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Rome brûle à Alep et Damas

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Le jugement des historiens sur Néron lyricine et aurige contemplant Rome en flammes le traitant de fou et d’impie est injuste. Néron était un fin lettré, curieux de techniques et goûtant les sciences, il fut éduqué par Sénèque et Chaeremon, un Égyptien scribe sacré ancien directeur du prestigieux Musée d’Alexandrie. Les deux précepteurs ont établi une correspondance entre les mystères divins égyptiens et la doctrine du Portique. Sénèque lui a concocté une théologie politique, syncrétisme solaire alliant le culte d‘Apollon et l’héliolâtrie de Râ. Un certain Louis le Quatorzième n’a-t-il pas cédé à ce précédent avec son Soli Soli Soli ? Certes, il a fait assassiner Agrippine sa mère, sa seconde femme, Poppée, et invité au suicide nombre de ses conseillers, mais ce fut au titre du principe de l’indivisibilité du pouvoir, insociabile regnum.

Rome brûle à Alep et Damas

Grève des salariés de WalMart, Argentine, 25 décembre 2012
Quand il montait sur scène, c’était pour communier avec son peuple, il se présentait à lui comme l’incarnation d’Apollon. Dans sa page célèbre, Tacite nous livre l’engouement des Romains pour le spectacle. « Rome a des vices particuliers qui saisissent l’enfant à peine conçu, l’enthousiasme pour les histrions, le goût effréné des gladiateurs et des chevaux. Quelle place une âme obsédée envahie par ces basses passions a-t-elle encore pour les arts honnêtes... ? »

Ici, nous avons le grand débat sur Depardieu, la messe du ballon rond, les feuilletons télévisés, la croyance périodique que la fin du monde est imminente au travers de canulars de dimension planétaire. Les élections donnent lieu à des pugilats et la séduction des foules passe par la présentation d’une compagne photogénique qui pousse un peu la chansonnette et se montre volontiers dénudée.
Les journaux les plus vendus offrent du sexe et de la violence, le propriétaire de leurs titres devient faiseur de rois, d’empires et oriente le devenir du monde.

Il aurait pu être choisi comme emblématique pour cette année écoulée la révélation que l’indice le plus usité en matière bancaire, le Libor calculé selon une certaine moyenne à partir de taux d’intérêts auxquels se prêtent les banques entre elles, résulte non de chiffres réellement appliqués mais de l’intégration de fausses informations livrées par les banques privées elles-mêmes encouragées le plus souvent par les directions des Banques Centrales des États dont dépend leur siège. Les mensonges sur ces taux sont faits pour dissimuler la situation réelle de ces banques et le peu de confiance qu’elles se font, mais ils sont pieux.

Cette correction apportée à la vérité des comptes relève en effet d’une piété.
Les autorités publiques des entités nationales occidentales en charge de l’économie, rôle tenu par alternance avec les directions bancaires privées, mentent et couvrent le mensonge pour que se perpétue la fiction de la solidité du système financier dont dépend maintenant la quasi-totalité de l’activité humaine.

Cette entente qui concerne les plus grandes banques britanniques, allemandes, françaises et helvétiques et les lie à leurs « agences traitantes » au sein des pays respectifs dont elles relèvent n’est bien sûr ni un complot ni une conspiration. Le Libor comme d’autres indices sont en plus généralisés et rendent plus opaque le village Potemkine de ce siècle, ou encore les bilans établis par les directions de certaines unités de production soviétiques pour êtres congruents avec les ambitions affichées du Plan en cours.

Avec une particularité de taille, c’est que le traitement de ces données par un lissage qui est favorable à ces mégabanques d’une part affecte l’économie mondiale, soit chacun d’entre nous ; d’autre part, ces institutions financières travaillent avec des ressources collectives, les dépôts des particuliers et celles de fonds qui proviennent d’un effort d’épargne également collectif.

Les membres des directions du FMI, de la Banque Mondiale, des plus grandes entités bancaires, sont alternativement membres de gouvernements ou émargent aux commandements des Banques Centrales qui comptent. L’entrecroisement naturel entre ces entités dessine un tissu dense qui réarrange la vérité, la produit en quelque sorte et rend bien pâles les figures du Politburo et des Comités Centraux, lesquels affichaient à l’époque benoîtement leur idéologie collectiviste.

La théorie économique du libéralisme se vérifie encore une fois comme celle qui promeut l’antinomie de la liberté tant sont fortes les contraintes imposées par quelques-uns au plus grand nombre, condamné qu’il est à ne pouvoir choisir ni son travail quand il peut en avoir ni la destination du fruit de son travail, sans cesse capté et réinjecté dans la machinerie qui l’en déleste.

En ces temps de plicature du temps en cours, un autre événement aurait pu être avancé, WalMart, modalité du parasitisme qui détourne le métabolisme de l’hôte à son profit en le précarisant et sans égard à la pérennité de son habitus. La grande distribution, c’est-à-dire les grandes surfaces où sont proposés depuis le médicament jusqu’au voyage de noces en passant par les aliments enrichis en huile de palme dans une ambiance sonore et lumineuse qui incite à acheter plus que nécessaire, a modifié les centres urbains. Elle a contribué à modifier les villes d’abord lieu permanent d’échanges commerciaux, elle les a désertées pour s’étaler à leur périphérie. De simple intermédiaire, elle a décidé des produits à vendre avant de les faire fabriquer là où c’était le moins coûteux, contribuant à peser négativement sur la balance commerciale des pays où elle est implantée. Une gamme étroite d’emplois peu rémunérés, précaires et très souvent accordés comme des temps partiels, ne peuvent être supprimés pour majorer les profits, les mises en rayon se font déjà grâce à des automates, le métier de caissières tend à disparaître. La chaîne déploie une campagne d’intimidation de ces travailleurs pour les dissuader de se syndiquer, menaçant explicitement de supprimer les vacances et les petites primes trimestrielles. Un phénomène inattendu s’est produit. 3000 employés de la chaîne Walmart en Argentine, l’arrière-cour où s’était mise au point la contre-révolution mondiale décrétée par les Chicago Boys et exécutée par les généraux latino-américains dans les années soixante-dix et quatre-vingts, ont décrété une journée de grève par solidarité avec leurs collègues des US(a). L’internationalisme effectivement redoutable du capital en dégénérescence a donné lieu au réveil miraculeux de celui des gueux. Surimpression faite sur le palimpseste du volume temporel enroulé sur lui-même, se laisse lire sur un coin de la figure exposée un morceau d’anecdote : les six membres de la famille Walton propriétaire majoritaire de Walmart détiennent un patrimoine égal à celui de 30% des plus pauvres des Étasuniens. Drôle d’équivalence, 6 individus d’un côté et 94 millions de l’autre.

Troisième accessoire pour ce théâtre sans coulisses, où tout est apparent, coutures, gros fil, masques revêtus d’une vraie peau ne laissant aucun doute sur les personnages, le discours porté sur véhicule tendant à l’unicité de la presse. Rupert Murdoch pèse d’un royaume qui a phagocyté l’écrasante majorité de la presse papier, l’édition, le cinéma, les chaînes de télévision câblées et satellitaires, ce qui fait l’opinion de ce côté-ci du monde. Qu’il ait été à l’origine de la mise sur orbite de Margaret Thatcher, la grande maîtresse portée au pouvoir pour l’immolation de l’industrie et de sa classe ouvrière occidentales, de son épigone en libéralisme économique Reagan puis de celle de Tony Blair, Bush et Cameron, ne fait aucun doute et ne fait pas scandale. La mise sur écoutes illégales, permises par la complicité de membres de la police de Sa Majesté, de diverses personnalités politiques et du spectacle, lui a coûté quelques amendes mais c’est peu à côté de l’émotion suscitée par la prise du contrôle du téléphone portable d’une petite fille victime d’enlèvement et d’assassinat. La nécessité de produire du sensationnel pour vendre du papier a poussé les journalistes devenus fabricants de nouvelles à abuser de parents en détresse et révélé des pratiques que l’opinion pourtant manipulée a rejetées. Il avait cédé un ancien rédacteur en chef de l’un de ses tabloïds comme conseiller du cabinet de David Cameron, Andy Coulson a été sacrifié en 2011. Lors des auditions devant une commission d’enquêtes quand Murdoch convoitait l’achat du premier bouquet de télévision satellite britannique BSkyB, l’aveu de ses amitiés particulières avec les ministres de l’Économie et de la Culture n’ont produit aucune démission. Ce sont des mœurs admises.

La puissance de cette machinerie à désigner des chefs d’États, dont l’un des fers de lance est la redoutable Fox News, est telle qu’elle peut s’enorgueillir avoir débauché David Petraeus de son poste militaire dans les affaires d’Irak et d’Afghanistan, l’avoir installé à la tête de la CIA pour pouvoir se lancer à la conquête de la présidence des US(a).
Les spots politiques ne représentaient aux US(a) qu’un faible pourcentage des recettes publicitaires. Dans les années électorales, il peut atteindre 20% des ressources.
Les chaînes télévisuelles se nourrissent de cette importante rentrée d’argent, elles se transforment dès lors en force de proposition politique. Elles créent le candidat, détruisent par des rumeurs et des campagnes de dénigrement bien orchestrées les adversaires ; en effet, pas besoin de construire un programme de gouvernement, il suffit de salir le camp adverse.
Pour plus d’efficacité économique, une annonce de 30 secondes coûte plus de 6000 dollars, comme dans les chaînes de la grande distribution, on s’adresse à un cycle court. Autant fabriquer sa propre marque et présenter son propre candidat local ou à l’échelle fédérale.
On l’a vu, le milliardaire des casinos Sheldon Adelson a échoué malgré sa détermination de triompher d’Obama pas assez sioniste à son goût avec son Gingrinch. Il n’avait pas suffisamment d’entrées dans l’industrie de la télévision.

Par ailleurs, il se mesure la faiblesse toute relative de l’AIPAC qui n’est pas parvenu à placer Mitt Romney, lequel avait tout le soutien de Netanyahu. Ceci annonce un point d’inflexion de plus dans la succession des mouvements tonico-cloniques de cet embrasement désordonné de cette Rome qui se tord en tous sens portée à l’incandescence sous le feu de son propre spectacle décadent.

Tacite encore : « Combien trouvez-vous de jeunes gens qui à la maison parlent d’autre chose et quelles autres conversations frappent nos oreilles, si nous entrons dans une école ? (...) Les maîtres eux-mêmes n’ont pas avec leurs auditeurs de plus ordinaire entretien ? »

Les bruits des armes qui tintent en Syrie, la belle que se sont disputés Seleucos, fondateur des Séleucides et Ptolémée Sauter à l’origine des Lagides d’Égypte, tous deux héritiers d’Alexandre de Macédoine, serviraient de fond sonore pour rythmer les amusements télévisuels. Dans cette guerre, il n’y a qu’un seul vaincu, le peuple syrien soumis tragiquement à sa division pour entretenir le théâtre de la lutte du Bien contre le Mal.
Rome brûle à Alep et à Damas.


Badia Benjelloun
29 décembre 2012


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