Hébron - 15 février 2005

Histoire d'At-Tuwani, un village vieux de 500 ans

Par Aaron

> aaroninpalesine@hotmail.com

Aaron Lakoff est membre de l’International Solidarity Movement et journalise pour la radio CKUT de Montreal. Il voyage actuellement et travaille dans toute la Palestine. Pour voir ces précédents témoignages et ses photos : http://aaron.resist.ca

Un jour de 1980 apparemment sans souci, un groupe de juifs israéliens est entré par la pointe sud de la Cisjordanie et à planté un carré d’arbres. Quatre ans plus tard, ce petit carré s’est agrandi pour devenir un embryon de colonie dénommé Ma’on, à seulement quelques centaines de mètres du petit village palestinien d’At-Tuwani.
Voilà comment ont commencé les tout premiers troubles de ce village vieux de 500 ans.

At-Tuwani n’est qu’un simple village. En fait, il est aussi simple que n’importe quel village peut l’être. At-Tuwani est situé juste au sud de la ville de Yatta, et il est à presque une heure de voiture d’Hébron. Ce serait beaucoup plus rapide si des routes convenables étaient possibles, mais les bonnes routes de la région sont réservées aux seuls Israéliens.

Les collines qui entourent At-Tuwani rappellent la campagne irlandaise, avec des taches de pierres et d’herbe verte éparpillées. Des communautés de fermiers tirent leur subsistance des olives, des lentilles, de l’orge, et des moutons. Les bergers gardent leurs troupeaux sur un domaine calme, mais ils sont totalement conscients de ce qui les environnent.

Il y a 200 habitants dans ce village qui vivent dans 27 foyers, et chacun a reçu son ordre de démolition offert par gouvernement d’Israël.

Les maisons identiques de la colonie de Ma’on, qu’on distingue bien depuis At-Tuwani, sont de menaçants symboles. Depuis que les colons sont là, ils n’ont qu’une intention : se débarrasser d’At-Tuwani. Ils prennent leur mission particulièrement au sérieux.


A peu près comme à Hébron, où les colons s’organisent pour débarrasser la zone des Palestiniens, ils se mesurent à des gens innocents par des interventions d’une violence terrible. Pendant les vingt dernières années de l’existence de Ma’on, les colons ont déraciné les oliviers, volé des moutons, tabassé les bergers, et caillassé les écoliers revenant de l’école.
Et l’armée israélienne n’est pas beaucoup mieux.

Au lieu de s’attaquer à faire reculer la violence dans la région, elle reste les bras croisés pendant ces attaques. Ils ont démoli un tas de routes et de structures du village, y compris une mosquée. On aurait du mal à trouver un seul colon qui aurait pu avoir été arrêté au cours de ces vingt dernières années de harcèlement continuel.

Ce qui est plus positif, c’est que les problèmes des colons d’At-Tuwani ont depuis des années attiré l’attention de plusieurs organisations internationales pour la paix. Des groupes comme Operation Dove (Opération Colombe) The Christians Peacemaker Team (L’équipe des Chrétiens pour la Paix) , Ecumenical Accompaniment (l’Accompagnement œcuménique) et l’International Solidarity Movement (ISM) sont tous venus accompagner la lutte des gens d’ici et les aider à supporter une partie de leur fardeau.


L'un des militants qui ont pu arriver ici est Art Gish du CPT.

A bien des égards, Art me rappelle le chanteur folk Utah Phillips. C’est un pacifiste, un insoumis, un conteur de toujours, une page de l’histoire de la résistance non violente à l’injustice. Art travaille en Palestine depuis dix ans.
Selon ses analyses, le projet de l’état d’Israël pour At-Tuwani est de dépeupler la région de ses Palestiniens.

Art et le CPT travaillent dur pour attirer l’attention internationale sur la région et ils ont en payé le prix fort.

Le matin du 29 septembre 2004, deux membres du CPT, Kim Lamberty et Chris Brown marchaient vers l’école avec un groupe de jeunes élèves palestiniens.
Ils ont été pris dans une embuscade par des colons masqués et habillés en noirs qui les ont salement tabassés avec des battes et des chaînes.

Kim et Chris ont été sérieusement blessés et ont été transportés à l’hôpital de Be’er Shiva.
Leurs assaillants sont partis sans aucune sanction.


Juste une semaine plus tard, les colons de Ma’on ont attaqué un autre groupe de militants internationaux et se sont livrés aux mêmes exactions.

Il est clair que ces colons ne sont pas seulement motivés par la haine de leurs voisins arabes mais qu’ils ont aussi la haine de ceux qui entendent l’appel au secours de ces Arabes.

Art est un sage. Il connaît les risques qu’il prend et il est complètement dévoué à son travail et à la population d’At-Tuwani.

A cause des attaques continuelles contre les élèves et des efforts des organisations internationales pour réveiller les consciences, l’armée israélienne a été obligée de faire quelque chose pour les Palestiniens d’At-Tuwani .

Au cours des derniers mois, les enfants ont été raccompagnés chez eux à la sortie de l’école par une jeep de l’armée et des soldats. Malgré ça, les colons ont continué à caillasser les enfants pendant que l’armée restait amorphe.

Je me suis dit que ça ne manquait pas de sel que de voir comment les forces d’occupation utilisent les lacrymogènes et les balles en caoutchouc pour disperser la plupart des manifestations pacifiques palestiniennes, une tactique qu’elles n’imaginent jamais utiliser contre leur propre peuple.


Aujourd’hui nous avons eu la chance d’observer l’armée dans son rôle d’accompagnement. Effectivement, à 13h pile, la jeep s’est arrêtée et les petits ont été rassemblés tout autour avec leurs sacs à dos.

Nous avons regardé la petite caravane pendant presque 20 minutes jusqu’à ce qu’elle se perde loin dans les collines. Personne n’a été blessé aujourd’hui et bien que nous ayons aperçu des colons, ils ne semblaient pas menaçants.

C’est drôle comme essuyons nos fronts avec soulagement quand quelque chose de mauvais N’ARRIVE PAS à At-Tuwani.


Mais, pour les villageois d’ici, la vie n’est qu’une situation perdant-perdant. Ils sont violemment harcelés par les Israéliens de Ma’on, et la seule force qui pourrait les protéger – la force occupante – est trop occupée à démolir les maisons ou à les empêcher de se construire. Il est évident qu’une grosse légume veut qu’ils s’en aillent. En fait, beaucoup ont fui depuis les années vers Yatta.


Pourtant, il y a quelque chose de vaillant, dans la simple existence d’At-Tuwani.

Quand les écoliers sont caillassés, ils vont quand même à l’école.

Quand les collines à pâture pour les moutons sont déclarées zones militaires interdites, les bergers reviennent le jour suivant.

Et quand l’armée arrête la construction d’un centre médical très attendu, les scies électriques et les marteaux repartent aussitôt.

At-Tuwani est ici depuis 500 ans. Il est peut-être modeste, mais aucune force de colonisation ne risque de le raser avant longtemps.

Source : http://aaron.resist.ca

Traduction : CS pour ISM-France