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Palestine occupée - 1 septembre 2016
Par Avigail Abarbanel
Avigail Abarbanel est née et a grandi en Israël. Elle a déménagé en Australie en 1991 et elle vit maintenant dans le nord de l'Ecosse. Elle travaille en tant que psychothérapeute et superviseur clinique en pratique privée et elle milite pour les droits des Palestiniens.
19.08.2016 - Samedi dernier, j'ai assisté à une conférence sur le colonialisme de peuplement (1) israélien en Palestine, organisée par la Campagne de Solidarité Ecosse-Palestine (SPSC) à Edimbourg. Ce fut une journée émouvante et passionnante. Tous les intervenants ont reconnu, chacun à sa façon, que parler de colonialisme de peuplement en Palestine-Israël clarifie et simplifie le récit sur ce qui se passe réellement là-bas.
L'un des orateurs les plus captivants, Mahmoud Zawahra, s'est concentré sur l'idée de résistance et a parlé des nombreuses façons dont la résistance se manifeste dans la vie quotidienne en Palestine. A la fin de son discours, Zawahra nous a demandé de soutenir la résistance palestinienne non violente (2) de diverses façons : la résistance est vitale à notre survie lorsque quelqu'un tente non seulement de nous détruire physiquement, mais aussi d'effacer notre histoire et notre mémoire collective en anéantissant notre esprit même, notre culture, la mémoire de ce que nous vivons, et le récit de cette expérience.
J'ai quitté la conférence avec un fort sentiment de clarté et d'urgence. J'ai réalisé que parallèlement à nos efforts pour libérer les Palestiniens du colonialisme de peuplement israélien par le boycott, les désinvestissements et les sanctions (BDS) et d'autres moyens, nous devons aussi libérer notre langage. En fait, la libération de notre langage pourrait être la clé pour parvenir à la libération sur le terrain. Pour mobiliser l'opposition à Israël et donner notre coup d'accélérateur collectif une bonne fois pour toutes, il nous faut nous débarrasser des euphémismes et de la langue de bois, et appeler ce que fait Israël par son vrai nom, du "colonialisme de peuplement".
Dans mes articles et mes entretiens, j'évite les mots "occupation", "conflit" et "paix". Ces mots, dans le contexte de Palestine-Israël, ont longtemps sonné faux et mensongers. Les Israéliens favorables à la cause palestinienne utilisent énormément ces mots, et même les Israéliens sionistes traditionnels vivent avec eux assez confortablement. A l'extérieur d'Israël, la grande majorité des analystes et des commentateurs les utilisent fréquemment. Ils sont omniprésents dans les titres et le contenu des articles de penseurs progressistes, et dans les rapports des grands médias.
"Occupation", "conflit" et "paix" sont des mots paralysants qui nous éloignent de la "scène du crime" et nous entraînent dans la course folle aux "pourparlers de paix" - encore une autre phrase fictive et frauduleuse dans la réalité de Palestine-Israël. Lorsque le vocabulaire utilisé définit les problèmes de manière incorrecte, les solutions appliquées ensuite sont inappropriées ou erronées.
Ces trois mots sont pratiques et sûrs - en fait un outil efficace dans les guerres psychologique et de propagande d'Israël. Sur le front de la propagande, ils aident à obscurcir la réalité en essayant de nous dire que nous avons affaire à un "simple" cas d'occupation, à un conflit entre deux groupes égaux, et les conflits se terminent quand il y a la paix. Le mot "occupation" suggère également à tort que le problème en Palestine-Israël remonte seulement à 1967. Comme Ilan Pappé nous l'a rappelé samedi, les occupations se terminent et les conflits peuvent être résolus par les discussions et les négociations. C'est ce que l'observateur le moins informé attend quand il ou elle entend ces mots. Les choses vont mal maintenant, et cela pourrait prendre un certain temps, mais parce que c'est une "occupation" et un "conflit", il y a toujours l'espoir d'une résolution "pacifique". Faire croire aux gens que c'est seulement une question de temps est une tactique dilatoire importante et efficace d'Israël alors qu'il cherche à achever son projet colonial de peuplement.
Sur le plan psychologique, ces mots servent à leurrer le grand public à l'intérieur et à l'extérieur d'Israël et à paralyser un militantisme efficace. Beaucoup de bonnes personnes, ayant une conscience sociale et de l'empathie, m'ont dit, au fil des ans, qu'elles évitent d'exprimer leurs sentiments et leurs opinions au sujet de la Palestine-Israël parce qu'elles ont l'impression de ne pas comprendre ces questions suffisamment bien. "Ça semble si compliqué" est vraiment le leitmotiv. Nos dirigeants politiques, de tous bords, dans les pays occidentaux les plus influents, sont intellectuellement paresseux, malhonnêtes ou lâches. Et ce vocabulaire les aide à imposer cette paralysie et leur manque de volonté à faire ce qu'il faut et à soutenir les populations autochtones de Palestine peu à peu évincées par Israël. Si nous appelons un crime un crime, nous pouvons agir contre lui. Mais si nous disons que c'est autre chose, nous n'avons pas à agir, ou nous agissons d'une manière inadéquate.
Beaucoup de gens savent déjà que le langage est politique. Ce n'est pas une idée neuve. Le langage n'est pas seulement un outil innocent et neutre pour communiquer les uns avec les autres. La manière dont nous parlons des problèmes et le vocabulaire que nous utilisons, n'"expriment" pas seulement notre perception de la réalité, il la "détermine" souvent. Le langage donne les paramètres de la discussion et marque les limites entre le dicible et l'indicible. Il assigne une identité distincte à des groupes et à des idées, et les distingue d'autres groupes et idées. Au fur et à mesure que notre compréhension des problèmes s'approfondit, notre vocabulaire fait de même, et au fur et à mesure que notre courage (ou notre frustration) grandit, nous saisissons l'indicible pour le rendre dicible. Nous pouvons dissoudre des groupes avec un changement de langage, et nous pouvons passer d'un groupe à l'autre en changeant de langage. Écouter le langage et la terminologie nous met en garde contre les "mauvaises" personnes, et nous permet de savoir qui nous devons écouter et qui nous ne devons pas, si tant est que nous ne voulons pas nous retrouver aux marges de nos groupes ou complètement dehors dans le froid. Il y a beaucoup d'exemples de tout cela dans la façon dont nous parlons de Palestine-Israël.
Source : Mondoweiss
Traduction : MR pour ISM
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Colonialisme
Avigail Abarbanel
1 septembre 2016