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Marseille - 8 décembre 2011
Par Annie Fiore
Journaliste, homme de radio et de culture, chroniqueur, critique littéraire, blogueur confirmé, Pierre Assouline brille de mille talents. Voilà maintenant trois ans qu’il assure aussi la Direction littéraire et l’animation des rencontres Ecrimed organisées par la journaliste marseillaise Elsa Charbit.
Samedi 3 décembre, Espace Bargemon 15h, la salle est déjà pleine, beaucoup d’auditeurs sont encore debout alors que des dizaines se pressent autour des stands où exposent écrivains et poètes invités par Ecrimed. La 2ème table-ronde de la journée, co-animée par Pierre Assouline et Franz-Olivier Giesbert, a pour intitulé Où étaient les écrivains dans le printemps arabe ? Les invités annoncés depuis plusieurs semaines sur le site internet sont Tahar Ben Jelloun (Maroc-France), Kamal Ben Hamada (Lybie), Khaled el Khamissi (Egypte) et Najwan Darwish (Palestine) ainsi que le traducteur libanais Antoine Jockey.
En introduction, Pierre Assouline lit un message du grand poète syrien Adonis, parrain de la manifestation qui ne peut être présent pour raison médicale. Alors que chacun attend les contributions autour du thème annoncé, l’animateur signale que les écrivains arabes ont refusé le dialogue avec l’écrivain israélien Moshe Sakal et il fait part de son indignation. A peine cette annonce faite, avant même que les mis en cause aient eu l’opportunité de répondre, une jeune femme blonde se lève au 4ème rang, lance quelques phrases inaudibles. Comme répondant à ce signal, dans différentes parties de la salle, plusieurs personnes, la plupart âgées, se lèvent et sortent !
Stupéfaction sur l’estrade et étonnement pour la quasi-totalité des spectateurs venus pour entendre parler de littérature. Avant même de passer la parole aux intéressés, Pierre Assouline interroge FO Giesbert, lequel abonde dans son sens tout en précisant ses critiques envers la politique israélienne, puis il sollicite Tahar Ben Jelloun (donc les échanges avec les écrivains sahraouis n’ont pas encore été publiés à notre connaissance) qui se lance dans une apologie du dialogue qu’il mène en parfaite égalité avec des intellectuels israéliens et palestiniens !
Sommés de s’expliquer, Najwan Darwish (photo ci-dessus), Khaled el Khamissi ainsi que le traducteur libanais Antoine Jockey diront leur position : refus de la normalisation des relations avec les intellectuels israéliens aussi longtemps que la colonisation et l’occupation se poursuivront. Najwan Darwish demande quel dialogue on attend de lui alors qu’il a dû se déshabiller, subir une fouille nu, à l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, pour avoir la possibilité de venir à Marseille. Il interroge la salle : quel dialogue, lui le poète, peut-il engager aujourd’hui avec ceux qui demain porteront un fusil et le chasseront de sa maison pour la détruire comme cela fut déjà le cas en 1948, lui dont la maison familiale fut confisquée, comme fut confisquée sa terre, comme fut confisquée la Palestine ? Antoine Jockey précisera que même s’il avait souhaité ce dialogue, une loi libanaise ne le lui permettrait pas. Pour sa part, Kamal Ben Hamada ajoutera comprendre ses collègues tout en n’ayant pas pour sa part de refus à dialoguer avec un écrivain israélien.
Mais pour Pierre Assouline, cela ne suffit pas, lui qui dit avoir discuté avec les uns et les autres, affirme que Najwan Darwish voudrait bien parler mais qu’il craint les représailles du Hamas. Interrogé par son traducteur, le jeune poète démentira fermement en affirmant son choix personnel ! "(...) Quelle est l’utilité d’un dialogue entre la victime et son bourreau ? On me vole ma maison et on me demande de dialoguer. Je ne peux pas. C’est une position personnelle, morale et éthique." http://ecrimed2011.tumblr.com/page/7
Pierre Assouline annonce alors que Moshè Sakal n’avait d’ailleurs pas été programmé pour cette table-ronde, ce qui permet à chacun de déduire qu’il n’y a pas préjudice. L’auteur se trouvant à ses côtés, il lui tend le micro pour une courte déclaration qu'il lit : "Je ne suis pas étonné. Je savais que j’étais exclu de cette table ronde. J’ai l’habitude d’être l’Israélien de service. J’ai compris que le Palestinien ne me voit pas. Il est franc et j’apprécie cela mais je le regrette. Je suis un juif arabe de Syrie et du Caire. Je vais dans les pays arabes où je peux. Ce que je regrette c’est que mon collègue palestinien ne comprenne pas que notre intérêt est commun, de pouvoir vivre dans un pays libre."
http://ecrimed2011.tumblr.com/page/8
Le public aura l’occasion de poser deux questions, la première à Najwan Darwish quant à l’importance de la poésie chez les Palestiniens où les poètes sont nombreux. Khaled El Khamissi se verra demander si parfois, lui l’Egyptien n’admire pas la démocratie israélienne qui permet tant de choses. Surpris par la question, qu’il fera répéter, avant que d’y répondre par un NON franc et massif, expliquant que n’ayant aucune sympathie ni admiration pour les théocraties, qu’elles soient saoudiennes ou iraniennes, il n’a aucune raison d’en avoir pour l’israélienne !
Ecrimed bénéficie d’un financement public (en particulier Conseil Général, Conseil Régional, Mairie de Marseille, Marseille Provence Métropole), les citoyens contribuables sont donc parfaitement en droit de s’interroger sur ses finalités !
Que cache cette volonté de relancer un pseudo dialogue entre un poète palestinien et un écrivain israélien alors que ceux-ci ne doivent pas participer à la même table-ronde ? Veut-on faire croire au public, que des poètes palestiniens et des écrivains arabes portent la discrimination, l’oppression, la dépossession, qu’ils refusent la paix et prônent l’exclusion ?
En voulant faire de la culture et des intellectuels des êtres à part, en dehors du contexte géopolitique, les organisateurs pensent-ils les Marseillais si peu informés à vouloir leur faire croire qu’il n’y a rien de politique dans la culture, dans l’écriture et que celles-ci ne sont pas des instruments de propagande (parfois à l’insu des intellectuels) utilisés par les États ?
Sous couvert de littérature, n’y a-t-il pas volonté d’estomper les dégâts causés par la guerre du Liban en 2006, les massacres de Gaza en 2008-2009, l’arraisonnement des flottilles humanitaires en 2010 et 2011 et la mort de 9 civils sur le Mavi Marmara, sans parler de la poursuite de la colonisation et de l’occupation ? Ou encore façon de préparer de futures rencontres Ecrimed, voire même une année de la culture 2013 qui excluraient la présence palestinienne et même arabe alors que le public marseillais la demande ?
Faut-il rappeler que les peuples du monde se sont dotés d’instruments internationaux, dont les Nations Unies, le Conseil de Sécurité, l’Assemblée Générale, la Cour Internationale de Justice qui ont pris des dizaines de résolutions et décisions, lesquelles sont systématiquement balayées d’un revers de main par les autorités de Tel-Aviv.
Aussi quelle que soit la démesure des égos des organisateurs et animateurs, ce ne sont pas d’improbables échanges entre écrivains qui influeront sur la situation au Proche-Orient. Ce sont les fermes et pacifiques pressions diplomatiques, culturelles, sportives, économiques et culturelles, qui signifieront au peuple israélien qu’il est temps pour lui d’utiliser la démocratie dont il jouit puisqu’il détient le pouvoir de mettre fin à la colonisation, à l’occupation et à l’apartheid imposés au peuple palestinien et au peuple syrien au Golan. Le refus de la normalisation des relations, choisi par les écrivains du monde arabe, devrait être pris en compte et respecté par leurs collègues de ce côté de la Méditerranée, mais pour cela leur faudrait-il sans doute se débarrasser de l’emprise de l’inconscient colonial qu’ils portent encore.
Pour clore ce rappel, il convient d’ajouter que dans la tradition d’hospitalité de la Méditerranée, il est fort mal venu de tendre un piège aux invités placés sous notre protection. La façon dont s’est déroulée la 2ème table-ronde a laissé un goût amer aux écrivains Najwan Darwish, Khaled el Khamissi et Antoine Jockey, mis en accusation de manière éhontée, avec une mise en scène qui a certes fait long feu mais qui ne fait pas honneur à notre ville.
Quelques heures plus tard, dans les rues d’Hébron, en Palestine Occupée, les soldats israéliens faisaient une démonstration de leur vision du dialogue avec les Palestiniens ; les images ont été tournées par les groupes de chrétiens pour la paix qui vivent dans la ville.
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