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Cisjordanie occupée - 22 janvier 2016
Par Budour Youssef Hassan
Budour Youssef Hassan est un écrivain palestinien diplômé en droit, il vit à Jérusalem occupée. Son blog : Random Shelling. Twitter : @Budour48
20.01.2016 - Lorsque Muhannad Halabi a poignardé à mort deux Israéliens et blessé une femme et un bébé dans la Vieille Ville de Jérusalem, il a lancé ce que de nombreux palestiniens ont appelé "l'intifada des couteaux". Halabi a été tué par la police israélienne pendant l'attaque, début octobre 2015, et l'étudiant en droit de 19 ans a été qualifié de "terroriste" par les médias. Ses parents, cependant, ont un point de vue nettement divergent : ils considèrent Muhannad comme un héro. "Je serai toujours fière que mon fils se soit sacrifié pour la libération de sa patrie," dit sa mère, Suhair.
Muhannad tel qu'il apparaissait sur son compte Facebook
Dans son dernier message sur Facebook, Muhannad exprimait une profonde colère contre les incursions des colons israéliens sur l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa, l'un des sites les plus sacrés de l'Islam. Il venait de voir la vidéo d'une Palestinienne arrêtée par la police israélienne à Al-Aqsa.
Exhortant à une "révolution", Muhannad a comparé la Palestine à une orpheline meurtrie et martyrisée, abandonnée par ses compatriotes arabes.
Muhannad a montré son message à ses parents avant de le poster sur l'internet. "J'ai été surprise de le lire et j'ai senti qu'il avait pesé chaque mot," a dit Suhair. Le post a été écrit la veille du jour où Muhannad a mené son attaque.
Prise de conscience
Son père, Shafiq, dit : "Muhannad a ouvert la voie et j'ai le sentiment que tous ces jeunes gens qui se soulèvent le rejoignent. Son attaque a représenté la prise de conscience que les Palestiniens avaient besoin d'agir et de sortir l'impasse actuelle."
Même des responsables militaires israéliens ont reconnu que la série d'attaques est mue par le désir de certains jeunes Palestiniens de frapper les symboles de l'occupation et de riposter aux assassinats de Palestiniens.
Muhannad avait une conscience aiguë des injustices infligées à son peuple.
Il a grandi à Surda, un village au nord de Ramallah, en Cisjordanie occupée. Pourtant, quand on demandait à Muhannad d'où il venait, il répondait qu'il était originaire du quartier Ajami, à Jaffa.
Sa famille a été expulsée de Jaffa par les forces sionistes pendant la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948.
Suhair Halabi au milieu des ruines de la maison familiale, le 9 janvier, le lendemain de sa destruction par les forces israéliennes d'occupation (Shadi HatemAPA images)
"Muhannad a toujours ressenti un sentiment d'appartenance à Jaffa, sans y être jamais allé," dit Suhair. "Il était conscient de ses racines. Et aucun pouvoir ne peut empêcher ça."
L'une des principales cibles de la colère de Muhannad était l'Autorité palestinienne. Il estimait que l'Autorité palestinienne avait trahi les Palestiniens en coopérant avec l'occupation israélienne.
La trahison de l'AP a été illustrée immédiatement après l'assassinat de Muhannad. Selon son père, on a vu des membres des services du renseignement de l'AP à Sura, pendant que les forces israéliennes attaquaient le village.
Les agents de l'AP "n'étaient pas là pour nous protéger ou empêcher la démolition," a dit Shafiq. "Ils sont venus recueillir des informations sur Muhannad et sur la famille."
De même les Halabi n'ont reçu aucune aide de l'AP lorsque les forces israéliennes ont démoli leur maison, au début du mois. Par contre, les jeunes locaux se sont rassemblés en défense de la famille. Les villageois étaient déterminés à résister à la démolition. Mais à la fin, leurs pierres et leurs pneus en flamme ne furent pas de taille face aux bulldozers blindés et autres armes de l'arsenal d'Israël.
L'AP renforce l'occupation
"Nous n'attendons pas de protection de la part de l'AP," a dit Suhair Halabi quelques jours avant la démolition. "Cette autorité renforce l'occupation."
Lorsqu'ils ont appris que Muhannad avait été tué, Suhair et Shafiq ont compris que ce ne serait qu'une question de temps avant que leur élégante maison de deux étages à Surdo soit détruite. Le gouvernement israélien a multiplié les démolitions en représailles ces derniers mois.
Les Halabi ont essayé d'empêcher la démolition en allant devant la Haute cour israélienne, appelée également Cour suprême. Mais les trois juges ont statué contre eux fin décembre. Ils ont eu 10 jours pour évacuer leur domicile, et la démolition a eu lieu le 8 janvier 2016.
Les démolitions en représailles ou punitives ont été instaurées par la Grande-Bretagne lorsqu'elle gouvernait la Palestine sous mandat de la Société des Nations entre 1923 et 1948. Constituant un châtiment collectif, la pratique viole le droit international.
Pourtant Israël utilise toujours ces réglementations britanniques, avec l'approbation de sa plus haute cour, et ceci tout en sachant que ces démolitions ne dissuadent pas les Palestiniens de résister à l'occupation.
"En définitive, la cour suprême est un bras de l'occupation israélienne," dit Labib Habib, l'avocat palestinien qui représente les Halabi. "Le jargon juridique auquel elle a recours ne sert qu'à masquer la rationalisation et la légitimation des pratiques arbitraires de son occupation."
Israël ne pratique les démolitions en représailles que contre les maisons palestiniennes. Les parents de juifs israéliens suspectés d'attaques violentes contre les Palestiniens ou autres n'ont pas à craindre de devenir sans logis à cause des bulldozers d'Israël.
Surda, le 6 octobre 2015 - Les jeunes palestiniens installent des barricades pour tenter d'empêcher l'invasion des forces d'occupation (Muhannad SaleemActiveStills)
Défi
Les Halabi ne s'avouent pas vaincus après la démolition. "Ils ont démoli notre maison mais ils n'ont pas détruit notre moral," dit Suhair. "En fait, notre moral est au plus haut." Des militants à Ramallah ont lancé une campagne de collecte de fonds pour aider la famille Halabi à reconstruire sa maison.
Les Halabi ont beaucoup apprécié ces gestes de solidarité. Mais Shafiq dit que "tout l'argent du monde" ne pourra pas compenser la perte de Muhannad.
Un message similaire a été envoyé aux Halabi par Muhammad Alayan, dont le fils Bahaa a été assassiné par Israël en octobre dernier, pendant une prétendue attaque au couteau à l'est de Jérusalem occupée. La maison de la famille Alayan a elle aussi été démolie récemment.
"Vous et nous allons rester forts, comme Muhannad et Bahaa," a déclaré Muhammad Alayan. "La pierre [de nos maisons] n'est pas plus précieuse que leurs vies."
"J'ai mis mon sang et ma sueur dans la construction de cette maison," dit Shabiq, debout au milieu des gravats. "C'est là que nous avons vécu ces 10 dernières années. Mais ce qui me fait plus mal que la destruction physique de la maison, c'est la destruction des souvenirs. Chaque coin de cette maison nous rappelait Muhannad."
Surda est situé dans la zone A de la Cisjordanie . Dans le cadre d'un plan de zonage introduit par les accords d'Oslo de 1993, la zone A est censée être sous le contrôle de l'Autorité palestinienne pour les questions administratives et de sécurité. Toutefois, en évoquant les "mesures d'urgence" de 1945 remontant au Mandat britannique, Israël peut contourner ces accords.
"Quand le commandant militaire décide de les appliquer [les règlementations], les distinctions entre zones A, B et C s'effacent," ajoute Habib.
Muhannad Halabi savait comment les accords d'Oslo ont aidé à prolonger l'occupation.
"Tout comme moi, il était ouvertement contre l'Autorité palestinienne et le processus de paix," dit son père. "Nous pensions qu'au cours des 20 dernières années, ce processus n'a abouti qu'à un augmentation de la colonisation et des démolitions de maison. On ne peut pas maintenir le statu quo."
Muhannad était étudiant en droit à l'Université Al-Quds, à Jérusalem Est. "Il connaissait par cœur les tenants et les aboutissants des accords d'Oslo," dit sa mère. "Il me disait souvent, 'veux-tu que je te lise l'accord et que je te montre comment il nous a dépouillés de nos droits et a facilité le vol de notre pays ?'"
Une famille politisée
Les Halabi sont une famille politisée. Shafiq s'est jadis impliqué dans le Front démocratique pour la libération de la Palestine, mais il n'est plus affilié à ce groupe. Il a brièvement été emprisonné pendant la Première Intifada, dans les années 1980.
Muhannad était lui membre du groupe d'étudiant du Jihad Islamique et il était bien connu des Palestiniens pour son militantisme. Comme Shafiq, Muhannad pensait que les négociations de l'AP avec Israël ne servent à rien et que la résistance armée est nécessaire. Muhannad a développé ses arguments dans une lettre adressée à Mahmoud Abbas, le leader de l'AP, et l'a postée sur Facebook peu de temps avant l'attaque.
Des milliers de Palestiniens ont accompagné les funérailles du jeune martyr
"Il était très passionné mais toujours poli dans ses critiques, ce qui les rendaient encore plus tranchantes," dit Suhair.
Shafiq, qui est plombier, avait promis à Muhannad d'ouvrir un cabinet pour lui et sa jeune sœur Fatimah - elle aussi étudiante en droit - lorsqu'ils seraient diplômés.
Muhannad a été enterré enveloppé dans une robe d'avocat. L'Association du barreau palestinien lui a remis une autorisation honorifique d'exercer à titre posthume. Sur sa tombe, une plaque a été apposée, sur laquelle on peut lire : "L'avocat martyr Muhannad Halabi, déclencheur du soulèvement de Jérusalem."
Source : Electronic Intifada
Traduction : MR pour ISM
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Budour Youssef Hassan
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