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Israël - 6 novembre 2007
Par Victor Ostrovsky
Victor Ostrovsky a grandi en Israël, bien que né au Canada. A 18 ans, il est devenu le plus jeune officier de l'armée israélienne, puis il fut promu au grade de lieutenant en charge des tests d'armes pour la marine. Il a été officier du Mossad de 1984 à 1986.
[…] A cette conférence d’Alan en a fait suite une autre, portant sur la coopération technique entre officines, au cours de laquelle nous avons appris que, de tous les services secrets, c’est le Mossad qui dispose des meilleures techniques pour faire sauter les verrous.
Le siège du Mossad à Tel Aviv
Différents fabricants de serrures, en Grande-Bretagne, par exemple, envoient leurs nouveaux mécanismes aux services de sécurité britanniques afin qu’ils en testent la sécurité. Et que font les services britanniques ? Ils refilent les prototypes de serrures au Mossad, aux fins d’analyse.
Cette procédure consiste, en ce qui concerne nos agents [du Mossad, ndt], à analyser la serrure, à imaginer les moyens de la fracturer, et puis à la renvoyer, le cas échéant, avec un rapport comme quoi elle est "inviolable".
Après le déjeuner, ce jour-là, Dov L. emmena sa classe pour une sortie, direction : un parking, où étaient stationnées huit voitures de type Ford Escort. En Israël, la plupart des véhicules du Mossad, du Shabak et de la police sont blancs, même si le chef du Mossad, à l’époque, conduisait une Lincoln Town lie-de-vin.
L’idée, c’était d’apprendre à détecter si vous étiez suivi par une voiture, ou non. C’est quelque chose que vous pratiquez, toujours et encore : il n’y a que la pratique… Ce n’est pas le genre de choses que vous voyez dans les films ou que vous lisez dans les polars, à propos de petits poils, dans votre cou, qui se redressent et vous disent que vous avez quelqu’un qui vous file au train… Non : c’est quelque chose que vous apprenez par la pratique – une pratique incessante, de tous les instants…
Chaque soir, quand nous rentrions chez nous, et chaque matin, quand nous partions pour l’école, il relevait toujours de notre propre responsabilité de nous assurer que nous n’étions pas filés.
Le lendemain, Ran S. fit une conf’ sur les "sanayim", composante unique et importante du mode opératoire du Mossad. Les "sanayim" [assistants, en hébreu] doivent être juifs pur sucre, à 100 %. Ils vivent à l’étranger et, bien qu’ils ne soient pas citoyens israéliens, la plupart d’entre eux ont été contactés à travers leur parenté en Israël. Un Israélien ayant un parent en Angleterre, par exemple, peut se voir requérir de lui écrire une lettre expliquant que la personne porteuse du pli représente une organisation dont le principal objectif est de sauver des juifs dans la diaspora : le parent british pourrait-il aider, d’une manière ou d’une autre ?
Il y a des milliers de "sanayim", répartis dans le monde entier. Uniquement à Londres, il y en a près de deux mille dans l’active, et 5 000 en réserve. Ils jouent des rôles nombreux et variés.
Un sayan "automobile", par exemple, dirigeant une compagnie de location de voitures, pourra aider le Mossad à louer un véhicule sans avoir à remplir les documents d’usage.
Un sayan "appart’" trouvera un logement sans soulever de soupçons, un "sayan" banquier pourra vous procurer de l’argent, si vous en avez besoin, même au beau milieu de la nuit, un sayan médecin pourra soigner une blessure par balle sans en référer à la police, etc.
L’idée, c’est de disposer d’un pool de personnes disponibles lorsque vous avez besoin de gens capable de fournir certains services, mais qui observera la discrétion la plus extrême au sujet desdits services, en raison de leur loyauté à la cause. Ils ne sont pas rémunérés, mais seulement indemnisés.
Souvent la loyauté des sanayim fait l’objet d’abus de la part des ‘katsas’, qui profitent de leurs prestations à des fins personnelles. Le sayan n’a aucun moyen qui lui permette d’en avoir le cœur net.
Une chose qui est absolument certaine, c’est que même au cas où un juif sait que le service que vous lui demandez est commandité par le Mossad, il peut ne pas être d’accord pour travailler avec vous, lais il ne vous mouchardera jamais.
Et c’est ainsi que vous avez, à votre disposition, un système de recrutement totalement exempt de risques qui, de fait, met à votre disposition un pool de millions de juifs dans lequel vous pouvez puiser, à l’extérieur de vos propres frontières ! Il est bien plus facile d’opérer avec des gens déjà disponibles dans la place, et les sanayim apportent des services incroyables, absolument partout dans le monde. De plus, ils ne sont jamais mis en danger, ni mis dans le secret des dieux…
Imaginons que, durant une opération, vous êtes un katsa et que vous ayez soudain besoin d’un magasin d’électronique en guise de couverture. Hop ! Un simple coup de fil à un sayan travaillant dans cette branche du commerce vous permet de rassembler 50 téléviseurs, 200 magnétoscopes… absolument tout ce que vous voulez… à partir de son stock : il vous les amène à l’immeuble que vous lui désignez et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, vous avez votre magasin d’électronique, avec même de 3 à 4 millions de dollars de stock, dans l’arrière-boutique !
Le plus gros de l’activité du Mossad s’effectuant en Europe, il est préférable d’avoir une adresse professionnelle en Amérique du Nord. Ainsi, il y a des adresses sanayim, et des numéros de téléphone sanayim. Si un katsa doit donner une adresse ou un numéro de téléphone, il peut utiliser ceux d’un sayan. Et si le sayan reçoit une lettre, ou un appel téléphonique, il saura immédiatement que faire.
Certains sanayim hommes d’affaires ont un pool de vingt opérateurs à leur disposition, qui répondent au téléphone, tapent des courriers, faxent des messages, et tout ça n’est qu’une façade pour le Mossad ! Le clou de cette histoire, c’est que 60 % du chiffre d’affaires des compagnies de plateformes téléphoniques, en Europe, sont dus au Mossad : sans lui, il y a longtemps que ces boîtes auraient mis la clé sous le paillasson !
Le seul problème, avec ce système, c’est le fait que le Mossad n’a apparemment aucun état d’âme en ce qui concerne l’effet dévastateur qu’aurait la révélation de ces manigances pour le statut des juifs vivant dans la diaspora. La réponse que vous obtenez, si vous soulevez cette question, est la suivante : "Et puis après ? Qu’est-ce qu’il pourrait leur arriver, au pire, aux juifs ? Ils viendraient tous en Israël, non ? C’est ça, qui serait génial !"
Les gens pensent erronément que le Mossad est désavantagé par le fait qu’il ne dispose pas de pied-à-terre dans les pays assurément cibles. Les Etats-Unis, par exemple, ont une plateforme à Moscou, et les Russes en ont, à Washington et à New York. Mais Israël n’a pas d’observatoire à Damas. Ce que les gens n’arrivent pas à comprendre, c’est le fait que le Mossad considère que l’ensemble du monde, en-dehors d’Israël, est une cible – y compris l’Europe, et les Etats-Unis !
La plupart des pays arabes ne produisent pas leur propre armement. La plupart d’entre eux n’ont pas de grandes écoles militaires, par exemple.
Si vous voulez recruter un diplomate syrien, vous n’avez pas à aller à Damas pour ce faire. Vous pouvez le faire… à Paris ! Si vous voulez des infos sur un missile arabe, vous l’obtiendrez à Paris, ou à Londres, capitales des pays où ce missile est fabriqué. Vous obtiendrez moins d’infos sur l’Arabie Saoudite de la part des Saoudiens eux-mêmes que vous n’en recueillerez auprès des Américains.
Quelles armes ont les Saoudiens ? Je vais vous le dire : des avions AWACs. Les AWACs sont fabriqués par Boeing. Dites-moi, depuis quand Being est une entreprise saoudienne ? Ah-ah-ah ! Non, bien sûr : c’est une boîte américaine, à 100 % !!
Alors, pourquoi vous casser le tronc à voir des Saoudiens ? Au total, l’unique recrutement en Arabie Saoudite, durant toute ma période à l’Institut, c’était un attaché à l’ambassade saoudienne au Japon ! Point barre !
Et si vous voulez accéder au niveau des officiers supérieurs, sachez qu’ils font leurs études en Angleterre, ou aux Etats-Unis. Leurs pilotes sont formés en Angleterre, en France et aux Etats-Unis. Leurs commandos s’entraînent en Italie, et en France. Vous pouvez les recruter dans ces pays : c’est bien plus facile, et bien moins dangereux !
Ran S. a également parlé à ses étudiants des "agents blancs", des individus recrutés, soit par des moyens occultes, soit par des moyens directs, qui peuvent savoir qu’ils travaillent pour Israël, comme ils peuvent ne pas le savoir. Ce sont dans tous les cas des non-arabes, et ils sont en général plus sophistiqués sur le plan scientifique. Le préjugé prévalant en Israël, c’est que les Arabes ne comprennent rien aux questions techniques.
Cela apparaît dans les blagues, comme celle-ci, au sujet de ce type, qui vend des cerveaux arabes à 150 dollars la livre, et des cerveaux juifs à 2 dollars la livre, seulement. A la question d’un client qui lui a demandé pourquoi les cerveaux arabes sont tellement cher, le vendeur répond : "Parce qu’ils n’ont pratiquement jamais servi !" Telle est la perception, largement répandue, qu’ont des Arabes les Israéliens.
Le travail avec des agents blancs est généralement moins risqué que le recours à des agents "noirs", c’est-à-dire Arabes. Ne serait-ce que parce que les Arabes travaillant à l’étranger ont toutes les malchances d’être surveillés par les services secrets arabes, et si ces services vous surprennent en train de travailler avec un ressortissant arabe que vous utilisez comme "agent noir", ils risquent d’avoir envie de vous éliminer.
Le pire qui puisse arriver à un katsa du Mossad pincé en train de travailler avec un agent blanc en France, c’est d’être expulsé vers Israël. L’agent blanc en cause risque d’être éventuellement accusé de haute trahison. En revanche, si vous travaillez avec un Arabe, vous vous mettez autant en danger que lui.
Tandis que se poursuivait notre formation à l’Académie [militaire], nos exercices, à l’extérieur, avec des voitures, continuaient sans discontinuer. Nous avons appris une technique, appelée ‘maulter’, l’utilisation improvisée d’une voiture afin de détecter, ou d’improviser une filature.
Si vous devez conduire dans une région que vous ne connaissez pas, et que vous n’avez aucun itinéraire préparé à l’avance, il y a une série de procédures – tourner à gauche, puis à droite, avancer, s’arrêter, etc – à suivre, essentiellement afin d’éliminer tout repérage et de vous assurer que vous n’êtes pas suivi. On nous rappelait aussi très fréquemment que nous n’étions pas "rivés" à nos bagnoles.
En cas de doute, si nous soupçonnions que nous étions filés, mais que nous n’étions pas en mesure de le vérifier de manière sure, il était plus prudent de nous garer, de nous éloigner de notre voiture en marchant calmement, et de nous barrer.
Une autre conf’, faite par un katsa nommé Rabitz, nous a expliqué le fonctionnement de l’"Israël Station", ou station locale, qui supervise Chypre, l’Egypte, la Grèce et la Turquie.
Ses katsas sont appelés "hoppers", ou "jumpers" ["sauterelles", "sauteurs", ndt], parce qu’ils travaillent à partir des bureaux centraux, à Tel Aviv. Ils recrutent en faisant la navette dans ces pays, et retour, pour quelques jours seulement à chaque fois, afin de driver les agents et les sanayim. Le travail est dangereux, dans tous ces pays, car leurs gouvernements ont tendance à être pro-palestiniens.
Aussi une affectation en Israël est loin d’être le rêve, pour les katsas. Durant sa conférence sur ce sujet, Ran S. a pas mal déblatéré là-dessus… Manque de bol : il n’a pas tardé à en être nommé chef !
[Extrait de "By Way of Deception: The Making and Unmaking of a Mossad Officer" (Par la tromperie : construction et démolition d'un officier du Mossad), par Victor Ostrovsky et Claire Hoy, St Martin’s Press (éditeur), 1990].
Lire la première partie de l'article publiée par Alterinfo le 25 mars 2005.
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