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Bethléem - 30 décembre 2003
Par Enrique
Nous sommes donc au camp de réfugiés d'Aïda. Nous sommes allés visiter le centre culturel Al-Rowwad, établi en 1998, qui se consacre aux activités extra-scolaires des enfants, notamment les arts et le théâtre, ainsi que l'apprentissage de langues étrangères et l'informatique (aussi pour les adultes).
Je reprends mon journal, même s'il y a déjà quelques jours que je suis rentré, mais je crois que cela sera utile, comme souvenirs de voyage en forme de journal. La situation là-bas est volatile et évolue ou involue rapidement. Mes notes seront donc utiles comme témoignage de mes impressions le jour venu.
Franz Kafka écrivait dans son Journal du 19 janvier 1922 : «Que signifient aujourd'hui les constatations que j'ai faites hier ? La même chose qu'hier. Elles sont vraies, si ce n'est que le sang coule goutte à goutte dans les rigoles creusées entre les grandes pierres de la Loi.»
Nous sommes donc au camp de réfugiés d'Aïda. Nous sommes allés visiter le centre culturel Al-Rowwad, établi en 1998, qui se consacre aux activités extra-scolaires des enfants, notamment les arts et le théâtre, ainsi que l'apprentissage de langues étrangères et l'informatique (aussi pour les adultes).
Au camp d'Aïda, habitent 4 000 personnes provenant de 45 villages de l'ouest de la Palestine mandataire, aujourd'hui Israël, ayant été détruits ou «nettoyés» lors de la Nakba.
Les 40% des habitants d'Aïda ont moins de 15 ans.
A conséquence de la première Intifada, il s'est produit un effondrement de l'enseignement. La seule alternative pour les enfants était la rue. De là nos efforts de leur fournir une alternative culturel, explique AbdelFattah, le directeur du centre.
"Le théâtre, ainsi que la peinture murale, pouvait encourager une activité de groupe, avec un sens d'entr'aide avec un but commun, dans un langage artistique, loin de la violence de l'occupation. Nous avons crée deux pièces, logiquement influencées par la situation. Ainsi, nous jouons à présent «Nous sommes les enfants du camp», qui met en scène le quotidien des enfants.
En 2000, nous avons obtenu un contrat d'association avec le Danemark et la Suède, où nous sommes restés deux semaines. Le Théâtre National Palestinien de Jérusalem nous a demandé de nous produire.
L'été 2003, nous avons fait pendant deux mois une tournée en France, avec grand succès, même si à Paris nous avons eu des problèmes avec les autorités, qui, sous la pression du lobby sioniste, nous ont interdit de jouer. Mais nous jouissons d'une fraternité internationale.
Nous avons demandé des bourses pour les étudiants, et nous avons reçu 8000 euros pour 15 étudiants et, encore, 15000 euros pour distribuer entre 54 étudiants. Nous essayons de fournir une sorte de vie belle : la grammaire, la peinture, la musique, l'informatique, une bibliothèque. Sur scène, nous pouvons le faire comme un jeu. Nous cherchons un échange avec d'autres enfants dans le monde. Nous créons un réseau pour la coopération.
Il est très important que les gens du camp gardent leur dignité (70% est au chômage). Nous essayons de travailler sur des choses donnant de l'espoir aux gens".
Que pensez-vous de l'expédition à l'Antarctique ?
Stupeur, et puis, éclat de rire. Personne dans la salle, ni nos hôtes palestiniens, ni les membres de la délégation belge, ni Evelyn notre guide bien-aimée n'en avaient jamais entendu parler.
Ils pensent que c'est une boutade. Oui, c'est une boutade, mais sur base réelle.
La presse occidentale, et notamment américaine, en parle : une expédition d'hommes et des femmes, composée de quatre Palestiniens et de quatre Israéliens est partie à la conquête d'une montagne vierge dans l'Antarctique, pour vivre ensemble dans des circonstances extrèmes et coopérer sans arrières pensées...
Est-ce qu'il n'est pas possible de coopérer dans la vie réelle aussi, peut-être dans le monde du théâtre. Et que penser de Genève ?
Tu ne dois pas oublier que nous avons des droits.
Genève nous enlève ces droits. Nous respectons le droit international. Personne ne peut supprimer nos droits. Nous sommes des réfugiés dans un camp.
Quant à des projets conjoints, nous les aimerions bien. Nous sommes un centre indépendant. Notre équipe est faite des bénévoles.
Nous pouvons travailler ensemble aves des Israéliens, mais quand nous retournons ici, tout reste pareil et rien n'a changé. Notre priorité est la fin de l'occupation.
Et un gouvernement palestinien qui puisse gouverner.
Quant à la fraternité avec les Israéliens, il ne faut pas oublier que cette génération ne connaît que les soldats.
C'est les seuls Israéliens que les jeunes connaissent, les soldats. Les enfants qui voient leurs parents mourir, ça, ils le trouvent normal.
Si les enfants ne voient que ça, quand ils seront plus grands, ça ne sera pas facile. Il faut qu'ils comprennet que tous ne sont pas comme ça. C'est un travail pour les internationaux.
Nous autres nous voulons influencer la réalité comme il n'importe quel artiste.
Notre sujet est lié à la souffrance, même s'il a été présenté de manière joyeuse.
Pendant la conversation un jeune Palestinien peintre nous a rejoint. Il ne parle que l'Arabe, Fouad le questionne et nous fait l'interprétation. Il s'appelle Eyad Obeid. Il nous montre son oeuvre, dans des très nombreuses photos. C'est un art douloureux, tragique. D'un surréalisme pénétrant dans le néant, reflet d'un désespoir insaisissable. Un symbole qui réapparaît est la clé ou plutôt des serrures suspendues dans le vide, comme si elles voulaint fermer les champs et les nuages, c'est une immensité peuplée par des personnages déformés par une cruauté invisible.
Au sentiment claustrophobique s'ajoute la rébellion contre l'existence. Parfois, certains tableaux me rappellent le Dali d'avant la guerre civile, comme une prémonition ou peut-être un témoignage de la catastrophe. De la catastrophe quotidienne.
Je me sens malade, dit-il. Je suis habité par una profonde tristesse.
Avant de quitter Bethléem, nous passons au centre Ararad, où la troupe INAD joue une pièce pour les enfants : "La famille du Père Noël"
C'est rigolo. Ils sont tous habillés en rouge, avec leur bonnet de papa Noël. Il y a aussi d'acteurs déguisés en reins. On y danse, on y chante. Tout le monde. Les acteurs jouent sur le podium, mais descendent parmi le public pour l'encourager à danser. C'est Noël, comme il n'importe où.
Le Noël occidental, est déjà derrière nous, mais le Noël orthodoxe doit encore arriver (le 6 janvier), et puis le Noël arménien, le 28 janvier...
On dirait qu'on est dans un quartier de Bruxelles ou de Paris. Mais voilà que Marina, la directrice du groupe me raconte l'histoire : le Père Noël lit les lettres des enfants du monde. Il lit la lettre des enfants de Palestine.
Ils lui racontent leur vie quotidienne et lui demandent de raconter tous les pères Noël du monde qu'ils viennent enlever le béton, les fils barbelés, les check-points. Ils se plaignent du mur.
Alors tous les pères Noël discutent ce qu'ils doivent faire. Eux tous viennent distribuer des cadeaux et ils font sonner les cloches partout dans le monde pour raconter le monde ce qui se passe en Palestine.
Et les rennes viennent et font tomber le mur.
Et c'est à ce moment que nous sommes arrivés. Le peuple danse et chante de joie. Un jour cela sera vrai...
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