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ISM France - Archives 2001-2021

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Israël -

Ce que le mot " Paix " signifie, en réalité, pour les Israéliens

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"Quand les Israéliens engagent des " pourparlers de paix ", il est fondamental de comprendre quelle est leur position de départ. Ils n’ont aucun intérêt réel pour une solution qui aille au cœur de ce qui est, de fait, leur problème. Ils ressemblent à cet individu qui veut que ses symptômes disparaissent, mais qui refuse de faire quoi que ce soit concernant leurs causes réelles."

Il y a environ deux mois, je rentrais d’une visite familiale, d’une quinzaine de jours, en Israël. Bien que je milite pour les droits des Palestiniens, j’avais décidé que cette visite serait de caractère entièrement privé. Le fait de vivre, deux semaines, avec mon frère, son épouse et leurs deux petites filles, dans leur petit appartement d’une ville de banlieue, au nord de Tel-Aviv, m’a donné l’occasion d’observer et de comprendre ce que signifie la vie quotidienne, pour les Israéliens, actuellement.

Je n’ai rien fait de particulièrement exceptionnel. Je suis allée faire de grandes ballades dans les rues de Tel Aviv, et j’ai visité beaucoup d’endroits que je connaissais déjà, découverts au cours de visites précédentes. Je suis allée faire des courses au supermarché du coin, et j’ai pris un café à une terrasse du centre commercial voisin. J’ai regardé la télévision locale et je suis même inscrite à des cours de gymnastique... Pendant deux semaines, je me suis plongée dans la vie quotidienne de Tel Aviv. Plutôt que parler - moi -, j’ai décidé de me taire et d’écouter... d’écouter, beaucoup. Je parle couramment l’hébreu ; cela m’a permis de me fondre dans les conversations, et les gens parlaient sans réticences, tout autour de moi. Les médias, en Australie, aiment bien insister sur la dureté de l’existence, pour les Israéliens. Alors, je voulais vérifier ça par moi-même...

La chose la plus évidente, en ce qui concerne la société israélienne, c’est la profondeur de l’insécurité que ressentent les Israéliens. Ils sont nerveux et irascibles, et vivent, pour la plupart d’entre eux, dans une anxiété extrême. Non que cela eût été entièrement neuf, pour moi, mais visiblement les choses ne s’étaient pas arrangées. Quand une bombe a explosé, au marché central Ha’carmel, de Tel Aviv, j’étais à la gym. J’ai regardé autour de moi : en quelques secondes, tout le monde était suspendu à son téléphone portable, pour dire ce qu’il ou elle avait entendu, ou pour vérifier que leurs proches et les personnes aimées étaient encore là, saines et sauves. Une jeune femme, à côté de moi, dans le coin des haltères, poussa un soupir anxieux : " Oh, non ! Pas de nouveau ! "

Depuis mon adolescence, j’ai été habituée à ce qu’on fouille mes affaires personnelles à chaque fois que j’entrais dans un lieu public, comme un cinéma, un supermarché, bref : un peu partout, en Israël. Et bien que j’habite en Australie depuis treize ans, j’ai conservé ce réflexe d’ouvrir spontanément mon sac, comme si je vivais toujours en Israël... Cette fois-ci, ce qu’il y avait de différent, c’est que les agents de sécurité avaient tous un détecteur électronique pour passer les gens au peigne fin. Désormais, même les petits établissements, comme les petits restaurants et les bars, ont leur propre agent de sécurité, qui se tient devant l’entrée, en faction. On vous propose de prélever une petite " taxe sécurité " de 2 NIS [nouveaux shekels israéliens, ndt] directement sur votre note, comme contribution au salaire de l’agent de sécurité. Mais cela n’est pas obligatoire. Si vous voulez ne pas vous en acquitter, vous ne la payez pas, et puis c’est tout...

Les Israéliens ont toujours parlé de paix. Ils l’ont chantée, ils ont composé de la poésie inspirée par la paix et ils lui ont dédié des œuvres d’art. Mais comme si la paix était quelque chose de presque surnaturel, comme si la paix était une sorte de paradis auquel ils aspirent, mais qui n’a rien à voir avec leur réalité de tous les jours. Comme si la paix était quelque chose d’impossible à atteindre. Il faut savoir que la " paix ", pour ces Israéliens épuisés et anxieux, cela signifie, en réalité, qu’on les laisse tranquilles. Je trouvais ça triste et dérangeant, de constater avec quelle énergie du désespoir les Israéliens se raccrochent à ce qu’ils pensent être la " normalité ". Ils veulent absolument être " comme tout le monde ", dans n’importe quel autre pays occidental ; aller au travail, aller faire du shopping, sortir dans les bars et les cafés, avec des amis.

Quand des activistes palestiniens, occasionnellement, dérangent la routine de ce que les Israéliens considèrent être leur " normalité ", ceux-ci en ressentent outrage et désespoir. Jusqu’à un certain point, je puis compatir. Après tout, une des principales raisons pour lesquelles je suis moi-même partie d’Israël, c’est précisément que je trouvais ce genre d’existence insupportable...

Quand la vie est devenue à ce point difficile, j’imagine qu’il est humain de souhaiter voir vos difficultés s’éloigner. Mais c’est pourtant bien là qu’est le problème. Quand une personne, un groupe, ou une société toute entière, doit vivre en portant en permanence en soi un sombre secret, ou en étant dans le déni de quelque chose de très grave, dans son passé, cette personne, ce groupe ou cette société ne saurait vivre en paix. Il est tout simplement impossible de vivre une existence " normale ", paisible, sur des fondations de mensonge et de secret. Le déni de l’épuration ethnique des Palestiniens, en 1948, l’énergie dépensée à tout faire afin de ne jamais penser aux conséquences d’interminables et innombrables années d’une occupation militaire brutale, et se contenter de souhaiter que tout ceci disparaisse comme par enchantement : voilà qui relève, ni plus, ni moins, de la pensée magique !

En matière de thérapie familiale, il y a un principe largement reconnu, qui veut que tant que des injustices graves n’ont pas été prises en compte, il ne saurait y avoir de réelle paix, de réelle quiétude. Les familles qui protègent jalousement des tabous indicibles, qui ont " un cadavre dans le placard ", finissent toujours par le payer extrêmement cher. J’ai regardé des intellectuels israéliens, à la télévision, participer à une discussion passionnée et sincère qui s’efforçait de comprendre pourquoi la situation est tellement mauvaise, en Israël. Ils ont soulevé toutes les raisons possibles et imaginables, qui pouvaient contribuer à cette situation, sauf une - la plus évidente : l’histoire même d’Israël. Ce débat était extrêmement douloureux à suivre, mais il avait néanmoins quelque chose d’inconfortablement familier : je n’ai jamais vu une société aussi engoncée dans le déni que l’est la société israélienne.

Le spectre politique israélien, dans son ensemble, de l’extrême gauche à l’extrême droite, est dans le déni de l’histoire d’Israël et c’est pourquoi je n’ai pas la moindre confiance dans ce que pourrait bien apporter la gauche israélienne. La poignée des penseurs qui ne sont pas dans le déni, comme le Dr. Ilan Pappe, qui est venu donner des conférences en Australie, l’année dernière, ou encore le Dr. Uri Davis, sont en-dehors de ce spectre politique. Leurs recherches, sur les événements de 1948 et les circonstances qui ont entouré la naissance de l’Etat d’Israël, ne font pas l’objet, elles, de débats à la télévision publique et aucune référence n’y est faite dans les manuels d’histoire israéliens. L’Israélien moyen ne sait même pas qui ils sont. Bien que publiés par un éditeur aussi prestigieux que les Presses de l’Université de Cambridge, les ouvrages du Dr Pappe n’ont jusqu’ici jamais été traduits en hébreu, parce que les maisons d’édition israéliennes les refusent, au motif qu’ils " manqueraient de valeur académique " !... La manière dont la plupart des Israéliens perçoivent leur propre histoire se résume à prétendre qu’ils n’auraient jamais cessé d’être des victimes opprimées et sans défense. La question de savoir si - oui ou non - il était moralement défendable, voire même intelligent, de créer un Etat aux dépens d’un autre peuple... cette question-là, personne ne la soulève jamais. Personne, dans le consensus politique israélien, ne remet en cause l’authenticité de la démocratie, dans un pays où le droit à la citoyenneté dépend de votre ethnie (vous ne pouvez devenir citoyen israélien que si vous êtes en mesure d’apporter la preuve que votre mère était juive.)

Quand les Israéliens engagent des " pourparlers de paix ", il est fondamental de comprendre quelle est leur position de départ. Ils n’ont aucun intérêt réel pour une solution qui aille au cœur de ce qui est, de fait, leur problème. Ils ressemblent à cet individu qui veut que ses symptômes disparaissent, mais qui refuse de faire quoi que ce soit concernant leurs causes réelles. Le souhait qu’on vous " laisse en paix " ne saurait en rien constituer une base solide pour une paix durable, ni même, à tout le moins, pour une " paix " sans nouvelle épuration ethnique... Six millions de Palestiniens sont là, qui rappellent son passé à Israël, et ils sont là pour très longtemps ; ils ne partiront pas, ils ne disparaîtront pas, comme par enchantement !

Si un jour, comme je l’espère, les Israéliens décident d’arrêter de vivre dans le déni, il faudra bien qu’ils prennent conscience du fait qu’une paix réelle ne pourra s’installer que grâce à la justice. La justice, dans un tel contexte, signifie une chose, une seule, très simple : il faut abandonner l’ "idéal " d’un Etat exclusivement juif, au dépens d’un peuple entier. Seul, un Etat binational, et le droit pour les réfugiés palestiniens de rentrer chez eux pourront tant bien que mal réparer une partie des injustices commises en 1948 et depuis lors. Ayant été les victimes d’une épuration ethnique, c’est aussi là ce à quoi les Palestiniens ont légitimement droit, en vertu tant du droit international que de la simple dignité humaine.

Telle pourrait être l’expiation d’Israël. Ce sera aussi l’opportunité, pour Israël, de se libérer du poids de ce fardeau de culpabilité qui, j’en suis convaincue, fait de leur vie et de celles des Palestiniens un véritable cauchemar. Bien sûr, c’est là un défi. Mais ce défi offrira la possibilité d’une paix réelle et durable, tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens, et sans doute pour l’ensemble de la région du Moyen-Orient.

Persister, au contraire, dans la mentalité et dans la politique du déni ne mènerait à rien, et continuerait à coûter leur bien-être et même jusqu’à leur vie à toujours plus de personnes individuelles et de communautés.

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