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Liban - 30 mars 2007
Par Franklin Lamb
Franklin Lamb vit au Liban depuis près d’un an. Il y rassemble de l’information en vue de son livre ‘Hezbollah : a brief Guide for Beginners’ (Le Hezbollah : Manuel abrégé à l’usage des débutants), qui devrait être publié au début de l’été. Vous pouvez le contacter par mél : fplamb@gmail.com
Un sondage effectué récemment au Liban met en évidence un profond pessimisme quant aux possibilités d’éviter une nouvelle guerre. Beaucoup de ‘vieux sages’, ici, au Liban, pensent que l’éclatement d’une deuxième guerre civile n’est plus qu’une question de temps.
Non moins oracle que Tarek, le portier de l’Hôtel Alexandrie d’Achrafiéh, où le commandement de l’armée israélienne avait installé son quartier général durant l’invasion de 1982, dit que la guerre civile est une certitude.
Il en va de même du sous-chef de Chez Paul, où Sharon, Bashir Gemayel et Eli Hobeïka avaient l’habitude de se rencontrer pour parler ‘affaires’. Certains parlementaires libanais pensent la même chose.
Depuis quelques mois, de grosses caisses en bois arrivent, dans divers quartiers de Beyrouth Est, ainsi que dans les villages de la montagne ; on les emmène discrètement et prestement dans des bâtiments et divers sièges de partis politiques, en violation des accords de Taëf (de 1989), requérant des milices qu’elles désarment [Rafiq Hariri avait exempté le Hezbollah des stipulations de Taëf, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une milice, mais d’un mouvement de résistance libanais et qu’il avait utilisé la force armée exclusivement contre Israël).
Qu’y a-t-il, dans ces caisses ? Des armes ? Si oui ; payées par qui ?
Bien difficile, cette fois-ci, d’accuser l’Iran et la Syrie, les destinataires étant des ennemis jurés de ces deux pays, pressés d’en découdre avec eux (ou plus exactement, pressés d’entraîner Israël ou les Etats-Unis dans une véritable guerre, à leur profit, contre eux…)
Et qu’en est-il de tout l’argent et de toutes les armes promises par l’administration Bush au régime Siniora, afin de le maintenir à flot ? De ces plus de 200 millions de dollars ?
Y a-t-il eu un pépin avec l’intermédiaire chargé du fret ; une partie de ces armes et de ces fonds aboutit-elle entre d’autres mains que celle de la « robuste armée libanaise remise sur pied » ?
Pour s’en assurer, il suffit d’aller se balader dans le quartier Gemezzeh, à Beyrouth Est, vers deux heures du matin, à proximité du quartier général reconstruit des Phalanges libanaises, là où on avait fait sauter Bashir Gemayel, le 14 septembre 1982, et de traîner un peu…
Et puis, c’est quoi, cette activité frénétique, là, derrière la propriété de Walid Jumblatt, à El-Moukhtara, dans la montagne du Chouf ?
Elle n’a cessé de s’intensifier, depuis sa longue rencontre avec George Deubeuliou Bush, voici de cela quelques semaines…
Et ces nouveaux rangers et ces badines dernier cri, que l’on a pu admirer sur les jeunes élégants du Mouvement du 14 Mars partisans de Saad Hariri. Collection Armani, US Army, ou production israélienne ?
La guerre civile risque fort de reprendre, au Liban. Ce pays est actuellement en proie aux tensions sectaires et à une haine palpable.
Cela est apparu clairement, fin janvier, à la suite de l’assassinat de trois partisans du Hezbollah. Quand la très belle veuve et les jeunes enfants d’Adnan Shamas (29 ans) – tué lors d’une embuscade sur son chemin de retour d’une visite dans le ‘camp de toile’ installé par l’opposition au centre de Beyrouth – sont apparus à ses funérailles, des cris de vengeance s’élevèrent : « Le sang appelle le sang ! »
Samir Geagea, qui a participé directement aux massacres de Sabra et Chatila et qui dirige aujourd’hui la milice des Forces libanaises (il a été reçu avec la plus grande déférence, récemment, à Washington) se frappe la poitrine et adresse des menaces au secrétaire général du Hezbollah [Hassan Naçrallah], du style : "N’allez pas imaginer que Beyrouth, c’est Haïfa (allusion à la guerre de juillet dernier) ; sinon le Liban est condamné au pire !"
D’aucuns, dans l’opposition, ne voient dans le gouvernement Siniora rien d’autres qu’un ‘syndicat du crime organisé, qui veut faire du Liban un Irak-bis’, comme l’en a accusé récemment Talal Arslan, un leader druze anti-gouvernemental (qui a rompu avec Jumblatt). Beaucoup de Libanais accusent les ministres du gouvernement actuel de jouer le rôle d’agents d’Israël et de l’administration Bush ; ils exigent des élections anticipées et un nombre de ministères plus important pour la coalition antigouvernementale.
D’autres observateurs concluent qu’Israël et l’administration Bush se voient dans l’obligation de fomenter une guerre civile, afin de ne pas ‘perdre’ le Liban, ce qui les exclurait durablement de la région.
Des "boîtes sonnant creux" (expression du journaliste Robert Fisk, qui fait un jeu de mot entre ‘think tank’, boîte à idées, et ‘tink tank’, ndt) arguent du fait qu’après avoir créé une situation désastreuses tant pour les Etats-Unis que pour Israël en Irak et en Afghanistan, et après avoir échoué lamentablement à détruire (voire même ne serait-ce qu’à endommager sérieusement) le Hezbollah durant la guerre de juillet 2006, tant Olmert que Bush ont désespérément besoin d’une guerre civile au Liban.
Le raisonnement est le suivant : si Bush et Olmert parviennent, par la provocation, à faire en sorte que le Hezbollah retourne ses armes contre ses rivaux libanais – ce qu’il n’a jamais fait et refuse catégoriquement de faire, Naçrallah ayant déclaré récemment : "ils peuvent bien tuer mille hommes de l’opposition, nous n’en continuerons pas moins à refuser de participer à une guerre civile" –, les Etats-Unis et Israël pourront envahir le Liban, détruire la résistance libanaise et installer un gouvernement ‘plus correct’ (pour emprunter à Condoleezza Rice un de ses euphémismes fétiches).
Entre autres objectifs à atteindre grâce à une nouvelle guerre civile au Liban : restaurer la crédibilité de la dissuasion israélienne ; intimider les pays de la région et les territoires (palestiniens) occupés ; créer un précédent pour attaquer la Syrie et, éventuellement, poursuivre sur sa lancée et bombarder, tant qu’à faire, l’Iran.
Le revers de la médaille
Hassan Naçrallah et ses alliés ont juré d’éviter toute nouvelle guerre civile. A cette fin, ils bénéficient du soutien d’éléments (sinon des majorités) de toutes les confessions et de toutes les obédiences politiques libanaises.
Le Hezbollah a prouvé qu’il était capable de défaire Israël sur le champ de bataille, et il s’impose de plus en plus dans les cercles politiques. Il est en mesure de s’imposer afin d’empêcher toute nouvelle guerre civile.
Cinq exemples :
1. Le 30 avril 1985, le retrait d’Israël de Saïda (Sidon), de Tyr, de Nabatiéh et de plusieurs villages de la Beqaa occidentale était le résultat direct de la pression militaire exercée par une nouvelle organisation dont la création avait été publiquement annoncée le 16 février 1985, et qui se nommait Hezbollah.
Il est piquant de noter que le jour même où le Hezbollah proclama sa fondation, Israël entamait son retrait : ce fut la première victoire du Hezbollah sur l’armée israélienne.
2. En juillet 1993, opération israélienne "Reddition des comptes". Parmi les objectifs israéliens : détruire le Hezbollah, le couper des masses et pousser le gouvernement libanais à le combattre.
L’Onu a enregistré 1 224 raids aériens et plus de 28 000 missiles américains tirés par Israël sur le Liban, tuant plus de 150 civils, en blessant plus de 500 et entraînant l’exode de plus de 200 000 habitants de 120 villages du Sud Liban.
En représailles, le Hezbollah a tiré des roquettes Katiousha durant plus de dix heures sur les colonies israéliennes en Galilée, créant ce que l’Agence France Presse qualifia, dans une dépêche du 25 juillet 1993 de "bombardement d’Enfer".
Israël eut son compte ; il contacta Washington en vue de l’instauration d’un cessez-le-feu.
3. 11 avril 1996. Opération israélienne « Raisins de la colère » – mêmes objectifs.
Israël attaque Tallat al-Kayyal, à Baalbek, et étend son attaque contre la base de l’armée libanaise à Tyr, ainsi que contre plusieurs quartiers de Beyrouth. Israël tue plus de 250 civils.
Des centaines de milliers de Libanais sont déplacés, plus de 7 000 maisons sont (partiellement ou entièrement) détruites.
Le Hezbollah s’était bien préparé, et des roquettes Katioucha sont quotidiennement tirées contre les forces et sur des colonies israéliennes.
Comme en 1993, Israël demande à l’administration Clinton que Warren Christopher mette au point un cessez-le-feu. Celui-ci est instauré le 27 avril 1996, à 18 heures.
Cette victoire du Hezbollah fut à l’origine de la défaite de Shimon Peres, le candidat préféré de Clinton, aux élections israéliennes du 29 mai 1996.
Rapprochement intéressant : le 23 mars 2007, Peres avalise son témoignage antérieur devant la Commission Winograd chargée d’examiner les insuffisances israéliennes dans la guerre de Juillet 2006, réitérant qu’il n’aurait pas, quant à lui, tenté d’envahir le Liban et de vaincre le Hezbollah, en juillet 2006. Il a déclaré à cette Commission : "Il est tout simplement impossible de vaincre le Hezbollah, à moins que nous n’incendions jusqu’au dernier mètre carré du territoire libanais".
4. 24 mai 2000. Après avoir occupé plus de 10 % du territoire libanais durant 22 ans, Israël est contraint par le Hezbollah à se retirer en une seule nuit (à l’exception des Fermes de Shebaa), et à abandonner son plan de retrait en plusieurs phases, ainsi que ses agents, l’Armée du Liban Sud. Contrairement aux tactiques israéliennes de la terreur, il n’y eut pas de représailles du Hezbollah contre les collabos libanais. Ce fait a valu au Hezbollah le respect des Libanais de toutes confessions (en particulier, des chrétiens).
5. La victoire du Hezbollah, dans la guerre de juillet 2006, est largement reconnue.
Elle est analysée dans un ouvrage paru récemment : The Price We Pay : A Quarter Century of Israël’s use of American Weapons in Lebanon [Le prix que nous acquittons : Un quart de siècle d’utilisation d’armes américaines au Liban par Israël], que l’on peut obtenir à cette adresse mél : ngolebanon@aol.com ]
Les conséquences de ces cinq défaites militaires (israéliennes) sont inacceptables pour Israël. Le mythe de son invincibilité ne fait plus l’objet que des seules plaisanteries graveleuses des émissions tardives de la télévision.
Le Hezbollah et la résistance libanaise ont frappé l’imagination de beaucoup de régions, dans le monde – en particulier, celle des territoires palestiniens occupés. Israël et l’administration Bush pensent donc que la seule solution serait une nouvelle guerre civile au Liban, qui leur permettrait de détruire le Hezbollah.
L’ex-représentant américain à l’Onu, John Bolton, a lui-même indiqué très clairement, à la BBC, le 22 mars, être également partisan d’une « nouvelle manche ».
Bolton est au courant des récents rapports envoyés à la Commission du Renseignement du Sénat américain (en février 2007) laissant entendre que la CIA pense aujourd’hui qu’Israël devra sans doute avoir cessé d’exister sous sa forme actuelle aux environs du centenaire de la Nakba de 1947 – 1948, qui avait amené la fondation de l’Etat juif.
Ce rapport prédit une augmentation significative de l’émigration à partir d’Israël, principalement à destination des Etats-Unis, de l’Europe occidentale et de la Russie, accompagnée d’un déclin continu de l’immigration vers Israël. Bolton met le Hezbollah en accusation.
Mais un membre du Congrès a exposé la vision quel la CIA se fait de la situation, le 21 mars :
"L’Histoire nous enseigne que la résistance finit toujours par triompher d’une occupation. Israël n’a jamais envisagé sérieusement une quelconque paix juste avec les Palestiniens et avec ses voisins arabes. Il n’y a donc aucune raison logique de penser qu’Israël va le faire, aujourd’hui. C’est le syndrome de Massada. Ce sont des fanatiques qui dirigent Israël, et ils préféreraient se détruire eux-mêmes, plutôt que de restituer aux Palestiniens ce qu’ils leur ont volé."
"La Perse émerge, le sionisme coule !", a résumé un autre membre du Congrès.
Israël poursuivant ses violations quasi quotidiennes de la souveraineté libanaise, la principale préoccupation des analystes des services de renseignement américains n’est pas un Iran devenu ‘nucléaire’, mais bien plutôt comment faire en sorte qu’Israël ôte son doigt de la gâchette de ses plus de 350 têtes de missiles nucléaires.
Certains analystes de l’Agence du Renseignement en matière de Défense des Etats-Unis pensent qu’Israël essaiera effectivement d’utiliser son arsenal et qu’un holocauste nucléaire est vraisemblable.
Des [sionistes] chrétiens fondamentalistes adeptes du millénarisme ont dit, lors de la conférence annuelle de l’Aipac [American Israëli Public Affairs Committee – le grand organisme de lobbying sioniste aux Etats-Unis, ndt] que lorsque cela se produira, cela sera la volonté de Dieu, et que tous les juifs survivants [à cet holocauste] soit adopteraient Jésus, soient finiraient dans les brasiers de l’Enfer. Mais apparemment, les deux solutions leur conviennent.
Peu de gens, dans les milieux américains du renseignement, doutent du fait que si Israël était amené à tirer ses missiles nucléaires, leurs cibles pourraient inclure l’Amérique.
Pourquoi Israël n’épargnerait-il même pas les Etats-Unis, en dépit de soixante années de soutien absolu et continu, ayant abouti au transfert vers Israël de plus d’un trillion de dollars ?
La raison, c’est que les Israéliens considère que l’opinion publique américaine est en train de devenir « chancelante » [comprendre : légèrement plus informée que par le passé, grâce aux efforts diligents de quelques dizaines d’associations pacifistes et solidaires des Palestiniens et des Arabes – et ‘grâce’, aussi, à la catastrophe irakienne] et que les Américains vont, plus tôt que tard, les laisser tomber.
Parvenir à paralyser la gâchette nucléaire d’Israël – telle est, par conséquent, la question à l’ordre du jour. Pendant ce temps-là, Israël et l’administration Bush continuent à s’ingénier à allumer une guerre civile (dans le style irakien) au Liban.
Le Hezbollah et ses alliés tant chrétiens que musulmans font tout pour éviter cela. Qui finira par l’emporter ?
Mesdames et Messieurs, le gong vient de sonner le début du sixième round : Israël contre le Hezbollah. Le ring retient son souffle. L’issue est incertaine. A ce stade, le score est : Hezbollah (5) / Israël (0).
Les paris sur l’issue d’une nouvelle guerre civile au Liban sont ouverts !
Faites vos jeux !
Source : http://www.counterpunch.org:
Traduction : Marcel Charbonnier
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Franklin Lamb
30 mars 2007