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Jérusalem - 19 octobre 2008
Par Aaron Lakoff
Aaron Lakoff est membre de Tadamon! et un journaliste indépendant de Montréal qui a récemment travaillé comme volontaire pendant six semaines à l’International Middle East Media Center (IMEMC) à Bethléem, en Palestine.
Mohammed Mansour est un habitant de Biddu, un village près de Ramallah en Cisjordanie, Palestine. Ancien responsable local de l'International Solidarity Movement (ISM), il travaille maintenant comme chauffeur de taxi collectif pour faire vivre sa famille. Comme il gagne sa vie sur les routes de Cisjordanie, Mansour n’est que trop familier avec le réseau complexe de routes pour colons israéliens, qu’Israël a séparé unilatéralement en routes pour Palestiniens seulement et d'autres pour israéliennes seulement.
Photo Aaron Lakoff : Mohammed Mansour près de Biddu, Palestine
Nous sommes allés avec Mohammed chez lui à Biddu après qu’il nous ait emmenés faire une longue visite des routes d’Apartheid qui encerclent le village. Mansour nous a parlé de la route 443, une nouvelle route de colons israéliens qui affecte gravement la circulation des Palestiniens dans la région, et de son opinion sur le processus de paix.
Aaron Lakoff: S'il vous plaît, commencez par vous présenter et parlez-nous de votre travail en Palestine.
Mohammed Mansour : Je suis né à Biddu en Palestine, j’ai travaillé dans la construction, puis j’ai été bénévole à l'ISM (International Solidarity Movement) pendant quatre ans, et maintenant je travaille comme chauffeur de taxi collectif pour faire vivre ma famille.
Aaron Lakoff: Dans votre travail comme chauffeur de taxi collectif, vous passez beaucoup de temps sur la route. Les routes de colons, ou routes d’Apartheid, sont un très gros problème en Palestine. Pouvez-vous nous parler des routes de colons autour de Biddu et de l’impact qu'elles ont sur le village?
Mohammed Mansour: Elles font beaucoup souffrir les Palestiniens. Avant que le gouvernement israélien construise ces colonies autour des villages, et pas seulement à Biddu, mais dans l’ensemble de la Palestine, il a pris les principales routes des Palestiniens et a construit d'autres routes pour les Palestiniens mais dont le trajet est beaucoup plus longs.
Nous y avons été ensemble, et vous l’avez vu de vos propres yeux, nous avons été bloqués sur un checkpoint pendant quinze minutes, mais parfois nous sommes parfois pendant trois heures. Imaginez quand c'est l'hiver ou des journées chaudes comme aujourd'hui, et imaginez quand il y a des enfants ou des personnes âgées coincées dans la voiture – imaginez à quel point elles souffrent.
Les Israéliens disent que c’est pour la sécurité des Israéliens, mais ce n'est pas vrai. Ces routes sont construites pour voler nos terres et pour construire de nouvelles colonies israéliennes. Ils veulent débarrasser ce territoire des Palestiniens.
Aaron Lakoff: Pouvez-vous parler de la façon dont les routes pour colons servent à contrôler la circulation en Cisjordanie et comment elles fonctionnent pour contrôler la circulation des Palestiniens?
Mohammed Mansour: Par exemple, dans cette région au nord de Jérusalem, avec neuf villages, y compris Biddu. Vous avez vu l'énorme porte en arrivant, les Israéliens ont construit cette porte avec une nouvelle route, toutefois si Israël veut la fermer complètement, ils le peuvent et nous ne pouvons pas nous déplacer. Une porte gardée par l’armée pour plus de 60.000 Palestiniens.
Aaron Lakoff: Quand est-ce que la porte et cette route ont été terminées ?
Mohammed Mansour: Il y a juste un mois. C'est une nouvelle porte de l’armée.
Aaron Lakoff: Avant qu’Israël construise la porte de l’armée pour contrôler la circulation palestinienne, il y avait plus de possibilités pour les Palestiniens des villages d'entrer dans Ramallah, aussi d'autres façons pour les gens des villages voisins de rendre visite aux autres. Pouvez-vous parler de la façon dont les choses ont changé? "
Mohammed Mansour: Avant que les colonies de Giv'at Hadash et de Giv'at Ze'ev soient construites illégalement, vous pouviez aller de ma maison (à Biddu) à Ramallah en cinq minutes. Maintenant, nous ne pouvons plus faire cela à cause de ces colonies et la principale route que nous utilisions avant (reliant Ramallah et Biddu) est désormais utilisée par les colons israéliens.
Aaron Lakoff: Est-ce que l'armée israélienne a déjà fermé la porte pour entrer dans Biddu?
Mohammed Mansour: Oui, parfois, sans aucune raison. Israël n'a pas besoin de raison de fermer la porte. Juste pour nous punir.
Aaron Lakoff: A quoi ressemble les routes de colons? Quelles sont les différences entre les routes palestiniennes et les routes des colons?
Mohammed Mansour: Maintenant, souvenez-vous quand on circulait, je vous ai dit que si ma voiture avait des problèmes, je bloquerais la route. Maintenant, Israël ne nous autorise qu’à utiliser une seule voie.
La route qui était la nôtre et qui est maintenant une route israélienne, fait plus de vingt mètres de large et chaque route a au moins trois voies.
Les Israéliens ont des routes éclairées alors que nous n'avons pas de lumières.
Les routes israéliennes sont au-dessus, afin qu'ils puissent sentir et respirer l'air, et les nôtres sont en dessous (la route palestinien passe par un tunnel souterrain au-dessous de la route des colons). Ce sont des différences très nettes entre nos routes et les routes israéliennes.
Les routes qu'Israël a construites sont construites sur notre terre. Israël vole notre terre et construire des routes pour colons seulement sur nos terres historiques.
Il est clair qu'Israël a pris nos meilleures terres en Palestine et y a construit de très grandes colonies où ils vivent une vie très luxueuses. Les colons israéliens ont accès aux bonnes routes et à toutes les routes principales et ils peuvent voyager où ils veulent et vivre leur vie comme si les Palestiniens n'existaient pas.
Toutes ces personnes qui vivent dans les colonies, sont des gens qui viennent de l'extérieur du pays : ce sont des gens d'Europe et des États-Unis qui deviennent Israéliens. Comment ces personnes religieuses peuvent-elles venir en Palestine, occuper notre terre et prétendre que les Palestiniens et la Palestine n'existent pas.
Nous sommes tous des êtres humains, nous devons vivre ensemble et dans cette optique nous ne sommes pas contre les Israéliens. J’ai de nombreux amis israéliens, comme ceux qui sont impliqués dans les Anarchistes Contre le Mur, qui sont mes frères. Ce n'est pas avec les Israéliens que j'ai un problème, c'est avec le gouvernement israélien.
J'aime la paix. Je voudrais ouvrir les yeux un jour et voir un nouveau matin.
Parfois, les gens dans le monde se demandent pourquoi les Palestiniens effectuent des missions-suicides. J’aimerais que vous vous posiez la question pourquoi les Palestiniens se font-ils exploser.
Si vous venez me rendre visite ici en Palestine pendant un mois, vous franchirez un paquet de checkpoints, vous verrez le Mur d'apartheid, l’immense pauvreté, et vous verrez à quel point les Palestiniens souffrent. Certaines personnes n'ont tout simplement pas la patience, ils perdent l’esprit et partent dans des missions-suicides. Certains de ceux qui ont fait ce choix avaient perdu leur famille, leur père, leur mère ou leurs sœurs ou frères.
Des femmes palestiniennes ont été obligées d’accoucher sur des checkpoints et certaines en sont mortes.
Aaron Lakoff: J’aimerais parler avec vous en particulier de la route 443, car c’est maintenant un gros problème aujourd'hui dans cette partie de la Cisjordanie . Pouvez-vous parler de cette route qui relie Tel-Aviv à Jérusalem et quel impact elle a sur le village de Biddu ?
Mohammed Mansour: La route 443 est la route principale pour une cinquantaine de villages. C’était la principale route pour 15 villages situés au nord-est de Jérusalem et 35 villages à l'ouest de Ramallah.
Avant il y avait beaucoup de villages dont les habitants pouvaient se rendre de leurs villages à Ramallah en une quinzaine de minutes, comme Nil'in, Suqba, Shibteen, Budrus, Beit Sira, Beit Liqya. Maintenant, c'est impossible, les Palestiniens sont forcés de faire tout un tour.
Au cours des trois derniers mois, nous avons organisé cinq actions contre la route 443.
Nous espérons récupérer cette route parce que c’est totalement injuste que les étudiants soient désormais toujours en retard à l'école, que les gens soient en retard au travail et que les gens meurent alors qu’ils vont se faire soigner seulement parce qu’ils sont Palestiniens.
Cette route a été construite avant le début de l'occupation israélienne, c’est une vieille route.
Aaron Lakoff : Et quand est-ce que la route 443 a été fermée aux Palestiniens?
Mohammed Mansour: Environ huit mois. Même si c'est interdit, je trouve parfois un moyen d’aller sur la route, ce qui est un risque très dangereux, cependant on ne peut jamais capituler ou abandonner dans la lutte pour récupérer cette route et nos terres.
Aaron Lakoff: Pouvez-vous nous parler de l'impact économique et social des routes de colons autour de Biddu? Ont-elles affecté la capacité des Palestiniens de travailler ou de voir leur famille?
Mohammed Mansour : Biddu possédait 6200 dunums. Puis Israël a construit un mur autour de Biddu et à l'intérieur du mur, il ne reste plus que 1200 dunums. 600 ont été volés par Israël pour construire le mur, puisque la largeur du mur fait soixante mètres. 4400 dunums ont été pris par le mur auxquels nous n’avons pas accès.
Il y a 8000 Palestiniens qui vivent dans cette zone et de nombreuses personnes ont perdu leurs terres. Vous pouvez trouver une quarantaine de personnes qui vivent ensemble dans une seule maison, parce que leurs terres ont été volées et qu’ils sont devenus des paysans sans terre.
4400 dunums de terres agricoles se retrouvent maintenant derrière le mur de l'apartheid israélien. La plupart de nos puits et de nos ressources en eau se trouvent maintenant derrière le mur israélien.
De plus, l’endroit pour déposer nos déchets se trouvait assez loin il n’y a pas longtemps, mais maintenant, en raison du mur, il est impossible de déposer nos déchets ailleurs. Les déchets et les ordures rester à l'intérieur du village et il y a toujours une odeur nauséabonde.
Une autre problème et sujet de préoccupation important en raison du Mur, c’est qu’il y a un checkpoint qui contrôle tous nos déplacements. Beaucoup d'étudiants qui ont besoin d'arriver à l'école à 8 heures ne peuvent tout simplement pas y être en raison du Mur et il y a aussi des enseignants palestiniens et d'autres personnes qui ne peuvent pas se rendre au travail.
Il y a environ 10 000 Palestiniens qui ont besoin d'utiliser cette route, les étudiants et les ouvriers qui en ont besoin pour arriver à 8 heures et qui finissent par y arriver à midi, alors leurs employeurs disent tout simplement : « Rentrez chez vous ». Voilà comment est la vie ici.
Les négociations de paix sont des paroles vides. Les Israéliens ne veulent pas la paix.
Ceux qui veulent réellement la paix en payent le prix. Israël continue de construire de nouvelles colonies, même dans les frontières de 1967. Comment sommes-nous censés croire qu'Israël veut la paix quand il construit ces colonies ?
Comment pouvons-nous croire quelqu'un comme George W. Bush ou le gouvernement américain puisque lors de leur invasion de l'Irak, ils ont menti à l'opinion publique américaine sur les armes de destruction massive. C'est la même réalité en Afghanistan et peut-être demain en Iran et en Syrie. Aujourd'hui, beaucoup de gens ont des armes nucléaires.
Pourquoi aujourd'hui montrons-nous du doigt l'Iran? Je ne crois pas en Bush, je ne crois pas dans les États-Unis, je ne crois pas en Israël et je ne crois pas en Mahmoud Abbas.
Source : http://www.palsolidarity.org/main/2008/
Traduction : MG pour ISM
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