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Turquie -

Les patriotes turcs

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Le prétexte est presque futile.
Les Stambouliotes protestaient contre l’abattage d’arbres centenaires dans un des derniers parcs publics du centre ville. La privatisation d’un bien public est une raison suffisante pour soulever de colère et d’indignation des citadins qui voient leur espace non marchand se rétrécir sous leurs pieds. L’afflux de milliers de personnes venues en renfort dès l’aube le lendemain, bravant police et armée, prouve qu’il se joue là une scène en réponse aux programmes structurels fortement suggérés par le FMI et les firmes financières transnationales.

Les patriotes turcs

La quinzième économie mondiale par son PIB et la première de cette région de l’Asie devant l’Arabie aux mains des Séoud et l’Iran assure un taux de croissance de près de 10% ces dernières années. Politique d’austérité et conditions très favorables aux capitaux étrangers ont dynamisé la pays au sortir d’une grave crise bancaire au début des années 2000.

Le capital accumulé ou virtuel occidental ne s’embarrasse plus de faire de la plus-value sur sa classe ouvrière syndiquée, il se place contre gros intérêts. La Turquie exporte ainsi des réfrigérateurs et des cocottes minutes en Afrique.

Même si la dette extérieure s’est multipliée par trois en dix ans, quelques trois cents milliards actuellement, elle représente moins de 60% du PIB. La Turquie risque de se porter à la dixième place mondiale pour son PIB en 2050. Voilà qui justifie ses ambitions d’expansion territoriale sur la Syrie. Si elle maîtrise l’eau de la région, le Tigre et l’Euphrate prennent leur sources sur son territoire, elle manque de ressources en hydrocarbures. La Syrie en dispose. Le Liban et Gaza (la prison de quelques kilomètres dont le monde civilisé accepte que son million et demi d’incarcérés languissent derrière leurs barbelés et occasionnellement subissent l’expérimentation d’armes nouvelles) aussi.


La politique extérieure d’Erdogan alliait la vertu, envoi d’une flottille à Gaza, soutien du nouveau gouvernement tunisien, aux intérêts énergétiques de son pays et des appétits de pénétration de la classe industrielle émergente qui le soutient.
La restriction budgétaire, condition de la facilitation de l’aide occidentale, se traduit par une baisse des services publics, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation, et par des privatisations.

L’arrachage des arbres du dernier espace vert de la mégapole de 13 millions d’habitants par les Caterpillar a été le motif d’un embrasement sous-tendu par la précarité, le chômage, les difficultés d’une jeunesse éduquée à se projeter dans un avenir. Exactement les mêmes ingrédients de tous les Occupy, Tahrir et Wall Street compris.


L’installation de "Patriot" par l’OTAN en Turquie (1) n’apporte pas de protection immunitaire du gouvernement Erdogan contre une insurrection populaire.
L’actuelle guerre qu’il mène ouvertement contre la Syrie perturbe dans l’immédiat un commerce frontalier conséquent.
L’issue de cette confrontation est en train de donner toutes les chances à une relative autonomisation de la partie kurde de la Syrie. Il se dessine donc avec la base d’appui kurde en Irak riche en pétrole la possibilité d’un État kurde avec lequel l’ancien Empire devra négocier dans des conditions qui ne lui seront pas favorables.


Les accords de Sykes-Picot (1916) suivis de la déclaration Balfour (novembre 1917 au lendemain donc d’octobre 1917) ont accouché au lendemain du démantèlement du vieil homme malade d’un équilibre instable. La configuration territoriale, avec la création d’États artificiels dont la Jordanie et Israël, a été irrespectueuse à la fois de la géographie et de l’histoire.
La superposition sur ces anomalies majeures de la volonté d’un nouveau modelage du Moyen-Orient par les Us(a) selon leurs intérêts et ceux de leur allié israélien dès l’arrivée au pouvoir de la première administration de Bush l’héritier ont fragilisé et déplacé cet équilibre.
Dans ce monde encore largement dominé par l’Occident, le principe de réciprocité qui implique l’égalité est exclu de sa pratique s’il l’admet en théorie dans la proclamation universelle des droits de l’homme et dans la charte des Nations Unies.
Il fait installer en Turquie des Patriot, sans rentrer dans l’analyse de leur efficacité, pour menacer la Syrie.
Mais gare à la Russie si elle livre à cette même Syrie du matériel capable de répondre à une attaque aérienne.
Il fournit mercenaires et armes à une rébellion qui s’avère criminelle et anti-démocratique mais condamne l’intervention du Hezbollah aux côtés de l’armée légale et encore légitime, quoique que couine Laurent Fabius.
Ce faisant, le Hezbollah reconstitue l’unité territoriale de la Grande Syrie dépecée par la France et le Royaume-Uni.
Il défend en outre les lignes de son ravitaillement. En l’absence avérée d’une armée libanaise, ce groupe de quelques milliers de combattants est le seul rempart contre les visées sionistes sur les réserves d’eau du Sud Liban.


Au cinquième jour de la flambée de la place Taqsim, la protestation a gagné d’autres villes turques.
Pourtant, la police et l’armée se sont retirées sur ordre du Président Gull. Erdogan a effectué un retrait stratégique en affirmant que le parc ne serait pas dédié à un nouveau centre commercial.
Combien de temps durera cette ardeur ?
À quoi va-t-elle conduire quand la désignation de la prochaine ville pour la tenue des Jeux en 2020 est si proche, septembre 2013 ?
En contestant aussi la participation de leur gouvernement dans la crise syrienne, les protestataires de la nouvelle place emblématique de l’irruption du peuple dans la politique ne sont-ils pas les vrais Patriotes ?


Badia Benjelloun
3 juin 2013



(1) Lire "Les missiles Patriot arrivent en Turquie en dépit de l'opposition du peuple turc", Résistance politique.fr, 24 janvier 2013.

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