Temple, la "frontière" s’étendrait sur une ligne horizontale. La ville serait sous souveraineté palestinienne limitée; la route au dessous serait sous juridiction israélienne.
En Cisjordanie , les ponts ne sont plus seulement des éléments d’ingénierie permettant de surmonter une barrière naturelle ou de relier des points. Ils deviennent plutôt eux mêmes des barrières, séparant à la verticale deux groupes nationaux.
Benvenisti continue : “…Le pont et les tunnels ne sont vraiment pas une merveille d’ingénierie : la route a réussi à faire exploser l’espace de trois dimensions en 6 dimensions – 3 juives et 3 arabes – et les points de friction entre le monde des Juifs et le monde des arabes continuent à faire des étincelles”.
Ce type de frontière a été le premier type suggéré lors du Plan de Partage de l’ONU en 1947. A deux endroits – les "points d’embrassade" - les territoires d’Israël et de Palestine allaient se croiser. La frontière à deux dimensions – une ligne – allait devenir un point à une dimension. Un pont surplombant un tunnel a été proposé pour garder les territoires reliés ; là où la frontière allait être réduite de deux dimensions à une, on aurait recours aux 3 dimensions.
La situation aujourd’hui est encore plus complexe. Les propositions de Camp David sur le partage de Jérusalem nécéssite plusieurs de ces 'points d’embrassade' entre les banlieues séparées israéliennes et palestiniennes.
Des ponts et tunnels, existants ou nouveaux, réaliseront ces séparations locales. Mais ceci demande un effort intense de la part des experts légaux du gouvernement, puisqu’il n’existe aucun loi bilatérale ou pour les propriétés en trois dimensions.
La connexion entre Gaza et la Cisjordanie – les deux territoires distants aliénés qui, selon les Accords d’Oslo, devraient former une seule unité politique – pose un problème similaire à une grande échelle. La distance entre les deux est de 47 kilomètres à vol d’oiseau.
Le «passage sécurisé», toujours en phase de dessin, sera une route palestinienne incluant 6 voies pour les véhicules, 2 voies pour les trains, des câbles électriques à haute tension et une voie pour le pétrole et reliera les deux enclaves par le territoire israélien.
Les ingénieurs palestiniens et israéliens ont proposé une incroyable variété de solutions possibles. Un tunnel, un fossé, une route coupé du paysage par des digues de chaque côté, un viaduc… le débat politique s’est rapidement transformé en question : "Qui est au-dessus ?".
Ecartant la solution intégrée de la route, Israël a demandé à ce que la route sous souveraineté palestinienne passe dans un fossé de 7 mètres de profondeur.
Les Palestiniens ont naturellement préféré le pont : ils auraient la souveraineté sur la route, la souveraineté d’Israël s’étendrait à la partie inférieure du viaduc et des colonnes. Des parties de cette proposition extraordinaire en matière de découpage volumétrique de l’espace souverain (largement documentée par des plans, des dessins de construction et des réunions de protocole) sont reproduites.
Copyright © Eyal Weizman, 2002. Publié par openDemocracy.
Index de la Politique de la Verticalité
• 1 - Introduction
• 2 - Cartes
• 3 - Collines et vallées de la Cisjordanie
• 4 - Colonies de la Cisjordanie
• 5 - Urbanisme optique
• 6 - Le paradoxe de la double vision
• 7 - De l’eau à la merde
• 8 - Excavation du sacré
• 9 - Jérusalem
• 10 - Routes – dessus et dessous
• 11 - Contrôle du ciel
Source : www.opendemocracy.net/
Traduction : BM
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