Israël - 17 mai 2005

Une journée dans la vie d’une étudiante palestinienne

Par Ilan Pappé

> pappe@poli.haifa.ac.il

Ce matin, un groupe d’étudiants palestiniens et juifs ont manifesté devant le grand amphithéâtre de l’université de Haïfa, où se tenait un colloque intitulé "Le problème démographique et la politique démographique israélienne", ce qui est un double euphémisme pour parler de la "menace démographique arabe" et de la "nécessité d’y faire face", au besoin par le transfert.

Les pancartes protestant contre ce colloque ont été brutalement déchirées et confisquées par les appariteurs de l’université, qui ont frappé et contusionné certains des étudiants, par la même occasion.

Les étudiants n’ont pas pu pénétrer dans l’amphithéâtre, car un mur – décidément, c’est une manie… – de tables et de chaises les en ont empêchés. Les caméras ont filmé tout leur saoul, prenant des photos des étudiants arabes, afin qu’on puisse les accuser de trouble à l’ordre public et qu’on puisse les traîner devant des conseils de discipline.


Une de mes étudiantes, L. H., une frêle jeune femme palestinienne, a réussi à se faufiler à l’intérieur. "Ils ont cru que j’étais juive", m’a-t-elle expliqué par la suite.

Elle a réussi à garder son calme quand un des conférenciers, un démographe, a développé les dangers de perdre la majorité juive en Israël, et elle a même réussi à rester zen quand le professeur Arnon Sofer a prétendu que c’était moi qui avait envoyé les étudiants manifester, dans la lignée de mon alliance avec l’Europe "agressive" et la Grande-Bretagne "douteuse".

Elle a même réussi à ne pas broncher quand il a expliqué qu’il ne permettrait jamais que Tel-Aviv devienne Le Caire.

C’est le genre de discours qu’on entend dans les meetings des divers mouvements Front National en Europe, ou dans les ralliements néonazis, à Berlin.
Ici, ils ont été proférés lors d’un colloque universitaire soutenu par le Recteur, qui y assistait en personne…


Mais mon étudiante en a eu sa claque quand Yoav Gleber a soutenu que tous les chiffrages des Palestiniens vivant en 1948 avaient été montés de toutes pièces pour des raisons politiques et qu’en tout état de causes, s’il devait choisir entre un Etat juif et une démocratie, il opterait pour l’Etat juif.

Elle s’est levée, elle a condamné ses propos et l’assistance l’a faite taire, en lui hurlant qu’elle était idiote. Après quoi, des appariteurs musclés l’ont sortie de l’amphi.


Aujourd’hui, L. H. (mon étudiante palestinienne) a peur d’aller en cours, si l’université où elle fait ses études ressemble bien à ce qu’elle a vu. Mais elle surmontera sa peur, et elle continuera à réclamer ce qui lui revient de droit et en justice.

La question, importante, c’est celle de savoir ce que tout ceci nous dit sur l’Université de Haïfa. Les intervenants au colloque figuraient parmi ses professeurs les plus émérites, mais les manifestants, eux aussi, appartenaient à cette université.


Le premier a jeté dehors le dernier : ils les a opprimé et réduit au silence. Une autre question se pose : Comment pouvons nous aider au mieux les étudiants palestiniens et juifs qui ont manifesté bravement et qui seront probablement mis en accusation ?

J'ai répondu à ces questions par le passé et j'ai suggéré que seule une pression extérieure pouvait aider, mais il reste la question bien plus importante : que se passera-t'il si rien n'est fait ?

Pouvez vous, comme moi, prédire les titres des conférences de l'année prochaine : "La signification et l'objectif du transfert"; "Encourager l'avortement des femmes palestiniennes", etc...

Parfois vous pensez vraiment que les autorités de cette université méritent tous les ennuis qu'ils ont rencontré ces derniers temps.