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ISM France - Archives 2001-2021

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Naplouse -

Journal de Palestine : Naplouse

Par

Nous continuons la visite du camp. Il y a 16 maisons marquées pour leur destruction.
La Cour Suprême a suspendu la démolition, mais ils viendront, nous dit-on. Les autorités israéliennes aiment jouer à ces juridicismes, pour se donner une apparence de légalité, mais en fin de compte c'est l'armée qui a le dessus (le politique et l'armée sont interpénétrés).

Après des longues explications au check-point, nous sommes autorisés : "Mais faites gaffe ; c'est très dangereux !" - d'entrer, en tant qu'ONG, dans la ville de Naplouse, la ville la plus peuplée de la Cisjordanie . Qu'est-ce que nous allons trouver ?

C'est la troisième fois pendant les derniers 14 mois que je me rends à Naplouse, et ce n'est jamais "facile" :

En novembre 2002, le couvre-feu total a été déclaré à 13:00h alors que nous nous trouvions au milieu de la rue, dans le centre; je n'oublierai jamais les gens paniqués courant de tous les côtés, on entendait des décharges des armes à répétition, les chars de combat entraient en force, les soldats bloquaient les rues avec des poids-lourds aux pneus crevés...;
Nous nous sommes réfugiés dans la Casbah, aux ruelles étroites que les chars ne pouvaient pas parcourir et par où les soldats ne s'aventuraient pas; c'était le début du Ramadan et il y avait plein de monde faisant leurs achats et aussi coincés que nous...

En octobre 2003, nous avons été témoins d'une attaque capricieuse aux grenades lacrimogènes à la sortie d'une école de filles, dont certaines ont dû être emmenées à l'hôpital en état de choc...

Et quoi aujourd'hui, le 1er janvier 2004 ?
Bonne Année, chers amis de Naplouse !

Nous faisons notre entrée à Naplouse, par des quartiers périphériques, car l'entrée par le centre a été bloquée par des obstacles par les IDF, notamment la ville a été divisée en deux par des grosses pierres et un grand tas de sable, ainsi que par un check-point dans la rue d'Amman.

En plus il y a des opérations militaires en cours. Nous poursuivons donc des rues en haut de la ville pour nous rapprocher du quartier Qarioun de la vieille ville, en état de siège.

Notre voiture a des plaques jaunes, donc israéliennes, et les gens nous regardent avec surprise et méfiance. Nous garons la voiture et poursuivons à pied.

Un groupe d'enfants et d'adolescents nous rejoignent et nous demandent des photos. Ils sont surexcités.

Certains d'entr'eux pensent que nous sommes des Israéliens. Quel pastiche! Je fais des photos, ils font le signe de la victoire.

Ils demandent plus de photos, nous descendons vers le quartier, ils restent sur la colline, et alors deux ou trois nous jettent des cailloux, les autres leur disent d'arrêter, mais Evelyne a été touchée dans la tête. Heureusement ce sont des cailloux
tout petits.

Les Palestiniens des Comités d'Assistance Médicale viennent à notre rencontre. Ils crient aux enfants d'arrêter : "Evelyne est notre meilleure amie !" Ils sont navrés.
"C'est ça, l'excitation dans laquelle ils sont soumis. S'il n'y a pas des soldats, alors ils jettent les cailloux à il n'importe qui !"
"Il y a un grand travail psychologique à faire", lance le Dr Ghassan Hamdan, directeur de l'UPMRC de Naplouse.

Voilà, la jeunesse israélienne, habillée en uniforme, a la gachette facile, et les gamins palestiniens, habitués à la barbarie dans la rue comme seul refuge a le caillou facile. Il y a un démon insaisissable qui détruit l'humanité des gens, et leurs vies. Il y a l'occupation.

Mais il y a aussi le Dr Ghassan Hamdan et ses assistants et bénévoles, qui au milieu de toute cette misère s'élèvent de façon grandieuse comme les vrais héros de notre temps...Certains en sont morts.

Evelyne n'a qu'une égratignature, qui fait mal quand-même, mais elle est vite guérie là-même. Et puis ils s'embrassent, comme nous le faisons. Les enfants de la colline, qui étaient restés silencieux un moment, peut-être en réfléchissant, les acclament avec enthousiasme. Incident clos.

Nous voici donc devant la porte du Centre Médical de Qarioun. Le Dr Hamdan et ses assistants nous racontent la situation. A dix mètres, un véhicule militaire des IDF, avec ses soldats à l'intérieur. Il faut se méfier, malgré notre apparence occidentale, et les chemises de sanitaires des Palestiniens.

Il y a cinq jours déjà que nous sommes sous occupation. La nuit dernière, ils ont bombardé avec leurs chars Qasr Abdel-Hadi, un bâtiment historique vieux de 200 ans, et puis à 1:30 du matin ils ont dinamyté les parois intérieurs; comme conséquence 16 familles sont restées sans toit; le centre de la vieille ville est sous la protection de l'UNESCO, y compris ce bâtiment, au-dessous duquel coule un système de canalisation de plus de 1000 ans.

Ils ont occupé le village de Beit Iba, et puis le camp de réfugiés de Balata, où ils sont restés 9 jours et détruit deux bâtiments.

Maintenant ils occupent la vieille ville dans la totalité; ils ont pris 48 maisons, avec les familles à l'intérieur, et ils s'y cachent comme francs-tireurs. Ils détruisent les murs d'une maison pour passer à la maison à côté. Cela est une pratique courante... Les Comités médicaux négocions avec les soldats occupant les maisons pour introduire de la nourriture aux habitants kidnappés.

Ils disent qu'ils sont venus chercher des jeunes, mais ce n'est qu'une excuse pour maintenir la crise ouverte. Il n'y avait aucune raison pour qu'ils chosissent Balata ou Naplouse. Ce sont des mesures de punition collective. Parfois ils choisissent des endroits pour leur écho, sans qu'il y ait des liaisons directes avec quoi que ce soit.
(Naplouse est une cible accoutumée, du fait de son importance. En plus le mur ne passe pas par là, et on connait l'aggressivité des colons des alentours. D'où les razzias militaires ont plutôt un caractère préventif, pour permettre aux colons leurs actions fréquentes d'intimidation.)

Nous contournons le quartier de Qarioun, accompagnés par deus sanitaires, pour descendre au centre historique en évitant les IDF. Nous croisons un groupe de bénévoles palestiniens, aves leurs chemises d'identification. Ils viennent de secourir des voisins.

Avec eux, une jeune fille américaine, volontaire. Elle me dit qu'elle est là depuis 8 jours, et que les derniers jours les opérations militaires se sont intensifiées, avec l'intervention de dizaines de véhicules militaires et de chars, des centaines de soldats et au moins un buldozer. Aussi que la ville a été soumise à un couvre-feu total depuis deux jours, qu'il y a eu des blessés et des démolitions. Je lui souhaite bonne chance.

Et dans mes pensées je lui rend hommage, car elle se joue le tout pour le tout pour une cause humanitaire noble, pour démontrer qu'il y a quand même des Américains qui rejettent la politique impérialiste de leur gouvernement.

Et il y en a beaucoup en Palestine (dont un quart sont des Juifs). Ils risquent fort. Et ils ne se fatiguent pas de dénoncer la complicité, voire le sponsorship, de leur gouvernement.

Le couvre-feu ne sera levé jusqu'au 6 janvier, et il y aura eu au moins quatre Palestiniens morts, l'un d'eux pendant l'enterrement des autres trois, assassinés au hasard...


Bientôt nous arrivons au bout d'une rue. Au delà, le passage devient très dangereux. Il y a un jeep en face de nous, qui part bientôt, mais il y a les francs-tireurs dans les maisons occupées. Il est très dangereux de continuer la visite, nous disent les sanitaires. On ne sait jamais.

Nous nous rendons au camp de Balata, d'où les occupants sont partis la veille. Un voisin veut nous montrer sa maison détruite.

Par les ruelles du camp je vois de très nombreuses peintures murales. Très belles, elles évoquent la mer, les forêts, la nature, les fleurs, bref, la vie et pas la guerre. Etonnant, je ne vois pas des peintures au style pamphlétaire ou héroïque.
Les murs des maisons du camp chantent à la beauté de la vie. Oui, il y a des affiches avec le portarit des shahid, mais pas des peintures.


Dans la maison que nous visitons, qui tient en pied parce qu'elle est collée à toutes les autres et que les ruelles sont très étroites, habitent 17 personnes, et elle a trois étages (c'est une maison «verticale», comme on dirait à Bruxelles).

Les soldats voulaient arrêter le fils ainé, mais il n'était pas là.

Ils sont venus la première fois il y a une semaine, au début de l'occupation, mais comme le garçon n'était pas là, ils ont abimé tous les meubles, les murs, la cuisine, la décoration.
Puis ils sont revenus la nuit dernière.

Ils ont fait sauter la porte arrière, et puis ils ont mis la dynamite. Notre hôte se plaint. Il dit qu'il avait travaillé pendant 10 années en Arabie, et qu'il avait investi tout son argent dans cette maison.

D'autre part, ils ne peuvent pas obtenir de permis pour travailler en dehors de Naplouse. Ils sont sept enfants plus les parents et la famille d'une fille.
En tout 17 personnes.
Ils sont venus à la maison 11 fois.
Chaque fois ils ont détruit quelque chose. La dernière fois ils ont abîmé la maison avec la dynamite, mais la maison est solide et elle a tenu. Pour la dynamiter tout à fait, il faudrait détruire tout le quartier, vu l'étroitesse extrème des rues.

En fait, nous constatons aussi les dommages de la maison d'en face.

Nous continuons la visite du camp. Il y a 16 maisons marquées pour leur destruction.

La Cour Suprême a suspendu la démolition, mais ils viendront, nous dit-on. Les autorités israéliennes aiment jouer à ces juridicismes, pour se donner une apparence de légalité, mais en fin de compte c'est l'armée qui a le dessus (le politique et l'armée sont interpénétrés).

Parfois il y a eu des démolitions malgré les ordres judiciaires contraires : les autorités israéliennes aiment aussi les faits accomplis.
En tout cas, pour le moment les habitants restent à l'intérieur, tant que les maisons restent debout. Mais ils ont évacué toutes leurs appartenances.
Ils habitent là, entre les quatre murs, et ils attendent le jour quand les soldats arriveront et leur donneront 5, 15 ou 30 minutes pour quitter définitivement leur maison. Nous regardons les maisons, on dirait des maisons abandonnées...

Nous finissons la visite dans le cimetière du camp. Ils nous montrent les endroits où quatre militants s'étaient cachés dans le cimetière. Les soldats ont utilisé des munitions à fragmentation, des clusters, interdites par le droit de la guerre. Des volontaires des comités médicaux ont été tués près d'ici aussi il y a dix jours.

De retour vers le Centre de la Jeunesse, le Dr Hamdan nous rejoint . Il va soigner une vieille dame qui est assise devant la porte de sa maison, déjà au quartier de Qariuon, dans la vieille ville. La dame avait été opérée de diabètes dans la jambe. La période post-opératoire a été chaotique. Elle n'a pas pu suivre son traitement convenablement. Dr Hamdan fait ce qu'il peut, avec ses maigres moyens...

Nour, notre chauffeur, guide, interprète, etc. est pâle.
Qu'est-ce que c'est ? S'est-il passé quelque chose ?
"Quand vous êtes partis faire le tour du quartier et du camp, et que je suis resté pour ramener la voiture, nous étions toujours devant la porte du Centre Médical et ils sont venus et nous ont tiré dessus, sur nos têtes. C'était rien. Mais je suis sous l'impression encore."

Nous nous acheminons donc vers le Centre de la Jeunesse. Nous sommes très intéressés d'écouter comment on lutte contre le désespoir d'une jeunesse traumatisée.

Mais cela la prochaîne fois; il est trop tard déjà. Bonne nuit.

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