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Palestine occupée - 23 mai 2017
Par Alaa Tartir
Alaa Tartir est directeur de programme d’al-Shabaka : The Palestinian Policy Network, et chercheur post-doctorat à l’Institut universitaire des Hautes Études internationales et du développement, à Genève. Consultez son site Internet et suivez-le sur Twitter @alaatartir.
"Parler de la « coopération » israélienne et palestinienne (…) revient à utiliser au moins un terme inadapté. Ce n’est pas simplement parce que « le résultat de la coopération entre un éléphant et une mouche n’est pas difficile à prévoir », comme Chomsky l’écrit si bien (…) mais parce que dans le cadre d’Oslo, la « coopération » est souvent très peu différente de l’occupation et de la domination qui l’ont précédée. La « coopération », dans ce contexte, est avant tout une formule édulcorée et acceptable internationalement qui obscurcit plutôt que d’éclairer la nature des relations israélo-palestiniennes." Jan Selby, 2003.
Policiers palestiniens, Naplouse, 2007.
"J’applaudis la coordination continue de la sécurité de l’Autorité palestinienne avec Israël. Ils s’entendent incroyablement bien. J’ai eu des réunions et lors de ces réunions, j’ai vraiment été très impressionné et quelque peu surpris de voir à quel point ils s’entendent bien. Ils travaillent ensemble magnifiquement." Donald Trump, 2017.
Résumé
Dès le début, les responsables des services de sécurité de l’Autorité palestinienne (PA) n’ont pas protégé les Palestiniens de la source principale de leur insécurité : l’occupation militaire israélienne. Ils n’ont pas non plus permis aux Palestiniens de résister à cette occupation. Au lieu de cela, l’AP a contribué à une situation où la lutte palestinienne pour la liberté a elle-même été criminalisée. Plutôt que de reconnaître la résistance comme une réponse naturelle à une oppression institutionnalisée, l’AP, en tandem avec Israël et la communauté internationale, caractérise la résistance comme une « insurrection » ou une « instabilité ». Cette rhétorique, qui favorise la sécurité des Israéliens aux dépens de celle des Palestiniens, fait écho au discours dominant sur la « guerre contre le terrorisme » et criminalise toutes les formes de résistance.
Cette dynamique remonte aux Accords d’Oslo de 1993, mais elle a été propulsée en avant au cours de la dernière décennie grâce à l’évolution de l’AP en tant qu’État totalement dépendant des donateurs et qui défend les politiques néolibérales. La réforme du secteur de la sécurité axée sur les donateurs a été la pierre angulaire du projet de construction de l’État post-2007 de l’AP. L’efficacité accrue des forces de sécurité de l’AP grâce à l’investissement massif des donateurs a mis en place des moyens supplémentaires pour protéger l’occupant israélien, créant ainsi des espaces « sécurisés » dans lesquels celui-ci peut se mouvoir librement dans l’exécution de son projet colonial.
Un tel développement ne peut avoir que deux résultats : une collaboration « accrue » avec la puissance occupante d’une manière qui renforce un statu quo destructeur, et une plus grande violation de la sécurité et des droits nationaux des Palestiniens par leur propre gouvernement et les forces de sécurité nationales.
L’article qui suit analyse l’évolution et la « réforme » des forces de sécurité palestiniennes depuis la création de l’AP, puis examine la coordination sécuritaire israélo-palestinienne et ses effets néfastes sur la capacité palestinienne à résister aux forces d’occupation israéliennes aussi bien que sur les libertés fondamentales. Il se concentre sur les forces de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et non sur la situation à Gaza, laquelle nécessite une recherche et une analyse distinctes. Il se termine par des recommandations politiques visant à redéfinir les missions des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne et à revoir fondamentalement leurs structures afin qu’elles puissent vraiment servir à protéger leur propres concitoyens.
L’ascension des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne
L’évolution des forces de sécurité de l’AP peut être découpée en trois phases : les Accords d’Oslo (1993-1999), la Deuxième Intifada (2000-2006) et le projet de renforcement de l’État de l’AP après 2007.
Les Accords d’Oslo ont été caractérisés par deux projets parallèles mais contradictoires : la construction de l’État et la libération nationale. Le premier projet impliquait la construction d’institutions étatiques et d’une bureaucratie (bientôt pléthorique) sous occupation, tandis que le second visait à poursuivre le programme révolutionnaire d’autodétermination qui avait été adopté par l’OLP.
La forte contradiction entre ces deux entreprises s’était déjà manifestée sous le règne du défunt président Yasser Arafat. Le style de gouvernance personnalisée d’Arafat et son réseau complexe de corruption et de népotisme signifiaient que l’évolution des forces de sécurité de l’AP, dès son avènement, ne serait ni inclusive ni transparente. Au contraire, ces forces étaient incrustées de népotisme et utilisées comme outil pour faire face aux menaces aux adversaires d’Oslo et pour contrôler la population. De plus, elles ont également solidifié les accords naissants de « paix ». Les 9000 recrues de la « forte force de police » imaginées dans l’Arrangement du Caire de 1994 étaient passées au nombre de 50 000 en 1999. Cette prolifération de forces de sécurité – toutes s’espionnant les unes les autres, comme l’a expliqué Edward Said – a eu de graves conséquences pour les Palestiniens. Les structures politiques mises en place par l’équipe d’Arafat et axées sur la sécurité ont nourri l’autoritarisme et bloqué les mécanismes de responsabilisation dans le système politique palestinien. Cela a entraîné un manque de légitimité et plus d’insécurité pour les Palestiniens. Au fur et à mesure que les services de sécurité augmentaient en nombre et en institutions, les Palestiniens restaient mal protégés et la corruption et le mécénat au sein de ces services devenaient endémiques. L’approche « diviser pour régner » a ouvert la voie à la future fragmentation palestinienne.
Au cours de la deuxième Intifada, Israël a détruit l’infrastructure de sécurité de l’AP parce que celle-ci avait participé au soulèvement. Un vide de sécurité s’en est suivi dans lequel les acteurs opposés à l’AP se sont engouffrés, avec des résultats mitigés pour les Palestiniens. Cette concurrence exacerbée intra-palestinienne a conduit les donateurs externes, l’AP et Israël à se préoccuper encore plus de la construction d’un secteur de sécurité fort et dominant. En juin 2002, l’AP a annoncé son plan de réforme de 100 jours. En 2003, la Feuille de route exigeait qu’un « appareil de sécurité de l’Autorité palestinienne reconstruit et recentré » affronte « tous ceux qui sont impliqués dans le terrorisme » et démantèle les « capacités et infrastructures terroristes ». Ces forces ont donc été formées pour combattre le « terrorisme », appréhender les suspects, rendre l’incitation [à la résistance] illégale, ramasser toutes les armes non-autorisées. L’AP s’engageait à fournir à Israël une liste des recrues de la police palestinienne et à rendre compte devant les États-Unis des progrès réalisés.
Par conséquent, la réforme de la sécurité palestinienne « est restée (…) un processus contrôlé par l’extérieur, conduit par les intérêts de sécurité nationale d’Israël et des États-Unis, et caractérisé par une indépendance très forte vis-à-vis de la société palestinienne ». Le groupe international des donateurs a mené cette réforme en 2005 grâce à la création du Bureau de coordination de l’Union européenne pour le soutien à la police palestinienne (EUPOL COPPS) et grâce au Coordonnateur de la sécurité des États-Unis (USSC). Cette situation perdure aujourd’hui, sous la forme d’une stratégie « une seule arme à feu, une seule loi, une seule autorité » par laquelle le monopole de l’AP sur la force et la violence est assuré.
Le projet d’édification de l’État post-2007 dans le cadre de l’AP visait, principalement avec l’aide d’EUPOL COPPS et USSC, de réinventer les forces de sécurité de l’AP par des moyens techniques, y compris la formation et l’acquisition d’armes. Il a également visé à redistribuer les rapports de forces politiquement en concurrençant le Hamas et sa branche armée, en reprenant en main les militants alliés au Fatah par la cooptation et l’amnistie, en réprimant les délinquants et en lançant des campagnes de sécurité, en particulier à Naplouse et Jénine. Ces forces ont été rapidement connues sous le nom de forces de Dayton en référence à Keith Dayton, le lieutenant-général des États-Unis qui a mené le processus de « professionnalisation et modernisation » de l’institution militaire de l’AP. Les organisations locales et internationales de défense des Droits de l’homme ont accusé ces forces « nouvelle mouture » de violer les droits de l’homme et de supprimer les libertés.
La phase la plus récente a renforcé la prédominance des intérêts sécuritaires israéliens aux dépens de ceux des Palestiniens. Le désarmement et la criminalisation ont entravé la résistance populaire contre l’occupation, y compris les manifestations pacifiques et les rassemblements, les protestations contre les violations des Droits de l’homme par Israël et le militantisme en milieu étudiant. Aujourd’hui, les forces de sécurité de l’AP protègent en grande partie la sécurité de l’occupant et non pas celle des occupés. En bref, la sécurité des Palestiniens est menacée parce que leur propre leadership joue le rôle de sous-traitant en les réprimant. Le programme de réforme de la sécurité post-2007 a contrarié la lutte nationale des Palestiniens, leur mouvement de résistance et leur sécurité quotidienne, et a étouffé le fonctionnement même de la politique palestinienne.
La coordination sécuritaire comme outil de domination Pour comprendre l’ampleur de l’entreprise de coordination de la sécurité, il est utile de noter que le secteur de la sécurité palestinien emploie environ la moitié de tous les fonctionnaires, représente près d’un milliard de dollars du budget de l’AP et reçoit environ 30% de l’aide internationale totale versée aux Palestiniens. Le secteur de la sécurité consomme plus dans le budget de l’AP que les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’agriculture combinés. Il est actuellement composé de 83 276 employés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, dont 312 généraux de brigade, 232 rendant des comptes à l’AP et 80 au Hamas. En comparaison, l’armée américaine dans sa totalité compte 410 généraux de brigade. Le ratio entre le personnel de sécurité et la population est aussi élevé que 1 pour 48. C’est l’un des plus élevés au monde.
La collaboration en matière de sécurité entre Israël et l’Autorité palestinienne a atteint les objectifs fixés dans les Accords d’Oslo consistant à institutionnaliser les accords de sécurité et à lancer un processus de paix qui est étroitement contrôlé par le secteur de la sécurité, afin de permettre à Israël de réaliser ses ambitions coloniales tout en prétendant poursuivre la paix. Ce processus de « sécurisation de la paix » se manifeste de plusieurs façons, dont: -l’arrestation par les forces de sécurité palestiniennes des suspects palestiniens recherchés par Israël (comme dans le cas récent de Basil Al-‘Araj qui a été arrêté et libéré par l’AP uniquement pour être poursuivi et finalement assassiné par les Israéliens) -la suppression des manifestations palestiniennes contre les soldats israéliens et/ou les colons -le partage des informations entre les forces de défense israéliennes (FDI) et les forces de sécurité de l’AP -une politique de « porte tournante » entre les prisons israéliennes et palestiniennes à travers lesquelles les militants palestiniens font des allers-retours pour les mêmes infractions -et la tenue régulière de réunions, ateliers et formations israélo-palestiniennes. Bien que l’ex-président palestinien Mahmoud Abbas ait menacé de suspendre la coordination répressive, il l’a présentée en même temps comme un « intérêt national palestinien » et une doctrine « sacrée ». Les activités des forces de sécurité de l’AP et les manœuvres politiques d’Abbas ont naturellement créé un profond vide de confiance entre le peuple palestinien et l’Autorité.
En effet, plusieurs enquêtes au fil des ans ont montré que la majorité des Palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza (entre 60% et 80%) s’opposent à la coordination de la sécurité avec Israël. Et dans une enquête réalisée par le Centre palestinien pour la politique et les sondages de mars 2017, les deux tiers des répondants ont demandé la démission d’Abbas, 73% exprimant la conviction qu’Abbas n’est pas sérieux dans sa menace de suspendre la coordination répressive avec Israël.
Dans un sondage réalisé pour l’Agence Ma’an News en 2010, 78% des personnes ayant répondu ont déclaré être persuadées que les forces de sécurité de l’AP sont engagées dans la surveillance, le suivi des activités et l’intervention dans la vie privée des individus. Enfin, selon Vizualizing Palestine, 67% des Palestiniens de la Cisjordanie ont dit avoir le sentiment de vivre dans un système antidémocratique où les libertés se dégradent, en grande partie du fait des services de sécurité.
Les perceptions négatives de l’opinion publique sur la coordination sécuritaire sont corroborées par des expériences vécues – dont les élites sont souvent épargnées – ainsi que par la rhétorique officielle et la divulgation du contenu des Palestine Papers. Par exemple, le général étatsunien Keith Dayton faisait remarquer en 2009 que des officiers supérieurs des Forces israéliennes de défense (IDF) lui avaient demandé, au sujet des forces palestiniennes de sécurité qu’il entraînait : « Combien de ces nouveaux Palestiniens pouvez-vous générer, et à quelle vitesse ? » Il avait dit aussi qu’un haut fonctionnaire palestinien s’était adressé à une classe de diplômés de ces « nouveaux Palestiniens » en Jordanie en disant : « Vous n’avez pas été envoyés ici pour apprendre à combattre Israël (…), mais plutôt pour apprendre à maintenir la loi et l’ordre, à respecter le droit de tous nos citoyens et mettre en œuvre l’Etat de droit afin que nous puissions vivre en paix et en sécurité avec Israël. » En 2013, dans un discours devant le Parlement européen, le président israélien Shimon Peres déclarait : « Une force palestinienne de sécurité a été formée. Vous et les Américains l’avait entrainée. Et maintenant nous travaillons ensemble à prévenir le terrorisme et le crime. »
Alors que la coordination sécuritaire entre Israël et l’AP a été scellée depuis les Accords d’Oslo, le statu quo n’est pas une conclusion abandonnée. Cependant, le changement sera difficile à réaliser car le système a créé un segment de la société palestinienne qui cherchera à le maintenir. Ce segment est composé non seulement du personnel de sécurité en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, mais aussi des Palestiniens qui profitent des dispositifs institutionnels et d’un réseau de collaboration et de domination. Le statu quo leur est bénéfique et la « stabilité » est leur mantra. Ils s’engagent à adopter une approche qui privilégie les élites politiques, économiques et sécuritaires, et ils n’ont aucun intérêt à inverser les règles du jeu.
Tout essai d’arrêter la coordination sécuritaire aurait donc des conséquences réelles pour l’AP et sa direction. Pourtant, la pérennisation du statu quo est destructive pour la majorité des Palestiniens vivant sous occupation israélienne et pour le peuple palestinien dans son ensemble. Avec l’anéantissement de la capacité à corriger les actes politiques répréhensibles et à tenir les élites pour responsables, il est vraisemblable que le « business as usual » continuera. Si des mesures ne sont pas prises – et rapidement, la coordination sécurité restera un trait déterminant de la réalité biaisée qui favorise l’occupant.
Réinventer la doctrine et l’implantation de la sécurité de l’AP
L’ancrage de l’establishment sécuritaire de l’AP requiert des interventions politiques à de multiples niveaux, de la correction de la rhétorique biaisée à l’établissement de mécanismes de responsabilisation. Les recommandations suivantes, adressées aux différentes parties prenantes, proposent une refonte des opérations et des structures des forces de sécurité de l’AP.
L’Autorité palestinienne
L’AP doit écouter le peuple palestinien et respecter ses vœux et aspirations, y compris dans le domaine sécuritaire ; sinon l’écart de légitimité et de confiance augmentera considérablement. Il n’y a jamais eu de système politique palestinien global, mais une direction plus réactive, plus représentative et plus responsable garantirait que la sécurité des Palestiniens, plutôt que celle de leur occupant et colonisateur, soit une préoccupation centrale. Un secteur sécuritaire authentique, comme l’a argumenté Tariq Dana, sonnerait la fin de « l’accent sur la police interne connue sous le nom de ‘Doctrine Dayton’ » et d’ « un programme qui exige que la responsabilité et la justice soient mises en place. »
Comme l’a développé Hani Al-Masri, cela nécessitera des étapes progressives mais fermes pour finir par geler ou suspendre la coordination sécuritaire, dont : mettre un terme à l’interventionnisme de l’appareil sécuritaire palestinien dans les questions politiques ; réduire les dotations sécuritaires dans le budget annuel ; démanteler des parties de l’appareil de sécurité et restructurer le reste, en mettant l’accent sur le professionnalisme, le patriotisme et l’absence de népotisme politique et donner instruction à l’appareil sécuritaire de résister aux raids israéliens dans la Zone A.
Bien que l’AP continue de soutenir que les dispositions sécuritaires actuelles et la division du travail servent la solution à deux Etats, la colonisation israélienne incessante de la terre palestinienne signifie que l’AP et son gouvernement doivent réexaminer leur fonction. La menace imminente d’annexion doit pousser l’AP à agir avant que son rôle de sous-traitant de l’occupation israélienne ne se consolide.
La société civile palestinienne
Il faut que les organisations de la société civile palestinienne, en particulier les organisations de défense des droits de l’homme, créent des coalitions plus efficaces et intensifient leurs initiatives pour que l’AP et ses responsables politiques et de sécurité rendent compte de leurs violations des droits de l’homme. En l’absence d’institutions qui agissent en tant que contre-pouvoirs, une pression qui aille au-delà de l’écriture et de la publication de rapports (bien que ce soit en soi un acte important) est une nécessité impérieuse. En d’autres termes, il faut que les organisations de la société civile palestinienne développent des actions pratiques qui s’attaquent aux violations continues des droits de l’homme par l’AP.
Ces acteurs de la société civile, dont les institutions universitaires, les intellectuels et les groupes de réflexion, doivent également répondre au discours incorrect de l’AP, dans lequel la résistance palestinienne est présentée comme une insurrection criminelle ou de l’instabilité. Il faut aussi contrer les acteurs israéliens et internationaux qui utilisent ce type de discours. La société civile doit embrasser et rendre opérationnelle la résistance plutôt que de la voir criminalisée, et elle doit la considérer comme une manière de vivre globale sous occupation et en exil. La résistance comme mode de vie peut aider à inverser la manière dont l’élite politique et sécuritaire la dépeint actuellement. La résistance peut alors garantir la restauration des valeurs fondamentales et des idées qui permettent aux Palestiniens de s’engager collectivement dans la réalisation de leurs droits.
Les acteurs extérieurs, en particulier les organismes de sécurité EUPOL COPPS et USSC, doivent faire l’objet d’une évaluation minutieuse de la part de la société civile, tant en Palestine que dans leur pays d’origine. Ils ne peuvent pas continuer à dominer le domaine de la sécurité sans responsabilisation ni transparence. En faisant la promotion de la primauté du droit dans un contexte autoritaire, ces organes contribuent à la « professionnalisation » de pratiques autoritaires en (ab)usant d’un cadre de bonne gouvernance. Prétendre que leur mandat est « technique » leur permet de se soustraire aux résultats très politiques de leurs opérations et de leurs interventions. Après une décennie d’opérations, il est temps de mener une évaluation indépendante sous conduite palestinienne de ces organes et de s’en servir comme d’un mécanisme de reddition de comptes pour réformer ces anciens « réformateurs » et convenir de la marche à suivre.
Les donateurs et l’industrie des donateurs
Dans un contexte hautement dépendant de l’aide, la suprématie attribuée à la sécurisation et à la militarisation s’étend au domaine du développement. Les décideurs des pays donateurs et les Palestiniens qui facilitent les programmes des donateurs doivent aborder la façon dont « l’aide sécurisée » a transformé un mouvement de libération en sous-traitant du colonisateur et a abouti à des tendances autoritaires qui favorisent l’establishment sécuritaire au détriment d’autres secteurs tels que la santé, l’éducation et l’agriculture, ainsi qu’aux dépens de la démocratie.
De plus, en Palestine, l’aide et le développement priorisant la sécurisation n’ont pas seulement échoué à s’occuper de la pauvreté, du chômage et de l’autonomisation, mais ils ont également créé une nouvelle insécurité et une nouvelle illégitimité. Les planificateurs de développement doivent reconnaître que ces modèles ne seront jamais inversés à moins que la population, et non l’establishment sécuritaire, ne conduisent les actions et constituent le point de référence constant.
A la base, toutes ces actions sont le devoir du peuple palestinien, surtout lorsque les décideurs ne représentent ni lui, ni ses aspirations. La société palestinienne doit s’opposer aux outils utilisés pour réprimer sa mobilisation et s’organiser afin d’assurer la réalisation de ses droits fondamentaux. L’initiative menée par des jeunes indépendants, « Mettre fin à la coordination sécuritaire », qui est née à la suite de l’assassinat de Basil Al-Araj en mars 2017, représente un exemple de cette mobilisation. Dans leur appel à action, les jeunes déclaraient :
« Notre peuple a trop longtemps lutté pour que nous restions passifs pendant que des dirigeants répressifs troquent notre oppression et notre dépossession pour leur bénéfice personnel. Cela fait bientôt 30 ans que les Accords d’Oslo ont transformé ce qui restait de notre pays en prison en ciel ouvert administrée par des fonctionnaires de l’AP non représentatifs qui ont été recrutés pour être la première ligne de défense de nos colonisateurs. Le régime d’Oslo ne nous représente pas. Il est maintenant temps de nous réunir et de reconstruire notre lutte collective pour la libération de la Palestine. »
Si cette résistance organisée peut continuer et croître, la pression exercée par le peuple peut changer la trajectoire de la coordination sécuritaire PA-Israël, rendant les Palestiniens mieux équipés pour travailler à l’autodétermination et à la réalisation des droits de l’homme.
Notes: Al-Shabaka publie tous ses contenus en anglais et en arabe (lire le texte en arabe ici. Pour le lire en italien, cliquez ici.
Al-Shabaka est reconnaissant aux efforts des défenseurs des droits de l’homme pour traduire ses articles mais n’est pas responsable de toute modification du sens.
L’article original, en anglais, est paru sur le site Al-Shabaka le 16 mai 2017.
Traduction Chronique de Palestine et ISM-France.
Source : Al Shabaka
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Politique intérieure
Alaa Tartir
23 mai 2017