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Cisjordanie - 2 mai 2002
Par Eyal Weizman
Eyal Weizman est un architecte basé à Tel-Aviv et à Londres. Pour sa propre clientèle à Tel-Aviv, Eyal est actuellement en train de reconstruire le Ashdod musée de l’Art d’Ashdod (avec Rafi Segak et Manuel Herz) et une scène pour la compagnie de théatre Itim (avec Rafi Segal). Il mène également des recherches pour l’organisation des droits humains B'tselem sur les aspects de la planification de l’occupation israélienne en Cisjordanie. Eyal enseigne à l’Ecole d’Architecture Bartlett de Londres et au Technion à Haifa. Il collabore avec Zvi Hecker à Berlin sur un quartier général dans l'Aéroport Schipol à Amsterdam. Il développe la Politique de la Verticalité en une thèse, un livre et un film. Il a écrit deux livres et a exposé à Vienne, New York, Berlin, London et Jerusalem.
Maintenant et dans les dernières propositions de colonies, Israël tient le contrôle de l’espace aérien de la Cisjordanie. Elle use de sa domination de l’espace aérien et du spectre électromagnétique pour installer un filet de surveillance et effectuer des exécutions ponctuelles sur le territoire.
L’espace aérien est une dimension discrète absente des cartes politiques. Mais, c’est une espace de la plus grande importance : encombré de voies aériennes civiles et militaires, donnant un point d’observation avantageux sur tout le terrain au-dessous, déniant cette position aux autres.
Le contrôle total de l’espace aérien au-dessus de la Cisjordanie est à l’heure actuelle exercée par les Forces de Défense Israéliennes (FDI). A Camp David, Israël a donné son accord au concept d’un Etat palestinien, mais a exigé la souveraineté sur l’espace aérien au-dessus de celui-ci dans un contexte de résolution finale.
La hauteur à laquelle l’espace de souveraineté d’un pays s’étend est un sujet de débat récurrent au sein de différents comités de l’ONU. Elle a finalement été positionnée à la hauteur atteinte par un avion à réaction - telle que définie dans le fameux vol de reconnaissance U2 de Garry Powers à 6.000 pieds au-dessus de l’Union Soviétique, altitude à laquelle il a été abattu par un missile guidé par la chaleur SA-2 près de Sverdlovsk, le 1 Mai 1960.
Les informations de l’altitude sont ainsi devenues celles du plafond de souveraineté au-dessus duquel "l’espace libre" débute. La “Positive Control led Airspace” (la bande dans laquelle vole la plupart des lignes aériennes commerciales) s’étend de 18.000 pieds à 6.000 pieds, et est régulée par une série de systèmes de contrôle du trafic aérien au sol.
La première apparition des ‘machines volantes’ date du 19eme siècle et elles ont attiré l’attention des écrivains de Science Fiction. Ils ont imaginé que le trafic aérien inaugurerait une nouvelle ère de transport mondial, un monde de “mobilisation totale à caractère universel. Ils ont proposé une “liberté du ciel”, analogue à la “liberté des mers” de Grotius datant de quelques siècles, selon laquelle un avion devrait avoir la possibilité de voler aussi librement dans les “ciels internationaux” que les bateaux naviguent dans les hautes mers.
Mais l’analogie avec la liberté des hautes mers a été rejetée pour l’espace aérien après la Conférence de Paix de Versailles en 1919, lors de laquelle il a été réalisé qu’une destruction du pouvoir aérien était possible. Ce potentiel a été rendu encore plus dramatique pour les Américains lors de l’attaque japonaise de Pearl Harbour en 1941. La vulnérabilité du ciel les a poussé à protéger un peu plus cette nouvelle dimension géopolitique.
L’article 1 de la Convention de Chicago de 1944 a conduit à une confirmation de l’existence d’un contrôle nationale de l’espace aérien, réaffirmant la souveraineté de chaque pays au dessus de son territoire et transformant l’espace aérien international en des centaines de zones « à entrée interdite». Ce n’est seulement qu’après les premiers vols dans l’espace en 1959 que le concept de ‘ciels ouverts’ a finalement été accepté pour l’espace extra-atmosphérique.
Ainsi, les lois internationales affirment la continuité entre le sol et l’air. Pour contourner cette continuité, une nouvelle définition des frontières dans l’espace aérien a du être inventée pour la situation israélo-palestinienne. Il a été proposé que le plafond de souveraineté de l’Etat palestinien émergeant soit baissé de façon significative, afin d’y inclure seulement des constructions architecturales et des hélicoptères à vol bas. Les couches supérieurs devraient rester sous contrôle israélien.
Les Israéliens ont exigé une souveraineté sur l’espace aérien palestinien au début des Accords d’Oslo. Dans les clauses concernant la sphère électromagnétique et l’espace aérien, les Accords déclarent que ‘toute activité aérienne ou d’usage de l’espace aérien… doit obtenir une approbation d’Israël’.
Lors des négociations concernant le statut permanent à Camp David, Israël a réclamé «l’utilisation de l’espace aérien et du champ électromagnétique et leur supervision». Avec le contrôle sur le champ électromagnétique, Israël pourrait continuer à réguler les fréquences radio et les autres communications des deux Etats.
Avec le contrôle des cieux, il pourrait utiliser l’espace aérien au dessus de la Palestine comme terrain d’entraînement pour sa Force Aérienne.
En retour, les Palestiniens se sont vus offert un corridor aérien spécial à travers l’espace aérien israélien entre Gaza et la Cisjordanie .
L’orage
Le déclenchement des hostilités lors de la dernière Intifada a introduit l’espace aérien pour la première fois comme un lieu de guerre avec les Palestiniens. “Voulons nous transférer la guerre au ciel ? A des roquettes (lancées sur des villes israéliennes) et des missiles anti-aériens ?” a demandé le Ministre des Affaires Etrangères, Shimon Péres, lorsqu’il lui a été demandé si Israël devrait se fortifier unilatéralement par une barrière protégée au sol. Mais il était trop tard. La guerre du ciel avait déjà éclaté.
En plus de la dernière invasion israélienne dans les zones palestiniennes au sol, le maintien de l’ordre au jour le jour dans les Territoires Occupés est effectué en premier lieu à partir du ciel.
L’occupation des cieux donne à Israël une présence à travers tout le spectre du champ électromagnétique et permet une observation complète. L’espace aérien devient en premier lieu un endroit pour ‘voir’, offrant aux forces Aériennes Israéliennes une point d’observation avantageux en surveillant les ondes aériennes en temps réel grâce à des signaux électromagnétiques – de celles visibles aux fréquences radio et radar du champ électromagnétique.
La Cisjordanie doit actuellement être le terrain le plus intensément observé et photographié dans le monde. Dans une approche d’“aspirateur” par le rassemblement de renseignements, des senseurs mis à bord de véhicules aériens sans conducteurs (UAVs), des jets de reconnaissance aériens, des avions Hawkeye, et même des images d’observation satellite, saisissent le plus possible de signaux à partir du ciel.
Chaque étage de chaque maison, chaque voiture, chaque coup de téléphone ou transmission radio, même le plus petit évènement ayant lieu sur le terrain, peut ainsi être surveillé, géré ou détruit à partir du ciel.
Depuis les début des hostilités récentes, les forces Aériennes Israéliennes ont effectué des milliers d’heures de vol, rassemblé des piles d’informations grâce à un réseau complexe de différentes plates-formes de reconnaissance aérienne, et les ont mis à disposition des différentes agences secrètes.
Ces yeux dans le ciel, complétant un réseau d’observation tissé au sol, ont finalement fait disparaître les dépressions de la surface et aplani le terrain. Depuis le ciel, tout peut être surveillé –si vous avez le bon mode d’accès.
Dans les techniques d’interprétation aérienne, il existe un procédé d’ «hologramisation». Deux images simultanées sont prises d’une double lentille d’appareil photo sur deux plaques.
Ensuite, lorsque les impressions sont observées à travers des lunettes spéciales, les différentes ombres et couleurs des images se transforment en immeubles plus hauts et plus bas, en collines, montagnes et vallées.
Le regard spécialisé de l’analyste transforme les impressions à deux dimensions en une simulation à trois dimensions, lui permettant d’identifier des cibles ou d’évaluer de façon précise l’impact des raids précédents.
Cette intelligence précise, une connaissance presque totale du terrain et des mouvements des personnes, ajoutée à la possibilité de fournir des forces de destructions précises, a permis à Israël de s’engager dans une nouvelle forme de guerre : les attaques ‘chirurgicales’ effectuées d’au-dessus.
En 2001, les Forces Aériennes Israéliennes ont menés 5 130 sorties au-dessus de la Cisjordanie et Gaza dans le contexte du conflit.
Ceci inclut 600 heures de vol dans des hélicoptères d’assaut, qui ont tiré 500 missiles sur des cibles palestiniennes, avec un tiers des missiles atteignant 45 ‘attaques ciblées’ aériennes, dans lesquels des militants palestiniens furent liquidés.
La plupart des missions sont construites dans le ciel, où le satellite, l’avion de reconnaissance et les hélicoptères de combat complètent chacun les tâches des autres. Lorsque l’hélicoptère de combat est sur la route d’une zone suspecte, les informations en direct à propos de l’emplacement de la cible, les intentions et les potentiels de destruction sont transférés en données images et radio.
L’hélicoptère Apache, équipé d’une série d’éléments sophistiqués éléctro-optiques à technologie d’acquisition de cible précis, volant vite et bas, détecte, identifie et acquiert la cible, tire ensuite un missile Hellfire sur, le plus souvent, un véhicule palestinien. A d’autres moments, de la peinture ultra-violette jetée par des collaborateurs sur le toit de la voiture marque la cible pour que le pilote la détruise.
La surveillance aérienne et l’exécution des Palestiniens dans leurs villes a été rendue possible par l’intégration de ces innovations technologiques. Et l’acte de leurs liquidations ne fait l’objet que de la volonté.
Si le potentiel horrible de bombardement de fer a déjà épuisé l’imagination, dans la prochaine étape de guerre, les armées pourraient cibler des individus sur un champ de bataille ou des civils dans une guerre civile. Des exécutions sommaires peuvent être effectuées après de courtes réunions entre les Généraux de l’armée et les politiciens concernant la liste des hommes "recherchés".
Cette sorte de guerre aérienne est si personnelle qu’elle donne un nouvel horizon à l’horreur de la guerre.
Copyright © Eyal Weizman, 2002. Publié par openDemocracy.
Index de la Politique de la Verticalité
• 1 - Introduction
• 2 - Cartes
• 3 - Collines et vallées de la Cisjordanie
• 4 - Colonies de la Cisjordanie
• 5 - Urbanisme optique
• 6 - Le paradoxe de la double vision
• 7 - De l’eau à la merde
• 8 - Excavation du sacré
• 9 - Jérusalem
• 10 - Routes – dessus et dessous
• 11 - Contrôle du ciel
Source : www.opendemocracy.net/
Traduction : MAP
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