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Bethléem - 30 septembre 2009
Par Dina Elmuti
Dina Elmuti est doctorante en neurobiologie à l’Université-Est de l’Illinois, USA.
Avec le sentiment d’être aussi insignifiante qu’un insecte, j’attendais pendant qu’un des soldats surveillant le checkpoint fortifié contrôlait nos passeports derrière la vitre à l’épreuve des balles. Après quelques instants de l’examen habituel, il nous a rendu nos passeports et nous a fait signe de passer, l’air suffisant, d’un geste de la main. Nous avons continué notre chemin autour des tours et détours du mur israélien massif qui coupe à travers Bethléem, encerclant villes et banlieues. La construction hideuse est ornée de peintures de résistance qui servent de guide à notre destination : le camp de réfugiés d’Aida.
Dans un contraste saisissant, le camp d’Aida est situé derrière l’opulent hôtel Palace Intercontinental. Le camp héberge près de 5.000 résidents, et il a été le témoin d’innombrables histoires d’injustice et d’héroïsme humble que je voulais entendre depuis longtemps.
Ma famille et moi avons passé une chaude journée d’août parmi des activistes énergiques, des familles accueillantes et des enfants curieux, tous plus que prêts à laisser ce tout qu’ils faisaient pour nous faire découvrir l’endroit où ils étaient tous venus pour en faire leur foyer, il y a tant d’années. C’est dans des endroits comme Aida que les vies sont mises en perspective. Du moins la mienne le fut, en commençant avec la première famille à laquelle nous avons eu la chance de rendre visite.
Nous avons rencontré un père dévoué qui consacre sa vie à élever ses cinq enfants, après que sa femme ait été impitoyablement tuée par un soldat israélien qui a ouvert le feu, alors qu’elle était à sa fenêtre, attendant ses enfants qui revenaient de l’école. « C’était pendant la deuxième Intifada, » raconte-t-il. « Elle est morte en martyr et les enfants étaient si jeunes. » Trois ans après, son visage reflète toujours sa tristesse. « Elle était l’amour de ma vie, » dit-il. « Tout le monde me dit de me remarier, pour que mes enfants aient une mère qui s’occupent d’eux, mais je n’y arrive pas. Je ne peux pas l’effacer de ma mémoire comme ça. Elle était ma femme. » Quelques instants après, ont surgi les plus jeunes de ses filles, excitées et nous accueillant avec de grands cris. Excitées parce que la nouvelle année scolaire approchait, elles nous regardaient les yeux brillants, pleins de curiosité.
Un peu plus tard, nous avons eu la chance de rencontrer notre guide, Mohammed, un militant du camp qui nous l’a fait visiter, nous présentant patiemment une famille après l’autre. Toutes nous ont invités à entrer et nous ont raconté leurs histoires d’adversité, et comment elles continuaient à la surmonter. Personne dans le camp n’est immunisé contre les épreuves, même pas notre guide calme et maître de lui, qui a été blessé et emprisonné par les forces israéliennes il y a quelques années. « A cause de la prison, je n’ai pu suivre que deux années d’école, » dit-il gravement avec un haussement d’épaule. Ce jour là, j’ai rencontré des familles entières souffrant de cancer, pas seulement un membre de la famille atteint de la maladie, mais des familles entières. J’ai entendu des histoires de familles qui avaient perdu leurs bien-aimés dans les conditions les plus inconcevables, et je suis entrée dans des maisons qui n’ont pas d’eau courante tous les jours.
Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ce qu’a été mon enfance, dorlotée et confortable, comparée à celle des enfants que j’ai rencontrés ce jour-là. Contrairement à moi et à mes frères et sœurs, ces enfants vivent sans le privilège de pouvoir simplement ouvrir le robinet pour avoir de l’eau claire, fraîche à leur disposition. A la place, ils reçoivent des quantités d’eau insuffisantes, par un réseau d’eau et d’égout défectueux, tous contrôlés par Israël.
« Ces citernes d’eau arrivent ici à peu près toutes les trois semaines, quelquefois non. Nous faisons de notre mieux pour la conserver, sinon nous en manquons, et il nous faut attendre la prochaine livraison. Nous restons quelquefois plus d’une semaine sans eau potable, » nous dit un jeune garçon. Il ne semble pas avoir plus de dix ans, et pourtant il parle avec la connaissance et la sagesse d’un jeune bien plus âgé. J’essaie d’imaginer ce que je ferais si je devais passer une semaine sans ma douche quotidienne, un luxe qui nous semble un dû. Quand est-ce devenu normal de priver des enfants du droit humain fondamental d’avoir de l’eau ? Et, plus important, quand est-ce devenu normal que le monde regarde ailleurs et accepte une telle injustice, alors que ce problème est aussi répétitif et familier pour ces enfants ?
Alors que se terminait cette journée de prise de conscience pleine de nouvelles leçons qui m’ont dessillée les yeux, nous avons dit au revoir à nos nouveaux amis. Pour remercier notre guide, qui nous avait patiemment guidés sous la chaleur écrasante, ma mère a tendu à Mohammad un coca-cola. A ma grande surprise, il l’a décliné, mais pas simplement en signe de politesse ou de fierté arabe coutumière, comme je l’ai d’abord pensé. « Oh, excusez-moi, s’il vous plaît, mais je ne soutiens aucune compagnie qui soutient Israël ou son occupation, » nous a-t-il dit fièrement, portant sa main à sa poitrine, en geste de gratitude.
Au milieu de l’occupation, de la pénurie et du chaos politique, l’initiative de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) se développe à Bethléem et rien ne pouvait me rendre plus heureuse et plus fière. Mohammad nous a dit qu’il avait eu connaissance de la campagne BDS par le Centre Lajee (réfugiés en arabe) du camp. Le Centre Lajee a été créé il y a une dizaine d’années par un groupe de jeunes du camp qui rêvaient d’apporter des changements et de nouvelles stratégies pour défendre les droits, ce que leurs soi-disant dirigeants n’avaient jamais fait.
Après avoir raconté cette histoire stimulante à mon ami Rich, un vrai militant désintéressé du camp d’Aida qui m’a fait connaître le Centre Lajee, j’en ai appris un peu plus sur la naissance de la campagne BDS dans le camp. Il m’a expliqué que bien que Lajee ait été un des premiers signataires de l’appel palestinien BDS et qu’il le pratique à l’intérieur du centre, cette année a vu une poussée du boycott au sein des nouvelles générations du camp à la suite des massacres de l’hiver dernier à Gaza.
Les gens d’Aida, qui ont enduré une réelle calamité, ont pourtant choisi d’agir de façon productive plutôt que de s’apitoyer sur leur sort, et c’est ce défi qui définit le mieux le peuple de Palestine, qui ne cesse de me stupéfier. Avoir passé ce court laps de temps dans le camp m’a permis de réaliser que si ses habitants réussissent à boycotter ces mêmes produits qui aident à financer leur calvaire injuste, il n’y a aucune excuse logique, morale ou convaincante à ce que nous ne fassions pas la même chose aux USA, avec tous les choix, ressources et libertés dont nous avons la chance de jouir chaque jour.
Alors que j’étais dans la file, à la grille, prête à quitter Bethléem, je n’ai pu m’empêcher de me sentir minuscule une fois de plus. Cette fois, cependant, j’ai choisi de voir les choses un peu différemment. Même si j’étais considérée comme rien de plus qu’un simple insecte, au mieux une puce, aux yeux d’Israël, je me suis souvenue d’avoir entendu jadis qu’il suffit d’être une puce contre l’injustice.
Suffisamment de puces convaincues piquant stratégiquement peuvent perturber le chien le plus gros et transformer même la plus grande nation. Je me suis rendue compte que même les plus jeunes des habitants du camp d’Aida avaient le courage de résister aux humiliations fondamentales de l’apartheid et de l’occupation, que je le pouvais moi aussi, et que je n’étais pas seule.
Source : Electronic Initifada
Traduction : MR pour ISM
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