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USA - 22 mars 2007
Par Gary Kamiy
La politique moyen-orientale déséquilibrée de Bush voguant de désastre en désastre, des gens qui ne suivent pas la ligne de l’Aipac commencent à se faire entendre
C’est là le deuxième article consacré au lobby juif américain à paraître sur le site très connu et fréquenté de la revue américaine Salon.
Mais celui-ci semble relever plus d’une forme subtile de "contrôle des dégâts" que d’une dénonciation radicale des agissements de l’Aipac.
A l’instar de Soros, et avec cette différence que celui-ci citait nommément l’American Jewish Committee (AJC) (l’hyperactif bras agissant du Lobby en matière de politique étrangère), on pourrait être amené à penser que le lobby se limiterait à ces deux organisations et que les autres – que Soros a mentionnées en termes élogieux –, seraient en quelque sorte "opposées" à l’Aipac et à l’AJC, alors qu’en réalité, ce n’est absolument pas le cas.
Tout comme l’Aipac, ces organisations juives soutiennent le financement et les encouragements politiques continuels des Etats-Unis à Israël ; elles sont, à l’extrême rigueur, un peu plus préoccupées par l’image de plus en plus négative de ce pays et par ce que la dégradation de cette image signifie pour elles-mêmes qu’elles ne se soucient du sort des Palestiniens (de plus, il faut savoir que, pour toutes les associations juives américaines, les Libanais n’ont jamais existé, et les invasions successives du Liban par Israël n’ont jamais eu lieu !)
De plus, on pourrait penser que le lobby n’est un problème que pour les seuls juifs et que ce que ce lobby a fait au peu de démocratie subsistant en Amérique ne serait pas quelque chose qui aurait affecté tous les Américains, et ne serait donc pas un problème que tous les Américains devraient s’attacher à solutionner. Inutile de se bercer d’ illusions : ce n’est pas les juifs qui règleront le problème du lobby sioniste !
Cela, c’est un mythe, qui a été instillé, depuis des lustres, afin de maintenir les non-juifs sur la touche. Cette histoire appartient au passé : il faut en terminer avec ça !
Que cet article ait pu être écrit reflète ce souci désuet de gens désireux de protéger la communauté juive (américaine) contre des "agitateurs extérieurs", dont elle a pourtant grandement besoin !
Jeffrey Blankfort
La semaine dernière, un rituel bien connu à Washington a déroulé ses pompes : des hommes politiques américains de tout premier plan, des deux partis (comprendre : des démocrates et des républicains, ndt) se sont alignés en rangs d’oignons lors de la conférence politique annuelle de l’Aipac (American Israël Public Affairs Committee) afin de se livrer à une compétition entre eux sur la question de savoir qui pourrait bien démontrer la fidélité la plus increvable envers Israël.
Comme d’hab’, la plupart des membres du Congrès avaient radiné leur fraise : la moitié des membres du Sénat et plus de la moitié de ceux de la Chambre des Représentants, dont des personnalités telles qu’Hillary Clinton et Barak Obama, sans oublier le vice-président Dick Cheney…
Il nous fut donné d’assister à une extravagance typique de cet univers parallèle qu’est l’Aipac, entachée seulement de quelques divergences partisanes qui ont commencé à se faire jour à propos de l’Irak. (Même certaines personnes, dans le milieu Aipac, qui soutenait à une quasi unanimité la guerre, au départ, ont commencé à prendre conscience que cette guerre est un désastre, depuis le début, tant pour les Etats-Unis que pour Israël…).
Cheney a eu droit à une ovation debout, le Premier ministre israélien Ehud Olmert a dit, via une liaison vidéo, que la victoire américaine en Irak était très importante pour Israël, Nancy Pelosi a été huée après avoir critiqué la guerre, un dispensationnaliste (sioniste) chrétien crachant le feu, persuadé que la guerre contre l’Iran amènera la Transfiguration et la Seconde Venue du Christ fut ovationné par un public en extase et Barack Obama passa un sale quart d’heure pour avoir eu la témérité de mentionner la souffrance des Palestiniens…
Mais l’Aipac a fait étalage de sa véritable puissance – et de sa capacité intacte à envoyer la politique moyen-orientale des Etats-Unis dans le décor – quand un groupe de Démocrates conservateurs et pro-israéliens a réussi à saper un projet de loi sur les prérogatives de l’armée, qui aurait exigé de Bush qu’il obtînt l’approbation du Congrès avant tout recours à la force armée contre l’Iran.
Cette victoire du lobby pro-israélien, remportée à propos du projet de loi relatif à l’Iran, est presque incroyable. Même après que la nation américaine ait décisivement répudié la guerre en Irak à l’occasion des élections de mi-mandat, l’an dernier, et même après qu’il soit devenu évident que la politique moyen-orientale de l’administration Bush est gravement déséquilibrée à l’avantage d’Israël et que cette politique a porté atteinte au statut de l’Amérique dans le monde, le Congrès n’est toujours pas à court d’imagination en matière d’alignement sur l’Aipac.
Le fait que l’Aipac – lequel est classé second (par ordre décroissant de puissance) des lobbies du pays (il vient après l’AARP, mais derrière le NRA) dicte virtuellement aux Etats-Unis leur politique au Moyen-Orient est depuis longtemps un de ces traits surréalistes de la vie à Washington, dont les hommes politiques ne discutent qu’à la veille de leur départ à la retraite – et encore, quand ils en parlent !
En 2004, le sénateur Ernest "Fritz" Hollings eut le mauvais goût de révéler cette vérité dérangeante : "Impossible d’avoir une politique vis-à-vis d’Israël différant en quoi que ce soit de celle que l’Aipac vous impose, dans ces parages…"
Michael Massing, qui a écrit un reportage remarquable sur l’Aipac pour la New York Review of Books, citait un membre du personnel du Congrès : "Nous pouvons compter sur pas moins de la moitié de la Chambre – soit de 250 à 300 membres – pour faire de manière pavlovienne exactement ce que l’Aipac leur demande de faire".
En certains moments d’inattention, y compris de très hauts responsables de l’Aipac ont confirmé ces assertions.
Ainsi, Jeffrey Goldberg, du quotidien The New Yorker, a cité Steven Rosen, ancien directeur pour la politique étrangère de l’Aipac, qui est aujourd’hui en instance de passer en jugement, accusé d’avoir transmis à Israël des informations top-secret du Pentagone : "Vous voyez cette serviette en papier, là ? En vingt-quatre heures, nous pourrions avoir les signatures de soixante-dix Sénateurs, sur cette serviette en papier !…"
Jusqu’au 11 septembre et la guerre d’Irak, cette situation ne préoccupait pratiquement personne, mis à part les gens passionnés par Moyen-Orient – soit un tout petit groupe, qui n’a jamais dépassé une minuscule minorité d’Américains, juifs ou non-juifs.
Et quand bien même le lobby pro-israélien aurait détenu un ascendant énorme sur la politique américaine au Moyen-Orient ; qu’est-ce qu’on en aurait eu à cirer ?
Les politiques américaines au Moyen-Orient n’auraient pu qu’être pro-israéliennes, de toutes les manières, pour diverses raisons, dont pas mal de raisons n’ayant strictement rien à voir avec le lobbying de juifs américains. Et puis, l’enjeu ne semblait pas aussi important que cela…
En revanche, au lendemain des attentats du 11 septembre, et avec la guerre en Irak, tout cela changea de manière dramatique.
Le 11 septembre, et la réponse qu’y apporta l’administration Bush, rendirent évident pour tout le monde que la politique américaine au Moyen-Orient affecte absolument tous les citoyens de ce pays : il s’agit littéralement d’une question de vie ou de mort.
La politique moyen-orientale néoconservatrice de l’administration Bush est fondamentalement indiscernable de celle de l’Aipac. Aussi n’est-il désormais plus possible d’ignorer cette réalité– même s’il s’agit là d’un sujet notoirement sensible et générateur de dissensions.
L’aspect le plus délicat, entre tous, c’est le rôle joué par les néoconservateurs pro-israéliens dans la préparation du terrain en vue de la guerre contre l’Irak. La plupart des médias se sont soigneusement gardés d’aborder cette question, pour des raisons évidentes et, par certains côtés, honorables : cela ressemblait un peu trop au classique "C’est la faute des juifs !".
Mais ce tabou s’est estompé au fur et à mesure qu’il devenait de plus en plus évident que ce ne sont pas "les juifs" qui doivent être blâmés pour avoir pavé la voie à la guerre, mais bien un groupe de puissants néoconservateurs, dont certains étaient juifs (mais pas tous), qui avaient adhéré à la vision d’extrême droite du parti israélien Likoud.
Ce groupe ne représente pas plus "les juifs" que le Sentier Lumineux ne représente "les Péruviens" !
La logique et la franchise se retrouvent traditionnellement assis derrière une autocensure timorée dès lors qu’on aborde ces questions délicates. Mais en plus du débat autour de la guerre, plusieurs autres événements critiques ont contribué à éroder le tabou empêchant toute mise en débat de la puissance du lobby pro-israélien.
Les plus importantes de ces "tuiles", ce furent les publications de John Mearsheimer & Stephen Walt : "Le Lobby pro-israélien" (The Israël Lobby) et de Jimmy Carter : "Palestine : la paix, pas l’apartheid !" (Palestine : Peace Not Apartheid).
La sur-réaction à l’article de Mearsheimer & Walt, ironiquement, ne fit qu’en confirmer la thèse.
De la même manière, l’opprobre jeté sur Carter n’a fait que rendre encore plus clair à quel point il y a peu d’espace ouvert à la discussion de ces questions, en Amérique.
Pour toutes ces raisons, c’est un puissant projo qui a été braqué sur le lobby pro-israélien. Et il y a des signes, qui indiquent qu’un nombre croissant d’Américains, juifs comme non-juifs, sont disposés aujourd’hui à poser ouvertement la question de savoir s’il est dans l’intérêt national de l’Amérique, de laisser l’Aipac (dont les positions sont bien plus à droite que celles de la plupart des juifs américains) disposer d’un pouvoir aussi disproportionné sur les politiques moyen-orientales de l’Amérique ?
En tant que collectivité, les juifs américains persistent à être des progressistes (ang. liberal, ndt) invétérés.
Un nouveau sondage montre que 77 % des juifs américains pensent aujourd’hui que la guerre contre l’Irak était une erreur, à comparer à 52 % de la population américaine en général. (Le soutien juif à la guerre s’est littéralement effondré : un sondage effectué un mois avant la guerre montrait que 56 % des juifs y étaient favorables, ce qui était significativement au-dessous de la moyenne nationale d’alors). 87 % des juifs ont voté démocrate, en 2006.
Et, même si les données, à ce sujet, sont nécessairement plus floues, des sondages montrent, par ailleurs, que la plupart des juifs américains ont des opinions, sur le conflit israélo-palestinien, qui se situent à gauche de celles de l’Aipac.
Tout ceci se résume dans le fait que pour des juifs américains libéraux, ou modérés, qui ne soutiennent ni la guerre de Bush contre l’Irak ni sa "guerre au terrorisme" et qui sont prêts à voir Israël comme il est, avec ses défauts, le fait que l’Aipac se soit adoubé lui-même porte-parole de facto des juifs américains est en train de devenir de moins en moins acceptable. Et un nombre croissant de juifs américains commencent à donner de la voix.
Un des commentateurs les plus tranchants est Philip Weiss, lequel contribue régulièrement au journal The Nation. Son blog – MondoWeiss – propose des débats très informés et passionnés autour de ce qu’il qualifie de "questions délicates et controversées tournant autour de l’identité des juifs américains et d’Israël".
De manière courante, il rejette les tentatives déployées par les organisations juives et les pontes juifs consensuels pour faire tomber le couperet de la loi sur le cou de ce qu’il considèrent des propos "inacceptables". Ceci inclut le fait d’aborder des sujets "dépassant les bornes", comme la question de la "loyauté duplice".
Après que l’American Jewish Committee [AJC], puissant groupe de pression partageant la ligne de l’Aipac, eut publié une réponse réactionnaire à l’article de Mearsheimer & Walt, ainsi qu’au livre de Carter, accusant les intellos juifs dérogeant à la ligne officielle à propos d’Israël d’être "haineux d’eux-mêmes", Weiss fit observer que cette tentative massue (de les faire taire) avait eu un effet boomerang : bien loin de faire taire les voix dissidentes, l’article de l’AJC avait dévoilé à quiconque désirait les voir "les pratiques d’omerta, anti-intellectuelles et biaisées, des dirigeants de la communauté juive américaine (organisée)".
Entre autres écrivains au très large lectorat ayant ouvert leur gueule sur ces sujets naguère tabous, mentionnons Matthew Yglesias, de l’American Prospect, et Glenn Greenwald, de la revue Salon.
Ainsi, tant Greenwald qu’Yglesias ont cloué au pilori une tentative classique de l’establishment juif de traîner dans la boue le général Wesley Clark, lequel, ayant déclaré qu’il redoutait que Bush ne fût en train de préparer une attaque contre l’Iran, avait ajouté : "La communauté juive est partagée, mais la pression exercée par les gros richards de New York sur les candidats à des postes prestigieux est telle…".
Clark fut immédiatement – c’était prévisible – accusé d’antisémitisme, pour avoir fait référence aux "gros richards de New York", en ayant laissé supposer, de surcroît, qu’ils voulaient une guerre contre l’Iran. Mais, comme l’ont fait observer tant Yglesias que Greenwald : tout ce qu’a dit le général Clark n’était que la stricte – et démontrable – vérité !
Remuant le couteau dans la plaie, Greenwald démontra que c’était là pure vérité en citant des sources qu’oncques plus droitières et pro-israéliennes il y eut jamais, comme le New York Sun et le New York Post…
Bien entendu, certains blogs, articles et organisations ne constituent pas nécessairement un courant – certainement pas, en tous les cas, un mouvement susceptible de tenir tête à un centre de pouvoir aussi en béton que l’Aipac. Mais il y a d’autres signes que l’hégémonie de l’Aipac et consorts est en train de faiblir.
L’an dernier, des associations progressistes juives comme Americans for Peace Now, Religious Action Center of Reform Judaism and Peace et l’Israël Policy Forum ont réussi à infliger à l’Aipac une défaite législative, en persuadant le Congrès de rejeter un projet de loi impitoyable, soutenu par l’Aipac, dont l’adoption aurait eu pour conséquence la suppression de toute assistance financière au peuple palestinien.
Ces associations n’ont encore qu’une fraction du pouvoir et du fric de l’Aipac.
Mais, comme le fait observer Gregory Levey dans la revue Salon, on commence à parler d’un nouveau lobby, qui pourrait être financé par le milliardaire George Soros, et qui pourrait entrer en compétition avec l’Aipac.
Si une telle association se crée – et il est encore bien trop tôt pour être certain que ce sera effectivement le cas –, c’est l’ensemble du terrain de jeu qui serait modifié de fond en comble.
Combien de temps l’Aipac tiendrait-il le coup ?
Cela dépendrait de sa capacité à continuer de convaincre les hommes politiques qu’il parle bien au nom des juifs américains.
Ce n’est certainement pas le cas – mais, seuls, les juifs américains sont en mesure d’en administrer la preuve. Les hommes politiques américains ne vont certainement pas cesser de rendre hommage à l’Aipac avant que n’existe une alternative – or, cette alternative, seuls, les juifs peuvent la fournir.
Les juifs de gauche (ang. liberal, ndt) sont-ils réellement en train de se décider à dénoncer l’Aipac ?
Et si tel n’est pas le cas ; qu’est-ce qui les en empêche ?
Afin de tenter d’obtenir des réponses à ces interrogations, j’ai appelé M.J. Rosenberg, directeur des analyses politiques d’Israël Policy Forum (IPF), contrepoids progressiste de l’Aipac, une association sise à Washington défendant un soutien américain musclé à une solution à deux Etats en Palestine.
Rosenberg a travaillé à l’Aipac, de 1982 à 1986, et il l’a quitté, dégoûté par l’opposition sectaire de cette organisation au processus de paix d’Oslo. Je lui ai demandé comment, à son avis, l’Aipac a-t-il été capable de maintenir son pouvoir.
Rosenberg m’a répondu : "Bien que l’Aipac ne représente en rien une majorité des juifs américains, il représente sans doute une majorité des juifs américains fortement intéressés par Israël.
Les juifs américains qui se préoccupent d’Israël, certes, mais entre autres choses, seront plus vraisemblablement des partisans d’une approche du type IPF (Israël Policy Forum, ndt). Je pense que les juifs qui sont obnubilés par Israël sont plus proches des positions de l’Aipac.
Dans notre (monde) politique, aujourd’hui, les électeurs et les donateurs monomaniaques détiennent un pouvoir hors de proportion avec leur nombre.
Rien de nouveau, en cela ; mon père me disait souvent que, dans les années 1930, quand vous aviez un quelconque type de rencontre avec des progressistes, c’étaient toujours les communistes qui finissaient par s’imposer, parce qu’ils étaient les plus monomaniaques – tous les autres allaient se coucher.
C’est comme ça : les choses penchent toujours en faveur des extrêmes.
Nous n’arrêtons pas de clamer que nous sommes la majorité – c’est vrai : nous sommes, effectivement, numériquement, la majorité. Mais nous sommes une majorité au ventre mou. Mais eux, ils représentent une minorité d’acier…"
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de juifs américains d’opinions modérées sur le Moyen-Orient, qui oseraient défier l’Aipac et sa politique belliqueuse ?
J’ai posé la question à Rosenberg. Est-ce parce qu’ils auraient peur de faire l’objet d’un chantage moral – en s’exposant aux accusations prévisibles d’être des juifs haineux d’eux-mêmes, déloyaux envers Israël, des "kapos" collabos, j’en passe et des meilleures ?
"A mon avis, le nombre de personnes susceptibles de faire cela est relativement limité", m’a répondu Rosenberg.
"Je pense que bien plus nombreux sont ceux qui s’en tapent totalement. Et qui, par conséquent, ne risquent pas de subir un quelconque chantage, pour la bonne raison qu’ils n’écouteront jamais ce que l’Aipac, l’IPF ou une quelconque organisation israélienne pourra bien raconter. Je ne sais pas quel est le pourcentage exact… mais j’estime que les juifs américains qui pensent quelque chose d’Israël, de près ou de loin, d’une quelconque manière ou sous une quelconque forme, ne représentent pas plus de 40 % du total.
La plupart des juifs américains se contentent de vivre leur vie, tout simplement, comme la plupart des gens.
Nous sommes donc en train de nous battre pour nous partager des gens qui ont tout simplement quelque chose à cirer d’Israël et, comme je l’ai déjà dit, les monomaniaques en la matière ont tendance à être plutôt du côté de l’Aipac, pour l’instant.
Nous, nous essayons de conquérir les autres. Mais je suis persuadé qu’avec le temps, chez de plus en plus de gens jeunes, cette histoire de chantage moral, ça marche de moins en moins…"
Rosenberg m’a ensuite dit que les tendances démographiques sur le long terme travaillent contre l’Aipac et ses tactiques de la peur.
Les dirigeants de l’Aipac, qu’il m’a décrits comme d’"authentiques croyants en les Israéliens friqués", représentent des gens "beaucoup plus âgés".
"Leurs enfants et leurs petits-enfants n’ont ces idées-là. Plus nous nous éloignons de la Seconde guerre mondiale, plus il est difficile de forcer des jeunes, par la peur, à soutenir Israël. Ils soutiendront Israël s’ils y croient, et si Israël les séduit, quelque part. Mais ces tactiques de terreur, du style : "Signe ton chèque, sinon il y aura un nouvel Holocauste !", ça ne marche absolument pas, chez les moins de soixante ans !...
Des gens qui ont manifesté contre la guerre au Vietnam, dans les années 1960, ne vont certainement pas marcher dans des combines du genre : "Hitler revient !"…
Ils sont trop intelligents pour ça. J’ai des enfants qui ont dans les vingt ans – l’idée que je pourrais leur dire que l’Amérique pourrait un jour devenir un endroit dangereux pour eux ? !… Ils se foutraient de moi ! C’est ridicule."
Rosbenberg m’a ensuite fait observer que "la popularité d’Israël, chez les juifs américains, a chuté, depuis 1977, année d’accession de Begin au poste de Premier ministre. La façon dont Israël avait été commercialisé… – l’Israël de papa, à la Leon Uris –, c’était l’Israël des kibbutz, c’était ce paradis socialiste.
Aujourd’hui, tout cela a disparu. Beaucoup de l’aura de l’époque a disparu pour de bon, et cela m’attriste profondément, parce que je suis très engagé vis-à-vis d’Israël, et parce que j’aime énormément ce pays."
Pour Rosenberg, la meilleure chose que pourraient faire les juifs américains afin de se cultiver quelque peu au sujet d’Israël, ça serait de lire la presse israélienne, qui publie quotidiennement des articles bien plus critiques sur Israël que tout ce qu’on pourrait trouver dans les médias américains.
"Si les gens qui ne suivent pas la situation au jour le jour se mettaient à lire la presse israélienne – le Ha’aretz, par exemple –, ils verraient à quel point le débat est beaucoup plus important, là-bas, et combien plus nombreux sont les Israéliens qui souffrent terriblement de ce qui est arrivé aux Palestiniens, et combien nombreux, aussi, sont ceux qui sont déterminés à en terminer avec cette situation.
Ils comprendraient, (ces juifs américains), que les Israéliens, de manière générale, se rendent compte du fait que le discours des organisations juives américaines est tellement obsolète qu’on dirait qu’elle remonte au dix-neuvième siècle.
Cette rhétorique ne parle pas, aux Israéliens ; elle a tendance à les faire s’esclaffer.
Si les juifs américains voyaient quelle est la nature du débat là-bas (en Israël), cela ne ferait que rendre Israël plus populaire. Plus on en sait, mieux cela vaut.
Les juifs américains verraient que les opinions humanitaires qu’ils peuvent avoir sur des sujets américains sont parfaitement légitimes, en Israël, et tout à fait courantes, même si les organisations juives américaines consensuelles les considèrent déplacées."
Après quoi, Rosenberg a comparé l’évolution de l’attitude des juifs américains vis-à-vis d’Israël aux acquis du mouvement des droits civiques : "Regardez, voici, de cela, 25 ans, vous n’auriez même pas pu parler des Palestiniens. Je veux dire… Golda Meir a dit que les Palestiniens n’existaient pas !
Maintenant, il n’est plus aucune organisation juive de quelque importance – excepté les organisations d’extrême droite – qui n’accorde un soutien, ne fût-ce que nominal, à la solution à deux Etats. Donc : ça bouge !
C’est un peu comme le mouvement des droits civiques, chez nous, aux Etats-Unis : ça n’est pas parfait, mais vous pouvez constater un changement.
Je dirais que 90 % des juifs américains comprennent qu’il y aura un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, Jérusalem Est en étant la capitale. C’est ce que la majorité des Israéliens savent qu’il y aura, à l’avenir. Et ça, ça n’est pas rien !"
Les juifs américains de gauche vivent une situation difficile, ils sont travaillés par des courants émotionnels transverses à la fois puissants et compréhensibles, qui les tirent à hue et à dia.
S’ils sont démocrates, de gauche, anti-guerre, anti-Bush, enclins à regarder Israël d’un œil critique, vous auriez tendance à penser qu’ils seraient plus enclins à contester l’Aipac.
Mais pourquoi devraient-ils le faire ?
Comme la plupart des autres Américains, la plupart des juifs ont sans doute une indigestion de ce conflit interminable entre Israël et les Palestiniens, ils n’en savent vraiment pas grand-chose, et ils ne sont pas vraiment intéressés à en apprendre davantage.
Tout le monde sait bien qu’avoir des idées fortement arrêtées sur le conflit israélo-palestinien, c’est avoir un billet de loterie gagnant pour des engueulades douloureuses – dans le cas d’espèce, en plus, vraisemblablement au sein de sa propre famille. Alors, il vaut mieux laisser l’Aipac se charger de parler au nom des juifs à propos d’Israël, et en être débarrassé…
Comme le suggère Rosenberg, les juifs américains sont peut-être moins susceptibles que jadis de succomber à l’ancienne approche peur-et-culpabilité. Mais, pour beaucoup d’entre eux, Israël reste, quelque part, un sujet intouchable.
Ils ne soutiennent peut-être pas Israël à 100 %, peut-être même pas à 50 %, mais ils n’en sont pas pour autant prêts à faire quoi que ce soit pour saper une organisation, qui, elle, le soutient à 150 %. Pour certains d’entre eux, cela reflète tout simplement un sionisme plus ou moins ardent.
Pour d’autres, les raisons peuvent être plus subtiles. Pour des juifs peu attachés à leur religion ou à leurs traditions culturelles, soutenir Israël – ce qui, pour beaucoup d’entre eux, malheureusement, signifie soutenir (passivement, ou activement) la position de l’Aipac sur Israël – cela peut être une manière de prouver qu’ils n’ont pas totalement laissé tomber leur héritage (juif).
Le statut de deuxième catégorie intégré qu’est celui du juif en diaspora, lui aussi, peut jouer un certain rôle : "Qui suis-je, moi, qui habite New York, pour critiquer en quoi que ce soit un type, en Cisjordanie , confronté à des kamikazes ?"
Comme me l’a dit un jour Aluf Benn, le correspondant diplomatique de Ha’aretz, qui fut aussi mon collègue à la revue Salon : "Pour les juifs américains, Israël, c’est une cause. Nous, les Israéliens, nous ne voyons pas Israël sous ce jour-là."
Nous sommes en train de vivre une situation très étrange. La politique moyen-orientale de l’Amérique est à la merci d’un puissant lobby de Washington, lequel est capable de conserver le pouvoir qui est le sien uniquement grâce au fait que les gens qu’il est censé représenter n’osent pas le défier.
Mais si suffisamment de juifs américains se levaient, un jour, et disaient : "Non, pas ça ! Pas en mon nom !", alors ils pourraient avoir un impact absolument décisif (et positif, ndt) sur la calamiteuse politique actuelle de l’Amérique au Moyen-Orient.
Source : http://www.salon.com/
Traduction : Marcel Charbonnier
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