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ISM France - Archives 2001-2021

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France -

Le Hamas sort-il renforcé de l'offensive israélienne ?

Par

Dans un chat au Monde.fr, Jean-François Legrain, chercheur au CNRS, spécialiste du Proche-Orient, estime que le Hamas va dorénavant incarner l'identité nationale palestinienne.

Robert1 : Sur quels critères peut-on parler d'affaiblissement du Hamas, militaires, politiques... ? Comment pourra-t-on déterminer qui a "gagné" ?

Jean-François Legrain : La réponse est liée à l'identité du Hamas. Dans le domaine militaire, il y aura évidemment un échec du fait de la disproportion des forces en présence. Mais le militaire n'a jamais été essentiel pour le Hamas. Il n'a pas été élu pour libérer la Palestine. Du point de vue diplomatique, il y a également échec, puisque absence de négociations. Mais le Hamas n'a pas été élu pour négocier avec Israël. L'échec diplomatique a eu des conséquences économiques extrêmement graves pour la bande de Gaza, et cet échec pourra en effet lui être reproché par certains.
Mais la victoire est, elle, incontestable au niveau de la dignité des Palestiniens et de leur résistance à faire triompher leur identité.


Gex : Israël a-t-il d'autres objectifs que d'affaiblir le Hamas ?

Jean-François Legrain : La guerre de Gaza est une guerre à multiples détentes. Le premier objectif, partagé de facto par la communauté internationale et bon nombre d'Etats arabes, est d'interdire toute future victoire démocratique d'un parti islamiste.
Mais l'instrumentalisation par le gouvernement israélien de la lutte contre le "terrorisme islamique" vise à un deuxième niveau qui, lui, n'est pas nécessairement partagé par la communauté internationale et les Etats arabes : détruire l'infrastructure nationale palestinienne et toute institutionnalisation de l'identité nationale.


Remy : La bande de Gaza est étonnamment bien armée. D'où viennent les armes ?

Jean-François Legrain : Le surarmement de la bande de Gaza est en fait un effet de communication initié par le gouvernement israélien, qui affirmait que Hamas possédait des missiles Stinger et des missiles antichars en quantité. Jusqu'à présent, de telles armes n'ont pas été utilisées.

Il faut se rappeler 1990, quand l'armée irakienne avait été présentée par la coalition comme la troisième armée au monde, ou, plus récemment, les accusations portées contre l'Irak détenteur d'armes de destruction massive. Tout cela n'est fait que pour justifier une intervention et faire passer l'agresseur pour la victime.


Macoco : De telles armes, non, mais des roquettes sont quand même tirées sur Sderot. La nature des armes est-elle vraiment le problème essentiel ?

Jean-François Legrain : La nature des armes n'a jamais été le point essentiel, car la justification de l'intervention à Gaza par les tirs de roquettes et le non-renouvellement de la trêve est un simple argument de communication de la part du gouvernement israélien.

En réalité, durant les cinq premiers mois de la trêve, le Hamas s'est abstenu de tirer des roquettes sur le sud d'Israël. Les statistiques de l'armée israélienne en la matière sont très claires. En lançant une opération armée à l'intérieur même de la bande de Gaza début novembre, Israël savait qu'il relançait les tirs de roquettes et que, par là, il obtiendrait, par ce qui serait présenté comme une radicalisation de ses adversaires, la possibilité de mener sa guerre, voulue, contre le parti islamiste palestinien, et surtout contre le nationalisme palestinien.

Une fois de plus, Israël montre qu'il refuse d'envisager toute solution politique avec ses voisins palestiniens. Et nous retrouvons là la politique qui avait été clairement définie par Dov Weisglass, le principal conseiller d'Ariel Sharon, en 2005 : éviter tout processus politique en plongeant la communauté internationale dans le formol. Il s'agissait à l'époque de définir le retrait unilatéral de la bande de Gaza.


MarieH : Certaines personnes affirment que c'est l'Iran qui arme le Hamas. Cela est-il matériellement possible ? Par quel chemin ces armes passeraient-elles ?

Jean-François Legrain : Si l'hypothèse du financement iranien peut être envisagée, l'importation "physique" d'armes iraniennes ne peut pas l'être. Le caractère artisanal des armes utilisées par les Palestiniens en est la preuve la plus éclatante.


Fred : Combien d'hommes compte le Hamas ? Sa capacité militaire est-elle affectée par l'offensive israélienne ?

Jean-François Legrain : Il est impossible de chiffrer avec exactitude les capacités militaires du Hamas. Ce serait en tout cas une erreur d'inclure dans ces chiffres, comme l'ont fait le gouvernement israélien et ses alliés, les forces de police du ministère de l'intérieur palestinien, en effet contrôlées par un ministre Hamas dans la bande de Gaza.

Les premières frappes israéliennes ont été dirigées contre l'ensemble des commissariats de police de l'Autorité palestinienne à Gaza. Il ne s'agissait là que de police civile appelée à assurer la sécurité civile des Palestiniens. Les forces des brigades Al-Qassam n'ont à ce moment-là subi quasiment aucune perte. Les effectifs des brigades Al-Qassam, quant à eux, véritable force militaire de Hamas, par définition clandestines, sont impossibles à quantifier par des sources indépendantes.


Hafid : L'armée israélienne a-t-elle été entraînée à la guérilla ?

Jean-François Legrain : L'armée israélienne, depuis de nombreuses années, a entraîné un certain nombre de ses unités à ce qui peut être conçu en termes d'intervention policière dans les territoires palestiniens. La guerre à Gaza n'entre pas dans cette catégorie, et présente un défi comparable à celui de sa guerre au Sud-Liban : combattre dans des zones civiles. Jusqu'à présent, l'armée israélienne est restée à l'extérieur des zones les plus densément peuplées, ce qui ne l'a pas empêchée de connaître déjà un certain nombre de pertes.


Patrick : Que gagne le Hamas à envoyer des roquettes, relativement inoffensives, sur les villes israéliennes ?

Jean-François Legrain : Ce tir de roquettes dénoncé tant par Israël que par la communauté internationale avait été défini, justement me semble-t-il, par le rapporteur spécial de l'ONU, Richard Falk, en termes de "crime de survie". Il s'agissait en effet, pour les Palestiniens de la bande de Gaza et pas seulement ceux de Hamas, de faire savoir que le blocus qui débouchait sur une crise humanitaire majeure ne les avait pas encore conduits à la mort.


Jonathan : Est-ce que le Hamas a fait tout ce qui était en son pouvoir pour promouvoir la paix avec Israël ?

Jean-François Legrain : Il faut se souvenir que Hamas a été élu dans le cadre d'élections pour l'Autorité palestinienne d'autonomie, une autorité dépourvue de capacités diplomatiques. La négociation avec Israël est du seul ressort de l'Organisation de libération de la Palestine, OLP, présidée par Mahmoud Abbas, par ailleurs président de l'Autorité palestinienne d'autonomie. Hamas n'a jamais contesté cette capacité diplomatique de l'OLP. Hamas, en effet, a manifesté des positions qui différaient de celles de l'OLP, mais n'a jamais prétendu les imposer aux négociateurs.

L'injonction faite au mouvement Hamas de reconnaître l'Etat d'Israël, ou même son droit légitime à exister, comme préalable à tout contact avec ce mouvement, ne figure dans aucune des traditions juridiques et diplomatiques internationales.


Rubi_1: Est-ce que la population de Gaza soutient les tirs de roquettes ?

Jean-François Legrain : L'attitude de la population de Gaza concernant les tirs de roquettes est ambiguë et complexe. D'une part, elle voit les conséquences extrêmement négatives de tels tirs, et en ce sens, elle souhaite leur arrêt ; mais au même moment, elle ne peut se résoudre à une soumission à ce qu'elle considère de façon unanime comme une agression injustifiée de l'extérieur.
Agression israélienne, mais aussi internationale, du fait de la participation active de la communauté internationale et de l'Egypte voisine au blocus économique dont elle est victime depuis de nombreux mois.


Jonathan : Quelle est aujourd'hui l'opinion de la population palestinienne sur le Hamas ? Serait-il réélu si des élections avaient lieu ?

Jean-François Legrain : Il est évidemment impossible de répondre à une telle question, et aucun des nombreux sondages effectués toutes ces dernières années ne bénéficie d'une quelconque fiabilité. De toute façon, aucune élection, qu'elle soit présidentielle ou législative, ne peut aujourd'hui être envisagée en Palestine. Les dernières élections, tant présidentielle que législatives, ont été saluées comme éminemment démocratiques. La communauté internationale, qui avait reconnu ce caractère, malheureusement, du fait de la victoire de Hamas, s'est empressée de piétiner immédiatement ses propres principes, en s'alignant sur le gouvernement israélien et sur le mouvement Fatah du président Abbas pour empêcher le mouvement sorti victorieux des urnes d'exercer le mandat démocratique dont il avait été chargé.


Kynel : Le Fatah semble être sur la touche en ce qui concerne les négociations pour un cessez-le-feu. Cela ne risque-t-il pas de donner plus de légitimité politique au Hamas ?

Jean-François Legrain : Dans le cadre de cette partie de billard à plusieurs bandes, l'OLP et la présidence palestinienne ainsi que le mouvement Fatah sortent comme les principaux perdants politiques. Au mieux, Mahmoud Abbas passe pour un faible qui a échoué à obtenir une réponse positive tant d'Israël que de la communauté internationale à ses positions politiques ; au pire, il passe pour un collaborateur.


Rouetos: Est-ce vrai que le Hamas a été soutenu un temps par Israël ?

Jean-François Legrain : Il est indéniable que tout au long des années 1970 et jusqu'au début de 1988, les gouvernements israéliens qui se sont succédé ont fermé les yeux sur le développement des activités tout d'abord des Frères musulmans, puis, à partir de la fin 1987, du Hamas, alors même qu'à la même période, ces mêmes gouvernements exerçaient une politique systématique de répression financière, politique et sécuritaire à l'encontre de l'OLP et de l'ensemble de ses organisations.

Mais il ne s'est pas agi d'une aide active, le Hamas n'est pas une marionnette créée par les Israéliens, mais d'une aide par défaut dans le cadre d'une politique du "diviser pour mieux régner".

L'abandon de cette politique et la répression se sont effectués au printemps 1989, à la suite de l'enlèvement de deux Israéliens assumé par le mouvement, même si le débat interne sur le passage à la lutte armée n'avait pas encore été réglé.


Rafi : Existe-t-il au sein du Hamas des tendances modérées ?

Jean-François Legrain : Le mouvement Hamas est doté à la fois de courants extrêmement divers et d'une culture très profonde de consensus. Les lignes de fracture ne passent pas, comme il est souvent avancé, entre une direction intérieure et une direction extérieure, entre une aile modérée et une aile radicale.

Les rapports sont autrement plus complexes et évoluent selon les époques et selon les dossiers. Physiquement, du fait de l'éclatement territorial, le mouvement est constitué des pôles que sont Gaza, la Cisjordanie , les prisons israéliennes et les différents bureaux de représentation à l'étranger, sans oublier les mobilisations au sein des diverses communautés palestiniennes de la diaspora.


Alexia : Au final, le Hamas sortira-t-il de cette crise affaibli ou renforcé ?

Jean-François Legrain : A n'en pas douter, l'OLP, qui pendant des décennies a incarné la construction de l'identité nationale palestinienne et la dignité du peuple palestinien dans la résistance, vient aujourd'hui de perdre, et de façon peut-être irrémédiable, cette qualité. Dorénavant, le mouvement Hamas fait figure, non seulement à Gaza mais également en Cisjordanie et ailleurs dans le monde, de porte-drapeau de cette volonté de résistance. Pour les mêmes raisons, Saddam Hussein en son temps avait pu dynamiser autour de lui un immense soutien arabe, de même que le cheikh Nasrallah du Hezbollah.


Paul_1 : Paradoxalement, il me semble que cette guerre menée par Israël rend le dialogue avec le Hamas de plus en plus incontournable. Pensez-vous que Barack Obama parlera avec le Hamas ?

Jean-François Legrain : Parler avec le Hamas est en effet une injonction de la sagesse et du pragmatisme. Le refus de la communauté internationale, et plus particulièrement de l'Europe et de la France, dans le domaine lui fait porter une énorme responsabilité dans la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Le refus de dialoguer nous a coupés de tout canal d'information, mais également d'intervention, tout en nous conduisant à piétiner les principes que nous prétendions défendre. Comment prétendre être le "monde libre et démocratique" quand on empêche un parti démocratiquement élu d'exercer son mandat ? Il ne faut pas oublier que la prise de contrôle sécuritaire de la bande de Gaza en juin 2007 n'a été que la prévention d'un putsch ourdi de façon conjointe par les Etats-Unis et certains courants internes de Fatah.


George : Mais peut-on parler avec le Hamas tant qu'il prône la destruction d'Israël et la violence ?

Jean-François Legrain : Tout dépend des objectifs que l'on se fixe. Une négociation pour une sortie de guerre se fait non pas avec les interlocuteurs que l'on souhaite ou avec les ennemis tels que l'on souhaiterait qu'ils soient, mais avec ses adversaires réels.

Le Hamas a montré qu'il était une des expressions les plus importantes, sinon majoritaires, de l'opinion des Palestiniens de la bande de Gaza et de la Cisjordanie . De ce fait, le Hamas est un interlocuteur incontournable et d'aucune manière ne pourra être tenu à l'écart d'une négociation sur le fond.


Raul : Comment expliquer la fixation du monde arabe sur ce conflit ?

Jean-François Legrain : Ce conflit, depuis des décennies, se situe en effet au cœur des mobilisations politiques arabes pour des raisons multiples, qu'elles soient purement instrumentales ou constituent d'authentiques solidarités et implications. La "rue arabe", depuis très longtemps, a manifesté de réelles solidarités avec les Palestiniens.

Les défaites militaires des gouvernements arabes dans le conflit israélo-arabe se sont, dans bien des cas, payées, parfois plusieurs années après, parfois de façon plus rapide, par des renversements de régime et des révolutions. Aujourd'hui, le régime égyptien est sans aucun doute celui qui risque un jour ou l'autre de payer le prix le plus élevé de son implication active dans le blocus de la bande de Gaza.

Cette solidarité de la rue arabe peut s'expliquer à la fois par des raisons religieuses, la présence du troisième lieu saint islamique en Palestine avec la mosquée Al-Aqsa, mais aussi par des raisons d'activisme panarabe. Il faut se souvenir que dans les années 1960-1970, la quasi-totalité des nationalistes arabes qui ont mené des révolutions dans leur pays ont été en contact avec la révolution palestinienne, tant dans les camps militaires de Jordanie puis du Liban que du point de vue idéologique. La révolution algérienne a été l'un des exemples de la révolution palestinienne, et la révolution palestinienne a été l'un des exemples de bon nombre de révolutions arabes.


Anouk : Quels sont les scénarios de sortie de crise ? La conclusion d'une paix durable est-elle repoussée de plusieurs décennies ?

Jean-François Legrain : La décision prise par Israël de mener cette guerre à Gaza s'est accompagnée de multiples justifications. Aucun objectif ne paraît clair. Aujourd'hui, en effet, on ne peut pas envisager le retour du Hamas aux affaires. L'ensemble des infrastructures civiles palestiniennes a été détruit (ministère de l'éducation, des affaires sociales, etc.). Il paraît impossible d'envisager un retour du Fatah à ces mêmes affaires. Un tel retour serait considéré comme une collaboration active avec l'"agresseur".

Pour Israël, il semblerait que la solution souhaitée serait un certain retour de l'Egypte dans la bande de Gaza, et de la Jordanie en Cisjordanie . Mais rien n'indique que l'Egypte, comme la Jordanie, soit disposée à jouer un tel rôle. De ce fait, nous nous trouvons aujourd'hui face à une absence de "mandataire" qui puisse exercer son autorité sur la bande de Gaza. Une intervention directe de la communauté internationale à travers une force militaire d'intervention reste la solution mais les positions actuelles de cette communauté la rendent difficilement envisageable. La réussite de l'envoi d'une telle force, en tout cas, dépendra de son mandat.

Seule la création d'un Etat palestinien doté de toutes ses prérogatives aux côtés de l'Etat d'Israël, avec une solution juste au droit des réfugiés telle que l'ONU l'a traditionnellement envisagée, appuyée sur la présence d'une force internationale, pourrait amener un véritable arrêt des hostilités.

Chat modéré par Benoît Vitkine.


Source : Le Monde

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