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Jérusalem - 8 décembre 2003
Par Leah Tsemel
Leah Tsemel, avocate israélienne, travaille à Jérusalem. Voici la version enregistrée du discours qu'elle a donnée sur l’enfance et les Droits de l’Homme à la Fondation Giogio Cini de Venise
Les principales victimes de l’occupation et de l’oppression sont les enfants. En Israël les lois du vieux Mandat britannique, qui datent d’avant l’indépendance, sont toujours en vigueur. Ce sont des lois d’oppression permettant à tout pouvoir d’occupation d’imposer des punitions collectives.
Mes parents ont quitté l’Europe avant l’holocauste dans lequel ils ont perdu presque toute leur famille. Ils sont arrivés dans cette partie du monde qui s’appelle aujourd’hui Israël, et qu’on appelait Palestine, pour m'assurer une vie meilleure et la sécurité dans Etat bien à nous. Après bientôt 60 ans, je ne peux pas dire qu’ils aient réussi ; au contraire. On dirait que mes parents et tous ceux qui voulaient construire l’Etat d’Israël n’ont pas compris qu’il est impossible de construire un futur nouveau sur les ruines de l’oppression.
Je défends les Palestiniens devant les juridictions d’Israël depuis quasiment 30 ans et en dépit de mes efforts je n¹ai toujours pas réussi, que se soit devant les tribunaux militaires ou devant la Cour suprême de Justice, à faire comprendre aux juges cette vérité essentielle. La situation se détériore et l’année dernière, comme aux cours des 25 années passées, j’ai fait deux ou trois pas en arrière pour chacun de mes pas en avant.
Ecrivain connu, David Grossman a écrit sur le blanchiment du vocabulaire par l’occupation israélienne.
«Occupation» est devenu en hébreu «Libération» ou «Salut».
«Coloniser» est devenu «Pacification»,
«Massacre» est devenu «Assassinat ciblé».
Les Palestiniens ont répondu à ces euphémismes en radicalisant leur langage.
Mes clients, quand ils viennent à mon bureau, me parlent des soldats et des colons; aujourd’hui ils disent al-yahud les Juifs. «Les Juifs ont pris ma carte d¹identité», « Les Juifs m’ont frappé», «Les Juifs ont détruit ceci ou cela».
Cela me terrifie. Si l’Etat d’Israël doit s’identifier à tous les juifs du monde et si tous les juifs du monde sont vus comme des soldats et des colons, nous devons être extrêmement prudents.
Un enfant palestinien qui dit aujourd’hui «al-yahud» - pour dire les Juifs signifiant ainsi les gens en uniformes deviendra un fanatique, développera un fanatisme nationaliste et, simultanément, deviendra un jeune religieux fanatique. ET de la même façon, ou pire, le fanatisme religieux commence à apparaître du côté juif. La jeune génération de Juifs israéliens veut bannir les Arabes.
Nous voyons fleurir des slogans en hébreux sur les murs des villes israéliennes avec des «Virons les Arabes du pays» ou «Mort aux Arabes» .
Nous sommes arrivé au stade où le gouvernement israélien discute ouvertement de ce qu’on doit faire de Yasser Arafat, le président élu des Palestiniens : allons-nous le tuer ? Le déporter ? Réclamer l’élection d’un autre président des Palestiniens, plus commode, suffisamment faible pour nous accorder tout ce que nous voulons ?
Les principales victimes de l’occupation et de l’oppression sont les enfants. En Israël les lois du vieux Mandat britannique, qui datent d’avant l’indépendance, sont toujours en vigueur. Ce sont des lois d’oppression permettant à tout pouvoir d’occupation d’imposer des punitions collectives.
J’ai récemment perdu un procès. J’avais essayé d’empêcher la destruction de la maison d¹un jeune homme, un kamikaze palestinien qui s’était suicidé en tuant huit personnes près d¹un camp militaire aux portes de Tel-Aviv. Selon la loi du Mandat britannique, la maison de quiconque a perpétré une attaque terroriste doit être détruite.
Quand j’ai appelé la famille pour lui dire que j'avais perdu, la mère du kamikaze a dit : «Je le savais, je n’avais pas d’espoir. Nous avons déjà évacué la maison».
C'est à peine si nous avons le temps d’aller au Tribunal dans ces cas-là. Le plus souvent, les démolitions punissent non le fautif, mais sa famille. Très souvent on les vire sans avertissement "Vous avez cinq minutes pour déguerpir de cette maison" : c(est le temps qu¹on leur donne.
Les démolisseurs écrasent tout, les vêtements, les meubles. J’ai souvent demandé aux familles ce qu’elles arrachaient à la démolition en cinq minutes et elles répondent : «D’abord le certificat de scolarité des enfants.» Elles font preuve d¹un optimisme merveilleux.
Les enfants des combattants, des «terroristes palestiniens» seront marqués à vie. Sous occupation militaire, il ne leur sera pas permis de quitter le pays, de changer de ville, d’étudier ailleurs. Ils n’ont pas le droit d’aller voir leurs parents emprisonnés.
La dernière punition infligée aux familles de «terroriste» est de les obliger à s’en aller. Depuis le début de la dernière intifada, il y a un couvre-feu total sur toutes les villes et les villages des Territoires Occupés, tandis que les tanks entrent et sortent à leur guise. Pour les enfants palestiniens, c’est un sport que d’escalader les collines, les montagnes, les barrières et les obstacles qu’Israël installent pour empêcher toute communication entre villages et villes.
Maintenant Sharon construit une barrière, non un Mur, entre Israël et Palestine. Ce Mur n’est pas une frontière ; il ne longe pas les frontières de 1967. C’est un mur destiné à installer l’Apartheid entre les populations juives et les populations palestiniennes et à priver les Palestiniens du peu de terre arable que les colonies des territoires occupés n'ont pas encore confisquée et pour donner cette terre à l’Etat israélien.
Parfois on voit des scènes drôles ou touchantes, des mères escaladant les murs en béton ou les barrières. La plupart du temps, vous entendez des histoires tristes, comme celle de ces jeunes soldats israéliens qui ont refusé de permettre le passage à une Palestinienne qui allait accoucher à l¹hôpital. Son enfant est mort.
L’oppression et l’humiliation sont les problèmes les plus graves. Pour aller consulter un médecin à l’hôpital de la ville, un enfant des environs de Ramallah peut devoir marcher des heures avec son père, pour rencontrer simplement un barrage. La culture du père lui a appris qu’il est un patriarche et c’est une sérieuse humiliation pour lui d’avoir, devant son fils, à mendier et discuter avec les soldats pour pouvoir passer. Quelle image de leurs parents ces enfants finiront-ils par avoir ?
Et puis, il y a le meurtre des enfants.
Récemment un enfant de dix ans a jeté une pierre sur un soldat près d’un barrage aux abords de Jérusalem et a été tué. Un avion israélien a largué une bombe d¹une tonne sur Gaza, la ville la plus peuplée du monde, et a tué 16 enfants. Mohammad Dura, l’enfant qui est mort dans les bras de son père au début de l’intifada il y a trois ans, est plus qu’un symbole : il est une réalité de tous les jours .
Une partie de cette gigantesque tragédie provient des similitudes entre Palestiniens et Israéliens. Un ami européen m¹a dit une fois «Je ne comprends pas ; tout le monde est pareil. Comment font les soldats pour identifier qui est Arabe et qui est Juif ? » et je lui ai répondu ce qu’on ma dit «Les soldats regardent quelqu'un dans les yeux et s’il a des yeux Juifs, c’est nécessairement un Arabe."
L’autre jour, à la frontière entre Jérusalem Est et Ouest, j’ai vu 150 Palestiniens âgés dans un parc. Ils venaient tous de Cisjordanie et la police ne voulait pas les laisser entrer dans la ville et ils n’avaient pas non plus de permis à moins que la police n’ait refusé de reconnaître qu’ils en avaient un.
Je suis passée, avec mon habituel optimisme, pensant je suis une femme, je suis blanche, je suis juive, je suis avocate, je peux tout résoudre et j’ai essayé de dialoguer avec les soldats et la police. Les homes se tenaient tranquilles.
On les avait obligés à retirer les batteries de leurs portables et ordonné de ne pas parler. Je me suis sentie idiote. Ils avaient compris leur situation bien mieux que je ne l’avais fait. Ils savaient qu’ils auraient à en payer le prix s’ils me répondaient ; ils savaient d’avance que mon intervention ne servirait à rien. Le pouvoir arbitraire des soldats et des policiers est bien plus grand que le système juridique que je représente. Je me suis dit : " Comment Primo Levi aurait-il perçu cet instant s’il l’avait vécu, où des Juifs oppriment d’autres gens ?"
L’ancien Premier Ministre Golda Meir disait avoir des cauchemars à l’idée que les Palestiniens se multipliaient tellement : il y a vingt ans ses remarques provoquèrent un scandale.
Mais le 29 août 2003, la Knesset israélienne a passé cette loi : «En cas de mariage entre Israélien(e) et Palestinien(ne) des Territoires Occupés le conjoint ne sera pas autorisé à venir en Israël et les enfants issus de ce mariage ne seront pas enregistrés en Israël à moins qu’ils ne le soient au cours de la première année de leur naissance». Nous nous donnons beaucoup de mal pour combattre cette politique que je ne peux définir que comme raciste.
Les enfants palestiniens, fruits de cette guerre, fournissent des kamikazes. Je représente ceux qui n’ont pas réussi à mourir et je connais tout de ceux qui sont morts, aussi je parle en connaissance de cause. Ils ne meurent pas pour les 70 vierges promises quand ils deviennent shaheed (martyrs) et ils n'y sont ni obligés, ni n’ont subit de lavage de cerveau.
Ces jeunes, de toutes les couches de la société, sont volontaires pour mourir parce qu’ils sont désespérés. Ils sont conscients qu’ils ont bien peu à perdre mais peut-être la gloire à gagner.
C’est épouvantable qu’une société produise des enfants qui veulent la mort.
C’est épouvantable que notre société juive israélienne produise, comme nous l'avons découvert, des colons qui avaient placé une voiture piégée, remplie d’explosifs, à la porte d’une école palestinienne de filles à Jérusalem. La police ne l’a découverte que par hasard.
Tuer des enfants est devenu une obsession. Depuis la dernière intifada jusqu’à aujourd’hui 700 enfants palestiniens et 100 enfants juifs en dessous de 16 ans sont morts.
Dans les trois dernières années 382 enfants palestiniens ont été tués par l’armée ou les colons et 79 enfants israéliens sont morts. C’est un cauchemar d’être un enfant israélien qui a peur de prendre le bus, d’aller au marché, d’aller faire des courses. A toutes les portes d'entrée, il y a des gardes qui ouvrent vos sacs est vous fouillent.
La mémoire de l’Holocauste : «Le monde hait les Juifs, nous avons toujours été des victimes» a brouillé et transformé la nouvelle victimologie israélienne en : "Nous sommes victimes parce que les Palestiniens nous tuent". Cette comparaison est inacceptable. Ce n’est pas vrai. Nous avons été victimes mais maintenant c’est nous qui victimisons les autres. Après 35 ans d’occupation, il y a une seconde génération de colons qui invoquent la Bible quand ils disent : "Comment pouvez-vous nous déraciner de notre foyer ?".
Après 1967, une jeune génération de soldats israéliens s’étaient interrogés en demandant ce qu’ils faisaient : «Avons-nous le droit de conquérir la terre d’un autre peuple ? ». Maintenant il n’y a presque pas de questions. Les soldats de dix huit ans sont tous abimés par l’armée : ils ont tous surveillé un barrage, tous frappé à la porte d’une maison en pleine nuit et réveillé la famille pour arrêter quelqu’un.
Un petit nombre d'entre eux mais qui va grandissant refusent de servir dans les Territoires Occupés.
Un petit nombre d'Israéliens, mais en nombre croissant, disent qu'ils ne veulent pas y être mêlés.
L’espoir vient de parents palestiniens héroïques qui malgré l’occupation n’élèvent pas leurs enfants dans la haine, ne permettent pas à leurs enfants de croire que tous les Israéliens sont des démons, qui parlent des différences d’opinion entre les Israéliens; des gens qui enseignent à leurs enfants à juger les gens sur ce qu’ils font et non sur ce qu’ils sont ni d’où ils viennent.
Je voudrais dire à ces parents-là d’être patients, d’être optimistes. Une reconnaissance mutuelle est possible Nous avons obtenu que l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) soit enfin reconnue. Et aujourd’hui, contrairement aux 35 années passées, un consensus se fait à travers le monde autour de la création d’un Etat palestinien. Préparez la nouvelle génération parce qu'il y a une promesse dans ce futur .
Je voudrais rappeler aux parents israéliens qu'en se battant pour la paix, ils ont déjà gagné une guerre. Les mères israéliennes en luttant dans une association appelée Les Quatre Mères, d’après les quatre figures bibliques, ont aidé à ce que l’armée israélienne quitte le Liban. Une autre organisation, les Femmes en Noir, manifeste contre l’occupation toutes les semaines depuis vingt ans. Je leur dis qu’elles gagneront. Un autre groupe de femmes observe les barrages où des atrocités sont commises. Elles disent aux soldats et aux Palestiniens : «Nous ne prenons pas part à ce racisme ; nous sommes contre».
Nourit Peled, dont le père était Général dans l’armée israélienne, est une militante de la paix. Sa jeune fille a été tuée au moment où un jeune Palestinien s’est fait sauter dans Jérusalem.
En choisissant la paix contre la haine, Peled a rejoint d’autres parents pour créer une organisation qui apporte aux victimes du terrorisme, Israéliennes et Palestiniennes, le soutien de quelqu’un qui combat pour la paix.
Quand elle a reçu le prix Sakharov au Parlement Européen en 2001, elle a tenu un discours émouvant sur Abraham, le père d’Isaac et Ismaël (symboles des deux nations du Judaïsme et de l’Islam). Abraham voulait sacrifier Isaac pour montrer à Dieu combien il faisait confiance à Dieu et Dieu l’en a empêché ; il lui a proposé un bélier à la place.
Elle a dit : «Nous ne voulons pas que notre planète devienne le royaume des enfants morts. Nous devons faire entendre nos voix, la voix des mères, et le silence de toutes les autres voix. Nous devons faire entendre à tous la voix de Dieu disant à Abraham : Ne lève pas la main sur cet enfant».
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