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Jérusalem - 5 avril 2004
Par Starhawk
Et encore je souhaite que tous ces gens qui disent, si allégrement : "Nous appelons le peuple palestinien à adopter la tactique de Martin Luther King et de Gandhi " viennent ici et regardent les immenses difficultés qu’il y a à se comporter de cette façon dans une situation de combat, quand vous êtes confrontés à une armée qui n’a aucun scrupule à tirer sur des manifestants sans armes et où le succès, quand il arrive, signifie l’arrêt des bulldozers pour quelques heures, en sachant qu’ils risquent de vous prendre votre terre, vos ressources en eau, vos arbres anciens, votre mode de vie.
Cette nuit est la première de Pâques, la fête juive de la libération qui traditionnellement se termine par cette phrase rituelle : « L’an prochain à Jérusalem ».
Il y a un an, j’ai passé cette nuit au camp de la paix de Mas’Ha après être rentrée de Rafah où j’étais allée soutenir l’équipe de Tom Hurndall quand il avait été blessé quelques jours plus tôt. J’ai écrit, alors, que je ne pourrais plus jamais dire : « L’an prochain à Jérusalem » tant je souffrais devant l’injustice et la violence que mon propre peuple propageait au nom de ce rêve.
Mais j’ai aussi écrit que ce camp me faisait espérer, ce camp où des Israéliens avaient répondu à la demande de soutien du village et combien c’était réconfortant de voir de jeunes Palestiniens et Israéliens se réunir simplement ensemble autour d’un feu.
Aujourd’hui, je pense aux fruits de ce camp. Je ne suis pas loin. Je suis dans la maison de l’International Women’s Peace Service à Hares, en bas de la route.
Nous nous sommes levés à 5 heures du matin pour aller à une nouvelle manifestation contre le Mur à Biddu. Biddu est un village de l’arrière-pays de Jérusalem où il y a quelques semaines quatre personnes ont été tuées au cours d’une manifestation pacifique.
Aujourd’hui, nous manifestons avec une cinquantaine de villageois, quelques internationaux et des Israéliens qui sont souvent là pour ces évènements. Nous montons une colline où hier un bulldozer a ouvert un passage rudimentaire et détruit des plants d’oliviers. Les hommes avaient apporté quinze arbres et ils sont rapides et efficaces quand ils grattent et sarclent pour creuser les trous où ils les plantent.
Ils demandent à quelques uns d’entre nous de planter un arbre ; Jonathan, le grand et jeune israélien qui, avec ses cheveux noirs bouclés, ressemble à mon frère quand il était jeune, sarcle avec une binette. Il a failli être tué il y a quelques jours quand une jeep de l’armée a essayé de foncer sur lui. Il a pu sauter sur le capot et été emmené, mais il a survécu. Je lui a pris la binette, lui, je l’ai fait tourner et je me suis éloignée du sol pierreux pour montrer aux shebabs que je connais comment se servir d’une binette.
Puis nous avons planté l’arbre, et tassé la terre tout autour. J’ai sorti une petite bouteille d’eau sacrée, les eaux du monde comme nous l’appelons, de ma poche et j’en ai aspergé l’arbre. « C’est l’eau de ma terre » ai-je dit à la foule : « Là où je fais aussi pousser des oliviers et je veux arroser cet arbre avec un symbole de solidarité ».
Ils ont tous applaudi et ils ont apporté une grande cruche d’eau pour arroser les racines de l’arbre. Je me dis que c’est ma bénédiction de Pâque.
C’est probablement la dernière manif à laquelle je participe pour cette fois et planter un arbre paraît juste et porteur d’espoir.
Il s’avère que les bulldozers ne travaillent pas aujourd’hui, et les soldats ne sont pas visibles. Nous nous tenons dans le soleil, chantons, faisons des discours. Un sheik fait chanter à un groupe d’hommes des chants religieux. Mohammed va à la ville, revient avec des tomates, des concombres du pain palt, avec de la « zata » , du thym, des graines de sésame pour tout le monde.
C’est mon pain non levé, (Ndtr : pain azyme) me dis-je. Rebecca, la grande militante d’ISM aux cheveux roux et qui est aussi juive, est à côté de moi et montre le pain « C’est notre matzoh » (azyme) dis-je « Bonne Pâques » .
Au cours des quelques derniers jours, j’ai fait des formations différentes pour des groupes appartenant à des internationaux qui arrivent, coordinateurs paelstiniens de l’ISM, femmes des villages qui organisent des actions. En ce moment , je fais moins de "formation" et plus de soutien en matière de réflexion collective sur les stratégies et les actions pour les mouvements non-violents à leurs débuts qui essaient de gagner du terrain ici. Et j’apprends énormément.
La Palestine a vraiment une longue et une riche histoire en matière de résistance civile, depuis les grèves et les manifestation des années mandataires jusqu’à la première intifada qui a d’abord été un soulèvement non-violent qui a gagné tous les secteurs de la société.
Il y a eu un boycott massif des marchandises israéliennes, des grèves, des manifestations, une révolte de l’impôt à Beit Sahour, et les gens ont compris que la force de la résistance avait conduit les Israéliens à la table des négociations qui ont abouti aux accords d’Oslo.
Ils ont gagné la reconnaissance de l’OLP comme représentation légitime du peuple palestinien ; le problème est que l’OLP les a trompés ;
Oslo ne contenait rien d’enthousiasmant, aucune garantie pour la création d’un Etat palestinien et pendant que les négociations s’enferraient, le gouvernement israélien a continué à favoriser de nouvelles colonies qui ont enlevé de plus en plus de terre stratégique d’une zone déjà petite qui aurait pu être la Palestine.
Les zones de Cisjordanie ont pris de grandes étendues de terres fertiles, ont commencé à encercler Jérusalem - et pendant ce temps, chaque « offre » de tous les gouvernements israéliens qui se sont succédés procurait moins d’autonomie et réservait encore plus de terre à la sécurité d’Israël.
Les soi-disant « offres généreuses » de Barak revendiquaient un autre énorme morceau de la Jordanie, et ne contenaient pas davantage de garanties. Tellement de gens ne croient plus ni dans les négociations, ni dans le processus de paix, ni dans la non-violence, et ce profond désespoir est une partie du terrain pour un intérêt plus grand pour cette intifada dans les luttes armées et les attaques à la bombe.
Mais maintenant il y a des Palestiniens qui commencent à ne plus croire dans la lutte armée. Et beaucoup commencent à se rappeler les succès de la première intifada et cherchent des formes de résistance qui peuvent inclure la grande majorité de gens qui ne prendront pas les armes ni ne deviendront des kamikazes.
En particulier dans les villages où le mur est en cours de construction, un mouvement de masse, de résistance non violente grandit. Jusqu’à présent ces villages n’ont pas été martyrisés autant que les camps et les villes.
Beaucoup ont fait, jusqu’à il y a peu, commerce avec les Israéliens, et tandis que beaucoup ont subi attaques et harcèlements de la part des colons, d’autres ont eu des relations amicales avec les colonies.
Il y a une an, quand Mas’Ha a établi un camp de la paix sur le chemin des bulldozers, ils ont appelé à l’aide et des internationaux et des Israéliens qui ont répondu en aidant les villageois à maintenir une présence pendant des mois.
Mas’ha a perdu toutes ses fermes à cause du Mur mais le mouvement a grandi maintenant et a développé presque tous les jours des manifestations et des actions directes partout où les bulldozers sont au travail. Et entre les Israéliens et les Palestiniens, il y a le respect de camarades qui affrontent un danger commun
Et encore je souhaite que tous ces gens qui disent, si allégrement : "Nous appelons le peuple palestinien à adopter la tactique de Martin Luther King et de Gandhi " viennent ici et regardent les immenses difficultés qu’il y a à se comporter de cette façon dans une situation de combat, quand vous êtes confrontés à une armée qui n’a aucun scrupule à tirer sur des manifestants sans armes et où le succès, quand il arrive, signifie l’arrêt des bulldozers pour quelques heures, en sachant qu’ils risquent de vous prendre votre terre, vos ressources en eau, vos arbres anciens, votre mode de vie.
Essayez de vous lever tous les jours et d’aller affronter les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc qui visent votre tête et vos yeux.
Vous vous torturez les méninges à essayer de trouver comment de vielles femmes peuvent se protéger des soldats qui veulent les frapper jusqu’au sang, comment des mères et leurs petits vont répondre aux gaz lacrymogènes, comment des leaders peuvent émerger quand se présenter met votre vie, votre foyer, et votre liberté en danger.
La non-violence n’est pas une formule magique qui garantie le succès.
Ca marche de manières particulières, la plupart lourdes de dangers dans les difficultés particulières qu’on connaît ici.
La non-violence peut toucher les cœurs de l’ennemi et les transformer, ce qui est arrivé avec certains soldats, mais la plupart sont tellement convaincus d’être des victimes et dans leur bon droit qu’ils sont imperméables à la honte, à la culpabilité ou au sentiment que ces gens sont des humains.
La non-violence peut révéler la violence inhérente à un système injuste et remonter l’opinion publique contre elle. Bon, ici la violence est manifeste et claire, mais jusqu’à présent, l’opinion publique mondiale paraît bien n’en avoir rien à fiche, ou si c’est le cas, ça doit avoir un impact sur Sharon ou Bush.
La non-violence et la non collaboration peuvent faire grimper les coûts d’une injuste politique – mais beaucoup des méthodes habituelles de non collaboration ne marchent pas ici.
Les Palestiniens ne peuvent pas continuer à faire grève : ils sont déjà sortis du travail dont beaucoup dépendaient en Israël même.
Ils ne peuvent pas bloquer les routes : ce sont celles qui sont bloquées, continuellement, tout le temps à chaque fois qu’ils doivent sortir de leur village ou aller à plus de quelques kilomètres.
Ils ne peuvent même pas manifester là où les Israéliens pourraient vraiment les voir parce qu’ils ne peuvent même pas entrer en Israël.
Pourtant, ces gens sont déterminés et courageux, et nous faisons des projets et jouons des pièces et mettons au point de nouvelles idées pour les campagnes.
Et au cours des jours que nous passons ensemble, l’humeur passe de la colère et du désespoir à l’optimisme et à l’espoir – peut-être seulement parce que les militants du monde entier partagent un tempérament heureux et optimiste tant que nous avons quelque chose, n’importe quoi à faire.
La formation prend place dans les difficultés. Nous demandons que chacun éteigne son portable. Mais les Palestiniens et les coordinateurs ISM ne parviennent pas à s’y résoudre. Une urgence peut survenir. Ils pourraient rater un appel.
Et comme il se doit, au cours des trois premiers jours de formation, il y a des urgences. La maison de l’un des leaders d’actions non violentes à Kharbata est détruite, et six de nos amis israéliens sont arrêtés pour avoir essayé d’empêcher la destruction.
Nos coordinateurs de Naplouse, qui sont venus à la formation avec d’immenses difficultés, ont appris le dernier jour qu’il y a une incursion, que la ville est bouclée encore plus étroitement qu’avant et que les tanks sont en marche.
Quand la formation à Ramallah sera terminée, je retournerai avec Fatima qui est une des organisatrices dans le district de Salfit. Nous arrivons chez elle après un voyage en tortillons dans les collines, un checkpoint, et un interrogatoire par des soldats qui avalent mon histoire de recherche universitaire et me laissent passer.
Pendant que nous attendons notre voiture, juste derrière le checkpoint, nous sommes agressées de nouveau par des soldats en voiture au moment où notre voiture de location arrive ; ils nous obligent à ouvrir nos sacs.
Mais nous montons, et arrivons chez Fatima à l’entrée du village. Nous montons les escaliers et entendons ses cinq enfants chanter derrière la porte. « Ils chantent pour dire que leur mère leur manque » dit-elle. Et elle ouvre la porte pour être enveloppée par une marée d’enfants qui jettent leurs bras autour d’elle dans une étreinte de pieuvre.
Nous passons une soirée un peu surréelle, mangeons ensemble sur des plateaux par terre à la façon Proche-Orientale pendant qu’Oprah Winfrey interviewe Arnold Schwazenegger à la télévision cablée.
Les filles aînées Shams et Mais demandent si je peux chanter. Je demande si elles ont un tambour et elles sortent un gros « doumbek » et je joue et je chante pour elles. ; alors Shams le prend et chante en arabe une chanson populaire de résistance d’une voix fraîche et superbe.
Les plus jeunes m’apprennent à loucher pendant que Mais s’empare de mon ordinateur et commence à ouvrir tous les fichiers pour trouver des jeux que je n’ai pas. Finalement pour les calmer, je mets « Le seigneur des anneaux » en DVD et explique toute l’intrigue à Shams pour qu’elle traduise en arabe.
« Sauron, il est le méchant seigneur, a fait cet anneau pour règner sur les autres et se donner à lui-même un incroyable pouvoir, afin de régner sur le monde ».
« Comme Bush » dit Fatima. « comme Sharon ».
C’est un film très long et, avant la fin, nous sommes tous endormis entassés les uns sur les autres. Puis nous nous levons et allons au lit.
Le matin, je fais une formation pour des femmes. Quand j’aborde le thème de la peur, toutes ont une histoire à raconter – on a frappé à minuit à leur porte, un mari ou un frère a été tué, une terrifiante rencontre avec des soldats.
Pour elles, les coups, les balles en caoutchouc, la violence qu’elles affrontent dans les manifestations n’est qu’une suite permanente de la violence sans fin.qu’elles rencontrent à tous les instants de leur vie. Pourtant, elle sont ici pour renforcer leur capacité à résister à cette violence indéfectiblement. Je regarde leurs visages courageux et souriants, et ressens de l’espoir.
Reste à voir si ce mouvement va grandir, s’il peut devenir une masse, une résistance populaire non violente ou s’il se désintégrera dans le désespoir ou l’explosion d’actes de désespoir alors que le Mur gagne de plus en plus de terre.
Mais je sais une chose : il ne peut pas réussir sans soutien, si nous tous qui déplorons la violence ne trouvons pas une manière de contenir la violence de Sharon, de l’armée et des gouvernements, y compris les nôtres, qui les soutiennent.
Si nous nous nous joignons aux villageois qui réclament justice, si nous nous rassemblons ensemble en communauté mondiale comme nous l’avons fait contre l’apartheid en Afrique du Sud, alors peut-être que l’année prochaine, nous serons là, pas à Jérusalem, ou à Mas’ha, mais dans cet endroit meilleur que nous savons possible, quand nous voyons les mains des Palestiniens, les mains des Israéliens, des Juifs américains et des internationaux de partout partager un morceau de ce pain commun sur la terre pour laquelle ils se battent ensemble.
Source : www.palsolidarity.org
Traduction : CS pour ISM-France
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