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Gaza - 25 novembre 2006
Par Laila al-Haddad
Après être rentrés de Doha dimanche, ma famille et moi sommes allés hier jusqu'à la ville d'Al-Arish sur la frontière égyptienne, à 5 heures de voiture du Caire, et à 30 minutes du passage de Rafah. Al-Arish est la ville égyptienne la plus proche (et la plus grande) de la frontière.
Lors des périodes de la fermeture prolongée, comme cet été, et l'année dernière, elle devient un taudis palestinien.
Des milliers de Palestiniens sans ressources, n'ayant plus d'argent parce qu'ils n'avaient pas anticipé une durée aussi longue de fermeture, finissent dans les rues. Le propriétaire du magasin et le chauffeur de taxi se relaient pour nous raconter les histoires de cet été.
En réponse, et sous la pression israélienne, la police égyptienne n'autorise plus les Palestiniens qui arrivent du Caire à passer par le port égyptien d'Al-Qantara si la frontière est fermée et Al-Arish devient bondée. "Elle se transforme en ghetto. Les Israéliens ne voulaient pas qu'ils fassent de nouveaux trous dans la frontière pour passer."
La nuit dernière, nous avons eu de faux espoirs - espoirs transmis en bas de la vigne du chauffeur de taxi par ceux qui font le circuit Le Caire-Rafah - que la frontière ouvrirait tôt ce matin. Aussi nous n'avions pas déballés nos sacs, nous nous étions endormis tôt avec le bruit des vagues de la Méditérranée – les mêmes mais quelques kilomètres plus bas que celles qui s'écrasent contre les rivages assiégés de Gaza.
Mais il est 4 heures, puis 5 heures, puis 6 heures, et la frontière ne s'ouvre pas. Et mon coeur commence à cogner, en me rappelant de la dernière fois où j'ai essayé de passer par Rafah ; en me rappelant comment je suis restée bloquée pendant 55 jours ; 55 jours où Yousuf a appris à se lever tout seul, 55 jours pendant lesquels il a fait ses premiers pas, sur une terre qui n'était pas à nous ; 55 jours de solitude et de déplacement.
Le propriétaire du magasin local nous a dit qu'il avait entendu dire que la frontière ouvrirait peut-être jeudi "mais vous savez comment c'est, toutes ces rumeurs".
On ne peut jamais être certain. Certains disent demain, les autres disent jeudi-mais enfin de compte, personne ne sait. Même les responsables de la frontière égyptienne admettent qu'en fin de compte, les ordres viennent du côté israélien.
C'est comme s'ils prenaient plaisir à nous faire languir dans l'incertitude. La perpétuelle inconnue. Comme s'ils voulaient que nous restions là à penser et à devenir fous.
Même l'équipe de football palestinienne n'a pas pu sortir de Gaza en raison de la fermeture de Rafah, pour participer aux jeux asiatiques. Personne n'est exempt. Paysan ou joueur pro de football, nous sommes tous vulnérables.
Donc, comme toujours, nous attendons. Nous attendons notre vie entière, en tant que Palestiniens. Si ce n'est pas l'ouverture d'une frontière, c'est l'obtention d'une autorisation, c'est la fin d'une incursion, pendant un certain temps quand on ne peut pas attendre plus longtemps.
Pourquoi les frontières sont-elles si effrayantes - et en particulier celle de Rafah- qu'elles me donnent froid dans le dos ?
Après tout, ce ne sont que des passages comme tous les autres me-dis-je.
Qu'est ce qui différencie un mètre de sable d'un autre, au delà de cette frontière ?
C'est exactement le même. C'est l'histoire et l'occupation et l'isolement qui les différencient.
Pour les Palestiniens, les frontières sont un rappel de notre vulnérabilité et de non-appartenance, de notre déplacement et de notre dépossession. C'est un rappel douloureux d'une patrie perdue.
Et que se passerait-il si ce qui reste était aussi perdu. Quand nous en perdons une partie, nous perdons un peu de nous-mêmes.
A chaque fois que nous franchissons la frontière, nous attendons pour la franchir.
Donc, c'est ici, à 50 kilomètres de la frontière de Rafah, que je me suis souvenue à nouveau du déplacement. Que je suis devenue "un déplacé à l'étranger" pour citer le poète palestinien Mourid Barghouti.
"Le déplacement est censé être quelque chose qui n'arrive qu'aux autres." dit-il.
Comme c'est vrai. Pour les réfugiés que le monde prend bien soin d'oublier. Qui n'ont aucun droit au retour. Qui ne retournent nulle part et partout dans leurs esprits un million de fois. Quand la frontière se ferme, nous sommes toujours plus proche d'en devenir un.
Naturellement, c'est Yassine, qui ne peut pas même pas venir jusqu'en Egypte, pour se sentir seul. Il se sent seul tous les jours, et il est rejeté tous les jours, trouvant sa place dans d'autres choses non-statiques : la famille, l'amour, le travail.
Mais les Palestiniens n'oublient jamais leur solitude. Les frontières leur rappellent toujours, toujours, cela.
C'est pourquoi je hais le passage de Rafah par-dessus tout.
C'est pourquoi je déteste les frontières. Elles me rappellent que, comme tous les Palestiniens, je suis de partout et de nulle part. La frontière de la dépossession.
Source : http://a-mother-from-gaza.blogspot.com/
Traduction : MG pour ISM
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