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Cisjordanie -

Prendre l'eau

Par

Clemens Messerschmid vit et travaille depuis 1997 en tant qu'hydrologue à Ramallah. Ses missions incluent le travail aux Projets allemands de Développement Sanitaire et d'approvisionnement en Eau en Palestine (WSSDPP), par GTZ (1997-2001) et en tant que conseiller en recherche et coordination chez PWA pour le projet "La gestion durable des nappes aquifères de Cisjordanie et de Gaza" (SUSMAQ), financé par DFID et en collaboration avec l'université de Newcastle upon Tyne et l'Observation Géologique Britannique (2001-2004). Il travaille actuellement en tant que consultant indépendant en matière de l'eau au Moyen-Orient. Cet article a été à l'origine publié dans la numéro 34 de la revue trimestrielle : "Israels Mauer und die Wasserressourcen" (2003).

Le principal objectif du mur n'est donc pas de voler une poignée de puits, mais d'empêcher toute future expansion de la capacité des Palestiniens à exploiter la nappe aquifère occidentale.
Même si un règlement politique est trouvé un jour, l'annexion de l'eau par Israel continuera à miner les vies et les espoirs de millions de Palestiniens, maintenant et pour les générations à venir.

Prendre l'eau


Carte de l'eau en Cisjordanie

En 2002, Israël a commencé la construction du soi-disant Mur de Séparation.

Vers la fin juillet, les deux premières portions du Mur étaient achevées : une partie nord allant de Salem à Elkana, à 10km au sud de Qalqiliya (128 kilomètres de long), et "l'Enveloppe de Jérusalem" entre Ramallah et Bethlehem (22 kilomètres).

Une deuxième phase de travail a été ordonnée en janvier 2003, prolongeant la section nord jusque Tayasir.

En juillet 2006, 362 kilomètres étaient achevés et 88 autres kilomètres étaient en construction.
253 autres kilomètres sont programmés, en particulier les portions qui pénètrent profondémment en Cisjordanie , annexant de fait les blocs de colonies à l'est et au Sud de Jérusalem et à l'Est et au Sud-est de Qalqiliya.

La barrière se compose d'une bande de terre large de 35 à 50 mètres. Les bords sont définis par des barbelés et à l'intérieur se succèdent une série de fossés et de bandes d'observation ainsi que des routes de patrouille.

Au centre, il y a le "Mur" lui-même, qui peut atteindre jusqu'à huit mètres de haut.
Dans certains endroits, il s'agit d'un véritable mur, ou une barrière sécurisée par des moyens électroniques, avec des détecteurs qui peuvent déclencher des alarmes au moindre mouvement, que ce soit des vibrations mineures ou des tentatives de couper les fils barbelés;

Des techniques d'observation complémentaires sont également déployées, dont des caméras, des appareils à vision de nuit et des radars.

La longueur totale du Mur prévue actuellement est d'environ 700 kilomètres, avec un coût de construction au kilomètre s'élevant à environ 2 millions d'euros (11 millions de NIS/km, Ha'aretz, 9 mai 2003, 21 décembre 2006 [1]).

Depuis, il n'existe presque plus de puits palestiniens au sud de la Cisjordanie , cet article se concentrera dans la partie nord qui déjà est en grande partie achevée.


Isoler la Cisjordanie grâce à un Mur

La première partie du mur à être achevée a été la partie nord entre Salem et Elkana. Ici le mur est parallèle à la frontière séparant la Cisjordanie d'Israël, et où les collines de Cisjordanie donnent sur la plaine côtière occidentale.

Plus de 15 villages palestiniens ont été coupés du reste de la Cisjordanie par la première étape de la construction, et plus de 30 villages, ainsi que les villes de Tulkarem et Qalqiliya, ont fait l'objet d'importantes expropriations de bandes de terres agricoles.

La terre qui se trouve le long du mur n'est pas seulement de la terre.
Avec Jéricho dans la vallée du Jourdain, il s'agit du cœur de l'agriculture irriguée en Cisjordanie . 37% des produits agricoles de la région proviennent des Districts de Jénine, de Tulkarem et de Qalqiliya.

L'irrigation est le facteur déterminant crucial pour l'agriculture dans cette région.

En 2000, les terres dépendant de l'eau de pluie n'ont produit que 319 tonnes au kilomètre carré, quand les terres irriguées produisaient 6.960 tonnes, pour un rendement économique de 430.000 dollars au kilomètre carré.

Après l'occupation israélienne en 1967, et en l'absence d'un secteur industriel palestinien significatif, une forme particulière de dépendance structurelle a émergé, car les travailleurs palestiniens ont émigré pour travailler à l'intérieur d'Israël. Cette tendance a été fortement encouragée par Israël à l'époque.
Les ouvriers concernés ont trouvé des emplois principalement dans les secteurs du Bâtiment et de l'Agriculture.

Cependant, après la première Guerre du Golfe en 1991, un système d'autorisation a été mis en place pour les Palestiniens qui voulaient travailler en Israël, et ce processus de fermeture sélective s'est intensifiée après les accords d'Oslo en 1993.

Bientôt, seuls quelques chanceux ont pu obtenir l'autorisation de franchir la Ligne Verte pour chercher du travail, et le nombre de Palestiniens employés en Israël a été réduit à une petite partie de son ancien niveau.

En conséquence, les Palestiniens de la zone frontalière ont été confrontés à deux alternatives : retourner travailler sur leurs propres terres, ou un chômage de longue durée.

Le chômage dans ces régions s'élève actuellement à environ 77,3%. Bien que ce soient les meilleures terres de Cisjordanie , le pourcentage de main-d'oeuvre pouvant réellement trouver du travail dans l'agriculture est étonnamment faible, parce que seuls 6% des terres disponibles sont actuellement irriguées.

En conséquence, le secteur agricole ne peut absorber que 11% de la population active, tandis qu'ailleurs dans l'ensemble de la Cisjordanie , il emploie en moyenne 43% de la population active.
Le seul moyen de faire augmenter ces chiffres est d'obtenir plus d'eau pour l'irrigation

En termes hydrologiques, cette partie du mur est située dans les limites de la nappe aquifère de la Montagne située à l'Ouest (ou Nappe aquifère Occidentale).

La zone de recharge pour ces bassins d'eaux souterraines se prolonge sur un large secteur des montagnes de Cisjordanie .
Cependant, la zone de pompage est confinée sur une bande étroite de terre parallèle à la Ligne Verte elle-même.

En raison des conditions normales de l'écoulement des eaux souterraines, seule cette bande étroite, qui se situe actuellement à l'intérieur de la Cisjordanie , a un potentiel significatif pour augmenter à l'avenir le niveau des extractions de la couche aquifère.

Comme le montre la carte ci-dessus, la nappe aquifère occidentale peut être divisée en 3 zones, selon les conditions de production.

La nappe aquifère occidentale peut quant à elle être divisée en deux sous-composants -- une couche aquifère inférieure et supérieure.

Dans la zone orientale, seule la nappe aquifère inférieure peut être pompée, et cette nappe aquifère est de toute façon partiellement saturée en ce moment, alors que la couche aquifère supérieure ici est entièrement asséchée.
Cette zone est donc définie en tant qu'ayant des "mauvaises" conditions de production.
À côté, se trouve une zone de qualité intermédiaire, qui fait environ 5 kilomètres de large, et est située le long de la frontière.

Là, les deux couches aquifères peuvent être utilisées bien que la nappe aquifère supérieure n'est toujours pas entièrement saturée.

C'est seulement à l'ouest de ce secteur, dans la zone marquée comme "bonne" sur la carte, que les taux de pompage élevés sont possibles et il est possible pour les puits de tirer sur les deux nappes aquifères, qui sont maintenant entièrement saturées et remarquées par des niveaux d'eau peu profonds.

Pour mettre tout cela dans le contexte, nous devons nous rappeler que la nappe aquifère occidentale est la seule plus importante ressource en eaux souterraines dans l'ensemble d'Israël et de la Palestine. Les taux de pompage actuels sont d'environ 360 millions de mètres cubes par an.

Dans les années sèches, le taux de pompage peut monter jusqu'à 572 millions de mètres cubes.

En conséquence, cette seule nappe aquifère produit plus d'eau que l'ensemble des deux autres bassins d'eaux souterraines provenant de la Cisjordanie . En outre, les bassins Est et Nord-Est montrent manifestement des conditions de forage et de pompage moins favorables.

Cependant, la nappe aquifère occidentale est plus ou moins parfaite : elle combine des niveaux d'eau peu profonds avec des taux de pompage élevés. En conséquence, cette nappe aquifère a été fortement développée à l'intérieur d'Israël, principalement pendant les premières décennies de l'Etat (dans les années 50 et 60).

D'autre part, en Cisjordanie , depuis 1967, l'occupation israélienne a plus ou moins totalement interdit aux Palestiniens toute activité de forage.

Pendant la période entre 1967 et 1990, seuls 23 puits ont été forés par les Palestiniens dans l'ensemble de la Cisjordanie : 20 de ces puits étaient exclusivement destinés à fournit de l'eau potable, et étaient souvent sous contrôle indirect des forces de l'occupation (cad. le Département de l'Eau de Cisjordanie )

Comme mentionné ci-dessus, alors qu'à Oslo, Israël avait concédé aux Palestiniens un certain nombre de nouveaux sites de forage dans les bassins Est et Nord-Est de la nappe aquifère, il a refusé d'accepter tous les nouveaux sites dans la nappe aquifère occidentale.

En conséquence, tous les puits dont dépendent les Palestiniens aujourd'hui dans ce bassin remontent à l'époque jordanienne.

L'utilisation de la nappe aquifère occidentale est maintenant divisée d'une manière particulièrement inégale : tandis qu'en Israël il y a environ 500 puits profonds fortement alimentés, les Palestiniens doivent se contenter de seulement 159 anciens puits, dont la plupart étaient conçus pour des besoins d'irrigation, et qui sont moins profonds et moins productifs que leurs contre-parties israéliennes.



Intérêts contradictoires

De nombreux puits israéliens dans la nappe aquifère occidentale sont liés à la Israëli National Water Carrier. En conséquence, l'eau qu'ils produisent est fortement mobile et est disponible pour l'usage presque n'importe où dans l'ensemble d'Israël.

En revanche, plusieurs des villages palestiniens qui dépendent de la nappe aquifère n'ont peu ou pas d'approvisionnement en eau indépendant, bien qu'ils aient de l'eau directement sous leurs pieds.

Ils sont donc aussi obligés d'acheter de l'eau à Mekorot (Israëli National Water Company – l'entreprise nationale de l'eau israélienne), bien que Mekorot ne leur accorde pas une égalité d'accès, que ce soit en termes de quantités, de services ou de prix.

Si les habitants palestiniens doivent, dans l'avenir, développer cette région économiquement et socialement, ils devront pouvoir tirer plus fortement sur leurs propres sources d'eaux souterraines.

Ceci explique pourquoi ce bassin a été la ressource la plus intensément contestée dans chaque série de négociations sur l'eau entre Israël et la Palestine.



Utilisation de l'eau : quelques données de base

Israël utilise environ deux milliards de mètres cubes (2000 millions de mètres cubes) d'eau par an pour la consommation, l'agriculture, le commerce et l'industrie.

Dépendant des précipitations annuelles et des eaux souterraines, à peu près 1.100 à 1.200 mètres cubes de cette quantité seront tirés des puits.

Quant au reste, la plupart provient de l'eau de surface, principalement du lac Tiberiade (400 - 500 millions de mètres cubes /an)

Sur les nombreux bassins d'eaux souterraines qui sont exploités sur une base intensive, la nappe aquifère occidentale et la nappe aquifère côtière israélienne ont les taux de recharge les plus élevés, recevant respectivement environ 360 millions de mètres cubes et 370 millions de mètres cubes par an.

Les deux autres nappes aquifères de la Cisjordanie se rechargent à un taux d'environ 310 millions de mètres cubes tous les ans. Une bonne extraction correspond à environ 50% du taux de recharge.

En prenant en considération les puits et les sources, les Palestiniens de Cisjordanie contrôlent environ 138 millions de mètres cubes/an (= 20% des ressources en eaux souterraines de la Cisjordanie ), alors que les Israéliens prennent à peu près 562 millions de mètres cubes (= 80%).

Les 2.3 millions de Palestiniens habitant en Cisjordanie contrôlent donc 138 millions de mètres cubes, alors que les 1.2 million habitants de Gaza utilisent à peu près 100 millions de mètres cubes par an.

De façon générale, ces 238 millions de mètres cubes fournissent aux 3.5 millions de Palestiniens vivant dans les territoires seulement 11% de l'ensemble des ressources en eau de la Palestine Historique, alors que 6.7 millions d'habitants israéliens utilisent un total de 2000 millions de mètres cubes, soit 89%.

Ce déséquilibre énorme dans la distribution est encore plus grotesquement injuste dans la nappe aquifère occidentale, où Israël prend 93% de l'approvisionnement en eau disponible.

Il ne reste aux Palestiniens que 7% de la production totale (25.67 millions de mètres cubes par an, extrait à partir de 159 puits).
La bonne production pour les Palestiniens est concentrée dans le secteur de la partie nord du Mur, et en particulier autour de Tulkarem et de Qalqiliya, où une moyenne de 22.19 millions de m3 par an est tirée de 141 puits.

En ce qui concerne le droit international, la redistribution des ressources en eaux souterraines est une affaire délicate. Tandis qu'il y a d'importants précédents pour la gestion commune et l'attribution négociée de l'eau de surface, il y en a peu pour le partage des ressources en eaux souterraines.

Puisqu'il n'y a pas de place pour aborder cette question en détail, nous devons préciser qu'Israël change constamment ses arguments sur le sujet -- ou peut-être serait-il plus précis de dire que les différents groupes d'intérêt (lobbies) en Israël discutent de différentes façons, et viennent chacun leur tour pour dominer la discussion.

Un argument fréquemment utilisé fait référence à la notion de "utilisation de l'eau établie".
Cependant, cette approche ne tient pas compte du fait qu'il n'y a rien de normal ou d'organique au sujet des modes actuels de l'utilisation, qui sont un résultat direct de l'occupation.

Les Palestiniens se réfèrent souvent au principe international qui protège les droits des riverains en amont (un principe qui est souvent utilisé pour résoudre des conflits sur les fleuves) : cela n'est pas étonnant, puisque 90% de la recharge naturelle en eaux de pluie de toutes les couches aquifères partagées se produisent en Cisjordanie .

Tandis qu'Israël fait appel à ce principe dans le cas du fleuve du Jourdain où il contrôle la partie immédiatement en amont de la Cisjordanie , il a toujours catégoriquement rejeté toute tentative d'adaptation de cet argument pour une application à la nappe aquifère occidentale.

Si les Palestiniens doivent réussir à obtenir un accès juste au partage des ressources en eaux par des négociations, ils devront non seulement être techniquement bien préparés mais ils devront également s'assurer que la véritable nature du mur de séparation, et ce qu'il représente en termes d'accès à l'eau, soit internationalement reconnu, de sorte qu'une pression puisse être appliquée sur Israël -- très probablement, par les puissances en charge de la médiation, qui joueront certainement un rôle central dans toute future résolution de la situation, si la "Feuille de Route" est finalement appliquée.

Il est donc essentiel de commencer aujourd'hui le combat pour l'opinion publique, bien qu'il puisse se passer un certain temps avant que des négociations sérieuses soient reprises.

La dispute sur la nappe aquifère occidentale deviendra bien plus vitale si Israël refuse de prendre au moins une partie de ses responsabilités pour fournir l'eau à Gaza.

L'utilisation de l'eau à Gaza a longtemps dépassé le seuil critique : un sur-pompage dramatique a déjà causé des effets catastrophiques, nuisant à l'économie et à l'écologie de la région, altérant la santé de la population de Gaza et minant leur approvisionnement de base en eau.

Si les futures négociations forcent les Palestiniens à fournir de l'eau à Gaza depuis la Cisjordanie , alors la seule ressource possible qui pourrait être utilisée à cette fin sera la nappe aquifère occidentale.

Pour cela, il ne serait absolument pas raisonnable de pomper l'eau du côté Est de la Cisjordanie , près de la Mer Morte, à plus de 1.000 mètres au-dessus des montagnes d'Hebron, en dépensant des milliards de dollars en canalisations dans le processus, quand les conditions normales d'écoulement du bassin occidental apportent l'eau littéralement à la porte de Gaza !

Pendant longtemps, les Palestiniens ont exigé plus d'eau, aussi bien pour boire que pour soutenir leur développement économique.

La Palestine est loin d'être une nation industrielle, et il y aura inévitablement une période de transition considérable où elle devra dépendre de l'agriculture. Cela vaut particulièrement pour ces régions qui sont situées près de la Ligne Verte, et où la fermeture israélienne a apporté un chômage massif dans son sillage.

Si le développement agricole doit se produire, l'eau devra jouer un rôle principal.

Cela signifie que quand nous analysons les effets du mur, nous ne devons pas simplement nous concentrer sur la perte des ressources existantes en terres et en eau, mais nous devons également nous rendre compte que le potentiel futur de développement disparaît avec elles.



Un Mur de Réthorique

A l'origine, le mur est né en Israël comme une invention de la "Gauche", c.-à-d. du Parti Travailliste et du Meretz. Ce sont eux qui ont exigé pour la première fois que le mur soit construit et ils voulaient qu'il soit construit rapidement.

Cet enthousiasme était le signe d'un changement fondamental d'opinion chez les Israéliens libéraux-progressistes, qui auparavant se considéraient eux-mêmes comme appartenant à un large camp de la paix, depuis le début du deuxième Intifada.

Bien qu'il n'y ait aucune cause à ce changement, la principale raison était sans doute l'histoire qu'a raconté Barak à son retour de Camp David en été 2000, quand il a rejeté toute responsabilité pour l'échec des négociations.

En faisant cela, il a inventé l'expression : "Nous leur avons tout offert, mais ils ont choisi la violence."

Donc, pour les libéraux-progressistes, le mur est en premier lieu prévu comme barrière protectrice contre des attaques terroristes. Une conséquence secondaire, qu'ils voient également comme souhaitable, est de réduire le nombre de troupes requises pour réprimer l'Intifada. [2]

Plusieurs de ces partisans des débuts s'accrochent ainsi à l'illusion qu'ils ont seulement "assez" besoin du Mur pour s'assurer qu'ils ne seront plus exposés aux attaques-suicides palestiniennes à l'intérieur d'Israël.

D'autres ont des motifs bien plus innocents, en espérant qu'il pourra également mettre fin aux opérations militaires notoires de leur armée contre la population civile palestinienne, lors desquelles des soldats ont tiré au hasard dans des villages sans défense, des camps de réfugiés appauvris et des centres de villes historiques.

Il est sans importance que toutes ces espérances demeurent une illusion sanglante, dans les deux sens du terme et pour les deux côtés, aussi bien pour les Israéliens que pour les Palestiniens.

Jusqu'ici, de nombreux Israéliens de la Gauche libérale croient toujours que le mur est un instrument de paix et ils le soutiennent sur cette base.

De leur côté, les colons étaient au début totalement opposés au mur, car ils pensaient qu'il allait sûrement les séparer du reste d'Israël. [3]

Cependant, vers fin 2002 et début 2003, le Conseil Yesha (le conseil et l'appareil d'administration qui couvre la plupart des colonies de Cisjordanie ) a changé de position et a adhéré à la campagne pour le Mur. En même temps, ils ont également exigé des modifications de son itinéraire.

Même avant que les colons fassent leurs demandes, le tracé du Mur ne suivait pas tout simplement la Ligne Verte, mais en général il passait plus loin à l'est, à l'intérieur de la Cisjordanie .

Maintenant, le tracé du mur a été progressivement revu afin d'incorporer du côté israélien autant de colonies que possible.
L'annexion flagrante a remplacé toute concentration apparente sur la sécurité.

En même temps, les architectes ont voulu annexer le moins possible de Palestiniens : en conséquence, la Ligne du Mur dévie vers l'ouest à chaque fois qu'elle rencontre un village palestinien, séparant ainsi ses habitants de leur arrière-pays.

En bref : la terre est maintenant à l'ouest, et les Palestiniens sont à l'est du mur. Les profonds méandres que l'on peut voir sur n'importe quelle carte du mur sont une expression éloquente de cette stratégie

Une plainte commune de l'opposition "modérée" (c.-à-d. les groupes d'opposition qui sont proches du gouvernement) était que Sharon essayait toujours de retarder la construction du mur.

Et en effet, leurs craintes ne sont pas peut-être entièrement non fondées : quand on a proposé pour la première fois le mur, Sharon ne le voyait pas d'un bon oeil.
Les colonies étaient, après tout, son projet favori, et son principal legs à l'histoire.

Comme les colons eux-mêmes, il avait peur qu'ils se retrouvent isolés ; dans son esprit, le mur constituait également un précédent dangereux, puisqu'il pourrait être considéré comme une première étape dans l'établissement des frontières d'un futur état palestinien. En créant ainsi de faux genres de "faits sur le terrain", le mur pouvait réellement se terminer par faciliter une fin de l'occupation.

Cependant, son attitude a changé. Après avoir formé le gouvernement le plus à Droite de l'histoire israélienne [4], Sharon s'est trouvé sous au moins une certaine pression marginale pour rouvrir les négociations, due au contexte de la guerre en Irak.

La nécessité est la mère des inventions : sous pression pour accepter la Feuille de Route, il a rapidement abandonné son hostilité au mur – non pas parce qu'il avait maintenant accepté l'idée d'un Etat palestinien, mais parce qu'il avait découvert comment renverser le projet afin de lui permettre d'atteindre ses propres objectifs

Dans un avis consultatif, la Cour Internationale de Justice (CIJ) à la Haye a statué le 9 juillet 2004, que la majeure partie du mur, à l'intérieur de la Cisjordanie , constituait une violation du droit international – "… Israël… a l'obligation de cesser ces travaux de construction (et)… plus loin… Israël doit en outre réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales affectées par la construction du mur."

Le 20 juillet 2004, l'Assemblée générale, dans sa résolution ES-10/15, a invité Israël à se conformer aux engagements légaux identifiés dans l'avis consultatif de la CIJ, mais la Cour Suprême Israélienne a rejeté l'avis consultatif de la CIJ au sujet de l'illégalité de la barrière, en soutenant que la barrière pouvait être construite à l'intérieur du territoire palestinien occupé pour protéger les colonies israéliennes.

En faisant cela, Israël a transformé une structure apparemment défensive comme un mur ou une barrière en un dispositif offensif : Israël, en augmentant toujours le périmètre de la barrière, amasse de plus en plus de terres autour de ses colonies sous prétexte de la "sécurité et de la protection", établissant ainsi des faits sur le terrain pour une saisie de terres silencieuse.

Pour le public israélien dans son ensemble, la "sécurité et la protection" est l'incantation presque mythologique pour justifier n'importe quelle mesure et pour réduire au silence toute critique possible.

Le fait, que la barrière n'est nullement prévu comme simple structure temporelle, s'est transformé en secret de Polichinelle quoique bien-gardé à l'intérieur d'Israël.

En décembre 2005, Tzipi Livni, à l'époque Ministre de la Justice d'Israël, s'est attiré des réponses violentes, quand elle a dit que la barrière servirait "de future frontière pour l'Etat d'Israël."
En fait, elle a dit : "Par ses décisions sur la barrière de séparation la cour Suprême a esquissé les frontières de l'Etat." ("State to Court: Fence route has 'political implications,'" Haaretz, 14 juin 2006, par Yuval Yoaz)



Le véritable agenda pour le futur

Dans tout ce processus, personne n'a fait une pause pour demander l'avis aux Palestiniens; bien que leur réponse, naturellement, aurait été difficilement positive.

• Rien que pour la partie nord du mur, 83 kilomètres carrés de terre ont été expropriés pour la construction du Mur, dont des terres agricoles de grande valeur et de grandes parties de l'arrière-pays naturel de nombreux villages.

• 16 villages (13.386 personnes) se retrouvent enfermés dans une sorte de no-man's land qui est créé à l'ouest du mur.

• 238 kilomètre carré de terres agricoles ont été séparés des fermiers qui les travaillaient habituellement.

• En outre, 53 villages perdront près de 142 kilomètres carrés de champs pour le Mur.

• De plus, 8.4 kilomètres carrés d'oliveraies et de vergers ont été ou seront déracinés.
Les collines stériles que les oliviers laisseront derrière eux seront une blessure ouverte dans la terre et pour ses habitants, et d'un point de vue écologique, ils représentent une ressource immobilière précieuse pour Israël et un cadeau inattendu à ses urbanistes, qui recherchent des moyens d'alléger la pression sur la plaine côtière massivement peuplée.

Les terres expropriées pour faire le tracé de cette une section du mur constitue déjà 2% de la superficie de la Cisjordanie . Et avec la perte de cette terre, des milliers de personnes ont perdu leur seule source de revenu.

Cependant, mon principal souci ici, c'est l'eau. L'eau est clairement une question importante pour les constructeurs et les victimes du mur. La section construite entre Salem et Alkana a isolé 47 puits (dans le secteur entre Tulkarem et Qalqiliya) du côté ouest du mur, où ils sont en partie ou complètement inaccessibles à la population palestinienne.

De nombreux Palestiniens, comme beaucoup de journalistes écrivant dans la presse étrangère, suspectent maintenant que c'était une intention délibérée des Israéliens visant à incorporer ces puits à leur territoire et à assurer leur production pour leur usage personnel.
Cependant, cet argument ne se tient pas vraiment lorsqu'on y regarde de près.

En effet, l'endroit, l'utilisation et l'infrastructure technique de ces puits suggèrent autre chose :

• Tout d'abord, les puits de Cisjordanie qui se trouvent maintenant du côté ouest du mur sont moins profonds et moins productifs que les puits israéliens voisins, parce qu'ils sont situés dans des secteurs de production moins favorables que leurs rivaux.

• Deuxièmement, la quantité d'eau directement "annexée" par le mur n'est que d'environ 5 millions de mètres cubes par an au total.
Si nous supposons que, comme à Gaza, Israël déclarera une bande à l'est du mur large d'1km comme zone de "sécurité" à l'accès limité, alors 60 puits, représentant environ 10.3 millions de mètres cubes par an, seraient ajoutés au chiffre ci-dessus.
Pourtant même ces 15 millions de mètres cubes représentent par an seulement 4.5% du taux actuel de production annuelle des Israéliens, et sont donc loin en-dessous de la fourchette existante dans les fluctuations saisonnières/annuelles des taux de pompage, qui peuvent s'élever à des dizaines voire des centaines de millions de mètres cubes.
Leur contribution potentielle aux besoins en eau des Israéliens est donc marginale, au mieux.


• On ne doit pas oublier que la plupart des puits palestiniens ont été construits pour l'irrigation.
En conséquence, et à la différence de la plupart des puits israéliens, ils n'ont aucun raccordement souterrain avec un réseau d'eau, ce qui permettrait à l'eau d'être pompée dans des régions plus éloignées ou d'être utilisée par le National Water Carrier.
En effet, c'est précisémment pour cette raison technique que les propriétaires de puits palestiniens pourraient bien à terme abandonner totalement l'eau dans ces puits. Même si les puits pouvaient continuer à fonctionner de l'autre côté du Mur, ils n'auront aucun moyen d'obtenir l'eau.


• Finalement, on doit se souvenir qu'Israël n'a pas besoin des puits palestiniens pour accéder à l'eau qu'ils contiennent. Techniquement, ils peuvent déjà accéder à la plupart de ces 15 millions de mètres cubes simplement en augmentant les taux de pompage de leurs propres puits au à l'ouest de la Ligne Verte. Ainsi, ils pourraient extraire l'eau "de façon invisible", sans devoir mettre un doigt sur les puits de Cisjordanie .




D'un autre côté, pour les Palestiniens, la perte annuelle de 5 à 15 millions de mètres cubes est très significative, puisqu'elle représente entre 23% et 75% de leur production moyenne à long terme de la nappe aquifère occidentale.
Ces pertes seront donc péniblement ressenties, et réduiront de façon radicale la production agricole dans les villages et les villes directement voisines du mur.

Cependant, alors que la perte actuelle est importante, les futures pertes indirectes que le mur causera seront bien plus dramatiques.

Pour la perte que nous devons calculer, il ne s'agit pas seulement de prendre en compte les 47 ou 107 puits qui seront perdus cette année ou plus tard, mais tous les futurs développements dans cette région auront été réellement rendus impossibles, même s'il devait y avoir des négociations de paix réussies.

La bande de terre située à l'ouest du mur, qui sera annexée de fait par Israël, coïncide avec ce qui est, d'un point de vue hydraulico-économique, la seule région où une abstraction dans la nappe aquifère occidentale pouvait être potentiellement accrue par un futur forage.

Les secteurs plus loin à l'est sont situés sur les pentes de la Cisjordanie et tombent à l'extérieur du secteur productif du bassin.

En termes hydrogéologiques, ils appartiennent à la zone de transition entre le secteur de recharge qui se situe dans les montagnes et la zone de production situées dans les plaines en-dessous.

Dans la montagne, la table d'eau est seulement produite à grande profondeur, et les nappes d'eau souterraines sont seulement partiellement saturées.

Donc, au mieux, tous les nouveaux puits forés ici auraient un volume d'eau très faible et le niveau d'eau serait exposé à d'énormes chutes soudaines de production.

Donc, en raison du mur, les Palestiniens ont perdu non seulement les trois quarts de leur production des puits actuelle sur la nappe aquifère occidentale, mais également la totalité du futur potentiel du bassin pour le développement des eaux souterraines, qui est confiné à cette bande étroite de production le long de la Ligne Verte.

Alors, c'est comme si les architectes israéliens n'avaient pas été plus concernés par l'annexion des ressources qu'ils l'étaient par l'expropriation du futur de leurs voisins quand ils ont conçu le tracé du mur.

Déjà sous Oslo, Israël s'était montré particulièrement intransigeant à chaque fois que le sujet de la nappe aquifère occidentale arrivait sur la table.

Et tandis que les Palestiniens parvenaient à obtenir des autorisations de forage pour des puits supplémentaires dans la nappe aquifère à l'est et au nord-est (pour un total modeste d'environ 70-80 millions de mètres cubes pour la période intérimaire d'Oslo), Israël a toujours insisté sur le fait qu'ils ne devraient pas être autorisés à exploiter la moindre goutte d'eau dans la nappe aquifère occidentale

Au milieu des années 90, longtemps avant Camp David, les hydrologues israéliens avaient déjà élaboré des soi-disant "cartes d'intérêts pour l'eau", sur lesquelles ces secteurs situés maintenant derrière le mur étaient désignés comme zones d'intérêt stratégique pour Israël.

C'était dans ces secteurs que l'ensemble de la future exploitation palestinienne des eaux souterraines devait être empêchée. Il n'est donc pas étonnant que le tracé du mur dans ces secteurs semble avoir été dicté par ces cartes.

Naturellement, pour Israël, il y a d'autres facteurs stratégiques qui doivent être pris en considération – dont le plus significatif est la campagne constante d'expansion des colonies, bien que cette politique soit illégale en vertu du droit international.

L'approche concernant les colonies et l'eau n'est pas du tout la même. Alors que dans le cas des colonies, l'objectif est leur croissance permanente, pour l'eau, ou au moins dans le cas de la nappe aquifère occidentale, la principale préoccupation d'Israël semble être de maintenir les injustices qui font déjà partie intégrante du statu quo.

Le principal objectif du mur n'est donc pas de voler une poignée de puits, mais d'empêcher toute future expansion de la capacité des Palestiniens à exploiter la nappe aquifère occidentale.

C'est le but des faits sur le terrain qui sont créés actuellement. Une fois que ces faits ont été créés, ils rendent impossible pour la société palestinienne des régions fertiles situées le long de l'ancienne Ligne Verte de connaître toute forme de développement, ou même un retour à quelque chose qui ressemble à leur ancienne vie "normale".

Entre tous les reportages sur le harcèlement et la peine pour les pertes immédiates, entre toutes les discussions sur les droits de l'homme et politiques, nous ne devrions pas oublier que les Israéliens ont leurs yeux fermement fixés sur le futur hydrologique et économique.

Même si un règlement politique est atteint un jour, l'annexion par Israël de cette ressource vitale et peu développée continuera à miner les vies et les espoirs de millions de Palestiniens, maintenant et pour les générations à venir.


Notes :

[1] En outre, les modifications aux sections de barrières déjà construites s'élèveront à peu près à rudement au NIS 900 millionsde NIS (165 millions d'Euros), selon Akiva Eldar (Ha'aretz, 21 Decembre 2006).

[2] Une variante "gauchiste" de cet argument considère le mur comme la première étape vers un Etat palestinien et continue de prétendre que les nombreuses déviations de la Ligne Verte vers l'est sont seulement "des corrections microscopiques".

[3] Cela n'a pas inquiété beaucoup les premiers partisans du mur, puisqu'ils avaient peu de sympathie pour les colons.

[4] Le partenaire de la coalition de Sharon, Shinuii, qui est le frère légitime des partis libéraux européens, n'a fait aucune tentative sérieuse pour s'opposer aux anciennes ambitions d'Extrème-Droite de l'ancien premier ministre à la Knesset.
Ainsi, par exemple, une partie de la responsabilité à l'intensification extrême de la répression de l'IDF à Gaza sous Sha'ul Mofaz se trouve chez ces membres "libéraux" de gouvernement, qui ont permis à ce processus de se déployer sans opposition

Source : http://electronicintifada.net/

Traduction : MG pour ISM

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