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Nation arabe -

Signification du nationalisme arabe

Par

L'auteur est membre de l’Académie de recherches islamiques de l’université al-Azhar du Caire.

I. Terminologie du mot « nationalisme » (qawmiyya) en arabe
Le terme « nationalisme » (« qawmiyya ») est un mot récent dans la littérature politique arabe. Néanmoins, son contenu idéologique possède une profondeur historique bien plus conséquente. L’ère de la réalité nationale arabe, avec la création de liens et de divisions qui ont fait de la communauté humaine arabe une seule nation, est ancienne. Elle remonte à des temps éloignés précédant l’époque contemporaine ; bien avant l’utilisation du terme « nationalisme » pour exprimer le sens de cette réalité.

Signification du nationalisme arabe

À l’époque de l’épanouissement de la civilisation arabe, qui a atteint son apogée durant le second siècle de l’hégire (718-815) (1), la réalité nationale arabe a connu trois grands courants de pensée. Ces trois courants se sont combattus et ont influencé l'ensemble des études et des travaux, appartenant au « patrimoine de la pensée nationale arabe ». Ces trois grands courants de pensée sont :

1. L’internationalisme (al-shu‘ubiyya) : ce courant émergea avec le développement de l’hostilité à l’arabité, aux Arabes et à l’arabisation. L’objectif de la shu’ubiyya était de démanteler les liens unissant la nation arabe. Cette dernière était le produit des avancées politiques ayant permis l’unification du Machrek sous le commandement des Arabes musulmans. Le courant shu‘ubite utilisa les différences ethniques et le racisme pour neutraliser le mouvement d’arabisation qui présageait l’unification de l’identité de la communauté humaine vivant au sein de la nouvelle nation arabe.

2. L’esprit de clan arabe (al-‘assabiyya) : ce courant fut encouragé par les Omeyyades (2) qui l’exploitèrent au cours des différents conflits tribaux. Les Omeyyades sacrifièrent les tribus afin de consolider leur pouvoir. Ce courant se répandit avec une telle puissance qu’il devint hostile aux peuples non-arabes entrant dans la nation arabe après les conquêtes musulmanes.

3. Le nationalisme arabe (al-qawmiyya al-‘arabiyya) : ce courant apparut pour exprimer les besoins d’unification de l’identité des enfants de la nouvelle nation et pour refléter la réalité nouvelle. En mettant de côté les origines ethniques et la toile de fonds civilisationnelle, les intérêts communs partagés par les enfants de cette nation existaient déjà avant la naissance de cette nouvelle réalité unificatrice.

Ce courant de pensée – dont les mu‘tazilites (3) furent les précurseurs et dont les idées se manifestèrent clairement dans les épîtres d’al-Jâhiz (775-868) (4) – définissait l’arabité à partir de critères non-raciaux. Au niveau civilisationnel, il percevait l’arabité comme un nouveau lien permettant aux enfants des anciens Arabes de se débarrasser de leur esprit de clan (al-‘assabiyya) prévalant dans leurs rapports avec les non-Arabes. L’objectif était de pouvoir pleinement profiter de l’ensemble des legs des civilisations émanant du patrimoine de tous les peuples s’étant fondus dans la nouvelle nation arabe. Cet héritage représentait le patrimoine légitime de l’ensemble de ces communautés humaines qui initièrent leur unification et leur fusion au sein de la nation arabe. Ce critère civilisationnel renversa le courant de la shu‘ubiyya qui s’attaquait aux Arabes et à l’arabité. Il abattit également les fondements sur lesquels reposaient l’esprit de clan des Omeyyades et leur intolérance à l’encontre des mawâlî (5).

À partir de cette date, les gens comprirent que la langue arabe, les coutumes, les traditions cohérentes et convergentes, et l’allégeance unificatrice à la jeune et florissante civilisation arabe étaient le nouveau récipient dans lequel allaient fusionner des communautés d’origines différentes. Nombre de livres furent écrits à ce sujet. Cette idée se répandit dans l’ensemble du monde arabe. La dynamique unitaire avait pour but de former une seule communauté nationale ; celle de la oumma et de la nation arabe.

Lorsque son autorité centrale fut au summum de sa puissance, l’unité de la nation arabe contribua au développement de points communs au sein de ce nouveau-né national. Le pouvoir central protégea l’unité de la pensée. Il développa la fierté de la richesse du nouveau patrimoine civilisationnel en plein essor. Il veilla à mettre en place un climat adéquat favorable au développement des caractéristiques nationales communes et unificatrices. La croissance du commerce – national et mondial – contribua à ce développement en raison de la position centrale du monde arabe. Celui-ci était le trait d’union pour le commerce entre l’Asie – plus particulièrement la Chine, l’Inde et les îles asiatiques – et l’Europe. Les routes commerciales, empruntées par les caravanes du Machrek vers le Maghreb et du sud vers le nord, devinrent des artères favorisant l’unité et l’unification de la société arabe. Les savants voyageaient en même temps que le commerce se développait. Les deux mouvements se joignirent pour favoriser le maintien et l’approfondissement des caractéristiques nationales unitaires de la société arabe. Cette dynamique unificatrice perdura même lorsque l’autorité centrale s’affaiblit et que des États et des Émirats se créèrent.

Ces facteurs matériels et intellectuels portèrent leurs fruits au niveau de l’unification de l’identité de la communauté humaine qui choisit la nation arabe comme cadre de référence. Les caractéristiques nationales de la oumma arabe se développèrent. Citons parmi ces caractéristiques fondamentales :

1. Une terre commune exempte d’obstacles naturels. Cette terre devint le réceptacle permettant une fusion nationale et accordant aux caractéristiques communes un contenu unitaire plus conséquent et davantage de ressources et de richesses dans le domaine de la pensée.

2. Une langue commune : la langue arabe. Cette langue devint une des caractéristiques nationales communes après avoir achevé le mouvement d’arabisation. Ce mouvement évolua lentement de manière démocratique et choisie. Son introduction fut aidée par la richesse intellectuelle qui fit de l’arabe une langue de pensée, de science, de philosophie et de littérature pendant les siècles au cours desquels les centres civilisationnels dans le monde vivaient dans une inertie presque totale.

3. Une âme commune. Elle se manifesta dans la riche construction intellectuelle et culturelle qui se matérialise encore dans les vestiges laissés par les Arabes de cette époque. Cette construction était le fruit de la rencontre de valeurs, de traditions, de coutumes et d’idéaux unificateurs qui devinrent une source de respect pour tous les enfants de l’arabité. Al-Jâhiz avait affirmé que ces coutumes, ces traditions, ces qualités étaient devenues la matrice qui avait donné naissance à cette communauté unique après avoir été divisée en plusieurs identités distinctes.

4. Un marché commercial unique et une économie unie. Ces éléments économiques permirent à la communauté de se maintenir malgré les difficultés qui se développaient en liaison avec la faiblesse de l’autorité centrale. La région était un passage obligé pour le commerce mondial. Les routes commerciales jouèrent un rôle unificateur important dans la formation de la nation arabe et dans la création d’un lien entre le développement du commerce et la propagation de l’islam et de la langue arabe ; langue du Coran et réceptacle de la jeune civilisation intellectuelle et éclairée. Tel fut le rôle du commerce arabe et mondial dans l’unification nationale arabe jusqu’à ce que le colonialisme occidental réussisse à dévier les routes commerciales traversant la nation arabe vers le cap de Bonne Espérance en 1497. Cette modification des routes commerciales fut l’un des facteurs qui entraina la chute des caractéristiques unitaires arabes et l’immobilisation de sa croissance. La région connut un fractionnement économique. Les droits de douane devinrent obligatoires aux frontières des États et des Émirats alors qu’auparavant ils étaient relativement rares.

Telles étaient les caractéristiques majeures et les déterminants nationaux singulier de la oumma arabe.


II. Les étapes successives de l’humiliation

Une série de facteurs bloquèrent la marche vers l’approfondissement des caractéristiques nationales arabes. Bien plus, certaines de ces caractéristiques furent menacées de disparition.

Financées par le commerce européen, les croisades (1095-1291) furent une invasion colonialiste européenne armée. Elles furent impulsées par l’Église catholique européenne qui craignait le danger que représentait, à cette époque, le rationalisme arabo-islamique pour son autorité. Les croisades furent menées par les chevaliers de l’Europe féodale. Cette invasion se matérialisa par les expéditions croisées au cœur de la nation arabe. Des États coloniaux fleurirent en Palestine, en Syrie et dans le nord de l’Irak (6). Les croisades menacèrent également l’Égypte et le Maghreb. En raison de ce danger, la nation arabe confia le pouvoir à des régimes militaires d’origine non-arabe. La question de la civilisation arabe n’était plus au centre des préoccupations de ces nouvelles autorités non-arabes. De même, la menace imminente ne laissait plus le temps nécessaire à la nation arabe pour se préoccuper de la pensée, de la culture ou de la civilisation. La domination des militaires mamelouks – apparus au sein de la nation arabe à l’époque du Calife abbasside al-Mu‘tassim (795-841) – devint une chose normale voire même souhaitée avec l’intensification de la menace croisée. L’autorité était détenue par des États fondés par des militaires qui menèrent les batailles contre les croisés : la dynastie zengide (1127-1171), la dynastie ayyoubide (1171-1250) et les Mamelouks bahrites et bourjites (1250-1517).

Par la suite, la domination ottomane s’exerça sur la majorité des régions de la nation arabe (1517-1922). Ce climat favorisa l’apparition de facteurs qui affaiblirent le développement des caractéristiques nationales de la oumma arabe.

Résultant du conflit entre l’Orient et l’Occident durant la période des croisades, les régimes militaires non-arabes remportèrent de magnifiques victoires dans le domaine militaire. Ils firent reculer les vagues d’invasions colonisatrices et ils repoussèrent l’avancée des Mongols (7). Cette résistance salvatrice prolongea la durée de vie des régimes militaires non-arabes.

Les campagnes des croisés et leurs défaites furent l’occasion, pour l’Europe, de découvrir les éléments novateurs de la civilisation arabe et les raisons de son évolution. L’Europe se mit à observer les mouvements de réforme religieuse. Elle se tourna vers son patrimoine grec par l’intermédiaire du patrimoine arabe. L’Europe vécut alors son siècle de la Renaissance (1453-1558) et se mit à construire ses États nationaux. Vint ensuite la révolution industrielle qui déplaça le centre du rayonnement civilisationnel de la nation arabe vers l’Europe.

Nous avons commencé à régresser lorsque nos victoires militaires ont soutenu l’hégémonie de systèmes non-nationaux alors que l’Europe, après sa défaite, ouvrait les yeux sur l’épanouissement de la civilisation arabe. Les Occidentaux suivirent le chemin de la construction de leurs États pendant que nous croulions sous la domination des Mamelouks et des Ottomans. Certaines de nos caractéristiques nationales se figèrent et d’autres périclitèrent. À long terme, les résultats de ce processus provoquèrent un retournement de situation : la défaite du vainqueur et la victoire du vaincu ! D’un côté, les vainqueurs étaient des militaires étrangers et ceux qui régressèrent, étaient les nationaux arabes ; à partir de là, la civilisation arabe déclina. De l’autre, les vaincus étaient des militaires européens ayant ouvert les yeux sur les trésors de la civilisation arabe. Les Européens remportèrent la victoire en entrant dans le siècle de la Renaissance et en construisant leurs États nationaux.


III. Le siècle de l’éveil national

Avec la campagne de Bonaparte (1798-1801) contre l’Égypte et le Bilâd al-Shâm (8), l’Europe colonisatrice entra dans une nouvelle étape de son long conflit historique avec l’Orient et plus précisément avec la nation arabe. Les régimes mamelouks et ottomans avaient atteint le stade de la décrépitude. Les forces militaires équestres étaient totalement insignifiantes face à l’équipement militaire des armées européennes résultant de la Révolution industrielle. Les régimes mamelouks et ottomans perdirent la légitimité de leur autorité sur leurs sujets arabes lorsque Bonaparte vainquit les Mamelouks et les janissaires turcs.

Les signes d’une nouvelle ère pointèrent à l’horizon lorsque les Arabes égyptiens s’affirmèrent en se révoltant contre Bonaparte. De même, le facteur national arabe s’exprima lors du siège d’Acre par les Français en 1799. La direction de la résistance revint, même dans le domaine militaire, aux Arabes. À partir de là, les institutions administratives non-arabes perdirent la légitimité de leur existence et de leur domination sur les pays arabes. Cette perte de légitimité ouvrit la voie à la résurrection de l’âme et des caractéristiques nationales arabes. La phase moderne de l’éveil national arabe débuta. Elle prit l’armée nationale égyptienne et son nouvel État – dont Mohammed Ali Pacha (1769-1849) entreprit l’édification dans la première moitié du XIXème siècle – comme base de départ pour poursuivre la voie nationale arabe qui avait été interrompue quelques siècles auparavant.

Ces bouleversements affectèrent les relations féodales excitantes dans les campagnes et dans l’agriculture lorsque le système des concessions d’impôts – iltizâm – et des awqâf fut aboli. La domination des institutions militaires mameloukes qui durait depuis plusieurs siècles, prit également fin.

Les sources de la science et de la civilisation se murent entre les Arabes et les Européens. Les Arabes remarquèrent les fruits de la Renaissance européenne fondée sur le rationalisme et l’affirmation des spécificités nationales. Ils comprirent l’impact qu’eut l’ouverture des Européens sur la civilisation et le vieux patrimoine arabes. Cette ouverture avait permis la Renaissance européenne et la création de nouvelles entités nationales. Cet impact s’incarna dans les « classiques » littéraires et artistiques.

À partir de ce moment, les Arabes encouragèrent un retour à l’arabité et au nationalisme arabe. Des associations furent créées : des associations intellectuelles, culturelles puis politiques. En raison de leurs objectifs et de leurs moyens de lutte, ces associations se développèrent pour former finalement un mouvement national arabe. Ce mouvement avait une vision claire et des objectifs définis concernant la construction de son État national unitaire. Il acquit cette clarté et cette volonté de renouveau après avoir traversé des chemins sinueux et d’épais brouillards intellectuels dont il fut parfois victime.

Des slogans comme « Ligue islamique » étaient scandés par des mouvements de réforme religieux – au caractère arabe affirmé, hostiles à l’ottomanisme et à la turquification à différents niveaux, tels que les Wahhabites, les Senoussides et les Mahdistes – jusqu’aux courants les plus diversifiés. Les conceptions de la « Ligue islamique » se caractérisèrent par le contenu de ce slogan et par ses objectifs. Ils se caractérisèrent également par le lien de ce contenu et de ces objectifs avec la pensée nationaliste et l’objectif de construction de l’unité nationale arabe. Parmi eux, citons le courant de Jamal ad-din al-Afghani (1838-1897), celui de Moustafa Kamal (1874-1908) et le courant de la décentralisation dans le Machrek arabe. À travers ce processus de lutte complexe, les imperfections s’écroulèrent et les brouillards se dissipèrent. La clarification de la vision arabe concernant la question nationale allait de pair avec le développement du mouvement national arabe. Tout cela se refléta dans les révoltes, les soulèvements, les associations, les partis, la littérature politique, la pensée et l’art qui devinrent le miroir de la nation arabe traversant une nouvelle phase dans son chemin vers la construction de son État unitaire, incarnation de son nationalisme unificateur.

Lorsque cet éveil débuta au XIXème siècle, la littérature politique arabe utilisait le terme « nationalité » (jinsiyya) au lieu de « nationalisme » (qawmiyya) en référence à la « race » (al-jins) qui caractérise un groupe de personnes. Cependant, l’universalité de ce terme, qui s’applique à tous les êtres humains, a poussé la littérature politique arabe – plus précisément dans le domaine des études nationales – à utiliser le terme « nationalisme » (qawmiyya) pour désigner ce phénomène existant au sein de la communauté humaine arabe. Cette dernière possédait des caractéristiques nationales communes dont elle souhaitait l’approfondissement du contenu unitaire. Cette communauté humaine souhaitait également se défaire des obstacles existants entre elles et les enfants de son unité nationale.

Le terme « nationalisme » (qawmiyya) apparaissait comme plus précis que le terme « nationalité » (jinsiyya). La propagation du premier terme au détriment du second fut un signe de maturité du mouvement et des études nationales arabes. En arabe, ce mot est dérivé du mot « peuple » (qawm) qui est répété 384 fois dans le premier livre des Arabes, le Coran. Le « peuple » d’un homme est son groupe ou son clan. De même, le « peuple » de chaque prophète se compose de l’ensemble de la communauté à laquelle il fut envoyé par Allâh pour transmettre la guidance divine. Le « peuple » de Mohammed (BSDL) est le peuple arabe auprès duquel il débuta sa prédication. Il est le Prophète illettré – arabe – qu’Allâh, Loué soit-Il, envoya aux illettrés (9), c'est-à-dire aux Arabes.

De même, la littérature politique arabe moderne utilisa le terme « communauté » (oumma) arabe afin de délimiter le groupe humain arabe, qu’il singularise, et ses caractéristiques nationales arabes. Ce terme est utilisé 64 fois dans le Saint Coran. Parmi les mots de l’arabe classique qui ont connu une réappropriation contemporaine, il y a le terme de groupe (al-jamâ‘a). La communauté (oumma) est un groupe (al-jamâ‘a). La communauté (oumma) d’un homme est son peuple (qawm) comme le précise Ibn Manzhour dans Lisân al-‘arâb. Le lien entre ces deux termes – « communauté » (oumma) et « peuple » (qawm) – est profondément enraciné dans le patrimoine linguistique arabe ancien.


IV. Les obstacles rencontrés

Le mouvement national arabe se développa dans les différentes régions du monde arabe en réaction à l’expédition de Bonaparte (1798-1801) qui tira la sonnette d’alarme lors de cette nouvelle bataille dans le conflit séculaire opposant les Arabes aux Européens. Il se développa également suite aux premiers signes de fléchissement des régimes non nationaux face aux armées de Bonaparte et devant la résistance nationaliste arabe. Le mouvement national arabe devait bâtir son État sur les ruines des pouvoirs mamelouks et ottomans. En attendant, il devait en faire une bouée de sauvetage contre la menace coloniale européenne moderne.

De nombreux facteurs ont fait du colonialisme européen le successeur de l’Empire ottoman, « l’homme malade de l’Europe ». La France entama sa conquête coloniale de l’Algérie en 1830 et celle de la Tunisie en 1881 ; le Royaume-Uni celle d’Aden au Yémen en 1838 et celle de l’Égypte et du Soudan en 1882. La France occupa le Maroc en 1912. Elle fut accompagnée par l’Italie qui colonisa la Lybie en 1911. Puis vint le tour du Machrek qui fut disloqué suite aux accords Sykes-Picot conclus en 1916 par la France et le Royaume-Uni. Après la Première Guerre mondiale, le Machrek dut subir l’établissement d’un « foyer national juif » en Palestine ; réalisant ainsi un nouveau plan colonialiste.

Les autorités turques ottomanes – non arabes et non nationales – cédèrent la place aux colonisateurs européens du Royaume-Uni, de France et d’Italie. Les divisions et les barrières régionales se renforcèrent au sein du monde arabe. La planification et l’exécution coloniales veillèrent au développement et à la protection d’éléments favorisant le démembrement de la nation arabe. Ils encouragèrent des idéologies régionalistes afin de fragiliser les caractéristiques nationales arabes communes et de limiter l’impact des facteurs d’unification. L’autorité coloniale devint hégémonique et les régions colonisées homogènes. Le colonisateur mettait en œuvre et défendait son plan de division. Pour ce faire, il diversifia les méthodes employées. La France veilla à la division du Maghreb sous son joug : l’Algérie, la Tunisie et le Maroc (10). Le Royaume-Uni prit soin de produire les mêmes divisions dans ses colonies. Les Britanniques allèrent plus loin en créant de nouvelles entités : en Iraq, dans le Golfe persique où les Britanniques créèrent plusieurs Émirats sur la côte, au sud du Yémen, en Jordanie et en Palestine. Les Français agirent de la même manière au Machrek. En Syrie, ils créèrent plusieurs États (11).

La Ligue arabe fut créée en 1945 à la demande des colonialistes ; plus précisément des Britanniques. Cette création jeta les bases de la division de la nation arabe. Les Émirats et les États arabes avaient des intérêts régionaux étroits qu’exprimaient les classes dominantes prédatrices. Le colonialisme mit les représentants de ces classes au pouvoir dans plusieurs régions de la nation arabe. Il les poussa à adopter l’appellation de « Ligue des "Etats" » au lieu de « Ligue "nationale et de l’État unique" ». Il a ensuite établi sa colonie de peuplement, « Israël », que les sionistes racistes œuvrèrent à créer. Cette colonie brisa l’unité territoriale de la oumma arabe afin que l’une des plus importantes conditions du nationalisme – l’unité territoriale – soit rendue caduque et qu’elle anéantisse définitivement la nation arabe.

La Ligue arabe comptait environ 140 millions d’Hommes (le nombre d’Arabes en 2008 s’élevait à 340 millions de personnes. Il est évident que ce nombre a encore évolué depuis et qu’il serait nécessaire d’effectuer un nouveau recensement). Elle est délimitée à l’est par le Golfe persique, à l’ouest par l’Océan Atlantique, au nord par le Mont Taurus et au sud par la Somalie, le Sud-Soudan et l’Éthiopie. À l’époque, la nation et la oumma arabes comptaient vingt États, sans compter la Palestine spoliée. Le nombre d’habitants variait, dans chaque État, de 100.000 habitants à environ 40 millions. La superficie du Machrek s’élevait à 3.710.058 km², divisée en treize États dont certains étaient divisés en plusieurs Émirats. Le nombre d’habitants s’élevait à 40 millions de personnes. La superficie de l’Égypte et des parties arabo-africaines s’élevait à 9.920.721 km² divisée en huit États. Le nombre d’habitants s’élevait à environ 100 millions de personnes.

Le tableau suivant représente tous les États arabes, leur nombre d’habitants et leur superficie à cette époque. Le classement débute par les pays d’Asie et se poursuit avec ceux d’Afrique.

Photo

Le colonialisme, qui a planifié le démembrement de la nation arabe, s’appliqua à créer une réalité matérielle et une structure intellectuelle permettant de perpétuer ces divisions. Le colonialisme fut aidé dans cette tâche, et continue à l’être, par les classes dominantes de chaque État qui ont trouvé, et trouvent encore, leurs intérêts dans la division de la nation arabe. Le plan concernait essentiellement le développement économique d’un point de vue régional. Il s’efforçait d’ériger des obstacles devant les projets d’intégration économique et de marché arabe commun revendiqués par la pensée nationaliste. En principe, le marché arabe commun aurait pu être imposé dans le cadre du dispositif de la Ligue arabe.

Ces intérêts régionaux reflètent des tendances non nationales. Leurs partisans ont essayé de transformer la personnalité arabe en différentes personnalités régionales qu’ils ont façonnées pour chaque région arabe. Ils se sont appliqués à inventer des caractéristiques spécifiques afin de dissimuler leur objectif politique. Ces tendances non nationales ont essayé de créer des contradictions entre l’identité nationale arabe – qui était un lien commun à tous les fils de la oumma arabe – et les anciennes civilisations qui s’étaient développées au sein des peuples de cette région avant qu’ils ne s’engagent dans la dynamique de l’arabité et que se parachève le processus d’arabisation. Par exemple, ils opposèrent le passé pharaonique ou copte de l’Égypte à son arabité actuelle. De même, ils opposèrent le passé phénicien du Liban et l’arabité de ses habitants depuis leur entrée dans le cadre du grand État arabe (12). Le présent arabe s’inscrit dans la continuité naturelle des anciens peuples et des anciennes cultures arabes qui ont fécondé notre terre depuis le début de l’histoire. Il n’y a aucune contradiction entre l’arabité de la région avant et après l’islam. Bien au contraire !

Au cours des années, les masses de la oumma arabe ont acquis des armes redoutables : une « prise de conscience » de la valeur de l’unité nationale et des mouvements politiques révolutionnaires unitaires. La prise de conscience nationale s’ajoute à d’autres facteurs déterminants. Les masses comprennent que la réalisation de leurs aspirations au progrès civilisationnel, à la justice sociale, à l’émancipation du joug du néocolonialisme et à l’exploitation optimale de leurs richesses, dépend uniquement de leur avancement dans la voie de l’unité nationale.

Les masses de la oumma arabe ont commencé à se battre afin de donner corps à leur unité nationale. Elles l’ont fait par le biais de leurs révoltes et de leurs soulèvements nationaux démocratiques qui se sont caractérisés par des contenus sociaux avancés et des mouvements, des organisations et des partis nationalistes. 

Les masses arabes cherchent à approfondir leurs caractéristiques nationales unitaires en leur donnant des contenus plus humanistes, plus éclairés et plus développés.

Les masses arabes ont fait de la pensée unificatrice de leur oumma et de son contenant civilisationnel unique leur seul héritier légitime. Cet héritier est fier de son patrimoine civilisationnel créé par les peuples de cette région avant l’unification de l’arabité et de l’arabisation de leurs enfants.

Les masses arabes luttent pour éliminer la base matérielle de la division et du régionalisme. Cette base matérielle se manifeste dans le fractionnement et dans le développement inachevé. L’objectif des masses arabes est d’éliminer les facteurs idéologiques et les classes sociales qui exploitent et jouissent des divisions de la nation arabe.

Elles essayent de faire du mouvement de libération de la Palestine le saint creuset dans lequel fusionnera l’unité nationale souhaitée.

Ces éléments marquent la progression du cheminement national arabe menant inéluctablement au parachèvement des éléments unitaires de la oumma arabe. Ce cheminement a pour finalité de fonder un État national unitaire sur la terre de la nation arabe. Cet État unitaire doit permettre à cette oumma de retrouver le rang qui lui convienne. Elle pourra ainsi poursuive sa mission historique en tant que grande puissance comptant sur la scène internationale. De même, en fondant son État unitaire, cette oumma pourra de nouveau contribuer à la civilisation ayant fait de son présent et de son futur le prolongement des pages resplendissantes écrites par nos prédécesseurs à l’époque de la Renaissance et de l’épanouissement.


Notes de lecture :
(1) Note de la traductrice : Toutes les dates données dans ce texte sont celles du calendrier grégorien.
(2) NTD : Première dynastie musulmane, les Omeyyades gouvernent le monde musulman de 661 à 750.
(3) NTD : École de pensée théologique musulmane apparue au VIIIème siècle, le  mu‘tazilisme a développé la logique et le rationalisme, inspirés de la philosophie grecque et de la raison (logos), qu'elle cherche à combiner avec la doctrine islamique, en montrant leur compatibilité. Le mu‘tazilisme disparait au XIIIème siècle.
(4) NTD : Al-Jâhiz était un écrivain mu‘tazilite. Considéré comme le créateur de la prose arabe, al-Jâhiz défendit la culture arabe en combinant la tradition avec des données de la pensée grecque. Il laissa plus de deux cents ouvrages.
(5) NTD : mawâlî était le qualificatif utilisé pour désigner les nouveaux convertis non-arabes au début de l’islam.
(6) NTD : L’auteur désigne ici ce que les Occidentaux appellent les « États latins d’Orient ». Cf. « Les États latins d’Orient », URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tats_latins_d'Orient
(7) NTD : Les Mamelouks bahrites vainquirent les Mongols qui avaient détruit Bagdad en 1258, lors de la bataille d’Aïn Djalout en 1260. Cf. « Bataille d’Aïn Djalout », URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27A%C3%AFn_Djalout
(8) NTD : Territoire correspondant aux actuels Syrie, Palestine, Jordanie et Liban.
(9) NTD : Référence à la sourate 62, verset 2 : {C’est Allâh qui a envoyé à des gens sans Livre (les Arabes) un Messager des leurs qui leur récite Ses versets, les purifie et leur enseigne le Livre et la Sagesse, bien qu’ils étaient auparavant dans un égarement évident}.
(10) NTD : Cette perspective coloniale de démembrement de la nation arabe était assumée et revendiquée par l’historien socialiste français Julien Charles-André qui affirmait que l’assimilation des « élites » algériennes était « le plus sûr obstacle au nationalisme et, plus encore, au panarabisme en établissant un écran de « francisation » entre la Tunisie et le Maroc ». Cf. L’Afrique du Nord en marche, Paris, Ed. Omnibus, 2002, page 114
(11) NTD : Mohammad Imara parle de la Syrie et du Liban.
(12) NTD : Le mouvement berbériste a joué le même rôle au Maghreb. Cf. Benyoucef Ben Khedda, « La crise berbériste dans le mouvement national, 1949 », URL : http://www.benkhedda.org/index.php?option=com_content&view=article&id=5:la-crise-berberiste-1949&catid=5:ppa-mtld&Itemid=9


Source : Free Arab Voice

Traduction : Souad Khaldi

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