Fermer

S'inscrire à la mailing list ISM-France

Recevez par email les titres des derniers articles publiés sur ISM-France.

Votre adresse courriel

Fermer

Envoyer cet article

Votre adresse courriel
Envoyer l'article à
Votre message
Je profite de l'occasion pour m'abonner à la newsletter ISM France.
ISM France - Archives 2001-2021

Imprimer cet article Envoyer cet article
Article lu 4563 fois

Gaza -

Les pêcheurs de Gaza

Par

A Gaza, la pêche est une tradition ancienne. Le métier de pêcheur se transmet de génération en génération. Les fils apprennent de leur père et prennent sa relève. Aujourd'hui, ils sont les premiers à subir de plein fouet l'impact du blocus maritime israélien.
Les accords d'Oslo, signés en 1993 entre Israël et l'OLP, autorisaient l'accès à une zone de pêche de 20 miles nautiques. Un peu plus tard, les 20 miles sont devenus 12 puis 6 en 2000 après la deuxième Intifada. Aujourd'hui, ils sont passés à 3 miles nautiques actuellement depuis l'opération « Plomb durci » consécutive à la prise du pouvoir du Hamas dans la Bande de Gaza. 3 miles nautique, c'est-à-dire à peine 5 km.

Les pêcheurs de Gaza

Port de Gaza, juillet 2012 - Le graffiti mural souligne l'injustice du blocus maritime. Les caisses peu remplies témoignent de la difficulté des pêcheurs à ramener des pêches convenables.
L'armée israélienne justifie ce blocus en disant vouloir empêcher le trafic d'armes et prévenir les attaques. Mais comme le dit Zaccaria, de l'union des pêcheurs : « Aucun bateau n'a été arrêté avec des armes. Les pêcheurs ne sont ni des terroristes ni des combattants. ».

Aujourd'hui, même les 3 miles sont remis en question, malgré la promesse faite après la libération de Shalit d'assouplir cette restriction. Les témoignages d'attaques en deçà de cette
limite sont de plus en plus nombreux.

De façon quotidienne, les canonnières israéliennes harcèlent les pêcheurs. Elles tentent de les faire chavirer et leur tirent dessus à l'arme lourde. Parfois autour de leur bateau, parfois en les prenant directement pour cible. Les soldats arrêtent les équipages.

Photo
Le rétrécissement de la zone de pêche depuis 1994


Tous décrivent de la même manière les conditions d'arrestation : après s'être rendus, les pêcheurs doivent se déshabiller et sauter à l'eau, quelque soit la température extérieure. Ils sont ensuite hissés sur un bateau, menottés et emmenés dans un port israélien. Parfois, on leur demande de faire les derniers mètres jusqu'au port à la nage. Arrivés là, ils sont entourés par de nombreux soldats qui les emmènent en cellule, lesquelles consistent parfois en des structures métalliques sans équipement. Ils subissent alors un interrogatoire.

Les blessés ne reçoivent pas immédiatement de soins médicaux, ils doivent parfois attendre plus de 10h avant de voir un médecin. La majorité des pêcheurs sont relâchés un, deux ou trois jours plus tard au checkpoint d'Erez, sans aucun effet personnel. Blessé ou pas, ils doivent se débrouiller pour parcourir eux-mêmes le kilomètre et demi qui les ramènera dans la bande de Gaza. Leur bateau et son moteur, leurs filets, leur matériel sont confisqués par les israéliens qui ne les rendent jamais et leur rient au nez quand ils les menacent d'entamer une procédure juridique. Ils perdent alors leur seul moyen de subsistance, et des milliers de dollars d'équipement qu'ils ne parviendront probablement jamais à racheter entièrement.

Photo

Fadel (photo ci-dessus) (1), par exemple, raconte que le 20 juin 2012, lui et son équipier se sont retrouvés sous le feu des canonnières alors qu'ils se trouvaient à environ 2 km de la côte. Malgré leurs supplications, les soldats les ont fait se déshabiller, les ont arrêtés avec d'autres pêcheurs aux alentours et les ont emmenés au port d'Ashdod. Ils ont été relâchés le lendemain au checkpoint d'Erez. Le bateau de Fadel avec tout son équipement, filets, moteurs, instruments, a été confisqué. Il n'a aucun espoir de le récupérer. En l'espace de quelques heures, il a perdu tout ce qui lui permettait de nourrir sa famille. Il doit maintenant compter sur l'aide des autres pêcheurs qui acceptent de le prendre pour équipier, pour un salaire de misère.

Le harcèlement prend également une autre forme : lors des interrogatoires, ou en mer par communication radio, l'armée israélienne tente de recruter de faire pression sur les marins, notamment les jeunes, afin qu'ils leur fournissent des informations et travaillent comme espion pour eux, en échange d'argent ou d'avantages.

Bravant le danger, certains pêcheurs prennent le risque de s'aventurer au-delà des 3 miles, dans l'espoir de ramener une meilleure pêche. Certains équipages des navires israéliens tolèrent parfois ce dépassement, mais cela reste rare. Les pêcheurs prennent même le risque de s'aventurer dans les eaux égyptiennes au sud de la Bande de Gaza, beaucoup plus poissonneuses. Au péril de leur vie.

Voici le récit d'une mésaventure arrivée à Zaki :

C'était l'hiver, il faisait très froid. L'équipage dont faisait parti Zaki a quitté Gaza à 5h du mat' pour arriver vers 6h30 dans les eaux égyptiennes. Là, ils croisent des bateaux égyptiens. La pêche est bonne, tout se passe bien. A 21h, à cause du froid intense, ils décident de faire demi-tour malgré le danger que représente la nuit.

Alors qu'ils quittent les eaux égyptiennes, ils voient un navire de guerre égyptien, et plus loin, les navires israéliens. Ces derniers laissent le bateau pénétrer dans les eaux palestiniennes avant de s'élancer à sa poursuite et de lui tirer dessus. Ils essaient de s'enfuir en retournant dans les eaux égyptiennes, mais le capitaine reçoit trois balles dans la poitrine. Ils sont alors capturés. Le blessé a été condamné à 3 ans de prison. Il y est toujours, et le reste de l'équipage ne sait pas pour quel motif.

Photo
Environs de Jabaliya, juillet 2012. Zaki montre les rapports de l’hôpital et du ministère sur ses blessures. Il s'est fait mitraillé et blessé au bras alors qu'il pêchait à environ 2 miles des côtes. Depuis, il ne peut plus travailler. Ce sont ses fils, pêcheurs également, qui nourrissent la famille.


Quand les Israéliens ont commencé à tirer, ils hurlaient dans un mégaphone d'arrêter le bateau et de retirer le moteur. Mais le capitaine ne parlait pas hébreu. Avec le feu nourri, Zaki qui lui comprend l'hébreu n'arrivait pas à parler assez fort pour se faire entendre.

Tout est arrivé dans la nuit. On ne peut pas imaginer à quel point la température était glaciale, c'était pendant les 40 jours les plus froids de l'année. Les Israéliens ont forcé les trois pêcheurs à se déshabiller à 4 miles du port israélien, et leur ont bandé les yeux. Le bateau a été confisqué. Après avoir été relâché, il a du rester 2 semaines alité, car malade à cause du froid.

Le blocus a également un impact direct sur les conditions de vie des quelques 3700 pêcheurs officiels de Gaza, et des 70.000 personnes qui en dépendent. La zone des 3 miles nautique imposée est un mouchoir de poche comparé au nombre de pêcheurs. Peu à peu, les ressources halieutiques s'épuisent. Les filets ramènent des poissons de plus en plus petits. Pour assurer leur renouvellement, il faudrait s'arrêter de pêcher 3 mois dans l'année. Mais aucun travailleur de la mer ne peut se le permettre, car cela signifierait une absence totale de revenus pour leur famille.

Les pêcheurs reviennent chaque jour avec de moins en moins de prises, souvent même pas assez pour payer le fuel et l'entretien. Leur salaire mensuel n'est jamais garanti et atteint rarement les 1.000 shekels, une somme insuffisante pour nourrir de façon correcte leur famille et entretenir leur équipement. La plupart des pêcheurs avouent, une boule dans la gorge, dépendre des aides alimentaires des nations unies pour parvenir à nourrir leur famille.

Les plus gros bateaux ont une pêche disproportionnée en comparaison avec les barques à moteurs. Certains pêchent la sardine à la lampe : des projecteurs puissants fixés sur le bateau attirent les sardines dans les filets. Mais procédant ainsi, ils capturent une grande proportion des sardines et créent un vide dans la chaîne alimentaire qui se répercute sur les autres espèces.

Photo
Gaza, août 2012. Après une heure de pêche, le filet ne contient pas grand chose, et la majeure partie de son contenu consiste en des crabes trop petits pour être mangés qui seront rejetés à l'eau. Durant toute la nuit, le scénario sera le même.


Quand nous sortons en mer avec Fadel, au bout de 3h de pêche, il ne ramène que 3kg de poisson, vendu 50 ILS. Avec le chalutier, seules quelques caisses même pas pleines de gambelas et une ou deux de poissons viendront récompenser une nuit de travail. Le filet ressort de l'eau peu rempli, et contient en majorité des crabes trop petits pour être mangés. Pas assez pour rentabiliser la sortie, payer l'équipage et l'armateur.

A cause du blocus, les pêcheurs ont également dû changer leurs pratiques. Avant la limitation à 3 miles, les chalutiers de 20 mètres étaient beaucoup plus nombreux. Ils ne sont à présent qu'une poignée à mouiller dans le port de Gaza. La plupart des pêcheurs utilisent des petits canots à moteur de 6m.

Les Israéliens leur ont imposé une restriction sur la puissance des moteurs, qui ne doit pas dépasser 25 chevaux, autant dire des moteurs très peu puissants. Cela rend encore plus dangereux le travail en mer. Les pêcheurs qui utilisent des moteurs de 30 ou 40 chevaux risquent de se faire arrêter et de voir leur matériel confisqué. De nombreuses familles ont donc dû abandonner leur chalutier, et du même coup leur savoir-faire en matière de pêche, pour se reconvertir. Mahmoud Mustafa, pêcheur, nous dira qu'il vit cette situation comme « un retour vers le passé ».

D'autres effets du blocus sont plus insidieux. Le gouvernement donne à chaque pêcheur un peu de carburant une fois par semaine, mais pas assez pour leur permettre d'aller en mer, et pas à tout le monde. Les pêcheurs sont donc largement dépendants de l'approvisionnement en fuel en provenance de l'Egypte, qui arrive par les tunnels. Et lorsqu'il y a pénurie d'essence et que les prix s'envolent, ils en subissent de plein fouet les conséquences. Ils ne peuvent alors plus sortir en mer, et passent leur journée au port à attendre.

Face à l'appauvrissement des ressources en poisson, et aux prix en augmentation, un marché parallèle s'est mis en place. Du poisson égyptien est importé via les tunnels. Ce poisson n'est pas frais, il arrive même parfois qu'il pourrisse le temps du trajet. Néanmoins, il est vendu à un coût inférieur à celui du poisson palestinien, occasionnant une concurrence déloyale aux pêcheurs.

Photo
Port de Gaza, juillet 2012. Faute de moyens ou par découragement, de plus en plus de pêcheurs abandonnent leur embarcation, dont la peinture s'écaille lentement au soleil...


A ces difficultés vient s'ajouter la pénibilité du travail lui même : dans les plus petites embarcations, il faut hâler le filet à la main, plusieurs fois par jour. Les équipements sont rudimentaires. Il faut travailler tous les jours, très tôt le matin et tard le soir avec une pause en milieu de journée. Le soleil, le sel, usent la santé. Les conditions de sécurité minimales ne sont pas assurées, et régulièrement des pêcheurs sont blessés ou meurent noyés en travaillant.

Dans ces conditions, de nombreux pêcheurs songent à changer de métier. Mais la plupart d'entre eux ne sait rien faire d'autre, et de toute façon le chômage est tellement élevé que retrouver un emploi relève de la gageure. Pour certains, le Hamas propose des emplois de maître-nageurs. Dans le port de Gaza, les coques retournées dont la peinture s'écaille au soleil sont de plus en plus nombreuses : faute de pouvoir les entretenir, leurs propriétaires les ont abandonnés là.

Face à leurs difficultés, les pêcheurs ne reçoivent que peu d'aides. Les pêcheurs rencontrés, après avoir été arrêtés ou blessés, n'ont reçu aucune assistance à leur retour. Ni aide financière, ni aide médicale. Suite à leurs blessures, certains ont du abandonner leur métier. C'est alors toute une famille qui perd sa source principale de revenus.

Photo

Shifa Hospital, Gaza, juillet 2012. Atteint d'une maladie des reins, Mahmoud doit subir une dialyse tous les deux jours au minimum. Lorsque les Israéliens l'ont arrêté, il faisait très froid. Il a refusé de se déshabiller, alors ils lui ont tiré à bout portant une balle au-dessus du genou gauche. Il est resté ensuite près de 12h sans recevoir de soin, et a failli mourir d'un empoisonnement du sang faute de dialyse.


Mahmoud nous explique que 25 personnes dépendaient de ses revenus. Depuis qu'il s'est fait tirer dessus à bout portant dans le genou pour avoir refusé de se déshabiller, il ne peut plus pêcher. Il a du arrêter la construction de sa maison. Il nous parle également de ses deux frères qui étaient censés se marier avant le siège. Mais depuis, leurs revenus sont devenus tellement faibles qu'ils n'ont plus les moyens financiers d'assurer leur mariage, qu'ils ont du reporter.

Une ONG, le Christian Relief Services, essaie de soutenir financièrement les pêcheurs en leur versant, à tour de rôle, 1.000 ILS pendant 3 mois une fois par an et en les aidant à s'équiper. Même cette aide reste insuffisante. Mais quand bien même, la première aide que les pêcheurs réclament n'est pas financière.

Zaccaria, membre de l'union des pêcheurs, relaie un point de vue entendu dans la bouche de nombreux autres pêcheurs. Il tient à ce que ce message parvienne aux Occidentaux. En tant que pêcheur, ce ne sont pas des pauvres. Ils avaient l'habitude de gagner correctement leur vie. Ils ne veulent pas des aides, ils ne veulent pas de fonds. Ce qu'ils veulent, c'est que l'Europe pousse Israël à lever le siège maritime de Gaza. Avant, la pêche était un très bon métier avec de bons revenus. Ils vivaient avant dignement, dans de bonnes conditions. Ils veulent travailler, car ils en sont capables et ils sont qualifiés dans leur domaine. Ils veulent que les Israéliens respectent les accords signés. Les aides des ONG deviennent pénibles et humiliantes, ils finissent par se sentir comme des pauvres. Ils ne veulent pas qu'on leur fasse la charité. Si il n'y avait pas de siège, ils n'auraient absolument pas besoin d'aides. Les balles israéliennes sont américaines. « Les USA supportent Israël, les ONG américaines les laissent faire et débarquent en Palestine et nous traitent comme des pauvres. » De tous les pêcheurs arrêtés, aucun n'était un terroriste. Et pourtant, ils sont emprisonnés, condamnés à des peines de prison. « Tous les pays autour du monde avec des côtes ont le droit de pêcher où ils veulent. Mais à Gaza, les pêcheurs ne peuvent pas pratiquer leur métier. Nous avons besoin que soient dénoncés les abus d'Israël. »


(1) Lire l'histoire de Fadel sur Info.Palestine.net.

Retrouver toutes les photos qui illustrent ce reportage sur Flickr.com.


jazzphoto@free.fr


Faire un don

Afin d'assurer sa mission d'information, ISM-France fait appel à votre soutien.

Oui ! Je soutiens ISM-France.


Contacter ISM France

contact@ism-france.org

Suivre ISM France

S'abonner à ISMFRANCE sur Twitter RSS

Avertissement

L'ISM a pour vocation la diffusion d'informations relatives aux événements du Proche Orient. Les auteurs du site travaillent à la plus grande objectivité et au respect des opinions de chacun, soucieux de corriger les erreurs qui leur seraient signalées.

Les opinions exprimées dans les articles n'engagent que la responsabilité de leur auteur et/ou de leur traducteur. En aucun cas l'ISM ne saurait être tenu responsable des propos tenus dans les analyses, témoignages et messages postés par des tierces personnes.

D'autre part, beaucoup d'informations émanant de sources externes, ou faisant lien vers des sites dont il n'a pas la gestion, l'ISM n'assume aucunement la responsabilité quant à l'information contenue dans ces sites.

A lire également...
Même lieu

Gaza

Même sujet

Pêcheurs de Gaza

Même date

14 septembre 2012