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Cisjordanie -

Des colons israéliens harcèlent les prisonniers libérés et les menacent de mort

Par

Brendan Work (@freebeef) est un journaliste indépendant et rédacteur du site d'information "Palestine News Network" en anglais, basé à Bethléem, en Cisjordanie. Son blog est nommé : Work Abroad.

Avec l'arrivée de la saison de la cueillette des olives, on peut croiser dans le village de Tell, au nord de la Cisjordanie, la famille Ramadan étendant des bâches sous les arbres et faisant tomber les fruits haut perchés à l'aide de bâtons. Ils parlent de leurs deux cousins Khwaylid et Nizar Ramadan, tous deux nés à Tell, libérés dans le cadre de l'accord d'échange de prisonniers qui a eu lieu mi-octobre et exilés respectivement dans la bande de Gaza et au Qatar. Le jour qui a suivi leur libération, un groupe de colons israéliens a posté sur Facebook des avis de recherches sur les deux cousins promettant 100.000$ pour toute information aboutissant à la mort ou la capture de chacun des deux ex-prisonniers.

Des colons israéliens harcèlent les prisonniers libérés et les menacent de mort

Hani Jaber, 36 ans, pendant son entretien en lieu sûr, loin de son domicile familial de la vieille ville d'Hébron (photo Brendan Work/EI)
Khwaylid et Nizar sont deux des quatre ex-prisonniers palestiniens pour qui la tête a été mise à prix par une frange d'idéologues de colonies juives, en violation des lois israéliennes et internationales. Un groupe de colons affiliés au parti Kash à Hébron-est, quant à lui, responsable de promesses de récompenses de 100.000$ offertes pour les deux autres palestiniens, Mustafa Muslimani et Hani Jaber. D'après un article du quotidien israélien Ynet ("Des activistes de l'aile droite à Hébron pourchassent des terroristes libérés", Ynet, 26 oct. 2011, en hébreu) Baruch Marzel, l'un des colons, a été vu affichant en public la photo d'Hani Jaber au dessus d'un message en hébreu signifiant : "Tuez-le d'abord".

Les cousins Ramadan ont été condamnés par une cour militaire israélienne pour le meurtre de Shlomo Liebman et Harel Ben-Nun, deux étudiants d'une Yeshiva de la colonie d'Yitzhar située sur le haut de la colline faisant face à celle où se trouve le village de Tell. Les deux cousins ont écopé de la prison à vie mais quand la famille Liebman a eu connaissance de leur libération, elle a décrété que "par les lois de Moïse" ils devaient à nouveau payer de leur vie.

"Je m'attendais sans m'y attendre à ça de leur part," a déclaré le père de Khwaylid qui demande que son nom ne soit pas divulgué, "ils sont plus dangereux que les autres colons. Ils ont perdu la tête".

Néanmoins, il est content de dire que Khwaylid est en bonne santé à Gaza et qu'il n'est pas inquiet. D'autres personnes à Tell, familières des menaces de mort, disent qu'il a dû embaucher deux gardes du corps. En ironisant sur l'affaire tous ensemble, l'oncle de Khwaylid répète un refrain fataliste.

"Notre vie est entre les mains de Dieu," dit-il. "Je n'ai pas peur et lui non plus. Si tu vies, tu vies, et si tu meurs, tu meurs. (Khwaylid) pourrait être dans une voiture ou un avion et y trouver la mort."

Les colons reçoivent des fonds des institutions US

De mémoire pour Ahmed Ramadan, c'est la première fois que des colons mettent un prix aussi élevé sur la tête d'un Palestinien en particulier. Les avis de recherche écrits en anglais, en hébreu, en arabe et en turc (la famille Liebman pensant, au départ, que Nazzar serait exilé en Turquie) ont été diffusés sur Facebook jusqu'à ce que le site les supprime au bout d'un mois.

La version arabe, que la famille Ramadan craint particulièrement, a été prévue spécialement pour les collaborationnistes de Gaza. La version anglaise, elle, promettait, 100.000$ au "premier qui attraperait les terroristes qui ont tué notre cher frère Shlomo Liebman en 98 alors qu'il protégeait la colonie de Yizhar en Samarie, et notre vengeance pour les venger (sic) par les lois de Moïse". (Communiqué initial : "100.000$ sur la tête des meurtriers de Shlomo Liebman" 18 oct. 2011, en hébreu).

On ne sait pas si l'argent de la récompense, dans ces quatre cas, provient de la fortune de la famille Liebman ou de coffres privés d'Hébron. Yitzhar reçoit près d'1/2 million de $ chaque année du gouvernement israélien, en dépit des appels du service de la sécurité du Shin Bet (Shabak) à stopper les financements après que des rapports aient établi que des rabbins des Yeshivas encourageaient leurs étudiants à attaquer les Palestiniens ("Le Shin Bet presse le gouvernement israélien d’arrêter le financements des Yeshiva de Cisjordanie , Haaretz, 27 sept 2011, en anglais).

La colonie reçoit également des dizaines et des centaines de dollars en donations déductibles des impôts provenant du Fonds pour Hébron (Les impôts US financent des rabbins qui excusent le meurtre de bébés innocents, Haaretz, 15 déc. 2009).

La famille Liebman n'a pas donné suite aux sollicitations des médias.

Affiche : "Tuez-le d'abord"

A Hébron, Hani Jaber, âgé de 36 ans, est le seul ex-prisonnier à vivre dans la même ville que l'homme qui a juré de le tuer. Il réside temporairement dans un logement sécurisé sans pouvoir retourner dans sa maison familiale située dans la vieille ville. Là, en plein centre du secteur H2 sous contrôle israélien, une partie des 600 colons ont pris en charge de faire circuler sa photo sur des affiches marquées "Tuez-le d'abord", ainsi que des tracts manuscrits en arabe proposant une récompense et des messages audios enregistrés en arabe et destinés à être envoyés sur les téléphones des habitants palestiniens.

"J'espère que chaque juif prévenu ne restera pas là assis passivement à attendre", a déclaré à Ynet dans l'article susmentionné, le conseiller de Kiryat Arba, Benzi Gopstein. "Si tu le vois, tu sais qu'il va te tuer alors sors ton arme, ne te fais pas avoir"

Comme pour les Palestiniens d'Hébron, une vidéo produite par Ynet et insérée dans le même article montre des jeunes déchirant en morceaux le tract en arabe sur Baruch Marzel et le lui jetant à la figure. Bien qu'il soit conscient que sa vie est en danger, Hani Jaber plaisante tout le long de l'interview et dit qu'il n'a pas peur de la mort.

"Je crois au message (coranique), rien d'autre ne nous arrivera que ce que Dieu a décidé pour nous", dit-il. "C'est pourquoi je n'ai pas peur, je poursuis mon chemin en m'attendant à mourir a n'importe quel moment".

Comme la famille Ramadan, Hani Jaber dit qu'il est plus effrayé par les Palestiniens collaborationnistes que par les colons eux-mêmes.

"Les colons proposent de payer des sommes énormes. Que se passerait t-il si une famille pauvre se laissait appâter ?" demande t-il. "A n'importe quel moment, n'importe qui peut conclure un marché. Tu ne sais jamais par quel côté tu vas être attaqué. Ça me rend encore plus nerveux que les colons. Tu sais comment faire face à un colon, mais quelqu'un qui t'attaque par derrière, tu ne peux pas gérer".

La confrontation d'Hani Jaber avec les colons en 1993 est à la source de toute son histoire. Après la première Intifada palestinienne, avant qu'Hébron ne soit divisée entre le secteur H1(sous contrôle de l'autorité palestinienne) et le secteur H2 (où vivent les colons israéliens), et alors qu'il n'était âgé que de18 ans, il a été témoin d'attaques de bandes de colons dans la vieille ville permises et souvent observées par les militaires. Cela a, au fur et à mesure, alimenté sa colère. Il dit qu'il a vu des colons et des soldats taper des enfants, tirer par les cheveux des femmes voilées et lancer des excréments et des déchets sur les maisons des Palestiniens. Des soldats se sont introduits dans la maison de son frère en pleine nuit et ont frappé sa belle-sœur si brutalement qu'elle a fait une fausse couche. Sa cousine âgée de 30 ans, Azizeh Jaber, a été tuée par balle alors qu'elle était sur le point d'accoucher.

Pendant le printemps 1993, il a été trainé dans une ruelle par quatre colons qui l'ont tabassé. "J'ai senti que certains voulaient me tuer alors j'en ai attrapé un par le cou, je lui ai pris son arme que j'ai pointé sur sa tête". Il se souvient :"C'était comme si je jouais à un jeu vidéo de catch américain. C'est un jeu violent mais il ressemble à la situation que nous vivons en Palestine. C'est aussi un jeu d'auto-défense".

Ce jour là, Hani Jaber n'a pas appuyé sur la détente. Après s'être échappé, il s'est rendu au poste de police avec le numéro des plaques d'immatriculation du véhicule des colons et la description de leurs armes mais aucune plainte n'a été enregistrée. Plus tard, au mois de mai, il a vu un colon de 22 ans, Erez Shmuel, frapper sa petite sœur de 9 ans, il est retourné chez lui, a pris un couteau de cuisine et a poignardé le jeune homme à mort. Arrêté en octobre 93, il a avoué le crime et a été condamné à la double perpétuité. Alors âgé de 18 ans, il a passé les 18 années suivantes de sa vie dans une prison militaire.

"Moitié-moitié", dit-il.

Hani Jaber, comme la famille Ramadan, ne nie pas son rôle dans la mort des colons. Il refuse de considérer cela comme un crime mais plutôt comme une opération menée au nom du devoir national, disant que la politique de colonisation israélienne est la cause principale de la souffrance des Palestiniens. Il reconnait que la situation s'est encore aggravée pendant qu'il croupissait en prison. A la fin de sa première année d'incarcération, Baruch Goldstein a tué 29 fidèles palestiniens au cours du massacre du Tombeau des Patriarches et depuis 93, la population de colons en Cisjordanie , Jérusalem-Est compris, a presque doublé selon la Fondation pour la Paix au Moyen Orient (Étude sur la population des colonies 1972-2010).

Mais maintenant les pensées de Hani Jaber sont plus terre à terre.

Photo


"Quand j'étais en prison, le mariage était juste un rêve," dit-il. "Je voulais avoir une femme et une maison et maintenant je peux mais, dans ce climat d'instabilité, se marier ne serait pas une bonne idée."

Il dit qu'il comprend pourquoi personne ne voudrait choisir un homme de 36 ans vivant dans un logement provisoire et avec une tête mise à prix pour 100.000$. A la place, il pense reprendre ses études, son but serait de passer un diplôme en sociologie ou en action sociale, mais les meilleures formations sont à Ramallah ou à Naplouse et le Shabak (aussi appelé Shin Bet) ne le laissera pas sortir de la circonscription d'Hébron.

"Quand j'ai été relâché (c'était sans) aucune condition de sécurité" explique t-il. "Je sais que ça, c'est dans les faits, mais j'ai été convoqué et ils m'ont dit 'nous savons où tu es'. L'homme du Shabak a dit, 'maintenant tu as des conditions de sécurité'".

Suite à ce rendez-vous, il y a deux semaines, Hani Jaber n'est plus autorisé à quitter la circonscription d'Hébron pendant 3 ans.

Les soldats israéliens menacent de réincarcération

Parmi les 477 palestiniens libérés en échange du tankiste israélien, le nombre exact de ceux qui ont été ré-interrogés n'est pas connu car tous les cas n'ont pas été rapportés. Mais une multitude d'incidents ont eu lieu ces dernières semaines, avec des soldats israéliens frappant aux portes de Jenine, de Naplouse, de Ramallah pour délivrer des convocations pour des interrogatoires et avertissant les récents remis en liberté qu'ils pouvaient être renvoyés en prison dans l'heure ("Les troupes israéliennes arrêtent six personnes dont des prisonniers libérés et font des descentes dans les maisons de Cisjordanie ", Palestinian News Network, 21 nov 2011, en anglais).

Hanan al-Hamouz, l'une des vingt-sept femmes libérées en octobre, à reçu un appel à 2 heures du matin, le 26 novembre. Elle habite Beït Jala, près de Bethléem, mais un escadron de quatre véhicules militaires israéliens a remonté la ruelle dans laquelle sa mère de 74 ans habite, dans le camp de réfugiés de al-Azzeh.

"Il y en avait trois sur le pas de la porte," raconte sa mère, "au bout d'un moment deux de plus sont entrés, ils étaient lourdement armés. Ils ont demandé 'Où est Hanan ?'. J'ai répondu qu'elle n'était pas là. Ils ont demandé 'Es-tu Hanan ou sa mère ?' J'ai répondu 'Non, je suis sa mère'. Ils m'ont demandé où étais mes papiers d'identité, je les leur ai donné. Après ils m'ont dit de lui remettre la convocation."

Le jour suivant à 11 heures Hanan al-Hamaz s'est rendue au centre d'interrogatoire de Etzion, au sud de Bethléem, ce qui lui a rappelé l'année qu'elle venait de vivre en prison.

"Ils m'ont emmenée d'une pièce à l'autre, d'un endroit à l'autre, m'ont fouillée, ont fouillé mon sac, ont fouillé mon téléphone et démonté sa batterie pour la vérifier , exactement comme les fouilles hebdomadaires en prison,"a t-elle dit. Elle leur a demandé, "Est-ce un entretien ou un interrogatoire ? Je veux le savoir". Ils ont dit que c'était normal, qu'ils faisaient ça à tous les prisonniers. Ils m'ont dit, "As-tu peur ?" J'ai répondu, "Je n'ai peur de personne à part Dieu".

L'interrogatrice, qui parlait l'arabe et se prénommait Samira, a déroulé une carte et lui a demandé si elle savait où se trouvait la prisonnière libérée Amneh Muna, qui avait été expulsée en Jordanie, ou si elles étaient toujours en contact. Samira a donné le numéro de téléphone d'Amneh à Hanan et lui a demandé d'appeler, mais elle a refusé. C'était une provocation bizarre, se rappelle t-elle. D'autant que le Shin Bet devait probablement déjà savoir où se trouvait Amneh Muna.

"En prison, on apprend à faire bloc, dedans comme dehors", dit-elle.

Quand l'interrogatoire a été terminé, Samira a dit à Hanan de faire attention et lui a demandé "Ne t'arrive t-il jamais de penser à un retour en prison ?"

Les cas de harcèlement ne sont néanmoins pas dus aux seuls faits d'officiels israéliens. Alors que ses troupes, en pleine idéologie, peuvent publier des menaces de mort, Aryeh King, du Fonds pour la terre d'Israël, partage son temps entre, le rachat des biens des Palestiniens au profit de propriétaires juifs, et d'autre part la mise en place d'un réseau de volontaires chargé de la surveillance d'environ 60 prisonniers palestiniens libérés à Jérusalem .

"Les gens devraient savoir que ceux qui ont tué des innocents sont libres d'aller et venir, de rentrer dans n'importe quel café et d'emprunter les transports publics", a dit Aryeh King dans un entretien téléphonique. "Croyez-moi, si vous vous asseyez à côté de l'un d'eux dans le tramway de Jérusalem et que vous remarquez que c'est un terroriste, vous allez sauter par la fenêtre. Je veux que les personnes innocentes sachent qui sont les terroristes."

Jusqu'à présent, lui et un nombre non défini de volontaires ont pris en charge l'impression, sur des flyers, de l'adresse, du lieu de travail et de la photo des "meurtriers" avec la mention "Attention : meurtrier". King voudrait également le boycott des commerces détenus par les familles des ex-prisonniers.

"C'est le père, pas le fils" dit-il, "je n'ai rien contre le fils mais il est en train de sponsoriser une famille de terroristes. Nous appellerons les gens à ne pas les aider en n'achetant pas leurs produits et en ne faisant pas appel à leurs services."

Pendant que les boycotts se pratiquent tous les jours à Jérusalem de manière informelle, les menaces des prisonniers légalement libérés sont une violation claire des lois israéliennes, et en particulier de l'amendement de 2002 de la loi pénale criminalisant l'incitation à la violence. Il n'y a cependant eu aucune enquête sur les menaces proférées par la famille Liebman, pas plus que sur celles de Baruch Marzel à Hébron et une enquête avec le département de la police israélienne n'a apporté que de timides réponses.

"La politique de la police israélienne est de se renseigner, d'examiner s'il y a incitation ou possibilité de créer du tort," a dit Mickey Rosenfeld, porte-parole de la police, "c'est la méthode qu'utilisent nos enquêteurs dans tous les commissariats, y compris en Judée et Samarie (Cisjordanie). Nous traitons des affaires dans toutes les communautés."

Pendant ce temps à Hébron, une énorme banderole célébrant la libération de Hani Jaber flotte triomphalement à l'entrée de la ville alors que Jaber regagne son logement sécurisé. La maison de sa famille dans la vieille ville a été attaquée le 19 novembre 2011 par des colons protégés par des militaires israéliens. L'un de ses cousins, Badran Jaber, ainsi que deux des frères d'Hani ont été emmenés ("Des colons continuent d'attaquer la maison du prisonnier libéré Hani Jaber", Palestinian News Network,19 novembre 2011, en anglais).

L'endroit (où ils ont été emmenés) n'a toujours pas été divulgué.

Quelques semaines auparavant, Baruch Marzel s'était arrêté dans une épicerie de la vieille ville appartenant à la sœur d'Hani Jaber. Suivi par les caméras d'Ynet, il a commencé à demander le prix de différents articles. Marzel a montré une barre chocolatée et a demandé, "Combien pour ça ?". "Un shekel," a répondu la sœur d'Hani. Il a montré un paquet de chips, "Un shekel," a-t-elle dit. La vidéo montre ensuite Marzel remettre un exemplaire de l'affiche "Tuez-le d'abord" avec le visage d'Hani Jabel en noir et blanc. Il demande, "Combien coûte la vie d'un juif ?"

Et comme elle ne disait rien, il a répondu à sa propre question, "très cher".

Source : Electronic Initifada

Traduction : MP pour ISM

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