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Monde - 2 septembre 2012
Par Soraya Hélou
Même si les médias occidentaux préfèrent ignorer l’évènement, il n’en reste pas moins très important, à plus d’un titre. La tenue du seizième sommet des Pays Non-Alignés à Téhéran constitue un sujet qui fera couler beaucoup d’encre au cours des prochaines semaines.
Certains commenceront par dire que le Mouvement des Non-Alignés n’a plus sa raison d’être depuis l’effondrement de l’Union Soviétique et la fin de la bipolarisation du monde en deux camps, l’Est et l’Ouest. Mais les développements sur la scène internationale depuis 1989, qui ont permis aux Etats-Unis de se transformer en « hyperpuissance » selon le terme inventé par l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, ont montré qu’un seul pays, aussi important soit-il, ne doit pas avoir le monopole de la conduite du monde, surtout s’il est de parti-pris dans des causes justes, comme celle de la Palestine.
Vue générale du sommet des non-alignés, Téhéran, le 30 août 2012 (photo AFP)
Devenus les maîtres du monde, les Etats-Unis n’ont cessé au cours des vingt dernières années de vouloir l’asservir à leurs propres intérêts, voulant mettre la main sur les ressources d’énergie et protéger l’entité que l’Occident a créée au Moyen-Orient, "Israël". Ils ont lancé des guerres, suscité des conflits, affaibli l’Europe en l’empêchant de devenir une puissance économique, politique et militaire et cherché à isoler ceux qui osaient s’opposer à leurs intérêts. Ils ont ainsi envahi l’Irak, occupé l’Afghanistan et mené une « guerre douce » contre l’Iran accusée de vouloir se doter de la bombe nucléaire. Ils auraient pu croire qu’ils pouvaient atteindre leurs objectifs et faire plier le monde sous leur autorité. Mais la résistance des peuples a commencé à leur mettre des bâtons dans les roues. Ils ont ainsi dû affronter dans le monde la Chine et la Russie ainsi que d’autres puissances émergentes comme le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, et dans la région, l’Iran, mais aussi l’axe dit de la résistance qui va de Téhéran jusqu’à Gaza en passant par la Syrie et le Liban.
Ouverture du sommet des Non-Alignés par Ali Khamenei (au centre), le 30 août 2012 à Téhéran (photo AFP)
La tenue du sommet des Non-Alignés à Téhéran reflète ainsi cette nouvelle réalité. Le pays mis an ban des nations et que les Etats-Unis voulaient isoler avant de le détruire a pu ainsi accueillir les représentants de près de 120 pays, autrement dit, il a accueilli une des plus importantes réunions internationales après l’Assemblée générale des Nations Unies. Si ces pays sont en conflit sur de nombreux sujets, ils sont tous d’accord pour la nécessité de relancer le mouvement des Non-Alignés pour créer un contrepoids à l’unilatéralisme américain. C’est d’ailleurs en gros la teneur du discours prononcé par le leader de la Révolution islamique en ouverture du sommet.
Au-delà des discours politiques, cet événement est donc de la plus haute importance pour le monde dans son ensemble puisqu’il annonce un changement dans la stratégie. Les forces réunies à Téhéran, qui représentent plus de la moitié des habitants de la planète, ont déclaré même indirectement qu’elles veulent désormais exister et défendre leurs propres intérêts, qui parfois peuvent coïncider avec ceux des Américains et parfois y être opposés.
C’est donc d’abord à ce niveau que le sommet de Téhéran est important. Mais il existe aussi d’autres niveaux qui ne sont pas moins importants, comme la participation de l’Egypte, avec l’arrivée à Téhéran de son nouveau président Mohammed Morsi. L’Egypte qui est l’un des pays fondateurs du mouvement des Non-Alignés du temps de Gamal Abdel Nasser est venue marquer sa volonté d’exister sur la scène internationale et régionale, non pas en tant que pays aligné sur la politique américaine, mais en tant que pays qui se construit et qui se cherche en essayant d’avoir une politique propre. Cela aussi est un évènement de la plus haute importance, surtout après les années de rupture totale des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Egypte. Certes, le pays des Pharaons sera soumis à de fortes pressions de la part des Etats-Unis et de leurs alliés arabes, notamment sur le plan économique, pour qu’il n’aille pas trop loin dans ses nouveaux contacts, mais la dynamique du retour de l’Egypte sur la scène régionale et internationale est lancée et elle ne s’arrêtera plus. Même si elle doit prendre du temps. En tout cas, l’Egypte compte visiblement utiliser toutes les voies possibles pour desserrer l’étau économique qui cherche à l’étouffer, quitte à brandir la carte des relations avec l’Iran pour effrayer les autres pays arabes et élargir surtout sa propre marge de manœuvre.
Enfin, si l’Iran a montré, à travers ce sommet qu’elle ne se laissera pas entraîner dans une discorde régionale confessionnelle, comme le souhaitent les Américains et leur allié israélien en accueillant de nombreux pays arabes, la présence de l’ancien secrétaire d’Etat américain adjoint, promu conseiller politique du secrétaire général de l’Onu, Jeffrey Feltman à Téhéran n’est certainement pas banale. L’homme qui a longtemps constitué le fer de lance de la politique étrangère américaine d’hostilité contre Téhéran et contre l’axe de la résistance est donc venu au cœur de « l’axe du mal » et a même assisté aux entretiens de Ban Ki Moon avec les responsables iraniens. La situation pourrait être risible si quelque part, elle ne montrait pas un changement dans l’attitude arrogante des Américains dans la direction du monde. Sans aller jusqu’à dire que c’est le début d’un dialogue direct entre les Etats-Unis et l’Iran, puisque Feltman est officiellement à Téhéran sous le label des Nations Unies, cette présence est l’indice d’un changement dans l’approche unilatérale américaine. Feltman, qui reste un citoyen américain et dont la présence à l’Onu n’est que la confirmation de la mainmise américaine sur cette institution internationale, a quand même voulu être aux premières loges dans les discussions à Téhéran. Pragmatisme, crainte de la relance réelle du Mouvement des Non-Alignés sur l’impulsion de Téhéran ? Les prochaines semaines permettront d’avoir plus de précisions sur la véritable mission de Feltman à Téhéran, mais ce qui est sûr, c’est que quelque chose a changé dans le monde et les Etats-Unis sont à l’affût…
Source : French Moqawama
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