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ISM France - Archives 2001-2021

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Naplouse -

Naplouse a peur

Par

> nantes@ism-france.org

Un journaliste local m'a expliqué que la raison de ce changement était la peur.
Naplouse vivait sous le règne de la peur. La peur de l'armée israélienne, la peur des voisins, la peur des collaborateurs que les services secrets israéliens ont infiltré, la peur des bandes armées qui, dans le vide laissé par l'Autorité Palestinienne, se sont mises à faire la loi, la peur...
Il m'a expliqué que plus personne ne peut plus se fier à personne.

Naplouse a peur


Les équipes de la ville nettoient les dégats infligés à la Mosquée durant la nuit par l'incursion israélienne sous les yeux des voisins

Lorsque je suis arrivée à Naplouse, peu avant midi, j'ai eu l'impression de rentrer dans une ville fantôme. Dans une ville sans vie.

Personnes dans les rues. Il n'y avait plus d'hommes assis sur le devant des portes des maisons et des échoppes. Rien ne bougeait hormis les taxis jaunes.

Je me suis rappelée que, lors de mon premier passage en 2002, alors que Naplouse vivait ses heures les plus noires - soumise au couvre-feu, cernée par les forces d'occupation israéliennes - il y avait quantité d'enfants qui couraient derrière un ballon et qui s'amusaient à me suivre. Bref, il y avait encore un semblant de vie dans les rues défoncées.

Où étaient donc passées les jeunes filles à la longue et belle chevelure, qui s'hasardaient dans les rues, discutaient avec une amie ou une voisine et les jeunes garçons, aux cheveux bien coupés et gominés - comme les jeunes de chez nous - qui regardaient les filles avec gourmandise?

Les rares femmes, que j'aie pu apercevoir en ce jour pâle de juin 2004, étaient voilées, habillées d'un manteau long jusqu'aux chevilles, allaient leur chemin sans mot dire, hâtaient le pas.

Le changement était brutal. Que s'était-il passé entre deux ?


Un journaliste local m'a donné un début de réponse. Il m'a expliqué que la raison de ce changement était la peur. Naplouse vivait sous le règne de la peur. La peur de l'armée israélienne, la peur des voisins, la peur des collaborateurs que les services secrets israéliens ont infiltré, la peur des bandes armées qui, dans le vide laissé par l'Autorité Palestinienne, se sont mises à faire la loi, la peur...


Il m'a expliqué que plus personne ne peut plus se fier à personne. Car les soldats israéliens avaient tout de sorte de ruses pour les contrôler. Ils pouvaient arriver par surprise, déguisés en femme, en dealer, en jeans, se faire passer pour un étranger pour obtenir des informations, les surveiller de l'intérieur, de près.

Les tensions entre Palestiniens pèsent. Ce qui entraîne des altercations entre voisins, et le couteau n'est jamais loin. Ceci pour dire que les rues ne sont plus du tout sûres.

Ce journaliste m'a également raconté avec émotion de quelle manière sa fille - qui poursuivait ses études à l'Université Al-Najaf - a été obligée de se couvrir les cheveux et les bras sous peine d'être exclue de l'Université.


Quant aux assassinats ciblés perpétrés par les soldats israéliens mon interlocuteur ma' appris que l'armée israélienne a changé de méthodes : "Le couvre-feu n'est plus en vigueur. Mais les incursions des soldats israéliens sont désormais ciblées. Ils arrivent en ville incognito, ils donnent 150 Sheckels (35 €) à des jeunes adolescents pour obtenir des renseignements sur les personnes recherchées. Ils peuvent ensuite faire tomber les personnes recherchées dans leur piège et ensuite ils les tuent ou emprisonnent."

Les soldats utilisent une autre technique pour arracher des informations.
"Exemple : Ils investissent la maison d'une personne déjà emprisonnée, cassent tout ce qu'il y a dans la maison, menacent la femme de revenir pour la violer ainsi que ses filles si elle ne donne pas d’informations sur les amis de son mari. Parfois, ils reviennent avec le mari qu'ils ont sorti de prison ou d'interrogatoire, le corps et le visage roués de coups, et disent que si elle ne leur donne pas des informations, des noms, ils vont le tuer. C'est de cette manière que les services israéliens ont obtenu les informations sur Khalil Marchoud, qu'ils ont assassiné le 15 juin dernier avec Aouadh Abou Zid et un autre homme en lançant un missile sur leur voiture."


Pa facile de vivre en paix entre voisins ?
« Cela créé un climat de méfiance. Tout le monde a peur de tout le monde. Les gens ne se font plus confiance, ils ne parlent plus aux étrangers, les enfants restent enfermés à la maison. »

Lors de ma présence à Naplouse, il y avait une incursion israélienne dans le camp de Balata. Plusieurs jeunes enfants qui défendaient leur territoire en jetant des pierres sur les soldats, qui se tenaient bien à l'abri dans leurs véhicules blindés, ont été tués et une dizaine ont été blessés, transportés à l'hôpital Rafidia.

Alors qu'à Balata, les opérations militaires terrorisaient la population et qu'il y avait des victimes et tout un cortège d'ambulances, les autres quartiers de la ville de Naplouse, tout en suivant les nouvelles, continuaient à vivre normalement : « Ce qui est terrible, c'est que nous nous sommes devenus habitués à la mort. Nous sommes tristes pour les familles des victimes mais nous devons continuer de travailler et de nous préoccuper d'assurer la survie à nos proches»

Le soir venu nous nous sommes rendus sur « les Champs Elysées » de Naplouse, une large avenue, nommée ainsi par les jeunes de Naplouse, qui se situe entre l'Université Al-Najaf et l'hôpital Rafidia.

Les magasins avaient tous leurs volets mi-clos. Les vendeurs nous ont expliqué qu'ils voulaient ouvrir leur commerce, mais qu'en raison des opérations militaires dans le camp de réfugiés proche, ils avaient peur que des jeunes armés viennent les menacer, leur en vouloir pour leur manque de solidarité avec le camp en détresse.

L'un d'eux, très en colère, nous a dit : « Nous sommes tristes pour les victimes et pour leurs familles, mais nous devons impérativement continuer, gagner de quoi vivre si nous ne voulons pas tous mourir. De quel droit viennent-ils nous interdire de travailler ? En nous obligeant à fermer, ils font le jeu des Israéliens. »

De fait, une demi-heure plus tard, des jeunes gens, le visage caché d'un keffieh, sont apparus dans l'avenue alors qu'ils venaient de quitter l'hôpital Raffidia. En quelques minutes, l'avenue s'est vidée et les magasins se sont fermés complètement. Peu rassurés, nous sommes rentrés nous aussi à la maison.

A aucun moment de notre séjour, nous n'avons vu la présence de la police palestinienne. Il est vrai qu'un policier palestinien qui ne gagne que 650 sheckels par mois (environ 150 €) n'a ni envie de se trouver pris dans des affrontements entre Palestiniens, encore moins prendre le risque de se faire tuer.


Un peu plus tard dans la soirée, nous avons entendu 3 fortes explosions qui provenaient de la vieille ville. Le lendemain, nous sommes allés voir de quoi il s'agissait : les soldats israéliens s'en étaient pris aux deux mosquées et à une église situées dans la vieille ville.

Le souffle des fortes explosions avait détruit de nombreuses boutiques et avait fait exploser toutes les vitres des maisons situées à proximité. Plusieurs personnes qui dormaient dans les chambres donnant sur la ruelle étaient blessées, en état de choc.

Pourquoi s'en prendre aux lieux saints ?

Comble de l'affront, en même temps que se déroulait l'opération militaire, plusieurs ministres israéliens étaient venus sur ces lieux, prier sur la tombe de Joseph, protégés par toute une armada.


De toutes les villes de Cisjordanie , Naplouse est certainement celle où la vie y est le plus difficile. D'une part, en raison du siège et des nombreuses incursions effectuées par l'armée israélienne mais, aussi, en raison de la tension présente à chaque coin de rue, où à tout moment, tout peut basculer.

Alors que j’allais quitter la ville après une réunion de l’ISM dans la vieille ville, le coordinateur local m’a accompagnée jusqu’à la station de taxis où il a demandé à l’un d’entre eux de m’emmener jusqu’au checkpoint d’Huwarra.

Nous sommes montés dans le véhicule mais, doucement, les autres taxis se sont avancés pour bloquer l’avant et l’arrière de la voiture.

Commençant à paniquer, j’ai jeté un bref coup d’œil vers l’arrière mais mes amis étaient déjà loin.
Le conducteur de mon taxi est sorti en hurlant pour leur demander de nous laisser passer. Rien. Ils se sont enfin retirés lorsque le chauffeur a appelé la police en leur demandant de venir immédiatement.

Nous sommes partis à toute vitesse mais mon chauffeur ne décolérait pas : "Avez-vous déjà vu cette scène dans un autre pays ou ailleurs en Palestine ?» m’a dit-il demandé.

Evidemment, ma réponse fut "NON".

Je n’ai pas obtenu de réponse à mes questions : "Que s’est-il passé ? Pourquoi ?"

La peur est bien réelle à Naplouse.

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