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Allemagne - 21 juillet 2015
Par Susan Abulhawa
Mardi 14 juillet, la chancelière allemande Angela Merkel a participé à une émission de télévision appelée "Good Life in Germany" dans laquelle elle a discuté avec des adolescents. Dans le public, il y avait Reem, 13 ans, une réfugiée palestinienne qui a fui son camp au Liban il y a quatre ans. D'une voix tremblante et dans un Allemand fluide, la jeune Reem a dit : "J'ai des projets comme tout le monde... Je veux aller à l'université." Mais, a-t-elle expliqué, elle et sa famille sont menacées d'expulsion. "C'est très désagréable de voir comment les autres peuvent profiter de la vie, et moi je ne peux pas," a-t-elle dit, "je veux étudier, comme eux."
La chancelière Merkel a répondu avec la peur occidentale habituelle vis-à-vis des immigrés. Elle a dit que si l'Allemagne l'autorisait à rester, il y aurait des milliers de réfugiés palestiniens, puis des milliers d'"Afrique" [ce grand pays singulier] qui se déverseraient en Allemagne. "Nous ne pouvons pas nous le permettre," a-t-elle dit. La jeune Reem a fondu en larmes et la vidéo de son dialogue avec la chancelière Merkel a fait le tour du monde.
Les titres et les analyses politiques, en Europe et aux Etats-Unis, ont parlé de la réponse sèche de Merkel à une courageuse jeune fille, avide d'éducation, de vie stable, de quelque chose d'autre que d'une peur et d'une incertitude persistantes pour construire sa vie. J'ai lu au moins 15 articles sur le sujet et pour la plupart d'entre eux, l'incident était à relier à la "crise de l'immigration" tant débattue dans toute l'Europe occidentale. Les commentateurs de gauche dénonçaient le manque de cœur de la chancelière, insistant sur la responsabilité humanitaire de l'Europe envers les damnés de la terre. Les commentateurs penchant à droite reflétaient les sentiments de Merkel, que l'Europe avait suffisamment de problèmes et qu'elle ne pouvait endosser ceux du monde entier. D'autres, simplement pragmatiques, reprenaient les paroles de Eva Lohse, présidente de l'Association des Villes allemandes, qui avertissait, "Nous avons atteint les limites de nos capacités."
Toutes ces analyses sont passées à côté de l'essentiel.
Pas une n'a évoqué le fait que Reem est une réfugiée en raison directe ou indirecte des actions allemandes. Reem, et "des milliers et des milliers de réfugiés palestiniens," comme a dit Merkel, n'ont pas d'Etat précisément parce que l'Allemagne, avec d'autres nations occidentales, continue de soutenir le colonialisme sioniste qui a expulsé et continue d'expulser les Palestiniens indigènes de leur patrie ancestrale.
Reem ne devrait pas avoir besoin de la "charité" allemande si l'Allemagne faisait en sorte que l'aide militaire et financière massive qu'elle donne à Israël était conditionnée par l'adhésion d'Israël à des principes fondamentaux de morale et de droit international qui garantissent explicitement le droit de Reem à vivre dans son pays natal. Reem ne serait pas perdue dans le monde si l'Allemagne conditionnait les nombreuses incitations européennes économiques et commerciales dont bénéficie Israël au démantèlement de l'Apartheid sioniste qui considère Reem comme un être humain inférieur, indigne de son propre patrimoine, de sa propre maison et de sa propre histoire.
En plus de l'énorme soutien matériel, il y a la complaisance de l'Allemagne vis-à-vis d'Israël pour qu'il continue d'ancrer un racisme structurel et institutionnel qui offre des privilèges d'Etat et des droits aux citoyens en fonction de leur religion. C'est à cause de la couverture politique que l'Allemagne offre à Israël pour détruire la vie, la société et la culture palestiniennes en toute impunité que Reem reste une réfugiée. L'été dernier, par exemple, après qu'Israël a massacré les Palestiniens à Gaza par terre, air et mer, le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies a exhorté l'ONU à "diligenter d'urgence une commission d'enquête internationale indépendante pour examiner toutes les violations [du droit international] dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem Est, en particulier dans la Bande de Gaza occupée, dans le contexte des opérations militaires menées depuis le 13 juin 2014." Malgré les horreurs que les Palestiniens ont endurées au cours des 51 jours, l'Allemagne n'a pu réunir la plus minime reconnaissance de l'humanité palestinienne qui l'aurait fait voter en faveur de cette enquête.
A voir la vidéo, ceux d'entre nous qui ont le sens de l'histoire bouillent devant un tel spectacle de paternalisme occidental. La réponse de Merkel à Reem fut la manifestation parfaite de l'époustouflante dénégation délibérée des gouvernements occidentaux, qui sont, bien sûr, les créateurs des réfugiés. La vérité est que notre partie du monde gît en ruine, dans la peur et la dévastation largement à cause des "opérations" impérialistes occidentales dans la poursuite d'une hégémonie qui n'a pour nos vies que dédain, mépris total et irrespect. De l'Irak à la Palestine et à la Libye, l'Allemagne a joué un rôle terrible et central dans notre éviscération. Avec ses alliés occidentaux, ils ont fait de nos mères, nos docteurs et nos professeurs des mendiants, et produit des générations de traumatisés, d'analphabètes au sein de ce qui fut jadis des populations au haut niveau de fonctionnement. Ils ont détruit jusqu'aux fondations de nos sociétés, vaincu les mécanismes sociaux qui marginalisaient les éléments extrémistes, au point que dans le chaos et la misère béante de nos vies surgit maintenant une puissante organisation de fanatiques morbides.
Alors, aux commentateurs de gauche, de droite et pragmatiques, je demande de nous épargner, s'il vous plaît, votre baratin égoïste sur le fait de savoir si vous devez ou non "aider" les autres. Il suffirait de mettre fin au préjudice causé et perpétué par l'occident. Au minimum, essayez d'injecter une once d'auto-critique honnête dans votre discours sur l'immigration. Examinez votre rôle dans la création des crises mondiales qui jettent sur vos rivages des êtres humains désespérés. Demandez-vous pourquoi Reem est une réfugiée, peut-être de la troisième ou quatrième génération, et quel est le rôle de l'Allemagne dans la tragédie incommensurable qui continue à frapper la Palestine.
Source : Counterpunch
Traduction : MR pour ISM
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