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Israël - 21 mars 2009
Par Gideon Lévy
Ça suffit comme ça d’être paranoïdes : le monde n’est pas contre nous. Au contraire : il n’y a pas d’autre Etat auquel les membres de la famille des nations pardonnent ainsi les assassinats, les colonies et l’occupation qu’il poursuit. Il n’y a dès lors pas non plus de raison de craindre l’avenir. Le monde acceptera docilement l’équipe de rêve Netanyahou-Lieberman-Ya’alon et avalera tout ce qui lui sera poussé dans le gosier. Pourquoi ? Comme ça. Réjouissez-vous de vivre en Israël en ces temps merveilleux et taisez-vous.
Coïncidence ? Le lendemain du match de tennis opposant, sans public, Israël à la Suède, une menue information était publiée sur le site Internet de « Haaretz » : des historiens ont découvert que la Suède, ancienne puissance du tennis, avait aidé la machine de guerre nazie par l’octroi de crédit aux entreprises allemandes.
Coïncidence ou non, neutre en 1941 ou non, 68 ans plus tard, l’opinion publique suédoise n’est à l’évidence pas neutre : des milliers de personnes ont manifesté contre Israël qui a été forcé de taper sur une balle de tennis, comme un lépreux, sans public. Personne en Israël n’a demandé pourquoi Israël était considéré en Suède comme un lépreux. Personne n’a osé demandé si la guerre à Gaza valait le prix que nous payons maintenant, d’Ankara à Stockholm. Il nous a suffi de rappeler que les Suédois avaient toujours été contre nous. Le fait qu’il y ait eu des périodes où les Suédois se sont vautrés dans l’amour d’Israël était écarté de la conscience. Le monde est toujours contre nous, voilà tout.
Sauf que le monde n’est pas contre nous. C’est même le contraire qui est vrai : la vérité c’est qu’il n’y a aucun autre Etat auquel le monde passe aussi facilement ses caprices, aujourd’hui encore. Oui, aujourd’hui encore. Certes, l’opinion publique mondiale est très critique, parfois d’une manière qu’elle réserve à Israël. Mais la majorité des gouvernements, sans le Venezuela ni la Turquie mais bien avec l’Egypte et la Suède, sont éloignés de ce qui se murmure dans leur opinion publique.
Le monde officiel continue d’être aux côtés d’Israël, en dépit de tous ses méfaits. La montée du Hamas, le renforcement de la haine de l’Islam en Occident et l’hégémonie américaine servent de vent favorable et puissant, et nous savons merveilleusement en tirer tout le profit possible.
Quelle différence y a-t-il entre le joueur de tennis national Andy Ram et le joueur de tennis national Thomas Johansson ? C’est que Johansson et ses fans survoltés ont vu les images de Gaza alors que Ram et ses fans insouciants ne les ont probablement pas vues.
Si Andy Ram avait vu les images, peut-être aurait-il lui aussi manifesté. Mais ce désagrément-là a été épargné à Ram, comme à la majorité des Israéliens, et cela sous le patronage des médias israéliens mobilisés pour gaver et rendre obscur.
Nous est-il vraiment permis, à Andy Ram et à nous, d’injurier ceux qui ont été choqués par les images en provenance de Gaza ? Ceux qui osent protester contre les responsables de ces scènes ? Exigeons-nous du monde de se taire, une fois encore ?
Les manifestants de Stockholm brandissaient des calicots contre la violence et le racisme. On peut sans doute demander pourquoi ils ne manifestent que contre nous – il y a encore d’autres endroits racistes et violents dans le monde – mais il n’est pas possible de se demander simplement pourquoi ils manifestent.
N’y a-t-il pas eu de violence à Gaza et n’y a-t-il pas de racisme en Israël ? Si nous étions suédois, ne serions-nous pas en train de protester contre la mort et la destruction semée pour rien par Israël ?
Mais il ne faut pas non plus trop s’émouvoir de l’opinion publique orageuse en Suède ; son gouvernement de droite est, comme tous les gouvernements européens, infiniment moins agité. Il nous suffira de rappeler cette scène surréaliste lorsque, au plus fort de l’attaque brutale contre Gaza, les dirigeants de l’Union Européenne sont venus en Israël, ont dîné à la table du Premier ministre, dans une démonstration de soutien unilatéral aux côtés du tueur et du démolisseur, qu’ils n’ont pas songé à visiter Gaza ni ouvert la bouche pour critiquer Israël. Ça, c’est l’Europe officielle.
Rien à craindre
Maintenant, à la veille de la constitution d’un nouveau gouvernement, s’insinue la crainte qu’en raison de sa composition, Israël ait à payer un prix international élevé. Pas d’inquiétude à avoir : tout va baigner. Le monde accueillera Benjamin Netanyahou comme l’homme d’Etat numéro un d’Israël, Avigdor Lieberman comme l’ambassadeur numéro un et Moshe Ya’alon comme le soldat numéro un. Les déclarations agressives de Lieberman et les violences de l’armée israélienne sous le commandement de Ya’alon dans les Territoires [occupés], ne constitueront pas un obstacle. Le monde les acceptera aussi.
De même, la crainte qui se renforce et selon laquelle la nouvelle administration américaine pourrait modifier les règles du jeu, a des chances de se révéler exagérée. La nouvelle Amérique de Barack Obama a déjà repris l’engagement de faire le ménage derrière Israël, comme d’habitude.
Les 900 millions de dollars que l’administration s’est engagée à apporter pour la reconstruction de Gaza, sans un mot de critique à l’encontre de celui qui a causé ces destructions, comme si elles étaient l’œuvre du ciel et non d’une armée qui n’a pas de frein, et le tout de surcroît dans la situation économique actuelle des Etats-Unis, sont de mauvais augure pour ceux qui espèrent un changement.
C’est avec des armes américaines qu’Israël a détruit Gaza, après quoi l’Amérique et l’Europe à sa suite passent réparer – ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière. Ce qui était sera ; le boucher abattra et le système s’épanouira : Israël continuera de dévaster et l’Amérique de passer après lui, sans rien dire.
Mauvais présage ? Oui, pour ceux qui pensent que le changement ne pourra venir que de l’extérieur, autrement dit, d’Amérique. Voyez comment est contrecarrée la Conférence de Durban II, par crainte d’une ligne dure qui serait adoptée à l’égard d’Israël.
Voyez comme a été annulée, aux Etats-Unis, la nomination de Charles Freeman à la tête du National Intelligence Council, sous la pression du lobby juif tout-puissant. (*) Pourquoi ? Parce qu’il est «anti-Israël».
Quelqu'un connaît-il un autre pays qui puisse bénéficier d’un appui international aussi large ? Mais nous nous plaignons toujours : le monde entier est contre nous. C’est bon pour resserrer les rangs ici et excellent pour soutirer toujours plus de soutien dans le monde. Le Cosaque dévalisé a de nouveau frappé.
Les sombres prophéties d’un changement dans les rapports des Etats-Unis à Israël, sont aussi vieilles que l’Etat. Chaque fois que l’administration change aux Etats-Unis, la crainte reprend des forces. Mais de Président en Président, notre force augmente : lorsque George Bush a accédé à la présidence, on nous a mis en garde contre ce Texan, ami des Arabes et du pétrole, et qu’avons-nous eu ?
Jamais il n’y avait eu un Président aussi «partisan d’Israël», lui donnant à ce point carte blanche pour toutes ses colonies, ses assassinats et ses conquêtes. Obama fait peur lui aussi : le voilà déjà à discuter avec l’Iran et avec les Taliban. On peut supposer que cela aussi se révélera une crainte surfaite, dès qu’il s’agira d’Israël.
Ça ne durera pas éternellement ?
L’intérêt international pour Israël est disproportionné. La semaine dernière, n’importe quel chauffeur de taxi de la ville de Bursa, en Turquie, pouvait vous dire de mémoire les noms de Lieberman, Tzipi Livni, Benjamin Netanyahou et même Avi Mizrahi, le général qui a critiqué leur pays.
Le moindre frémissement dans le processus de coalition en Israël fait immédiatement les grands titres dans le monde entier. La politique intérieure d’aucun autre pays ne retient à ce point l’attention du monde. Seulement celle d’Israël.
Que ce soit bon ou mauvais pour les Juifs, il est difficile de reconnaître les racines de ce phénomène. Cela fait des décennies que le monde gobe quasiment toute entière la narration sioniste. L’occupation s’est poursuivie sans entrave véritable, tout comme la colonisation, pendant plus de 40 ans. En dehors de quelques bougonneries et de quelques résolutions internationales que personne n’avait sérieusement l’intention de faire appliquer, Israël continue d’appartenir au camp des bons. Les Arabes, eux, sont les mauvais.
Le nouvel état d’esprit anti-islam renforce cette tendance et Israël en sort une fois encore gagnant. La critique portée contre les médias occidentaux de la part des sympathisants d’Israël est, elle aussi, très exagérée. Une journaliste suédoise a récemment été congédiée par son journal pour avoir pris parti en faveur du point de vue palestinien dans le conflit. On imagine difficilement que son journal eût agi de même s’il s’était agi, par exemple, d’une journaliste juive ayant donné à entendre des paroles de soutien à l’égard d’Israël.
J’ai un jour été interviewé pour la première chaîne française de télévision, qui est une chaîne commerciale, à l’endroit où l’armée israélienne avait tué la fille unique d’une femme paralysée et j’avais déclaré que c’était le genre de moments où j’avais honte d’être israélien. Mes paroles n’ont pas été diffusées. Le lendemain, le reporter de la chaîne m’avait expliqué que, par crainte des téléspectateurs, les éditeurs avaient décidé de ne pas diffuser cette phrase que j’avais prononcée.
Lorsqu’un jour j’ai publié un article dans le journal allemand «Die Welt», qui appartient à la maison d’édition d’Axel Springer, un éditeur qui exigeait de tous ses journalistes qu’ils signent un engagement à ne jamais remettre en cause le droit à l’existence de l’Etat d’Israël, l’éditeur m’avait dit : «Si cet article critiquant l’occupation avait été écrit par un journaliste allemand, il n’aurait pas été publié chez nous».
Malgré les opinions critiques de plus en plus fortes à l’égard d’Israël, l’Europe reste très prudente. Entre culpabilité du génocide et peur de l’islam, avec une Europe qui se traîne aveuglément derrière les Etats-Unis où qu’ils aillent, Israël jouit encore, comme Etat, d’un statut privilégié dans le monde – extrêmement privilégié.
Peut-être cela ne durera-t-il pas éternellement. Peut-être que plus nos actes empireront et plus les critiques se durciront aussi. En attendant, deux guerres vaines en deux ans n’y ont pas suffi. Mais peut-être viendra-il un moment où le monde en aura assez de notre brutalité et de notre violence qui menacent la paix mondiale, et peut-être nous dira-t-il enfin : l’occupation, ça suffit. Ça suffit, ces guerres qu’Israël lance et pour lesquelles le monde doit ensuite payer.
Peut-être que lorsque l’équipe de rêve d’Israël, Netanyahou-Lieberman-Ya’alon, se retrouvera face à l’équipe de rêve américaine, Obama-Clinton, conservateurs vs libéraux, instigateurs de guerre vs partisans de la négociation, il en sortira quelque chose. En attendant, rappelez-vous : Israël a battu la Suède, en tennis, 3-2. Une fois de plus, la justice l’a emporté.
(*) L’auteur de la traduction anglaise de cet article pour le site Internet haaretz.com n’a pas jugé bon de conserver cette phrase. [ndt]
Source : www.haaretz.com/hasen/spages/1070657.html
Traduction : Michel Ghys
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