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Moyen Orient - 19 avril 2010
Par Mohammad Imara
Mohammad Imara, auteur et chercheur, est membre de l’Académie de recherches islamiques de l’université Al-Azhar du Caire.
Qasim Amin est considéré comme une source de débats et comme un foyer de tensions, d’attractions et de conflits entre les différents courants de pensée dans l’ensemble de la nation arabe et dans le monde islamique. Malgré cela, plus d’un siècle passa avant qu’il ne commence à influencer la vie intellectuelle de notre communauté.
Un groupe défend l’idée que Qasim Amin est le pionnier qui a dirigé le mouvement intellectuel et social pour la « libération de la femme » ; femme qui est considérée comme la moitié de la société. Ce groupe considère que c’est Qasim Amin qui l’a sortie des ténèbres, des siècles obscurs, pour l’amener vers la lumière de la modernité et de l’ouverture.
Un autre groupe considère que c’est Qasim Amin qui a ouvert la fenêtre de « l’occidentalisation » avec ce qu’elle englobe de désaffection pour l’âme de notre civilisation et de nos traditions. Par son action, il a engendré, dans les foyers et dans les nouvelles vies conjugales, tous les maux de la civilisation occidentale dont se lamentent et se plaignent les occidentaux eux-mêmes.
Ceci est le point de vue des deux groupes opposés sur la nature et l’effet de l’apport intellectuel de Qasim Amin. Cependant, nous pensons que cette « polarisation » dans l’évaluation des penseurs et de leurs idées est une sorte de « mentalité tribale » que l’on doit éloigner de nos vies intellectuelle et sociale car c’est le fruit d’un « regard unilatéral ». Du fait de ce « regard unilatéral », « l’examen complet » et l’approche « objective» dans l’évaluation de la pensée et dans la critique des influences des penseurs, font défaut.
Qasim Amin n’est pas un pionnier de l’appel en faveur de la « libération de la femme »
Bien qu’on lui attribue la popularité de cet appel et son origine, Qasim Amin n’est pas le premier à avoir appelé à la « libération de la femme ». Ahmad Faris al-Shidyaq (1804-1888) l’a devancé dans le journal al-Jawa’ib avant la naissance de Qasim Amin. De même, certaines idées, comme la diminution des disparités entre le droit des femmes et celui des hommes, auxquelles appelait Qasim Amin, étaient déjà répandues dans les discussions du « Comité d’organisation de l’éducation » dont était membre Rifa’a al-Tahtawi (1801-1873).
Cependant, Qasim Amin s’est singularisé dans ce domaine. Tout ce qu’ont dit les autres penseurs au sujet de la « libération de la femme » et de son émancipation avait été traité de manière exhaustive. Qasim Amin a concentré tous ses efforts et à peu près tous ses ouvrages à cet appel jusqu’à ce qu’il en devienne son représentant et son symbole. Même s’il n’a pas été le premier à traiter ce sujet, il l’a été en consacrant tous ses efforts intellectuels à cette problématique avant d’autres questions ayant trait à la réforme.
Les contraintes empêchant la « libération » de la femme que dénonçait Qasim Amin, n’étaient pas des « contraintes islamiques ». De même, les perspectives et les limites qu’il cherchait à définir pour la femme arabe et musulmane, n’étaient pas dans leur totalité celles fixées par le mode de vie occidentale. Celles dont se plaignaient les partisans de l’islam éclairés ainsi que les occidentaux justes. L’esprit oriental et les perspectives islamiques étaient présents dans l’esprit de Qasim Amin pendant son appel. Il n’aspirait pas à occidentaliser la femme arabe mais à la libérer des contraintes qui n’ont jamais été le fait de l’Islam mais d’habitudes révolues et héritées.
D’origine turque et d’éducation égyptienne
Qasim Amin est probablement né le 1er décembre 1863 d’un père turc et d’une mère égyptienne de Haute-Egypte. Avant d’arriver et de s’installer en Egypte, son père, Mohammad Bak Amin, était wali de la région du Kurdistan.
Lors d’une des visites de Mohammad Bak Amin à Astana, le « Kurdistan » s’est soulevé contre l’Empire Ottoman et a déclaré son indépendance. L’Empire Ottoman l’a dédommagé pour la perte de son Emirat qui s’est soulevé, par des fiefs dans le territoire d’al-Bouhayra en Egypte. Lorsqu’il vint en Egypte il décida de s’y installer et se maria avec une égyptienne. Il rejoignit l’armée égyptienne à l’époque du Khédive Ismaïl.
Qasim Amin est né à Alexandrie. Il suivit ses études primaires à l’école Ra’s al-Tîn dans laquelle étaient formés les fils de l’aristocratie. Ensuite, il déménagea, avec sa famille, au Caire et vécu dans le quartier aristocratique d’al-Houlmiyya. Il fut diplômé du secondaire et a rejoint l’école de droit et d’administration dans laquelle il fut le premier diplômé en obtenant sa licence en 1881.
Il s’était rapproché du groupe de Jamal al-Din al-Afghani et de son école intellectuelle qui était apparue en Egypte à cette période.
Qasim Amin travailla en tant qu’avocat, après ses études, pendant un certain temps. Il voyagea ensuite en France dans le cadre d’une mission d’étude. Il s’inscrivit à l’Université de Montpellier. Il acheva ses études de droit avec succès, en 1885, après quatre ans d’études.
Durant ses études en France il renouvela ses liens avec Jamal al-Din al-Afghani et son école, alors qu’il était le « traducteur » particulier de l’Imam Mohammad Abduh à Paris.
En France, il lut les ouvrages de grands penseurs tels que Nietzsche, Darwin et Marx. Il tenta de se rapprocher de la société française et d’adopter le mode de vie sociale des français.
Cependant, sa nature orientale timide et l’isolement qui caractérisaient sa personnalité, l’empêchèrent d’aller plus loin dans ce domaine. Durant cette période, il connut l’amour et l’amitié avec la française Slava qui fut sa camarade d’université. Néanmoins, cet amour et cette amitié restèrent « platoniques ».
Dans le système judiciaire
Qasim Amin rentra au Caire à l’été 1885. Il fut nommé au ministère de la justice dans la magistrature mixte alors qu’il avait vingt-deux ans.
Il évolua dans le système judicaire. Il dirigea la magistrature de la province Bani Youssouf. Ensuite il dirigea la magistrature de Tanta (1891). Là, il fit face à un événement important lorsqu’il rencontra Abdallah al-Nadim (1843-1896) ; l’un des plus éminents dirigeants de la Révolution de ‘Urabi et l’un des plus fermes dissidents dans la lutte pour fuir la police à laquelle il échappa durant une « absence légendaire » de neuf ans. Abdallah al-Nadim fut introduit auprès du président de la magistrature, Qasim Amin, qui l’accueillit chaleureusement et lui donna de son propre argent. Il lui prépara, dans sa cellule, le maximum en matière de confort et de soins. Qasim Amin décida ensuite de déployer tous ses efforts auprès des responsables de la capitale afin qu’ils le libèrent de prison. Il fit de même pour des étudiants qui furent arrêtés lors de manifestations. Certains d’entre eux s’étaient cachés jusqu’à ce que les autorités les amnistient.
En juin 1892, il fut nommé juge à la Cour d’Appel puis, deux ans après, il fut promu au poste de conseiller. Il avait alors trente et un ans. Lorsqu’il travailla au ministère de la justice, il chercha à faire de la justice égyptienne et des tribunaux civils et nationaux le service de litiges et le tribunal des étrangers qui vivaient en Egypte, à l’exception de leurs statuts personnels.
Ses activités et ses livres
Les activités de Qasim Amin se sont étendues en dehors de la fonction judiciaire. Il a écrit de nombreux articles, sans les signer, dans le journal al-Mou’ayyid. En 1894, il publia son livre, en français, Les Egyptiens, dans lequel il répliqua aux attaques, contre l’Egypte et les égyptiens, faites par le duc français d’Harcourt. De même, il publia ses livres Libération de la femme, en 1899 et La nouvelle femme en 1900. Il participa aussi à l’activité de l’Association islamique de bienfaisance.
En octobre 1906, il eut la responsabilité du secrétariat de l’assemblée qui avait lieu chez Saad Zaghloul, et dont émanait la fameuse déclaration à l’attention de la nation. Il l’appelait à contribuer à la création de l’Université égyptienne (l’Université du Caire). Ensuite, il fut nommé Président de la Commission pour la constitution de l’université, après que Saad Zaghloul eut été nommé Ministre de l’éducation.
Le dernier de ses travaux publics fut le discours qu’il prononça, à al-Menoufia, sur l’Université et l’enseignement universitaire souhaité pour l’Egypte et les égyptiens. Il mourut, le 15 avril 1908, une semaine après avoir prononcé ce discours.
Deux heures pour sa femme
La vie familiale de Qasim Amin était en harmonie avec son caractère calme, son esprit d’artiste et sa sensibilité. Il se maria en 1884 avec la fille d’un amiral turc, Amin Tawfiq. Il consacrait à sa femme deux heures, par jour, de façon régulière. De même, il passait trois heures dans sa bibliothèque. Il eut deux filles : Zaynab qui eut une nourrice française et Jalsane dont la nourrice était anglaise.
Entre Les Egyptiens et La libération de la femme
Lorsqu’il publia son livre La libération de la femme, en 1899, celui-ci fit beaucoup de bruit dans la société égyptienne et dans les sociétés orientales. Les points du livre qui ont suscité le plus de débats sont :
- Ce qu’il a dit sur le hijab qui gouvernait le monde de la femme à cette époque.
- Son appel pour limiter le droit absolu attribué à l’homme pour le divorce.
- Sa critique de la polygamie et son appel au contrôle et à la limitation de la polygamie.
Il convient de rappeler que son livre, Les Egyptiens, qu’il a écrit en français et qu’il a publié cinq ans avant La libération de la femme, réfute les points de vue de Qasim Amin exposés dans La libération de la femme. Plus particulièrement, en ce qui concerne les trois points qui ont entraînés débats et controverses. Ainsi, lorsque nous lisons Les Egyptiens nous avons l’impression que ceux qui parlent, argumentent et débattent sont les adversaires de Qasim Amin et de son livre La libération de la femme !!
Le hijab
Dans Les Egyptiens, il défendait le système du voile qui prévalait dans le monde des femmes orientales à son époque. Il louait les règles strictes de séparation des sexes qui faisaient de la société orientale une société non mixte. Il s’attaquait à la « libération de la femme » européenne, bien plus, il exagérait dans la représentation des méfaits de la mixité en Europe. Il disait de la mixité qu’elle entraînait la perte par la femme de sa dignité et le laxisme des hommes.
Alors qu’il critiquait la « libération de la femme » il n’avait pas établi que le hijab était une caractéristique des sociétés orientales. Alors qu’après, il a affirmé qu’il n’était pas le fait de la loi islamique mais de coutumes. Il attaqua la société non mixte et dénonça l’impossibilité pour la femme d’exercer ses fonctions et ses tâches dans la vie tant que persisterait la séparation entre les deux sexes.
Le divorce et la polygamie
Dans Les Egyptiens, il défendait la survie de la liberté, totale et sans restriction, pour l’homme de divorcer. Il dénonçait les opinions réformistes qui soulignaient la nécessité que le divorce soit prononcé par le juge après avoir tenter de réconcilier les époux.
Dans La libération de la femme, Qasim Amin appelle à restreindre le divorce. Il a demandé à ce que le divorce soit du ressort du système judiciaire. Il rédigea un projet de loi dans ce sens pour le soumettre au gouvernement.
Bien qu’il ait émis des conditions pour la licéité de la polygamie dans les deux ouvrages, dans La libération de la femme il penchait plus pour une interdiction. Pour se faire, il évoqua la décomposition des familles polygames et l’animosité entre leurs membres. Il ne la rejetait pourtant pas dans Les Egyptiens.
Questions ?!
Celui qui feuillette La libération de la femme remarque que de nombreux chapitres ont été abordés d’un point de vue islamique notamment en ce qui concerne le hijab, le mariage, le divorce et la polygamie. Ces chapitres présentent de nombreuses interprétations et opinions juridiques, qui ne sont pas celles de Qasim Amin. L’Imam Mohammad Abduh est l’auteur de nombreuses interprétations juridiques car Qasim Amin n’était pas plus capable que Mohammad Abduh, d’émettre et de publier de telles interprétations.
La civilisation islamique
Nous entendons par point de vue sur la « civilisation islamique », les opinions et les évolutions qu’a émies Qasim Amin lorsqu’il a critiqué la religion et la civilisation islamiques et sa position sur la question importante qui s’est posée à son époque. Les gens n’étaient pas d’accord sur la réponse à apporter à la question : Devons nous revenir à nos sources islamiques qui nous guident et dont nous prenons exemple alors que nous voulons la Renaissance et que nous nous réveillons de notre torpeur ? Ou devons nous faire de notre pays une partie de l’Europe en ce qui concerne la pensée, les valeurs, la civilisation, les connaissances et le travail ?
Qasim Amin n’était pas un réformateur islamique. Son parcours intellectuel ne l’a pas formé à être un écrivain islamique pas plus qu’un réformateur islamique. Bien au contraire, sa nature personnelle l’a empêché d’être l’écrivain spécialisé et intéressé par les choses de la religion. Néanmoins, malgré cela, il a défendu l’islam dans Les Egyptiens dans lequel il répondait au duc d’Harcourt.
Si nous examinons ses opinions et ses points de vue islamiques, nous pouvons, enfin de compte, clarifier de nombreuses appréciations qui sont justes et d’autres qui ne le sont pas :
- Il y a l’évaluation qu’il a présentée de la personnalité du musulman, sa composante et son caractère civilisationnel. Il représentait la « personnalité du musulman » sous les traits d’une « personnalité mystique », qui s’en remet à Dieu et qui s’isole. Dans la vie, il ne se raccroche à aucun lien avec la réalité.
Ce qui a été dit, en tant que critique de cette représentation du musulman, est que Qasim Amin a pris ce qui était mineur, rare et exceptionnel pour en faire une généralité.
- Quant à sa compréhension de l’islam en tant que religion, elle était très simple, à cette époque. Selon lui, c’était un mouvement de réformes du christianisme et un examen des déviations et des corruptions religieuses qui l’ont précédé.
- Quant à la civilisation islamique, et plus particulièrement l’organisation politique de cette civilisation, je suis en désaccord avec sa position ; particulièrement avec son évaluation en ce qui concerne le changement et l’évolution de cette organisation politique. Nous remarquons dans Les Egyptiens qu’il est favorable à l’existence « d’une organisation et d’un système politique islamique » en tant que partie de notre civilisation. Il attribue l’épanouissement des musulmans et de leur civilisation à la concordance de leur système politique à leurs enseignements religieux. Lorsque les musulmans abandonnent les enseignements de la religion tout l’édifice s’écroule. Cependant, il revient sur cette opinion, dans La libération de la femme et La nouvelle femme, en niant le fait que les musulmans aient connu, dans leurs sociétés et leur histoire, de systèmes politiques spécifiques. Il explique l’effondrement de leur civilisation et la propagation de l’oppression des femmes par l’absence de tels systèmes.
Nous considérons que cette évaluation qu’il a donnée pour la distinction des systèmes politiques dans notre civilisation est injuste et étrange. Il ne fait pas la distinction entre la culture et l’histoire. De même, il n’a pas pris en considération les études des mouvements intellectuels, des courants révolutionnaires et des partis d’opposition qui se sont appliqués, durant les siècles de l’histoire islamique, à mettre en pratique les fruits de l’ijtihad (l’effort d’interprétation) de cette communauté intellectuelle dans les domaines du droit, de la shoura (la consultation), et de la justice sociale.
Après quelques hésitations, en réponse à la question de savoir si son peuple est capable ou non de dépasser son état de sous-développement, Qasim Amin conclut dans La femme nouvelle que la civilisation musulmane n'est pas à la hauteur des conditions requises par le monde moderne.
Source : Islam On Line
Traduction : Souad Khaldi
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