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Palestine - 9 juillet 2009
Par Julien Salingue
Le texte qui suit est une communication effectuée en juillet dans le cadre du Séminaire "Violence, droit et Justice", co-organisé par le Laboratoire de Théorie du Politique (Labtop), l'Institut des Sciences sociales du Politique (ISP) et le Groupe de Sociologie Politique et Morale (GSPM).
« Les Palestiniens doivent renoncer à la violence. La résistance par la violence et le meurtre n’aboutira pas. Les Noirs en Amérique ont souffert du fouet quand ils étaient esclaves et de l’humiliation de la ségrégation. Mais ce ne fut pas la violence qui leur a finalement permis d’obtenir l’égalité totale des droits. Ce fut la persévérance, déterminée et pacifique, pour réaliser les idéaux des fondateurs de l’Amérique.
Cette même histoire peut être racontée par tous les peuples, de l’Afrique du sud à l’Asie du sud, de l’Europe de l’est à l’Indonésie. C’est une histoire avec une vérité simple : la violence ne mène nulle part.
Tirer des roquettes contre des enfants israéliens endormis ou tuer des vieilles femmes dans un autobus, n’est pas un signe de courage ni de force. Ce n’est pas de cette manière que l’on revendique l’autorité morale ; c’est ainsi que l’on y renonce. » (1)
Introduction
Depuis septembre 2000 et le début de ce que l’on a nommé « deuxième Intifada », l’approche dominante dans l’appréhension du conflit opposant l’Etat d’Israël au peuple palestinien est celle du « cycle de la violence » : les violences des uns succèderaient aux violences des autres, l’enjeu majeur serait donc la rupture du « cycle opération armée israélienne/représailles palestiniennes » (ou l’inverse).
Ainsi se succèdent, de manière cyclique également, les appels à « l’arrêt des violences », posé comme préalable au dialogue en vue d’hypothétiques négociations entre les deux parties.
« La guerre israélienne vient justifier le "terrorisme" palestinien de la même manière que le "terrorisme" palestinien vient justifier la guerre israélienne. Les deux adversaires sont prisonniers de la même rhétorique par laquelle chacun, dans une imitation parfaite du discours de l'autre, justifie sa propre violence en affirmant se défendre contre la violence adverse et rejette la responsabilité sur le camp d'en face. Chacun brandit les meurtres de l'autre pour justifier ses propres meurtres en arguant de son droit à la légitime défense. Et, ainsi, chacun a de bonnes raisons à faire prévaloir pour prétendre avoir raison. Et pourtant chacun se trompe et doit lui-même payer le prix de son erreur. Au bout du compte, il y a deux perdants. Et les souffrances subies de part et d'autre ne font qu'accumuler les haines.» (2)
Il ne s’agira pas ici de discuter de la pertinence d’une approche qui place sur le même plan la « violence » d’un Etat constitué, possédant une armée suréquipée et l’arme nucléaire, et celle d’un peuple en lutte pour son indépendance. Il s’agira plutôt d’interroger les angles morts, les points aveugles d’une telle approche, et de se demander dans quelle mesure le discours dominant sur « la » violence dans les territoires occupés reconfigure, à l’extérieur, la perception de la lutte nationale du peuple palestinien et, à l’intérieur, la résistance palestinienne elle-même.
La confusion entre « violence » et « action militaire ponctuelle » occulte l’essentiel de la violence infligée par Israël au peuple palestinien : celle de l’occupation militaire, continue depuis juin 1967. Effet de miroir, la résistance palestinienne est appréhendée en étant amputée de l’essentiel : le combat quotidien contre l’arbitraire de l’administration coloniale. Cette invisibilisation de leur lutte a conduit les Palestiniens à envisager, au cours de leur histoire récente, des moyens d’action complémentaires afin de rompre leur isolement et de renverser un rapport de forces largement défavorable.
Depuis quelques années la thématique de la « résistance non-violente » occupe une place substantielle dans le champ politique palestinien et dans le mouvement international de solidarité.
Dans quelle mesure la « résistance non-violente » est-elle en rupture avec les formes passées de la lutte palestinienne ?
La « non-violence » revêt-elle la même signification pour les Palestiniens et pour ceux qui affirment les soutenir dans leur combat ?
En dernière analyse, l’apparent développement de la non-violence traduit-il une réorientation stratégique de la lutte ou un changement tactique pour conquérir une légitimité ?
De la non-violence dans les territoires palestiniens occupés
Définir la non-violence requiert une définition de la violence, que l’on pourra considérer dans notre contexte comme l’utilisation de la force physique dans le but de provoquer chez autrui des dommages corporels et/ou psychologiques, voire la mort. Une « action non-violente » n’est cependant pas seulement une action qui ne répond pas à ces critères. Elle est à situer dans un contexte de violence réelle ou potentielle. On pourra donc l’envisager comme «un substitut direct aux comportements violents, [qui] implique une retenue délibérée face à une violence attendue dans un contexte de dispute.» (3)
Israël (auparavant le mouvement sioniste) et les Palestiniens sont dans une situation conflictuelle depuis plus d’un siècle, dont l’enjeu majeur est le contrôle de la terre. Et si la résistance à ce que les Palestiniens considèrent comme une entreprise de dépossession est bien, comme l’affirme Hussam Khadr, «une résistance quotidienne qui a duré tout au long du 20ème Siècle et qui dure encore aujourd’hui» (4), force est de constater que le recours à des formes d’actions violentes, s’il a été bien réel, n’occupe qu’une place très minoritaire dans l’histoire de la lutte palestinienne.
Dans les années 1930 des cellules de guérilla se constituent pour lutter contre l’occupation britannique et la colonisation sioniste. Elles seront démantelées dans les années 1936-1939. La « lutte armée » reprend en 1965, mais les actions militaires sont relativement rares et organisées depuis les camps de Jordanie et du Liban. L’écrasement des camps de Jordanie (1970) puis du Liban (1982) sonnent le glas de la guérilla.
Les détournements d’avion des années 70, comme la prise d’otages de Munich (1972), sont organisés par des groupes minoritaires et visent avant tout à attirer l’attention internationale sur la question palestinienne.
Ces actions violentes, bien réelles, ne se sont pas substituées à la résistance quotidienne, « non-violente » : «Depuis plus d’un siècle la résistance civile a toujours été une composante essentielle de la lutte du peuple palestinien contre le Sionisme. (…) La résistance au projet colonial sioniste a principalement pris des formes non-violentes : des manifestations de masse, des mobilisations populaires, des grèves de travailleurs, le boycott des produits sionistes, et la résistance culturelle, souvent ignorée, au travers de la poésie, de la littérature, de la musique, du théâtre ou de la danse.» (5)
Les années 1970 et 1980 ont été le théâtre du développement, dans les territoires palestiniens occupés, de multiples cadres d’organisation de la lutte : syndicats, organisations d’agriculteurs, de femmes, d’étudiants, d’intellectuels, d’artistes… Le leitmotiv de ces organisations était le suivant : dans une situation d’administration coloniale, développer au maximum les structures permettant de s’émanciper de la tutelle israélienne, avec pour but l’autosuffisance (économique, alimentaire) et la constitution d’alternatives aux structures de l’Etat colonial (Universités palestiniennes par exemple). (6)
C’est ce travail de construction des structures de résistance dans toute la société palestinienne qui explique le caractère massif, organisé « à la base », durable et « non-violent » de la 1ère Intifada (1987-1990). Considérer l’Intifada comme une rupture n’est possible que si l’on résume la lutte palestinienne aux actions violentes des années 60-70. Si l’on prend en compte les multiples structures de résistance civile, « non-violente », développées dans cette même période, l’Intifada n’est rien d’autre que leur « visibilisation », l’affirmation de l’existence d’un peuple en lutte collective pour ses droits. (7)
Les effets de l’Intifada sont connus : la rhétorique israélienne qui affirmait que les Palestiniens n’étaient pas un peuple et que leur résistance était le fait d’organisations terroristes perd une bonne partie de sa légitimité. Sous pression internationale (et notamment états-unienne), Israël est contraint d’ouvrir des négociations avec les Palestiniens, qui aboutiront sur les Accords d’Oslo. (8)
Aujourd’hui encore, dans la mémoire collective palestinienne, l’Intifada de 1987 demeure la référence en termes d’organisation de la lutte et de rupture de l’isolement international, et ce malgré l’échec du Processus d’Oslo. Les attentats-suicide des années 1990-2000 et l’Intifada armée de 2000-2003 ne sont en aucun cas considérés comme plus efficaces ou comme pouvant se substituer à la lutte civile, populaire, non-violente, dont la reconstruction s’avère être la préoccupation majeure de tous ceux et toutes celles qui, chez les Palestiniens, se posent la question du (re-)développement de la résistance.
La thématique de la « résistance non-violente », entendue comme une forme d’action politique qui, malgré une situation de conflit et une politique violente de la part de l’autre partie, se refuse au recours à la force physique en vue d’infliger des dommages à l’adversaire n’est donc pas nouvelle dans les territoires palestiniens. Elle est le fondement même de la lutte palestinienne. Comment dès lors comprendre les appels répétés aux Palestiniens, tant de la part des acteurs étatiques internationaux que de celle du « mouvement de solidarité », à renoncer à la violence, à privilégier la non-violence ?
Quelle « non-violence » ?
On peut distinguer, chez les théoriciens et les adeptes de la non-violence, deux grandes postures : la non-violence comme principe philosophique, découlant d’un rejet a priori de toute forme d’action violente ; la non-violence comme choix pragmatique, résultant d’une évaluation de divers modes d’action dans un cas précis et un contexte donné. Gandhi est probablement le plus célèbre «philosophe de la non-violence», tandis que Gene Sharp, parfois surnommé le «Clausewitz de la lutte non-violente», incarne la non-violence pragmatique.
Tandis que Gandhi écrit «[que] la non-violence est la loi de notre espèce tout comme la violence est la loi de l’animal» (9), se situant délibérément sur le terrain moral, Sharp affirme que la non-violence est «une réponse à la question de savoir comment agir avec efficacité en politique.» (10) Les deux approches peuvent bien évidemment être combinées, et revêtent ici essentiellement un caractère idéal-typique. On pourra néanmoins aisément comprendre que si l’approche morale et l’approche pragmatique peuvent parfois coexister, elles peuvent aussi se révéler contradictoires.
« Nous vivons sous occupation depuis plus de 40 ans. La violence est là, elle est partout, dans chaque aspect de nos vies… La non-violence ? Ca ne peut pas exister ici. » (11) Ces propos d’un militant palestinien sont éclairants : les brutalités et les humiliations quotidiennes de l’armée d’occupation, l’arbitraire colonial, les milliers de morts et les dizaines de milliers de blessés… font de la vie dans les territoires palestiniens un combat permanent contre la violence. La violence est la règle, la norme, elle est ressentie par les Palestiniens comme un état de fait.
L’omniprésence, dans les rues, les maisons et les échoppes palestiniennes, des affiches de « martyrs » (le terme désigne tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont morts en raison de l’occupation israélienne), participe de ce phénomène. Ces affiches, au-delà de l’hommage rendu aux victimes sont un des éléments de l’environnement de violence quotidienne dans lequel vit la population palestinienne. On pense ici au punctum de Roland Barthes, cet élément d’une photo « qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer » (12) : même dans les moments de relatif apaisement de la tension militaire, ces affiches jouent un rôle de piqûre de rappel.
Le recours à la violence n’est donc pas perçu comme une option mais comme une nécessité de la situation, imposée par l’adversaire. Pour nombre de Palestiniens, qu’ils aient choisi ou non de rejoindre des « groupes armés », le recours à des actions violentes est une question de survie. Au-delà, le sentiment d’être une victime qui se défend face à un agresseur (ce que confirme le Droit International) conforte les Palestiniens dans l’idée que rien ne peut remettre en question, en principe, la violence nécessaire de leur combat légitime.
Le Mouvement National Palestinien ne s’est jamais, au cours de son histoire, situé dans un rejet moral de la violence. Lorsqu’au milieu des années 80 Mubarak Awad fonde le « Centre d’étude de la non-violence », à Jérusalem, il précise dans le document fondateur que la stratégie non-violente est une question de conjoncture, et qu’elle « n’exclut pas la possibilité que la lutte à l’intérieur [des territoires palestiniens] se transforme en lutte armée lors d’un prochaine étape. » (13) À l’exception du Parti du Peuple Palestinien (PPP, ex-Parti Communiste Palestinien), aucune organisation politique palestinienne n’a même, à ce jour, renoncé en principe à l’action violente. Et le PPP explique sa position non par des raisons philosophiques mais par des raisons pragmatiques : la nécessité de construire une résistance populaire « de masse », incompatible selon eux avec toute militarisation de la lutte.
Les débats inter-palestiniens quant aux questions de principe concernant « la » violence, touchent donc quasi-exclusivement les attaques contre les civils : attentats et prises d’otages dans les années 70-80, « attentats-suicide » en Israël dans les années 1990-2000. Et ici encore, le débat ne se situe guère sur le terrain moral mais sur celui de l’efficacité politique : lorsque dans les années 1980 Yasser Arafat affirme « renoncer au terrorisme », c’est pour que l’OLP soit reconnue comme un partenaire légitime dans le cadre d’un processus négocié ; lorsqu’en juin 2002 une pétition d’intellectuels palestiniens appelle à l’arrêt des attentats-suicide, c’est « [parce que] ces opérations ne nous avancent pas sur la voie de la liberté et de l'indépendance, mais gonflent les rangs des opposants à la paix et donnent au gouvernement de Sharon des arguments pour poursuivre sa guerre destructrice.» (14)
Ce débat sur les actions violentes contre les civils (distingués des soldats et des colons) appelle deux remarques : il traduit en réalité un débat plus profond quant à la légitimité de l’Etat d’Israël, certains courants palestiniens, notamment le Hamas (même s’il nuance de plus en plus ses positions, (15) considérant qu’il n’y a pas de civils israéliens, mais seulement des colons ; sa place et sa teneur indiquent en outre que dans la stratégie palestinienne la question n’est pas « violence/non-violence » mais « quelle place et quelle forme doit prendre la résistance armée dans la lutte ? ».
Ces éléments permettent de comprendre pourquoi le terme « non-violence » n’est que très rarement employé dans les territoires et le champ politique palestiniens. Le concept de « non-violence » opère, de facto, une rupture entre deux formes de résistance qui n’ont jamais été pensées par les Palestiniens comme étant contradictoires mais complémentaires. On parlera donc de « résistance populaire » et de « résistance armée », on privilégiera la réflexion sur l’articulation entre les deux modes d’action, et non sur la supériorité de l’un vis-à-vis de l’autre.
Ils permettent également de comprendre les décalages manifestes, voire les incompréhensions, entre les Palestiniens eux-mêmes et ceux qui affirment les soutenir dans leur combat tout en conditionnant ce soutien à « l’arrêt des violences ». Cette incompréhension est triple :
- Pour les Palestiniens le mot d’ordre de « l’arrêt des violences » ne prend son sens que dans la mesure où l’on parle de l’ensemble des violences, y compris l’occupation civile et militaire.
- La « résistance non-violente », que les Palestiniens appellent « résistance populaire », n’est pas pour ces derniers en contradiction avec la lutte armée.
- Les discussions sur les moyens privilégiés de la lutte n’ont de valeur, pour les Palestiniens, que si elle s’inscrivent dans la recherche du moyen le plus efficace pour satisfaire leurs droits.
La 1ère Conférence de Bil’in
En février 2006 s’est déroulée dans le village palestinien de Bil’in la première « Conférence internationale pour une résistance populaire et non-violente ». (16) Elle est depuis devenue un événement annuel. Cette initiative mérite d’être étudiée, tant elle est révélatrice des processus et des contradictions que nous avons examinés jusqu’à présent.
Le lieu n’a évidemment pas été choisi au hasard. Bil’in est un village dans lequel existe, depuis janvier 2005, un « Comité populaire » qui organise de manière hebdomadaire des manifestations pacifiques contre la construction du Mur de séparation, dont le tracé empiète largement sur les limites municipales du village. Bil’in est rapidement devenu un symbole, et nombre de militants pacifistes étrangers, y compris des Israéliens, participent aux manifestations hebdomadaires. Les habitants de Bil’in ont de plus déposé des recours juridiques devant la Haute Cour israélienne, qui a ordonné à plusieurs reprises des modifications du tracé du Mur.
Il convient de rappeler ici en outre que la Cour Internationale de Justice a donné raison, dans un avis rendu dès le 9 juillet 2004, aux Palestiniens exigeant la destruction du Mur :
« Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux violations du droit international dont il est l’auteur ; il est tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, de démanteler immédiatement l’ouvrage situé dans ce territoire et d’abroger immédiatement ou de priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent. » (17)
Les animateurs du Comité populaire ont parfaitement compris les vertus du combat du village de Bil’in : une situation d’oppression et d’injustice manifestes, des habitants désarmés luttant pacifiquement pour conserver leurs terres, soutenus par des militants israéliens.
Bil’in et sa manifestation hebdomadaire sont, dès l’année 2005, devenus le passage obligé de nombre de groupes de militants étrangers et israéliens en déplacement dans les territoires palestiniens. C’est ainsi qu’a germé, dans l’esprit des animateurs du Comité populaire de Bi’lin, l’idée d’une « Conférence internationale pour une résistance populaire et non-violente », à laquelle ont été conviés les acteurs de la solidarité internationale :
« Les 20 et 21 février se tiendra à Bil’in une conférence Palestino-Israélienne et internationale ayant pour thème la lutte collective non-violente. Durant ces 2 jours de rencontres, nous discuterons de la lutte collective, de la signification des colonies et du mur, des actions de non-violence sur le terrain et de différents exemples de luttes dans le Monde. Nous espérons que participeront à cette conférence les militants internationaux et locaux qui sont en accord avec la lutte commune menée par les Palestiniens, les Israéliens et les internationaux. Notre but est de promouvoir la lutte commune non-violente en créant des liens entre des militants de différents endroits, en échangeant l’information et en créant un réseau des militants qui soutiennent la lutte commune. Afin de créer ce réseau, nous discuterons pendant ces 2 jours de toutes les questions évoquées ci-dessus et une action à laquelle chacun d’entre nous pourra participer aura lieu. » (18)
Il ne s’agira pas ici de revenir sur le déroulement et le contenu de la Conférence elle-même. L’essentiel, en ce qui concerne notre propos, est de noter que la Conférence de Bil’in a eu davantage d’écho à l’étranger que dans les territoires palestiniens eux-mêmes. La participation palestinienne, au-delà des habitants de Bil’in, s’est limitée à quelques représentants d’ONG et d’associations.
Au-delà des contingences matérielles (difficultés de déplacement en raison des contrôles israéliens), ce déséquilibre dans la participation participe du décalage, entre les Palestiniens et ceux qui affirment soutenir leur combat, dans la perception de la non-violence :
a) La Conférence de Bil’in va bien évidemment contribuer à populariser la question palestinienne et aider tous ceux qui, à l’étranger, tentent de démontrer qu’il n’y a pas de « guerre » entre Israël et les Palestiniens mais un peuple en lutte pour défendre sa terre.
b) Mais pour nombre de militants palestiniens, cette survalorisation de la Conférence de Bil’in, à l’étranger, et cet intérêt soudain porté par les « Internationaux » à la résistance non-violente est une condamnation implicite des autres formes de résistance, et notamment de la lutte armée. Dans la bouche d’un militant du FPLP, le ressentiment est net : « Faut-il s’affirmer non-violent pour avoir le droit d’attirer l’attention des étrangers sur notre sort ? Mais qu’ils viennent vivre ici, et ils verront où est la violence… » (19)
c) Au-delà, et même si ce n’était au départ pas l’intention des organisateurs de la Conférence, Bil’in focalise, à partir de 2006, l’attention de nombres d’acteurs de la solidarité avec la résistance palestinienne, au détriment de multiples autres initiatives. « Mais pourquoi vont-ils tous à Bil’in ? Partout dans les territoires palestiniens nous résistons. Il y a des centaines d’actions qui auraient besoin d’être soutenues… » (20).
d) Enfin, l’initiative de Bil’in va susciter les convoitises et devoir rapidement faire face aux tentatives d’instrumentalisation, voire de récupération politique.
Depuis cette première Conférence de Bil’in, ces phénomènes se sont amplifiés et le Comité populaire du village a tenté, tant bien que mal, de répondre à des problématiques qu’il n’avait pas, de son propre aveu, anticipées.
Les évolutions : 2006-2009
J’exposerai ici les principales évolutions factuelles pour chacun des 4 points exposés ci-dessus. Dans un second temps je m’attacherai à les analyser afin de dégager les principales conclusions relatives au sujet traité dans cette communication.
a) Chaque année depuis 2006, une nouvelle Conférence est organisée à Bil’in. Elle devient un point d’appui essentiel pour la popularisation du combat des villageois de Bil’in contre le Mur et, au-delà, pour la popularisation de la cause palestinienne. En 2008, on comptait parmi les participants Luisa Morgantini, vice-présidente du Parlement européen et Mairead Maguire, militante irlandaise, prix Nobel de la Paix en 1976. L’ancien président des Etats-Unis Jimmy Carter a adressé une lettre aux participants. La Conférence a également reçu un message vidéo de soutien de l’ancien directeur général de l’UNESCO, Federico Mayor Zaragoza. Ces invités prestigieux témoignent du succès incontestable remporté par la Conférence.
b) Dans le même temps les organisateurs de la Conférence ont tenu compte des critiques suscitées, dans les territoires palestiniens, par l’emploi du concept de « résistance non-violente » : à partir de 2008 le terme disparaît de l’intitulé de l’initiative, remplacé (en anglais) par « grassroots resistance », que l’on pourra traduire par « résistance organisée à la base ». Cette substitution n’est pas un détail sémantique, mais traduit une prise en compte des positions de nombre d’organisations palestiniennes, qui ont conditionné leur soutien à l’initiative au retrait de toute condamnation a priori de la résistance armée. Selon les termes d’un dirigeant du FPLP : « Nous n’avons pas renoncé à la lutte armée mais nous soutenons néanmoins la lutte des villageois de Bil’in. Nous sommes prêts à participer à la Conférence à condition que la question de la résistance armée ne soit pas exclue des débats. » (21) En 2008 une discussion est organisée, pour la plus grande surprise de certains des participants étrangers, quant à la complémentarité entre résistance populaire et lutte armée. Y participent les principales organisations de l’OLP (FPLP, FDLP, PPP, FIDA, al-Mubadara, Fatah). Aucune d’entre elles n’a condamné a priori toute forme de violence, contrairement à certains intervenants internationaux.
c) Conscients du danger de mise en concurrence de la Conférence de Bil’in avec le reste des initiatives prises dans les territoires palestiniens, et souhaitant s’appuyer sur la popularité de Bil’in, les membres du Comité populaire développent, à partir de 2006, des liens avec d’autres comités de villages ou de camps de réfugiés.
À partir de 2008 la Conférence est en partie « délocalisée » dans certains villages, et des excursions sont organisées pour les participants, afin qu’ils puissent mesurer la réalité de l’occupation israélienne dans ses diverses dimensions. Il ne s’agit cependant pas d’une « exportation » du modèle de Bil’in mais bien d’une rentabilisation de l’écho suscité par ce village pour populariser d’autres initiatives. En 2008, et davantage encore en 2009, la déclaration finale de la Conférence met l’accent non sur les manifestations pacifiques mais bien sur la nécessité de l’organisation de la résistance « à la base », tandis qu’elle invite les acteurs de la solidarité internationale à se saisir de la Campagne dite « Boycott/Désinvestissement/Sanctions » (BDS) (22) et à en faire leur campagne centrale. Les manifestations pacifiques contre le Mur sont, comme on va le voir, passées au second plan. Elément notable, révélateur du décalage entre acteurs palestiniens et acteurs internationaux, certains de ces derniers « oublient » de rendre compte de la place centrale du BDS à leur retour de la Conférence.
d) L’écho de Bil’in suscite les convoitises de la plupart des acteurs du Mouvement National Palestinien. En 2008, le Premier Ministre de l’Autorité Palestinienne de Ramallah, Salam Fayyad, intervient lors de l’événement. Un représentant du Président Mahmoud Abbas est également présent. Mais l’exemple le plus frappant des tentatives d’instrumentalisation à des fins politiques de la lutte de Bil’in est celui de Mustapha Barghouthi, personnalité politique palestinienne qui a fondé en 2002 al-Mubadara, l’Initiative Nationale Palestinienne, organisation politique qui s’appuie sur un important réseau d’ONG reconnues internationalement.
Présent chaque année à Bil’in, Mustapha Barghouthi a repris à son compte, à partir de 2007, le concept de « résistance non-violente » : « Nous pensons que la Palestine a besoin en effet d’une alternative. Mais pas fondamentaliste. Nous proposons une alternative non fondamentaliste. Et nous misons sur la non-violence (…). Le Fatah et le Hamas s’appuient sur la force. Nous, nous misons sur la démocratie. (…) Une partie ne peut imposer une solution par la violence à l’autre. Si vous l’emportez par la violence, ce n’est pas démocratique. Aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanie , ni Hamas ni le Fatah ne sont démocratiques. » (23)
Les principales forces du Mouvement National Palestinien, à l’exception du Hamas, qui refuse de participer à une initiative qui fait, selon lui, « une apologie de la non-violence alors qu’il n’est pas question de renoncer à la lutte armée », ont donc tenté d’une façon ou d’une autre de se réapproprier Bil’in. Mais, comme on va le voir, aucune d’entre elles n’y est parvenue, en raison notamment de ce que l’on pourra appeler l’auto-dépassement de la Conférence.
Analyse des évolutions
a) Les organisateurs de la Conférence de Bil’in avaient vu juste : la lutte exemplaire de villageois désarmés contre le Mur a suscité l’enthousiasme aux 4 coins du monde, convaincant nombre d’organisations et de personnalités, qui émettaient des réserves quant à la forme prise par le combat palestinien dans les années 2000-2003 (lutte armée), de prendre publiquement position contre l’occupation israélienne.
L’initiative de Bil’in a en partie rompu l’isolement international dont les Palestiniens étaient victimes depuis le début de l’année 2001 (reprise des attentats-suicide en Israël), a fortiori depuis le 11 septembre et la victoire idéologique d’Ariel Sharon qui a assimilé la politique israélienne à la « guerre contre le terrorisme ».
Bil’in a également permis de reconstruire des liens israélo-palestiniens, quasiment rompus depuis septembre 2000, avec le développement de collaborations avec des groupes comme l' International Solidarity Movement (ISM, palestinien) ou Anarchistes contre le Mur(AAA, israélien). Ce phénomène participe largement de la rupture de l’isolement international.
Enfin, Bil’in a joué un rôle indéniable de force d’attraction vers les territoires palestiniens, encourageant nombre de militants internationaux à se rendre en Cisjordanie et à découvrir les réalités de l’occupation israélienne. On peut dire en ce sens que la mise en avant du caractère « non-violent », « pacifique », de Bil’in, en tenant compte du contexte international et des critiques formulées contre la stratégie armée, a largement contribué à donner un second souffle à la cause palestinienne.
b) Bil’in a également joué un rôle non négligeable au sein même du champ politique palestinien, en reposant la question de la stratégie dans la lutte contre l’occupation israélienne. Il ne s’agit pas ici de surestimer ces phénomènes, mais il est néanmoins indéniable que l’écho international de Bil’in a amené, de manière directe ou indirecte, nombre de militants palestiniens à s’interroger quant à leur propre stratégie.
Le dirigeant du FPLP cité plus haut affirme ainsi : «Même si nous avons beaucoup critiqué Bil’in, nous avons été obligés d’admettre que ces manifestations et ces conférences ont attiré l’attention d’une partie du monde sur notre cause. Alors non, il ne s’agit pas de dire que c’est la solution. Mais c’est sûr que nous devons reprendre les côtés positifs de Bil’in : l’organisation à la base et la très bonne communication.» (24)
Comme on l’a vu, cette prise en compte de Bil’in par les organisations politiques palestiniennes nationales n’a pas pour autant signifié une rupture stratégique.
Et par un effet de feedback, l’implication plus grande des factions palestiniennes dans les Conférences a permis à nombre d’organisations internationales et de militants étrangers de mieux saisir les débats inter-palestiniens concernant le recours à la violence. Malgré l’intitulé original de la Conférence de Bil’in, chacun aura pu en effet comprendre que le clivage violence/non-violence n’était pas une grille de lecture pertinente quant à la résistance palestinienne.
Les Palestiniens se sont en réalité réapproprié un outil qui menaçait de leur échapper car les participants internationaux, par méconnaissance ou par confort, valorisaient quasi-exclusivement le caractère « non-violent » de la résistance de Bil’in, en oubliant sa dimension populaire et en postulant l’exclusion a priori de toute violence. De symbole, pour certains, de la résistance non-violente en Palestine, Bil’in est progressivement devenu un symbole de la lutte palestinienne, dans toutes ses dimensions et composantes.
c) L’élargissement géographique de la Conférence s’est accompagné, comme on l’a vu, d’un élargissement qualitatif. Cet élément est essentiel dans la compréhension des dynamiques engendrées par l’initiative de Bil’in. De nouveau, il ne s’agit pas ici de surestimer le phénomène. Mais il est certain que Bil’in a servi, de manière directe ou indirecte, de catalyseur, de tribune et de point d’appui à d’autres initiatives dépassant de très loin les manifestations pacifiques contre le Mur.
C’est ainsi que la Campagne BDS, initiée en juillet 2005 par 172 organisations palestiniennes, a été au cœur des Conférences de 2008 et 2009. La campagne BDS n’avait eu qu’un écho très relatif au cours des 3 premières années, mais elle a connu une accélération importante à partir de 2008, lorsque la déclaration finale de la Conférence de Bil’in a appelé les acteurs de la solidarité à « promouvoir le boycott, le désinvestissement et les sanctions ; demander à tous les mouvements, organismes et associations de solidarité internationale de faire campagne pour un boycott qui comporte le retrait des investissements d’Israël de même que l’application de sanctions économiques, en particulier l’Accord d’Association commercial entre l’UE et Israël. » (25)
Le Forum Social Mondial de Belem (janvier 2009), dans lequel se trouvaient nombre de participants à la Conférence de Bil’in, a pour la première fois adopté le mot d’ordre du BDS (26). La Conférence de 2009 en a fait sa priorité et il figure en première place dans la déclaration finale, loin devant le mot d’ordre de la destruction du Mur (27).
C’est ce que l’on pourrait appeler l’autodépassement de Bil’in : d’un appel au soutien international à quelques centaines de villageois désarmés en lutte pour défendre leur terre, on est passé à l’exigence d’une campagne planétaire pour exercer des pressions sur Israël en l’isolant du reste du monde, et ce jusqu’à ce que l’ensemble des droits nationaux du peuple palestinien soient satisfaits.
Même si ce n’était pas l’objectif des membres du Comité populaire de Bil’in, leur initiative mettant en avant la non-violence a servi de « produit d’appel » à la cause palestinienne dans son ensemble et permis de valoriser des secteurs de la résistance palestinienne largement ignorés jusqu’alors.
Elle a permis de sortir de la logique dans laquelle la rhétorique du « cycle des violences » avait enfermé le peuple palestinien. Cette rhétorique entretenait l’idée selon laquelle « les torts étaient partagés » et que « les deux parties devaient faire des efforts », et elle avait profondément investi le mouvement de solidarité lui-même. Le succès et le développement actuels de la campagne BDS sont une victoire idéologique majeure pour les Palestiniens : c’est l’Etat d’Israël et sa politique qui sont stigmatisés, pas « les violences ».
Enfin, elle a participé de la revisibilisation de la résistance populaire palestinienne, en la resituant dans son historicité et dans son rapport complexe mais non contradictoire avec la lutte armée. Nombre d’acteurs du mouvement de solidarité, qui avaient une approche philosophique de la non-violence, ont pu mesurer que chez les Palestiniens elle était essentiellement la conséquence d’une démarche pragmatique due au déséquilibre du rapport de forces militaire. Ces acteurs ont pu comprendre que le recours à la lutte armée résultait entre autres de l’isolement international des Palestiniens, et que l’exigence d’un renoncement a priori à toute forme de violence était irrecevable et donc contre-productif.
En d’autres termes la Conférence de Bil’in et les dynamiques qu’elle a engendrées ont démontré que l’opposition violence/non-violence était largement imposée de l’extérieur et que, de manière paradoxale, c’est par le rejet de ce clivage et par le soutien sans injonction préalable aux revendications palestiniennes que le mouvement de solidarité pourrait contribuer au re-développement de la résistance populaire et à une baisse substantielle de l’utilisation des armes.
d) En ce qui concerne, enfin, les tentatives de récupération et d’instrumentalisation politiques, le constat est sans appel : personne n’a pu s’approprier Bil’in, pour de multiples raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas ici car elles nous éloigneraient de notre propos.
Je me contenterai d’indiquer que la faiblesse organisationnelle d'al-Mubadara (Mustapha Barghouthi) lui a interdit de s’emparer de l’initiative de Bil’in qui, comme on l’a vu, a connu des développements qualitatifs et quantitatifs significatifs.
De plus, la (re-)montée en puissance de la résistance populaire palestinienne a paradoxalement affaibli la position de Mustapha Barghouthi qui voulait en faire une spécificité de son courant politique.
De son côté l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas et Salam Fayyad n’a pas pu, pour des raisons structurelles, « récupérer » Bil’in. S’il y a pu y avoir conjonction d’intérêts, ponctuellement, entre une initiative valorisant la non-violence et un gouvernement promettant à Israël de mettre fin aux attaques armées palestiniennes, l’auto-dépassement de Bil’in et la place centrale prise par la question du BDS a contraint l’Autorité Palestinienne à prendre ses distances avec l’initiative. Enfermés dans une logique exclusive de négociations, les dirigeants de l’Autorité Palestinienne de Ramallah ne peuvent sérieusement reprendre à leur compte le mot d’ordre du BDS, qui inclut la revendication de la rupture des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël.
On comprend dès lors la déclaration finale de la Conférence de Bil’in, qui exige « que les factions nationales palestiniennes soutiennent la résistance populaire, et notamment le mouvement BDS », mettant la direction de l’Autorité Palestinienne devant ses responsabilités et face à ses contradictions, et démontrant que le soutien formel à la « non-violence » n’équivaut pas à un soutien réel à la « résistance populaire ».
Conclusions
Loin d’être un changement de stratégie issu d’un quelconque aggiornamento des organisations politiques palestiniennes, l’apparente nouveauté des formes « non-violentes » de résistance dans les territoires palestiniens est avant tout le produit d’une illusion d’optique. La quasi-hégémonie idéologique du paradigme du « cycle de la violence », combiné à l’occultation, volontaire ou non, de la violence quotidienne de l’occupation israélienne, a invisibilisé l’essentiel de la résistance palestinienne.
De même que certains avaient découvert la nature populaire et non-violente de la résistance palestinienne lors de l’Intifada de 1987, d’autres (ou parfois les mêmes) ont oublié ces caractéristiques lorsque, dans les années 2000-2003, l’ensemble des organisations palestiniennes (à l’exception du PPP) ont repris la lutte armée. Cette myopie a conduit certains acteurs du mouvement de solidarité internationale à relativiser leur soutien à la lutte palestinienne, les plaçant dans la position paradoxale de soutien aux droits d’un peuple sans soutien à son combat.
Confrontés au triple défi de l’écrasement militaire, de l’isolement international et des divisions entre organisations palestiniennes, certains acteurs du Mouvement National Palestinien ont eu l’intelligence politique de mettre en avant une lutte locale exemplaire : celle des villageois de Bil’in.
En valorisant ses aspects « non-violents », ils ont contribué à la reconquête de la légitimité palestinienne, sans pour autant revendiquer une quelconque nouveauté ou une concurrence avec les formes armées de la lutte.
Sans jamais se réclamer d’une non-violence philosophique, de principe, qui ne peut naître et/ou prendre racine dans une société confrontée de manière quotidienne à la violence de l’occupation, les organisations palestiniennes qui se sont saisies de l’écho international de Bil’in ont progressivement redonné son sens et son audience à la résistance populaire, qui n’avait en réalité jamais disparu des territoires palestiniens.
Ils ont ainsi démontré que l’opposition formelle entre partisans et adversaires de la violence était une construction idéologique exogène vouée à dissimuler une rhétorique du « partage des responsabilités » entre Israël et les Palestiniens. On comprend d’autant mieux pourquoi le discours de Barack Obama cité en introduction, dans lequel il insiste sur la question de « l’arrêt des violences » palestiniennes et vante les mérites de la non-violence, a été mal reçu en Cisjordanie et à Gaza.
Ce faisant, ces acteurs ont redonné un contenu au concept de résistance non-violente, qui ne s’est jamais au cours de l’Histoire limité à un pacifisme souvent synonyme d’inaction. (28)
On comprend dès lors pourquoi le terme de résistance populaire, « à la base », est privilégié, qui ne se définit pas « en négatif » par rapport à un possible recours à la violence mais « en positif », sans exclure a priori l’action violente : implication toujours plus grande des populations concernées, multiplication des formes d’action (manifestations, grèves, boycott…), et surtout appel à la participation populaire internationale.
L’initiative de Bil’in demeure encore aujourd’hui largement critiquée dans les territoires palestiniens : aspects ritualisés, rendez-vous obligé des « internationaux » survalorisation par rapport à d’autres combats locaux. Elle a néanmoins révélé et généré des dynamiques qui la dépassent de très loin, et ce quelles qu’aient été les intentions originelles de ses initiateurs.
C’est donc essentiellement à une adaptation tactique que l’on a assisté dans les territoires palestiniens, dont la portée dépasse de très loin le cas étudié. Ou quand dans une situation d’injustice manifeste, ceux qui ont le droit de leur côté sont souvent obligés de faire d’apparents compromis idéologiques, au risque d’affaiblir dans un premier temps leur position. Quand des reculs sur la forme, lorsqu’ils sont organisés avec intelligence, peuvent rapidement aboutir à des avancées sur le fond.
Quand une logique en apparence exclusive devient, par la pratique et la confrontation des points de vue, une logique essentiellement inclusive. Mais aussi quand la dénonciation de « la » violence, décontextualisée et dépolitisée, dissimule mal les indépassables contradictions d’une approche « équilibrée » tentant de concilier justice et injustice, droit et non-droit.
Notes
1 Discours de Barack H. Obama au Caire, 4 juin 2009.
2 Jean-Marie Muller, Conflit israélo-palestinien, la violence sacrilège, 12 octobre 2003.
http://www.non-violence-mp.org/muller/violencesacrilege.htm
3 Véronique Dudouet, Nonviolent Resistance and Conflict Transformation in Power Asymmetries, Berghof Resarch Center for Constructive Conflict Management, septembre 2008.
http://www.berghof-handbook.net/
4 Entretien avec Hussam Khadr, Membre du Conseil Législatif Palestinien, Naplouse, octobre 2001.
5 Entretien avec Omar Barghouthi, Coordinateur de la Campagne palestinienne Boycott/Désinvestissement/Sanctions, Bil’in, juin 2008.
6 Voir entre autres Joss R. Hiltermann, Behind the Intifada, Labor and Women’s Movements in the Occupied Territories, Princeton, Princeton University Press, 1991 et Jamal R. Nassar et Roger Heacock (eds), Intifada : Palestine at the Crossroads, New York, Bir Zeit University et Praeger Publishers, 1990.
7 Voir Hiltermann, op. cit.
8 Pour plus de détails, voir mon article « Retour sur les Accords d’Oslo ».
9 Gandhi, Lettres à l'âshram, Paris, Albin Michel, 1971, p. 132
10 Gene Sharp, The Politics of Nonviolent Action, Boston, Porter Sargent, 1973, p. 64.
11 Entretien, mai 2008.
12 Roland Barthes, La chambre claire : notes sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980, p. 48.
13 Mubarak Awad, « Non-Violent Resistance: A Strategy for the Occupied Territories », in Journal of Palestine Studies, Vol. 13, No. 4 (été 1984), p. 22-36
14 Appel à la cessation immédiate des attentats-suicide, paru dans le quotidien palestinien al-Quds (en arabe), 20 juin 2002.
15 Voir notamment Hroub, Khaled, « Un Hamas nouveau ? », in Revue d’études palestiniennes, n°102, hiver 2007.
16 Site internet : http://www.bilin-village.org/
17 Avis de la Cour Internationale de Justice (CIJ), rendu le 9 juillet 2004. Texte original (en anglais) sur
http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1677.pdf
18 Appel du Comité populaire de Bil’in (janvier 2006).
19 Entretien, juin 2008.
20 Idem, juin 2008.
21 Entretien, février 2006.
22 Voir l’appel sur http://www.bdsmovement.net/
23 Mustapha Barghouthi, Pour une résistance de masse non-violente contre Israël (entretien avec I. Ramonet), mai 2008.
http://www.monde-diplomatique.fr/
24 Entretien, février 2006.
25 Déclaration finale de la Conférence de Bil’in, juin 2008
26 «Nous demandons d’urgence aux personnes et organisations dans le monde de se mobiliser pour les actions visibles de la campagne BDS». Texte complet sur :
http://openfsm.net/projects/
27 Déclaration finale de la Conférence de Bil’in, avril 2009
28 Voir notamment Sharp, op. cit., dans lequel l’auteur liste 198 ( ! ) formes d’action non-violente.
Source : http://juliensalingue.over-blog.com/
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