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Etats-Unis - 15 octobre 2012
Par Elisha Baskin
Elisha Baskin est membre du conseil de "Jewish voices for peace" (Voix juives pour la paix) et membre de "Boycott from within" (Boycott de l'intérieur).
La quatrième et dernière session du Tribunal Russel sur la Palestine a eu lieu du 6 au 8 octobre dernier à New-York. Le tribunal est un "tribunal d'opinion international, fondé en mars 2009 en réponse à l'inaction de la communauté internationale vis-à-vis des violations avérées d'Israël au droit international." Son but officiel est de dénoncer les complicités et les responsabilités des Etats-Unis, des Nations Unies et autres acteurs internationaux dans la facilitation des violations par Israël des droits de l'homme en Palestine.
Tribunal Russel sur la Palestine, New-York (photo: DESERTPEACE/BUD KOROTZER)
L'événement a suscité beaucoup d'enthousiasme et un taux de participation élevé, probablement en raison d'un jury constitué de VIP, dont Angela Davis, l'emblématique militante des droits civiques aux États-Unis, Roger Waters, tout auréolé de la gloire des Pink Floyd et Alice Walker, lauréate du prix Pulitzer. Le Tribunal, géré comme une cour de justice, était supervisé par un panel de juges, notamment Dennis Banks, co-fondateur du Mouvement indien américain et de l'ancienne membre du congrès Cynthia McKinney.
L'immeuble Union Cooper était la plupart du temps plein tandis que les journalistes entraient et sortaient. La foule était principalement blanche, avec une majorité de jeunes militants de New-York et de la côte Est. La plupart des séances ont fait le tour de la question : conventions et statuts internationaux et israéliens, rappel de l'histoire Israël/Palestine, guerres et occupation - mais les témoignages et les récits des Palestiniens étaient pratiquement absents.
Bien que le "format" Tribunal, ou "tribunal populaire" soit un outil puissant, il est toujours susceptible d'être l'objet de pièges du pouvoir institutionnel. Le jury de 12 personnes était relativement varié et comprenait plusieurs personnes de couleur. Cependant, il ne comprenait aucun arabe, musulman, palestinien, israélien ou autre habitant du Moyen-Orient. Sur les 19 témoins, seuls 2 étaient palestiniens. Et même si le jury comprenait des gens à la longue expérience de lutte pour les droits de l'homme et la justice, comme Davis et Walker, leur rôle fut d'écouter ; on a peu entendu leurs voix. Les témoins, composés de chercheurs, d'avocats des droits de l'homme et d'anciens fonctionnaires de l'ONU, ont donné le ton de la procédure, qui était essentiellement légaliste et universitaire, et semblait très éloignée de la vie quotidienne en Palestine. Sur les 31 voix, membres du jury et orateurs, seules 5 étaient palestiniennes.
Dans ce contexte, le problème de la représentation et de l'expression est grave et provient du fait que le Tribunal s'est centré sur le droit international, laissant un maximum de temps de parole aux "experts". Les orateurs "qualifiés" sont souvent choisi sur la base de légitimités "professionnelles" traditionnelles. Dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, ce problème se pose souvent lors de la recherche d'experts sur le droit international, ou de paroles de militants. En tant que citoyenne juive d'Israël, j'ai l'habitude de cette dynamique qui consiste à rechercher la parole d'Israéliens et/ou de juifs à la place de celle des Palestiniens. J'ai été invité à parler d'événements sur la Palestine dans lesquels on attendait que je parle au nom des Palestiniens. Ce problème a récemment été exprimé par la militante juive américaine Anna Baltzer, qui a fait valoir que favoriser les voix juives dans le mouvement de solidarité américain est enraciné dans le racisme. Elle déclare :
"Que ce soit voulu ou non, ce qui se passe, c'est qu'en même temps que nous essayons de briser le déséquilibre de pouvoir et de privilège en Israël/Palestine, nous recréons le même déséquilibre de pouvoir dans le contexte des États-Unis. Nous devons contester non seulement les abus d'Israël contre les Palestiniens, mais aussi le racisme sous-jacent qui veut qu'en quelque sorte, les juifs soient plus importants que les Palestiniens. Nous devons reconnaître que privilégier les voix juives américaines plutôt que de présenter et d'écouter les voix palestiniennes est enraciné dans le racisme."
Dans le cas du Tribunal, des voix juives n'ont pas été nécessairement favorisées, mais les voix palestiniennes manquaient clairement. Ce type de favoritisme, tant dans le cas des juifs que dans celui des "experts" professionnels, montre comment les voix palestiniennes sont marginalisées.
Même si tous les Palestiniens invités avaient pu participer, ils auraient quand même été une petite minorité d'orateurs - 5 sur 31. Si le choix des orateurs - qui comprenaient l'expert juridique sud-africain John Dugard, l'avocat britannique Michael Mansfield, le juge espagnol émérite José Antonio Martin Pallin et le diplomate français Stéphane Hessel, entre autres - était fondé sur le désir de garantir légitimité, exactitude et objectivité en privilégiant des voix non palestiniennes plutôt que palestiniennes, il renforce l'idée fausse qu'on ne peut pas faire confiance aux Palestiniens, qu'ils ne disent pas la vérité et donc que des hommes blancs et érudits sont les mieux placés pour informer l'opinion publique sur la Palestine.
Tout au long des trois journées, j'ai noté plusieurs manifestations de cette dynamique du pouvoir sur l'estrade, avec un cas qui fut particulièrement alarmant. Pendant une séance, Saleh Abdel-Jawad, un des témoins palestiniens, a été verbalement attaqué par un membre du jury après qu'il ait exposé des arguments contre l'analogie avec l'apartheid. Saleh fut la seule personne sur le podium à être attaquée sur ce sujet. Etait-ce à cause d'un désaccord de fond avec cet argument, ou l'identité de Saleh a-t-elle aussi joué un rôle dans l'agression ?
On peut bien sûr considérer que cet incident est mineur par rapport à l'ensemble de la session, mais il a souligné encore une fois comment certains types de personnes continuent de dominer les débats, conférant une légitimité aux frontières "acceptables" de la lutte palestinienne de libération. Il est crucial que les voix et les expériences palestiniennes soient au centre de la scène, et que les autres se tiennent simplement de côté et qu'elles trouvent les façons de soutenir le travail au lieu de le diriger.
Source : +972mag
Traduction : MR pour ISM
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