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Israël - 13 mai 2003
Par Gabriel Ash
Gabriel Ash est né en Roumanie et a grandi en Israël. Il vit actuellement aux États-Unis et collabore régulièrement à Yellow Times.
La liste des humiliations essuyées par Colin Powell en Israël s’est enrichie d’un exposé du premier ministre Sharon lui expliquant pourquoi Israël ne peut arrêter l’expansion des colonies.
Sharon a demandé à Powell : « Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’une femme enceinte se fasse avorter pour la simple raison qu’elle est une femme colon ? »
L’image d’Epinal présentant les colons comme de gentils civils, qui veulent simplement vivre leur vie, sert l’intention de Sharon d’enterrer la « feuille de route » et de sauver une fois de plus Israël de la paix qui le menace. En effet, l’expansion continue des colonies tout au long du processus d’Oslo a déjà « sauvé » Israël de la paix une première fois.
De 1993 à 2001, la population des colons a augmenté de 91 % en Cisjordanie , ce qui a amplement suffi à prouver aux Palestiniens qu’Israël n’avait nullement l’intention d’évacuer les territoires occupés. Mais cette image d’Epinal est fausse. Les colonies de Cisjordanie n’ont rien des banlieues du New Jersey. Elles sont un élément fondamental de ce qui fait d’Israël un Etat unique en son genre. Il importe donc de comprendre ce que sont, en réalité, les colonies : des armes.
Les mots désignant les « implantations » en hébreu sont yishuv et hityashvut. Les Israéliens n’utilisent pas ces mots pour désigner les implantations dans les territoires occupés, ils les réservent plutôt à des implantations plus anciennes : les kibbutzim et les moshavim (fermes collectives), les uns comme les autres créés avant et peu après 1948, dans des régions qui sont aujourd’hui en Israël.
L’antonyme de yishuv est le mot qui désigne un terrain vague ou le désert : shmamma. Cela renvoie à la « vacuité » mythique de la Palestine dans l’imaginaire des balbutiements du sionisme - le désert attendant les colons qui le feraient « refleurir » ! Ce mythe ignore la réalité, à savoir que la Palestine était peuplée et que ses habitants, les Palestiniens, y vivaient depuis des générations.
Par contraste, le mot hébreu utilisé pour désigner les colonies dans les territoires occupés depuis 1967 est hitnakhlut, mot d’origine biblique qui signifie en gros « s’installer dans ses propriétés ». La racine antonyme suggère le nomadisme, l’errance au désert. Ce changement d’usage reflète l’évolution du sionisme, depuis la mentalité coloniale des premiers pionniers vers le fanatisme religieux des colons post-1967.
Un autre groupe de termes décrivant les colonies, en hébreu, proviennent de la terminologie militaire : ces mots désignent des observatoires, des avant-postes : mitzpe, ma’akhaz, he’akhzut, etc. Les premiers colons sionistes sont souvent désignés au moyen du terme « pioneers » en anglais, « pionniers » en français.
Toutefois, le mot hébreu qu’ils utilisent eux-mêmes, khalutz, provient du jargon militaire, dans lequel il signifie « éclaireur ». Sous tous leurs avatars, les colonies sont par conséquent des bâtiments et quartiers autres que des habitations civiles.
Ce sont des actions sur le front de la guerre de conquête - une guerre conçue alternativement comme une lutte contre le désert (hityashvut), comme une lutte contre des squatters (hitnakhlut) ou encore, plus sérieusement, une lutte aux fins d’un contrôle militaire du terrain (mitzpe, he’akhzut).
Ces trois variantes sont, toutes, des métaphores d’une guerre : guerre de la civilisation par opposition à la nature ; guerre des propriétaires « en titre » contre des squatters ; guerre, enfin, entre « eux » et « nous ».
Le problème étant que ce qui apparaît comme « nature » dans l’équation est en réalité une civilisation réellement existante ; que les soi-disant « squatters » sont titulaires d’un titre de propriété ; et que le « nous » est - aussi - « eux ».
S’implanter signifie aussi vaincre le nomadisme interne - celui du juif errant du discours antisémite européen, qui imprègne de part en part l’imagerie sioniste. La violence extrême des colons est aussi un avatar de cette identité / identification refoulée : une haine de soi projetée sur l’autre idéalisé.
Il y a peu de mystère autour de l’objectif de l’activité de colonisation. Depuis le début, le sionisme utilise un terme militaire pour désigner la stratégie générale de construction de colonies : « la conquête de la terre », kibosh ha’adama.
En tant que partie intégrante d’une campagne militaire, les colonies en Cisjordanie répondent à un plan d’attaque explicite, dont les objectifs sont clairs et les moyens ouvertement décrits dans des documents publics aisément consultables : le plan Alon, le plan Drobless, le plan Sharon, le plan des 100 000, etc. Comme toute campagne militaire, la colonisation a des objectifs.
Ainsi, Natzeret Illit a pour cible Nazareth ;
Kiriat Arba a pour cible Al-Khalil (Hébron) ;
Kedumim a pour cible Naplouse ;
Ma’ale Adumim a pour cible la continuité territoriale entre le nord et le sud de la Cisjordanie ;
Ashkelon a pour cible Al-Majdal, ville palestinienne entièrement nettoyée ethniquement en 1950 - bien après que les fumées de la guerre de 1948 se soient pourtant dissipées, et ainsi de suite.
Les « implantations » occupent des positions stratégiques, tel le sommet d’une colline, une route exposée à des tirs éventuels, un puits, etc ; les colonies peuvent recouvrir les vestiges d’un village palestinien détruit, et tenir sous leur feu ses terres agricoles ; elles sont nombreuses à contrôler des ressources hydriques.
Depuis 1948, le premier bataillon lancé à l’offensive, dès lors qu’une implantation a été décidée, se compose de bureaucrates - cartographes, hydrologues, ingénieurs du génie civil, juristes, juges et apparatchiks. Leur tâche consiste à déterminer quelles terres il est intéressant de confisquer aux Palestiniens, et quelle est la meilleure manière de désorganiser la cohésion sociétale de la cible. La terre peut être expropriée sous prétexte d’une utilisation « publique » - c’est-à-dire juive - ou elle peut être déclarée « abandonnée » si elle appartenait à un réfugié (parti en exil).
Souvent, toutefois, une colonie commence sous la forme d’un camp militaire, car la « sécurité » est la meilleure justification « légale » pour confisquer des propriétés privées palestiniennes - une maison, un potager, un champ. La brigade Nakhal est une unité spécialisée de paras dont la noble mission consiste notamment à fournir du « personnel », sous forme de pseudo-troufions déguisés, pour de nouvelles implantations maquillées en camps militaires !
Souvent, la terre est décrétée « terre d’Etat » afin de repousser toute offensive légale devant le « comité d’appel » militaire ad hoc, lequel sert à donner les coups de tampon officiels a ce qui est ni plus ni moins qu’un vol à main armée. Les « terres d’Etat » constituent le domaine foncier d’Israël, lequel est réservé au bénéfice exclusif des juifs (c’est d’ailleurs ce que l’expression « Etat juif » signifie, dans la pratique). Ainsi, les contrats de location, dans les colonies, interdisent que des non-juifs y habitent.
Il arrive parfois qu’une volonté de donner une honnêteté de façade à ces pratiques requière que des terres volées à des Palestiniens connaissent quelques années de « décontamination », sous la forme, par exemple d’un parc naturel, d’une réserve environnementale, etc, avant d’être « dégelées » pour leur nouvelle destination exclusive de énième nouvelle colonie juive. C’est tout particulièrement fréquent à Jérusalem Est.
Au bout du compte, peu importe la manière dont la terre est accaparée.
La colonie de Shilo, créée en 1985, comporte 45 % de terrains déclarés « publics », 52 % de terrains expropriés pour des raisons de « sécurité », et 3 % de terres expropriées à des fins d’utilisation « publique ». Shilo n’en est pas moins utilisée à 100 % comme arme contre la population palestinienne...
Après les bureaucrates vient le tour des bulldozers, suivis par les roulottes, les ouvriers du bâtiment et, enfin, les colons. Des Palestiniens possédant la citoyenneté israélienne, et néanmoins exclus comme on sait de la plupart des emplois en Israël, peuvent au moins nourrir leur famille en travaillant comme ouvriers du bâtiment dans les chantiers de construction des colonies, où leur travail consistera à cimenter les pierres tombales de leur propre disparition.
C’est lorsque des familles (juives, bien entendu, ndt), finalement, viennent pendre la crémaillère dans une nouvelle colonie, que la guerre commence. Une colonie (à la différence d’un village palestinien) a besoin d’espace pour croître, de réserves de terres agricoles, de ressources en eau abondantes et bon marché, etc., que l’Etat d’Israël lui procurera généralement en utilisant des ressources déniée à la ville-cible ou au village-cible. Ainsi, par exemple, chaque colon à Hébron consomme plus de neuf fois plus d’eau quotidiennement que son voisin palestinien qui est privé du strict nécessaire.
De plus, une colonie a besoin d’accès - une route - pour la connecter à d’autres colonies. Les routes représentent l’outil idéal pour la confiscation des propriétés palestiniennes. Entre août 1994 et septembre 1996, 4 386 dounoms de terres privées (environ 440 hectares) ont été confisquées au motif de la construction de dix-sept routes de « contournement ».
Les routes sont par définition longues, mais elles sont dans le cas d’espèce particulièrement larges, et leur trajectoire peut être déviée, ici ou là, afin de créer le maximum d’impact en termes de maisons promises à la démolition, de vergers voués à l’arrachage ou de cultures condamnées à la destruction.
Utilisée correctement, une route peut être une arme de destruction massive. Par exemple, la route 447, construite afin de réduire de cinq minutes, en tout et pour tout, le trajet jusqu’à la colonie d’Ariel, a « nécessité » l’arrachage de mille oliviers et la confiscation de 7,5 hectares de terrains appartenant aux habitants des deux villages palestiniens situés en ligne de mire de cette colonie.
De plus, toute route reliant entre elles deux colonies juives est aussi une route qui sert à séparer deux villes palestiniennes. Les Palestiniens ne sont pas autorisés à utiliser les routes « juives ».
Ainsi, la terre devient un palimpseste, sur lequel chaque action d’ingénierie civile est aussi son contraire, un acte de guerre : les routes augmentent les distances entre les hommes ; la construction de maisons aggrave la surpopulation ; l’extension de réseaux d’eau crée des pénuries, etc.
Tous les aspects de la vie humaine sont transformés en arsenal. Même les eaux d’égout produites par une colonie sont utilisées à la manière d’une arme contre les villes palestiniennes situées en contrebas. Chaque élément du paysage peut faire l’objet d’une double lecture, affectée du signe « + » dans l’écosystème juif et du signe « - » dans l’écosystème palestinien.
En fin de compte, comme toutes les opérations militaires, les colonies génèrent une réaction défensive, qu’Israël appelle « terrorisme ». D’où il découle que les colonies nécessitent une protection, une enceinte, un périmètre de sécurité, un camp militaire à proximité, un mur, des routes de contournement, etc.
Tout cela exige beaucoup d’espace, justifiant du même coup des confiscations de terres supplémentaires, de nouveaux champs déclarés inaccessibles car au-delà des limites autorisées à leurs propriétaires (ce qui permet de les déclarer terres d’Etat au bout de trois ans, comme le prescrit la loi ottomane [toujours en vigueur quand c’est opportun ! ndt] ), ainsi que des checkpoints, des attaques de missiles, des emprisonnements, des assassinats, etc., etc.
Une colonie est un acte d’agression commis dans le cadre d’une guerre post-moderne, une guerre génocidaire qui ne peut être télévisée, en dépit du fait qu’elle se déroule à la vue de tous, cameramen potentiels y compris. Les stratèges chinois Oiao Liang et Wang Xiangsui écrivent dans leur ouvrage, paru en 1999, « La guerre illimitée » (Unrestricted Warfare) que dans la guerre, à l’avenir, il n’y aura pas de champs de bataille classiques, pas de combattants et pas d’armes non plus...
La guerre du futur se déroulera partout, elle impliquera tout le monde, et elle sera menée en utilisant des objets banals, de la vie de tous les jours. En résumé, ils nous avertissent qu’il n’y aura plus désormais de distinction entre la guerre, le terrorisme et la vie quotidienne.
En Palestine, ce futur a déjà cent ans d’âge.
Source : www.yellowtimes.org/
Traduction : Marcel Charbonnier
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Gabriel Ash
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