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ISM France - Archives 2001-2021

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Jérusalem -

Aux portes de Jérusalem

Par

L’International Solidarity Movement est une organisation non-gouvernementale palestinienne regroupant des pacifistes palestiniens et internationaux travaillant à promouvoir la lutte pour la liberté en Palestine et pour la fin de l’occupation israélienne. Nous utilisons des méthodes de résistance non-violentes et des actions directes pour affronter et défier les Forces illégales d’occupation israélienne et leur politique.

Ce que je dis c’est qu’aussi longtemps que nous barricaderons cette porte, ce qui risque d’exploser d’un moment à l’autre véhiculera sa force de destruction massive.
Mais ce n’est pas une raison pour garder la porte close, il faut l’ouvrir pour regarder à l’intérieur, pour connaître la vérité sur ce que nous avons fait, affronter la culpabilité, la douleur et le sentiment de gêne que nous en éprouvons, et commencer à nous racheter.
C'est de cette manière qu'il est imaginable de commencer le travail vers la paix.

Aux portes de Jérusalem

Je suis de retour en Cisjordanie , dans le petit appartement de Neta Golan à Ramallah. Je suis venu l'aider pour la naissance de son second enfant qui peut se produire d'un moment à l'autre, et pour faire de la formation à l'International Solidarity Movement (ISM) qui soutient la résistance non violente de Palestine.

En même temps j'espère participer à la campagne contre le mur que le gouvernement ismaïlien est en train de construire, et qui confisque le principal de la terre agricole palestinienne, détruit les villages et élargit unilatéralement et de facto les frontières d'Israël.

Pour l'instant je suis fatiguée de ce long vol depuis San Francisco, du taxi collectif qui a tourné et tourné encore dans les rues de Jérusalem, de la tension d'être partie de chez moi et du décalage horaire. Mais je suis contente d'être ici trop heureuse de n'avoir rencontré aucun incident dans la file d'immigration, à la douane et quand on a traversé le checkpoint à Kalendia. C'est là où je me suis endormie la nuit dernière.

Maintenant après une bonne nuit de sommeil, un jour calme nous réunit avec Neta , l'une des fondatrices de l'ISM. Nous partageons cette amitié qui transcende les limites du temps et de l'espace. Je l'avais rencontrée lors de mon premier voyage dans les territoires occupés, quand j'étais venue pour travailler avec l'ISM.

J'étais déjà venue à Tel Aviv, j'avais renoué des liens avec certains de mes amis israéliens et finalement je m'étais payé le culot d'aller en Cisjordanie . J'avais pris le bus à Jérusalem, un bus rempli de soldats qui étaient si polis et si amicaux, qu'ils m' avaient aidée à porter mes sacs, et un taxi m’avait emmenée à Damascus Gate où le Faisal, l’hôtel habituel des ISM, s’élève aux portes de la Vieille ville.

Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi le chauffeur de taxi était devenu de plus en plus nerveux au fur et à mesure que nous approchions, et finalement à sa demande j'étais descendue de la voiture à un pâté de maison de là. Un peu plus tard j'avais compris que les taxis juifs israéliens ne vont même pas à Jérusalem-Est. Ils ont peur.

J’avais déposé mes sacs au Faisal, monté une étroit escalier enfoui entre un étal de légumes et un vendeur de falafel dans une rue pleine de petits magasins, en face d'un grand espace nu où arrivent, et d’où partent, les taxis collectifs de Cisjordanie . J’étais fatiguée, nerveuse et je me demandais si j’étais en train de faire ce qui fallait. J’avais essayé pendant deux jours de joindre Neta sans y parvenir. J’avais sonné et un jeune homme avait ouvert la porte.

J’avais jeté un coup d’oeil à l’intérieur, et je m'étais dit que j’étais trop vieille pour séjourner dans une auberge de jeunesse mais que, si je devais vraiment aller en Cisjordanie , j’habiterais dans des endroits bien pires et que je ferais mieux de m’y habituer.


«Bienvenue, bienvenue» avait dit d’une voix de stentor Hisham le directeur du Faisal, en m’accueillant et il m’avait adressé un sourire si chaleureux que je m'étais immédiatement sentie mieux. Quand je lui avais dit que j’étais une amie de Neta, son sourire s’était élargi. Elle était là la nuit d’avant. Il l’avait appelée à Tel-Aviv et elle était revenue. Nous avions veillé la moitié de la nuit, parlant comme si nous nous connaissions tous depuis toujours.

Le lendemain, elle avait essayé de me faire aller à la mosquée d’Al Aqsa habillée en palestinienne. Les soldats de garde de la mosquée n’avaient pas avalé mon déguisement ­ mes chaussures de randonnées probablement révélatrices sous la longue robe blanche.

Alors nous étions allées à Bethléem en plein siège, avions marché dans les rues irréelles d’une ville silencieuse, aux magasins fermés, jusqu’au Nativity Square, où les chars stationnaient encore. Le lendemain, elle m’avait fait faire une formation pour les internationaux mais nous l’avions interrompue quand on avait appris que le camp de Balata était envahi par l’armée.

A la nuit tombée nous avions crapahuté dans les montagnes dominant Naplouse pour atteindre la cité fermée, puis nous étions redescendues au camp, et avions dormi chez une famille palestinienne qui craignait que l’armée ne vienne perquisitionner dans la nuit. Je me suis rappelé tout cela en refaisant le trajet de l’aéroport au Faisal, où Hisham m’a accueillie encore plus chaleureusement que précédemment.

Il avait reçu un coup et boitait terriblement, mais il m’a invitée, offert du thé et le téléphone qu’il s’était procuré pour moi . C¹était un téléphone particulier : celui de Rachel Corrie, cette jeune femme qui avait été tuée exactement un an plus tôt en essayant d’arrêter la démolition d’une maison par un bulldozer qui a délibérément foncé sur elle.
Je suis redescendue vers Rafah pour aider l’équipe dont elle avait fait partie.
Aujourd’hui mes amis vont faire une manifestation silencieuse pour elle au consulat israélien.
Il y aura aussi des manifestations silencieuses dans le monde entier. Moi même je manifeste ici.

Le Faisal a vraiment besoin d’un John Le Carré pour être juste. Il a une terrasse à l’arrière qui domine Damascus Gate, une véranda couverte où les militants de l’ISM , les randonneurs et la plus coriace génération de journalistes se retrouvent tous, fument, boivent du thé, échangent des informations, despotins, et des combines pour aller là où les autorités ne veulent pas qu’on aille.
Dans les salles de bains, la crasse entoure les robinets de lavabos et les coins de la douche, les chambres sont très rudimentaires, avec des lits superposés ou de simples matelas et des murs en ciment, mais le prix est bas et l’information qu’on peut trouver sur la terrasse rattrape la saleté.

Ironie du sort, toutes les maisons palestiniennes dans lesquelles je suis passée étaient de loin autrement plus propres que le Faisal, même dans les camps de réfugiés les plus surpeuplés. D'ailleurs, elles étaient toutes largement plus propres que ma propre maison. Mais je ne peux pas rester au Faisal ­ je veux être à Ramallah avant que le checkpoint ne ferme à neuf heures. Je hisse mes bagages, dis au revoir, et marche jusqu’au coin pour trouver un bus pour Kalendia, le checkpoint à l’entrée de Ramallah.

Dans la rue, je suis frappée par une double perception. Jérusalem-Est est vraiment un monde différent des banlieues juives-israéliennes de Jérusalem-Ouest. La Vieille ville surgit devant moi, enfermée dans ses murs de pierre, et je pense que pendant des milliers d’années les voyageurs ont descendu cette rue à la recherche d'un moyen de transport.

Damascus Gate ­ en hébreu Sh’ar Shchem, la porte de Shechem, maintenant Naplouse. Je ressens seulement l’une des profondes ironies d’être ce que je suis, une juive sur cette terre, venue ici par solidarité avec un peuple que mon propre peuple est en train de déposséder ­ qui plus est, une juive qui a été élevée et instruite et conditionnée dans chaque fibre de son être à croire que cette terre est la mienne, de par sa naissance et son héritage ancestral.

Arrivée à l’entrée de Jérusalem, je ne peux m’empêcher de sentir que c’est, vraiment, l’endroit entre tous, où mes ancêtres ont marché, l’endroit qui s'associe à toutes nos prières et à tous nos rêves, auquel se réfèrent toutes les paroles que nous utilisons pour décrire le sacré. Nous «nous mettons debout» dans la synagogue pour lire la Torah, faisons une «Aliyah» parce que Jérusalem même est dans les montagnes, et qu’on doit grimper pour y aller, et grimper encore pour atteindre la vieille ville et le Mont du Temple.

J’ai tourné autour quinze fois la première fois que je suis venue en Israël, avec le programme d’été de l'Ulpan de la Haute école d’Hébreu à laquelle j’appartenais. C’était en 1966 quand la Vieille Ville était encore à la Jordanie, et hors de nos frontières à nous.

Je me souviens combien je me suis réjouie en 1967 quand elle est entrée en possession d’Israël. Maintenant je m'arrête un moment, et je me rappelle à quoi ressemblaient les corridors du jardin le jour où ils ont été envahis par la foule et les carrioles alimentaires et les vendeurs de rue et les fabricants de falafels et les femmes qui venaient dans les boutiques avec leurs longs manteaux et leurs foulards, ou disposaient leurs marchandises à l'extérieur sur des couvertures.

Les rues pavées tourniquant dans le labyrinthe de corridors et de marchés, couvert de dômes et de voûtes, l’archétype même de la «Ville» intacte à travers tant d'âges révolues quand les pélerins montaient ces mêmes pierres en transportant les agneaux du sacrifice ou les fruits et les grains des offrandes.

Nulle part ailleurs sur la terre je ne peux me sentir tellement chez moi et tellement étrangère, si semblable et si différente. Je peux comprendre, au plus profond de mes os, pourquoi mon peuple désire ce lieu. Mais mon sens personnel des liens du sang est empoisonnée par ce que je sais des injustices qu’on commet en s'en revendiquant.
Je connais le pouvoir de l’histoire dans laquelle j’ai grandi ­ que nous étions sans foyer depuis deux mille ans,­ méprisés et opprimés par toutes les nations, mais maintenant nous sommes revenus chez nous, dans notre véritable foyer, et par Dieu personne ne va jamais nous le reprendre. C’est un mythe puissant. Les Palestiniens, malheureusement ne jouent aucun rôle dans cette histoire.

Leur existence même gâche l’histoire. Quand je repense à mon enfance, à ce que j’ai appris à l’école Hébraique, à l’histoire qu’on nous a enseignée et à ce qu’on nous montré dans les voyages que nous avons fait l’été de l’Ulpan, je suis frappée de ce que les Palestiniens n'y étaient que rarement mentionnés.

Quand j¹étais à Balata il y avait une famille entière emprisonnée dans sa propre maison par les soldats qui s’en servaient comme poste de commandement. Hommes, femmes, gamins ­ pendant des jours, ils ont été confinés dans une petite pièce, sans sortir ni être autorisés à avoir des contacts avec le monde extérieur ni à sortir faire des courses ou chercher du lait pour un bébé malade. Pendant ce temps, les soldats prenaient leurs aises dans le reste de la maison, posaient leurs fusils par terre pour se relaxer un moment, jouaient aux cartes, mangeaient, se reposaient.

Comment pouvaient-ils faire ça, m'étais-je demandé, avec cette misère juste de l’autre côté de la porte ?

Mais j’avais alors compris qu’en effet, c’était exactement ce que nous faisions aux Palestiniens en tant que peuple, que la réalité est, en fait, que cette terre était occupée avant que nous ne l’occupions.

Chaque fois que j’écris sur ce problème, j’ai quelques petites réponses qui disent qu’en effet, on a eu tort des deux côtés et que si vous voulez la paix : "vous ne devez pas prendre partie" .

Ce que je dis c’est qu’aussi longtemps que nous barricaderons cette porte, ce qui risque d’exploser d’un moment à l’autre véhiculera sa force de destruction massive. Mais ce n’est pas une raison pour garder la porte close, il faut l’ouvrir pour regarder à l’intérieur, pour connaître la vérité sur ce que nous avons fait, affronter la culpabilité, la douleur et le sentiment de gêne que nous en éprouvons, et commencer à nous racheter. C'est de cette manière qu'il est imaginable de commencer le travail vers la paix.


Et je contemple Damascus Gate et je pense à toutes ces portes, tous ces portails, tous ces checkpoints, tous ces murs et ces guichets, toutes ces barrières, et toutes ces barricades qui divisent cette terre. Mais au moment où je me tourne en direction du bus qui m’amènera à l’un d’entre eux, je me sens chez moi. Une foule d'hommes m¹entourent, s’arrêtent dans les magasins encore ouverts ou font la queue aux falafels.

A un certain moment, il m'est arrivé d'avoir peur d’être seule dans cette foule après la nuit ­ maintenant j’ai suffisamment voyagé seule en Palestine pour savoir que je suis aussi en sécurité ici que je pourrai être ailleurs. Et j’éprouve un soudain sentiment de gratitude. Aussi dur que puisse être parfois le travail, cela me permet de marcher dans ces rues et d’être à cette entrée sans avoir peur. Ca me donne un rôle que je peux jouer ici avec honnêteté et me permet aussi d’être en présence de mes ancêtres qui sont aussi les ancêtres des Palestiniens et d’être chez moi sans avoir besoin de posséder qui que ce soit.

La fourgonnette pour Kalendia est pleine d’hommes fatigués, aux visages sinistres qui retournent dans leurs maisons de Jérusalem-Est. Elle tourne dans les rues bordées de bâtiments en béton et d’enseignes au néon et dans la saleté et la poussière de toute cette partie miteuse du tiers monde et finalement s’arrête à Kalendia, le principal checkpoint entre Jérusalem et Ramallah, plaque tournante des bus et des taxis du nord de Cisjordanie . Ramallah est la ville la plus ouverte de Cisjordanie . Voitures et taxis sont bloquées là, attendant des heures dans un nuage de fumée de diesel et de poussière, mais personne n’arrête ceux d’entre nous qui se dirigent vers Ramallah.

Je suis les hommes sur le chemin au-delà des barrières et des barbelés.
Un jeune garçon insiste pour porter mes sacs et me trouver un taxi. Je lui donne cinq shekel et avec le taxi je vais à la rencontre de Neta qui revient de la veillée aux bougies pour Rachel qui a eu lieu au centre de la ville et que j’ai manquée. Nous achetons des falafels, et revenons à son appartement.

Je salue Nizar, son mari qui est maigre et calme et gentil comme tout, et son bébé, Nawal, que j¹ai aidé à naître il y a juste un an. Nawal est absolument adorable, avec de grand yeux gris-verts et plein de cheveux noirs, l’un de ces bébés qui semblent toujours trouver que la vie est rigolote. Elle vient d’apprendre à faire signe de la main, et fait signe à chacun et sourit et de nouveau agite les mains.

Neta attend son deuxième enfant, maintenant son ventre est rond et bas. Le bébé aurait dû naître hier mais ne semble pas pressé de venir. Neta et moi nous asseyons, il est trop tard pour parler et le dernier décalage horaire me rattrape, je remplis d’eau ma bouteille, charge mes batteries, vérifie en me couchant où sont mes affaires pour le cas où je devrais les emporter à la hâte.

Je suis de retour en Cisjordanie où les choses peuvent changer sans avertissement.

Source : www.palsolidarity.org

Traduction : CS pour ISM-France

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