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ISM France - Archives 2001-2021

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Palestine -

Les yeux bandés

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Jetez un coup d'œil à la photo devant vous. Nous l’avons prise par hasard l'automne dernier. Au cours d’une autre interminable attente au checkpoint d’Huwara, en allant écouter une autre histoire à Naplouse, nous avons vu cet homme être arrêté.
Bingo, le jeu des soldats du checkpoint. Nous ne connaissions pas son nom, ni la raison pour laquelle il a été arrêté ou quand il sera remis en liberté, si l’est un jour. Mais nous avons remarqué son allure fière : solitaire, droit.

Les yeux bandés


Ses yeux avaient déjà été couverts d’un tissu en flanelle par les FDI, comme ceux utilisés pour le nettoyage des fusils, et ses poignets étaient sur le point d'être attachés avec des menottes en plastique. Nous semblions plus perturbés par son arrestation soudaine que lui.
Après 41 ans, les Palestiniens sont habitués à cela, qu’un jour ordinaire, sur le chemin ou au retour du travail, tout puisse être brutalement chamboulé.

Ce fut une année de routine, une autre année de l'occupation dont la fin n'est pas en vue. Entre Rosh Hashana 5768 et Rosh Hashana 5769, nos forces ont tué 584 Palestiniens dont 95 mineurs. Beaucoup moins qu'en 2002, où 989 avaient été tués, beaucoup plus qu'en 2005, avec 190 tués. Dix-huit Israéliens ont également été tués au cours de la dernière année, beaucoup plus que l'année précédente, où seulement cinq avaient été tués, et beaucoup moins qu'en 2002, où 184 Israéliens avaient été tués. Dans l'ensemble, une année moyenne pour le bain de sang.

Tout cela a été observé par la société israélienne avec les yeux bandés. Même les près de 60 Palestiniens qui ont été tués au cours d’une noire journée d'été dans la bande de Gaza ont été à peine mentionnés dans les journaux. Avec les yeux bandés, la société israélienne continue de regarder la routine l'occupation, les femmes enceintes qui perdent leur bébé aux checkpoints, les agriculteurs victimes des colons sans foi ni loi, les raids nocturnes, le chômage, la pauvreté et l'espoir qui est mort il y a longtemps.


Au cours de la dernière année, nous avons à peine entendu parler de la vie sous le siège dans la bande de Gaza. Depuis deux ans maintenant, nous, la poignée de journalistes israéliens qui cherchons à remplir notre mission journalistique, avons été interdits par des ordres israéliens de pénétrer dans la bande de Gaza.

Lorsque j'ai interrogé le Ministre de la Défense, Ehud Barak, il y a quelques semaines, il ne semblait pas être au courant de l'interdiction. Il a donné l’ordre à un collaborateur de se pencher sur la question, mais bien sûr, nous n'en avons jamais entendu parler. Il n'est pas du tout surprenant que le ministre de la Défense israélien n'ait pas entendu parler de l’interdiction faite aux journalistes israéliens de couvrir Gaza conformément aux ordres de ses propres effectifs de la Défense : Gaza n'intéresse personne en Israël.

Et ainsi une autre année vient de s’écouler, et nos yeux sont restés bandés.

Avec la petite lampe de poche encore en notre possession, nous avons essayé ici, au cours de l’année dernière, de braquer des lumières bien pâles sur la routine de la vie sous l'occupation. C’est un travail ingrat où nous récoltons peu, mais nous persévérons. Quelques bribes glanées ça et là dans l’arrière-cour ombragée de l'État, la seule démocratie au Moyen-Orient.

Au milieu d'une nuit au début de l'année 5768, des soldats des FDI ont pénétré dans les maisons du camp de réfugiés d’Ein Beit Ilma à Naplouse, en pourchassant un homme recherché. Ils sont allés d'un logement à l'autre en détruisant les murs. Des trous béants dans les salons des pauvres maisons, des cuisines détruites, et une petite fille terrorisée debout au milieu des gravats lavant la vaisselle.

Quelques semaines plus tard, c'est au tour d'un vieux couple, à Naplouse. Pendant une nuit entière, les Wazir sont restés seuls à trembler de peur dans leur petite maison alors que des explosions et des coups de feu retentissaient à l'extérieur, jusqu'à ce qu’un ordre de quitter la maison soit donné. Abdel Wazir, l'oncle du légendaire Abou Jihad (Khalil Al Wazir), est sorti à l’extérieur et a été immédiatement abattu par des soldats. Il avait 71 ans, le Shahid le plus âgé.

Ensuite, nous avons raconté l'histoire de Ma'ida al-Akel, qui est allée en Jordanie pour rendre visite à sa mère malade et a été empêchée de revenir, peut-être pour toujours, auprès de son mari et de ses six enfants.
La semaine suivante, nous avons parlé des Hashlamoun d'Hébron. Nora et Sami ont été placés en détention administrative - sans procès, sans actes d’accusation. La grand-mère de six enfants fait de son mieux pour s'occuper d'eux.

Les 63 membres de la famille Qa'abneh, des Bédouins, ont été séparés de leur source de revenus par la barrière de séparation près de Bir Naballah.
Dans le secteur de Tarqumiya, 150 réfugiés de 1948 sont devenus une seconde fois des réfugiés quand ils ont été expulsés de leurs maisons cette année, en raison de la construction du checkpoint.

Mohammed Ashkar a été tué d’une balle dans la tête tirée à bout portant au cours d'émeutesdans la prison de Ketziot, à la maison, son frère Lo'ai, paralysé des jambes suite aux tortures du Shin Bet l’attendait.
Un autre prisonnier, Imad Khotri, torturé par le "Major Effi" du Shin Bet, est resté paralysé des bras, dans la prison de Kishon.
Le jardinier au chômage, Firas Kaskas, a été tué au cours d’une randonnée avec des amis dans un oued, près de Ramallah, laissant derrière lui trois filles - des soldats l'ont visé de très loin.

Les FDI, la police des frontières et le Shin Bet n’ont pas été les seuls: L'année dernière a surtout été l'année des colons. Au cours des derniers mois, leurs actes de violence ont terriblement augmenté, tandis que les FDI et la police restaient à côté les bras croisés - et dans un cas au moins, ils se sont joints à eux. Ils ont semé la peur et de destruction lors d'une action de représailles dans le village d'Al-Funduq: Cinq colons de Havat Gilad ont tellement frappé un berger Hashem Ahmed, 51 ans, qu’il a dû être hospitalisé.

À plusieurs reprises, des colons d’Asaël ont attaqué des membres de la famille Abu Awad, les bergers du sud des collines d'Hébron, et ont détruit toutes leurs maigres possessions.

À la suite de l'article sur ce cas, un Israélien bien connu, au bon cœur, qui souhaite garder l'anonymat a fait un don très généreux à la famille et un médecin de Médecins pour les Droits de l’Homme s’est arrangé pour quatre des enfants de la famille qui ont un grave maladie de la peau, soient examinés dans son hôpital. Une famille voisine, la famille Abou Qabeitas, a été attaquée par des colons de Beit Sussia et de Yattir. Ils ont mis le feu aux maisons, empoisonné des moutons et même tiré des obus de mortier.

Tué dans l'exercice de ses fonctions : un policier palestinien Mohammed Salah, qui a osé arrêter une voiture d’agents israéliens à un checkpoint dans Bethléem. Ils l'ont tué juste après qu’il ait ouvert la porte de leur voiture pour les contrôler.

Et puis il y a eu les bébés nés sous une mauvais étoile : Kifah Sider a été obligée d’accoucher sur la route, dans le froid glacial d'hiver, à Hébron, après avoir été retardée au checkpoint de Tel Rumeida. Son bébé est en bonne santé, mais Abu Radas a ont été moins chanceux: 75 minutes après que Mu'ayyad ait supplié en vain que son épouse soit autorisée à franchir le checkpoint d’Hawara pour se rendre à l'hôpital de Naplouse, elle a accouché – un bébé mort-né - au checkpoint.

Pendant ce temps, Fawziya al-Daraq est arrivée au checkpoint de Tulkarem après une crise cardiaque. Son mari a plaidé des les autoriser à passer pour aller à l'hôpital de Tulkarem. Ils ont été refoulés au checkpoint et Fawziya est morte.

Ghassan Burqan a également voulu franchir un checkpoint pour se rendre chez lui dans le quartier de Tel-Rumeida à Hébron. Ghassan transportait une nouvelle machine à laver sur la tête, un cadeau pour son épouse. Les agents de la police des frontières ont affirmé qu'il avait tenté de les attaquer avec la machine à laver et l’ont détruite et, heureusement, le juge militaire l’a relâché, et un fidèle lecteur israélien lui a acheté une nouvelle machine à laver.

La famille d’Omar Alian a été forcée d'attendre pendant 12 heures après qu’il soit décédé d'un cancer dans la maison de ses parents avant d’être autorisés à ramener son corps de l'autre côté du checkpoint qui fermait l’accès au quartier Sheikh Sa'ad de Jérusalem.

À une autre occasion, des soldats israéliens ont ouvert le feu sur un taxi Mercedes-Benz tout neuf au carrefour de Gush Etzion, avec une famille, dont un bébé, à l'intérieur. Quand ils ont découvert qu'ils avaient mis en danger la vie d'une famille innocente, ils ont confisqué le taxi pour "enquête". Il a été rendu quelques jours plus tard, complètement abimé.

Les soldats ont volé des bijoux d’une valeur de milliers de shekels à Mohammed Abu Arkub, un barbier. Au cours d’une fouille de fin de soirée, un voisin, le carreleur Sami Huatra, s’est fait tirer dessus sans aucune raison, et a été laissé là à saigner pendant un long moment. Fadi Darabiya a reçu des coups de pied tellement fort au niveau de l'aine par des soldats qu'il a perdu un testicule. D'autres soldats ont tiré sur un jeune presque aveugle, Ahmed Sabarna, de Beit Umar, quand ils ont soupçonné que quelqu’un jetait des pierres dans leur direction.

Le "Capitaine Joe", un officier de l'armée, a laissé derrière lui à Azzun des tracts menaçants, dans le genre mafieux, au nom des Forces de Défense israéliennes. "Le Capitaine Joe viendra dans le village et tirera des coups de feu mortels sur les habitants, arrêtera les enfants et fermera les magasins", préviennent ses missives.

Un autre "capitaine", de l'Administration civile, a été responsable de la destruction des terrasses spectaculaires de la région de Beit Ula. Deux années de travail acharné et une contribution majeure de l'Union Européenne perdues en deux heures.

Cette année, les soldats ont aussi enlevé deux bergers dans la Vallée du Jourdain et les ont gardés prisonniers toute la nuit, tandis que d'autres soldats participaient à leur recherche.
Le père de la jeune vidéaste de Na'alin a également été arrêté par des soldats. Jamal Amira a passé 26 jours en prison, sans aucune raison. Son seul péché : la vidéo tournée par sa fille, Salam, qui a osé documenter le tir sur un Palestinien attaché par un soldat et un commandant de brigade à Na'alin.

Après tout cela et plus encore, beaucoup ont été surpris que des membres d'une délégation de militants des droits de l'homme d'Afrique du Sud qui s'étaient rendus à Naplouse avec nous cette année, dont deux juges d'appel de la Cour suprême, aient déclaré que l'occupation israélienne était bien pire que l'apartheid

En souhaitant à tout le monde une autre bonne année d'occupation.

Source : http://www.haaretz.com/

Traduction : MG pour ISM

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